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Réinstallation des délégations spéciales ou non : Contribution au débat sur le découpage administratif

Lundi 6 Août 2012

Le débat sur le dernier découpage administratif a repris avec la volonté exprimée par les nouvelles autorités de revenir sur la mesure. Au delà de la polémique politicienne et partisane qu'elle a suscité cette mesure de "saucissonnement" des entités locales pose un problème plus technique auquel je tiens à apporter ma modeste contribution


Réinstallation des délégations spéciales ou non : Contribution au débat sur le découpage administratif
La distraction de certaines collectivités locales par le régime sortant communément qualifiée de découpage administratif continue d’être le lit d’un débat passionné. Après l’ex président de la Communauté rurale de Mbane réagissant à la décision des autorités de reconduire les délégations spéciales, le journal "Le Quotidien", dans sa livraison du Lundi 16 juillet 2012, à publié une contribution de Monsieur Ababacar GUEYE, Docteur en Droit public, Directeur de Cabinet du Ministre de l'Aménagement du territoire et des Collectivités locales intitulée "la réinstallation des conseils locaux, les obstacles juridiques"

Même si on ne peut pas présager d'une position officielle et d'une nouvelle option du gouvernement par rapport à la remise en cause du dernier découpage administratif fort décriée du régime sortant, la fonction de l'auteur peut laisser supposer que le pouvoir vient de se rendre compte de la hardiesse de la question et des obstacles, pas seulement juridiques, de retour à la situation ex ante. En effet, j'ai tiqué lorsque rendant compte de la première réunion du conseil des Ministres du Gouvernement issu des élections présidentielles du 25 mars 2012, le communiqué indiquait "Le Président de la République (...) a demandé au Ministre de l’Aménagement du territoire et des Collectivités locales de préparer des décrets annulant les découpages de collectivités locales et rétablissant dans leur mandat les conseils locaux démocratiquement élus en mars 2009".

Je venais de me rendre compte de ce que le candidat Macky SALL n’était pas suffisamment imprégné des obstacles pas seulement juridiques qui rendaient tout retour sur ce découpage très risqué de sorte qu’arrivé au pouvoir, il a voulu rendre justice aux élus déchus.

Je ne reviendrais pas sur les différents modes possibles de privation d’effets d’un acte administratif unilatéral ; l’auteur plus qualifié les a magistralement énoncés.

Un autre auteur (Moustapha GUEYE, Ancien magistrat) dans une contribution parue dans le même journal du 17/07/2012 a soutenu la possibilité juridique du retrait des décrets de découpages administratifs. Le débat se pose alors forcément.
M’intéressant à la question, je ne pouvais pas rester insensible à celui ci. Toutefois, mon propos, loin de s’inscrire dans cette pseudo polémique, se voudrait prospective en examinant d’abord les problèmes posés par le découpage pour ensuite décliner quelques pistes pour l’avenir.

Il est important néanmoins de signaler que contrairement à l’avis de l’un des auteurs prônant l’impossibilité de tout retour sur ces découpages, il me semble que la combinaison des articles 82 à 83 et 193 du Code des collectivités locales permet légalement, à défaut de pouvoir retirer ou annuler ces actes de découpage, la révision des limites actuelles des collectivités locales découpées notamment par le système de fusion ou de rattachement.

En tout état de cause, la concertation et le dialogue devraient prévaloir dans toute décision des pouvoirs publics relativement à la question (annulation du découpage ou maintien) ; tant chaque option rallie des partisans parmi les situations des entités distraites.

Mon propos s’appesantira alors, tout d’abord, sur la décision du Ministre de l’Aménagement du Territoire et des collectivités locales de nommer les nouveaux membres des délégations spéciales parmi les élus locaux ;
La tradition administrative, toutes les fois qu’il s’est agi de nommer les membres de délégations spéciales des collectivités locales autres que les régions ( le Gouverneur est de droit le président de la délégation spéciale article 52 du Code des collectivités locales), les autorités se sont tourné vers des fonctionnaires ayant plus ou moins l’expérience du milieu et des questions de développement(fonctionnaires à la retraite, chefs services de développement local etc.).L’avantage de cette option était d’une part la neutralité politique supposée des membres mais également leur compétence en la matière. C’est d’ailleurs ce choix qui a été pris lors du dernier découpage même si des accointances avec le régime ont été reprochées à certains présidents de délégations spéciales.

C’est pourquoi la décision du Ministre chargé des collectivités locales de confier les délégations spéciales aux élus déchus pose problème. Elle pose problème en ce sens qu’elle crée une iniquité entre tous les élus dont les mandats ont été écourtés par la mesure de découpage. En effet, en quoi on rendrait justice en cooptant un ex président de communauté rurale et ses vice présidents comme composant la délégation spéciale et en laissant en rade tout le reste du conseil. L’argument du besoin de rééquilibrage avancé par le Ministre de tutelle en permettant à des gens qui ont été élus par les populations d’exercer des fonctions pour lesquelles ils ont été choisis résiste peu à la critique. Aucun président de communauté rurale et ses vice présidents n’ont été élus es qualité par les populations. Ils ont été par contre élus comme conseillers ruraux au suffrage universel. Et c’est justement ces conseillers laissés en rade qui avaient choisi au suffrage indirect les exécutifs ruraux.
Il convient alors pour ne pas raviver les antagonismes politiques et partisans, à défaut de reconduire les membres actuels des délégations spéciales dont les mandats sont arrivés à terme, de choisir des personnes compétentes et neutres –seraient ce des fonctionnaires- qui feraient le consensus et emporteraient l’adhésion des populations qu’ils devraient administrer.

Sous un autre angle avec cette approche de renouvellement systématique des délégations spéciales, un blocage n’est pas à exclure. En effet si pour les communes les reconductions de la délégation spéciales sont autorisées jusqu’à trois (03) fois (article 176 dernier alinéa du CCL) tel ne semble pas être le cas pour les communautés rurales pour lesquelles la loi n’autorise, à mon sens, aucun renouvellement. En effet, l’article 193 du code des collectivités locales dispose en son alinéa 3 « dans les cas de fusion ou de fractionnement de communautés rurales, les conseils ruraux sont dissous de plein droit et remplacés par une délégation spéciale. Il est procédé à des élections dans les six mois à compter de la date de dissolution » Si on applique rigoureusement de telles dispositions, il est clair qu’aucun renouvellement n’est possible et que, mieux, les délais pour organiser les élections sont déjà expirés ; les décrets rectificatifs des premiers actes de découpages étant été pris depuis juin 2011.
Quelle solution immédiate à ce problème ? C’est celle qui aurait due être envisagée en lieu et place d’annulation ou de retrait à savoir des élections partielles. Il s’agirait d’organiser des consultations électorales pour uniquement les collectivités locales touchées par le découpage et étant sous délégation spéciale. Il y’a lieu de souligner qu’en cas de distraction de commune, celle ci n’est pas mise sous délégation spéciale mais seulement la nouvelle création. C’est le cas de Bargny avec la scission de Sendou. Le paradoxe est que des conseillers n’étant plus du ressort de la commune-mère continuent légalement de siéger au niveau du conseil.


Aujourd'hui que le découpage administratif est sujets à des débats extrêmement passionnants notamment en ce qui concerne sa pertinence et son objectivité, il est nécessaire de réfléchir à des solutions pour assurer l'intangibilité des limites territoriales des collectivités locales ou tout au moins que toute remise en cause de la configuration initiale se fasse de la manière la plus objective assurant aux élus locaux concernés la sauvegarde de leurs mandats.

Certaines mesures nous semblent importantes dans ce sens :

1. donner plus de pouvoirs aux conseils concernés par le découpage

La particularité du droit administratif local sénégalais est qu'il donne au pouvoir central trop de pouvoirs de régulation et d’organisation de l’action locale au moment ou le principe de la libre administration des collectivités locales à été consacrée par la Constitution et la suppression de la tutelle. En effet, l’article 102 de la Constitution Sénégalaise prévoit que les collectivités locales constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et qu’elles s'administrent librement par des assemblées élues. Ce principe est réaffirmé par l'article 1er de la loi 96-06 du 22 mars 1996 portant code des collectivités locales. Il peut alors paraître paradoxal qu'avec la consécration de ce principe qu'on puisse remettre aussi facilement en cause le mandat d'élus élus au suffrage universel. Par ailleurs dans le cas de découpage tel que prévu par le code de collectivités locales, l’avis des conseils ruraux concernés et du conseil régional du ressort est requis sans lier l'autorité. C'est ce qui ressort de l'article 193 alinéa 3 du code qui dispose que "lorsqu'il s'agit de fusionner une communauté rurale à une autre ou lorsqu'une portion de communauté rurale est rattachée à une autre communauté ou à une commune, ou érigée en communauté distincte, l'avis des conseils ruraux, du conseil municipal et du ou des conseils régionaux intéressés, est requis"
Et c'est la que se trouve l'écueil, la problématique fondamentale. Des conseils ruraux élus au suffrage universel peuvent ils remettre délibérément en cause leur mandat en acceptant une remise en cause des limites de leur entité locale débouchant de droit à leur dissolution. Quelque soit l'objective de la démarche la réponse semble être négative. C'est d'ailleurs ce qui a marqué le dernier découpage ou l'essentiel des conseils consultés à soit rejeté les projets soit s'est prononcé sous réserve soit n'a même pas eu le temps de délibérer (cas du conseil régional de Dakar pour le découpage de la communauté rurale de sangalkam). Toutefois, du fait que l'avis des conseils était purement consultatif (acte de procédure) et ne liait nullement l'autorité, celle ci à pu raisonnablement ramer à contre courant des vœux de ces conseils.

Pour éviter de telles situations, la réforme du code des collectivités locales relativement aux dispositions ayant trait aux fusions, scissions et autres distractions et rattachements est nécessaire de manière à faire de l'avis principalement des conseils ruraux ou municipaux concernés et accessoirement celui des conseils régionaux, un avis obligatoirement favorable à défaut d'un référendum local. Cela préserverait de ce qui a été constaté lors du dernier découpage comme frustration, désapprobation et manifestations avec son funeste souvenir: la mort de Malick BA à Sangalkam.

2. la préservation des mandats des conseils élus en cas de dissolution prévue par l'article 193.

L’autre solution à envisager pour atténuer l’effet des découpages administratifs des collectivités locales et renforcer leur acceptabilité est de maintenir les mandats des conseils affectés par ceux-ci.

La précision relativement aux cas limitatifs de l’article 193 du code des collectivités locales est ici importante. En effet, la dissolution peut ne pas résulter de la révision des limites territoriales de la collectivité locale mais bien d’autres circonstances ou facteurs prévus par le code. Il peut s'agit par exemple du blocage du fonctionnement normal du conseil. C'est ainsi que le législateur donne compétence au Ministre en charge des collectivités locales, lorsque le fonctionnement de l’une de celles ci est durablement impossible (articles 52, 173 et 235 du Code des collectivités locales) de dissoudre le conseil et d'instituer une délégation spéciale.

Pour ce qui concerne spécifiquement la dissolution consécutive à un découpage administratif, la solution pour respecter la volonté exprimée par les citoyens à travers le suffrage universel serait de subordonner l'effectivité de la mesure au renouvellement des instances locales. Autrement dit, il s'agirait, en cas de survenance de découpage entre deux élections locales, de maintenir le mandat des élus locaux en attendant la prochaine élection.

Cette solution nous semble conforme au respect de la volonté populaire exprimée par le choix au suffrage universel de ces élus.
En définitive, la question du découpage administratif, et même d’autres aussi pertinentes relatives au devenir des collectivités locales nécessitent une réflexion poussée et sérieuse. J’espère que les nouvelles autorités s’y attèleront résolument

Cheikh NDIAYE
Inspecteur principal du Trésor
DEA de Décentralisation et gestion des Collectivités locales
Trésorier Payeur régional de Saint Louis




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