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L’école sénégalaise : L'anglais à l'élémentaire : oui, mais ... Par Dr Amar GUEYE

Mercredi 14 Août 2024

L'actualité de ces derniers temps est à l’introduction de l’enseignement de l’anglais à l'école élémentaire qui a déclenché un enthousiasme débordant au niveau de l’opinion (« Nouveauté dans l’éducation : l’anglais dès ‘la CM1’. The children will speak english » titrait un journal) au risque de créer beaucoup de désillusions au rythme où vont les choses.  
 
Langue du commerce, de la science et de la technique, de l’aviation, de l’informatique, de la diplomatie, du tourisme, de la communication internationale, l’anglais est aujourd’hui largement pratiqué dans le monde. Aussi, la pertinence de son apprentissage ne fait-il l'objet d'aucun doute pour quiconque voudrait être en phase avec les exigences du monde contemporain. Par voie de conséquence, la question du "pourquoi" de son introduction à l'élémentaire ne se pose plus mais plutôt celle du "comment".  
 
Sous ce rapport, je voudrais, de prime abord, dire que je suis un chaud partisan des langues et de toutes les langues à l'école mais en se conformant, au-delà de l’impératif de l’expérimentation, aux exigences des priorités et à certaines considérations scientifiques et techniques. Mais ce que j’ai, jusque-là, lu et entendu sur la question ne me rassure guère. C’est pourquoi, ne pouvant rester à regarder en spectateur ce qui se passe sous nos yeux, j’ai décidé de prendre ma plume pour exprimer quelques préoccupations relatives à un certain nombre de points. 
 
1/ La direction qui porte le dossier :

J’ai vu le Direction de l’Enseignement Moyen Secondaire Général/DEMSG et le Bureau technique de l’enseignement de l’Anglais/BTEA s’activer et communiquer sur la question de l’introduction de l’enseignement de l’anglais à l’élémentaire. Là, je me suis dit que jusqu’à une date récente en tout cas, tout ce qui touchait à l’enseignement élémentaire relevait principalement de la Direction de l’Enseignement élémentaire/DEE ; alors je me suis demandé ce qui se passe pour qu’il n'en soit plus le cas au risque de créer inutilement, des frustrations et dysfonctionnements préjudiciables à l’initiative.

La DEMSG et le BTEA devront, néanmoins, être nécessairement parties prenantes dans ce travail qui se doit d’être inclusif. 
 
2/ La structure qui sera chargée de la formation des enseignants :

Si j’ai bien suivi, on nous parle de la Faculté des Sciences et Techniques de l’Education et de la Formation/FASTEF. Ma remarque à ce niveau, est qu’au Ministère de l’éducation nationale/MEN, tout ce qui est formation relève, de fait, de la Direction de la Formation et de la Communication/DFC et du Centre Régional de Formation des Personnels de l’Education/CRFPE, de la FASTEF ou de l’UFR Sciences de l’Education, de la Formation et du Sport/SEFS.

Dans le cas d’espèce, cela revient naturellement à la DEE/DFC-CRFPE sous l’égide de l’Inspecteur Général de l’Education et de la Formation/IGEF pour l’enseignement élémentaire qui est bien outillé et qui a une très bonne vue d’ensemble du système éducatif. 
 
3/ Les ressources humaines :

je viens de lire une annonce de la Direction des Ressources Humaines/DRH/MEN relative à une « Campagne de recensement des enseignants de l’élémentaire qui ont des compétences en anglais (niveau bac et/ou autres formations)». On semble n’avoir pas pris en considération le fait que la quasi-totalité des enseignants de l’élémentaire qui sont des produits de nos lycées ont eu à y apprendre l’anglais comme langue étrangère de la 6e à la Terminale. Remarquons au passage qu’ils sont pratiquement tous trilingues au moins (Langue maternelle, français, anglais). Il suffirait de les accueillir au niveau des CRFPE par cohortes pour un relèvement de leur niveau linguistique (MS avec les formateurs en Anglais) et une formation en didactique de l’Anglais à l’école élémentaire (EE avec des inspecteurs spécialistes en Anglais). Il faut noter au passage que les CRFPE couvrent l’ensemble du territoire national et regorgent de personnels de formation de qualité de l’élémentaire comme du moyen secondaire. 
 
Quant aux enseignants qui devront être recrutés prochainement, il faudra penser dès à présent (mais là, je crois que le coup est parti puisque le concours est déjà ouvert) à inclure dans les tests d’entrée des épreuves facultatives d’anglais et de linguistique pour jouer sur le profil d’entrée qui aura un impact positif sur le profil de sortie des formés. Il y a lieu de s’inscrire dans la perspective de former, non pas des maitres ou professeurs d’anglais dont on n’a vraiment pas besoin à ce niveau, mais des enseignants bilingues (français/anglais) à l’image des professeurs (Lettres-Anglais/LA, Lettres-Espagnol/LE, etc.) officiant dans les collèges d’enseignement moyen. 

 
La mise en œuvre de l’enseignement de l’anglais à l’élémentaire nécessitant un travail de contrôle encadrement, il faudra penser à disposer d’un corps de contrôle spécifique. A cet effet, on pourra s’appuyer sur les Inspecteurs de l’Enseignement Elémentaire/IEE qui ont un profil d’angliciste et les mettre à contribution au niveau des CRFPE en attendant de pouvoir en prévoir dans les recrutements à venir au Concours de Recrutement des Elèves-Inspecteurs/CREI et au Probatoire (pour permettre d’y voir plus clair, prenons l’exemple de l’enseignement de l’arabe qui est mené à l’élémentaire et au moyen secondaire avec, à chaque niveau, des inspecteurs dédiés.) 
 
4/ Les infrastructures et le matériel de formation des maîtres :

je ne sais pas ce qui est prévu dans ce cadre mais il serait intéressant d’envisager la création de laboratoires de langues (anglais, arabe, langues nationales…) bien équipés au niveau de chaque CRFPE et dans le même ordre d’idées, la mise à disposition de matériel audiovisuel au niveau des écoles. La mise à contribution du Centre de Linguistique Appliquée de Dakar/CLAD, avec sa bonne vieille méthode « Pour parler français », serait d’un grand apport malgré tout ce qui lui a été reproché dans le passé. J’ai été formé avec la méthode CLAD à l’élémentaire (en français) comme au lycée (en anglais) ; il faudra la remettre au goût du jour ; ce qui sera bénéfique, j’en suis sûr : « the taste of pudding is in eating » (and I had eaten it) (limu saf …). Au CLAD, pourront s’adjoindre d’autres laboratoires comme le laboratoire Recherches sociolinguistiques et didactiques/RSD de l’UGB pour l’apport de leur expertise sur la question. 
 
5/ La didactique de l’anglais :

là également, je ne sais pas trop ce qui est envisagé mais il importe de noter que la didactique de l’anglais à l’élémentaire est différente de celle au moyen-secondaire. Dans ce cadre, il y aurait lieu, entre autres, d’élaborer un programme immersif où l'accent sera mis prioritairement sur la maîtrise du code oral avec la compétence réceptive (comprendre) et la compétence expressive (parler) conformément au processus d'acquisition naturel de la langue où c'est le code oral qui s'acquiert avant le code écrit. Notons, au passage, que ce que j’ai lu sur l’enseignement de l’anglais dans certaines écoles dites « bilingues » avec l’enseignement des mêmes matières et contenus successivement en français et en anglais, ne renvoie pas au bilinguisme qui est un concept qu’il convient de (re)visiter. 
 
6/ Le timing :

« Education : introduction de l’anglais dès octobre 2024 pour l’élémentaire » déclarait le DEMSG sur la RFM le lundi 29 juillet pour un aussi « ambitieux programme » à deux mois de la rentrée scolaire. 
Cela sent l’empressement, la précipitation, l’imprégnation et le cafouillage qui ne peuvent qu'engendre des regrets car tout échec sera dommageable à des centaines voire des milliers d'écoliers.  C’est inquiétant pour un aussi « ambitieux programme » sans, que je sache, une phase pilote (on parle de mise en œuvre au niveau de la 3e étape/ toutes les classes de CM1 et CM2 !) permettant d’expérimenter, d’évaluer, de corriger éventuellement avant de généraliser. Pire, on semble perdre de vue l’existence, à côté, d’un chantier de taille avec la mise à l'échelle de l'enseignement bilingue (français/langue nationale) ; un chantier qui a traversé tous les régimes qui se sont succédé depuis le Président Senghor et qui, tel un travail de Sisyphe, peine à être effectif. Il gagnerait à bénéficier, pour une fois, d’une attention et d’une volonté politique avérée des nouvelles autorités pour son aboutissement définitif.  Il constituera ainsi un premier pas décisif vers une réponse au besoin fondamental de notre école : sa fonte et refondation sur la base des langues nationales, seul gage d’un système éducatif endogène et performant, d’un système éducatif de développement. 
 
En globe-trotter, je me suis permis de me lancer à la recherche d’un pays qui s’est développé sans sa langue maternelle mais je n’en ai pas encore trouvé. 

 
Vivement que cette modeste contribution puisse être considéré comme un modeste effort d’apporter ma pierre à l’édifice. 

Par Dr Amar GUEYE 
Consultant Manager en éducation et formation 
Cabinet Galass Afrique Consulting/ GAC 
Cabinetgac202sl.sn@gmail.com  
Saint Louis 
 
 


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1.Posté par Momo le 15/08/2024 00:25
Belle participation à cette audacieuse initiative du nouveau gouvernement. Je vois que vous vous y connaissez avec toutes les issues mises en participation pour accompagner ou épauler le MEN dans la mise en œuvre imminent de l’introduction de l’anglais dans nos écoles primaires.
Mr le ministre prendra certainement vos contributions en comptre…

2.Posté par Mao le 16/08/2024 19:15
Très pertinente contribution.. en tant que spécialiste vous devez être consulter

3.Posté par Abdourahmane Pène le 16/08/2024 22:00
C'est avec un petit retard que j'ai découvert la riche contribution de Amar Gueye sur l'introduction de cette langue charnière seul gage d'une intégration réussie dans le concert des nations.
Vivement que ton appel incessant soit entendu . Ta voix est autorisée , je l'avoue .

4.Posté par Bécaye Sakho le 17/08/2024 01:05
Des propositions intéressantes. Pour enseigner l'anglais à l'élémentaire, il faudra loger une équipe chargée du pilotage à la direction de l'enseignement élémentaire du Ministère de l'Éducation nationale. S'appuyer également sur le DEMSG et la DRH. Avoir une équipe de pilotage pour préparer les programmes, la formation des enseignants et la confection du matériel didactique. Ensuite la formation ou le renforcement des capacités des
enseignants ne peut pas se faire à la FASTEF. Les centres régionaux de formation sont les mieux indiqués pour assurer la formation des enseignants. La FASTEF et les universités n'ont pas la capacité d'accueillir une formation pareille. Ensuite il faut au moins un protocole d'expérimentation. Et enfin faire tout pour éviter de créer des frustrations au niveau des directions du M'EN.

5.Posté par Babacar Sarr le 17/08/2024 13:35
Très pertinent mon Inspecteur.
On constate à travers cette contribution que c'est véritablement l'expert qui vient de cerner de manière exhaustive tous les contours liés à cette réforme audacieuse et ambitieuse , mais qui me semble être précipitée.
L'importance de cette initiative requiert une préparation sérieuse à tous les niveaux et principalement aux points essentiels que vous avez magistralement développés et qui sont entre autres le cadre, le personnel, l'encadrement et la formation, les moyens matériels et didactiques et surtout le timing.
Une mise à l'essai à l'échelle départementale où l'on mettrait à disposition tous les moyens et les compétences nécessaires avec un évaluation et des recommandations tirées du vécu pourrait faciliter une généralisation porteuse d'espoir de réussite.
Malheureusement, le constat est que depuis quelques décennies, les réformes dans le domaine de l'éducation semblent très superficielles et ne font l'objet d'aucun suivi ou d'une évaluation sérieuse.
C'est le cas en ce moment de l'introduction des langues nationales non maîtrisées par les acteurs et aux objectifs qui restent encore flous au niveau de la base qui se demande s'il faut : apprendre la langue, apprendre par la langue ou faire les deux à la fois.
J'espère que votre belle et pertinente réflexion tombera entre les mains des plus hautes autorités de ce pays, ministre et Président qui ne tarderont pas à s'attacher vos compétences pour accompagner ce projet qui du reste marquera un tournant important de notre système éducatif.
Merci du partage mon Inspecteur et très bonne journée.

6.Posté par Mor guillé fall le 19/08/2024 15:52
On nous parle d’environ 82% de littéraires contre un peu plus de 16% de scientifiques et on nous sort ce machin de l’anglais à enseigner dès l’élémentaire, l’écart va se creuser davantage…« Vous n’avez jamais vu un pays développé par des citations », ainsi un prof de maths raillait ses collègues de français.

7.Posté par Elhadji Cisse le 19/08/2024 16:21
1/ La direction qui porte le dossier
La DEE a toujours été le cheville ouvrière de toutes les réformes intervenant dans le cycle élémentaire. Même si l'Anglais n'est enseigné jusqu'à présent que dans le moyen, il paraît plus pertinent de concerner au premier chef la DEE. Car l'introduction de l'anglais pourrait entraîner des répercussions sur la gestion globale de ce cycle: quantum horaire, emplois des temps, reprofilage du CFEE...

3/ les formateurs
Là où les ressources humaines existent, il faudra s'assurer que le minimum requis pour enseigner la langue existe. Car entre avoir fait L'université et maîtriser les bases de l'anglais, il y a une difference. étudier
Là ou les compétences sont disponibles, il faudra voir comment organiser la mobilité pour assurer les apprentissages a tous les élèves de CM1/CM2.
Enfin, il y a le cas des écoles qui se retrouveront sans ressource humaine

4/ le timing
Une phase test de mise à l'essai semble nécessaire, pour voir les réussites et les difficultés, sur le plan des apprentissages, mais aussi du pilotage.

8.Posté par Adama KANE le 20/08/2024 16:51
Dr Amar GUEYE, un inspecteur émérite qui a une vision pointue sur le système éducatif sénégalais !
Le MEN a tout intérêt de lui accorder une oreille attentive et le mettre dans le dispositif de formation et de suivi-évaluation des cibles choisies pour l’enseignement de l’anglais à l’élémentaire.
Bravo et merci pour cette contribution scientifique si qualitative !

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