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Cheikhna Cheikh Saadbouh, singularités d’un parcours

Dimanche 30 Mars 2025

Analyser le parcours de Cheikhna Cheikh Saadbouh (1848-1917) est un pari difficile. La difficulté tient à la complexité du personnage objet d’interrogations, au caractère fabuleux de son parcours et aux bouleversements de son temps marqué par la conquête coloniale. Son exemple renseigne sur le rôle délicat des pionniers qui ont entrepris de diffuser les valeurs de l’Islam à la fin du XIXème siècle en dépit de multiples contraintes[1]. Plusieurs auteurs et administrateurs coloniaux ont consacré des travaux de recherches et publications à Cheikh Saadbouh. En dépit d’une littérature abondante qui remonte au début du siècle précédent, le parcours du Cheikh est encore objet de curiosités en raison de ses particularités[2].


Cheikhna Cheikh Saadbouh, singularités d’un parcours
Cheikh Saadbouh a fondé des écoles, propagé l’islam et élargi l’obédience des voies soufies. Les singularités de son parcours sont corrélées aux buts qu’il s’est très tôt fixé de bonifier l’homme quels que soient son statut et ses origines, aux résultats enregistrés malgré un contexte difficile et à son approche éclectique et pacifique[[3]]url:#_ftn3 . La revue de son œuvre ainsi que sa méthode d’enseignement et ses rapports avec ses contemporains étayent la spécificité de son parcours. Deux ouvrages de référence écrits à des époques différentes de sa vie pourraient servir d’outils d’analyse : Nourou Siratil Moustaqim et la Nasiha[[4]]url:#_ftn4 .
 
Cheikh Saadbouh a hérité de son père Cheikh Mouhamed Fadel (1797-1869) fondateur d’une branche éponyme de la Qaddriya, qui l’a chargé d’une mission d’islamisation et de propagation à l’âge de dix-huit (18) ans[[5]]url:#_ftn5 . Au milieu de ce XIXème siècle, ladite confrérie était encore hégémonique.  Du Hodh El Chargui (Sud-est mauritanien) au Trarza (Ouest), le voyage entrepris par Cheikhna a été parsemé d’obstacles. Après plusieurs campements, il réussit à créer une casbah à Touizikt (1870-1880) malgré l’opposition des puissances tribales et l’hostilité du terrain[[6]]url:#_ftn6 . Le Pr Rahal Boubrik compare les victoires de Cheikh Saadbouh lors de son installation controversée au Trarza en 1875 et, plus tard, devant le Teigne du Baol Beye Bayar, aux destructions par le Prophète Ibrahim de l’ordre ancien et des idoles avant la fondation de la nouvelle religion monothéiste[[7]]url:#_ftn7 .
 
Arrivé sur les rives du Sénégal à l’âge de 24 ans, il s’est vite imposé comme un guide spirituel respecté et un interlocuteur privilégié qui bénéficiait de l’écoute des autorités. Il avait auparavant gagné en estime par l’envergure de ses casbahs où il accueillait de nombreux disciples venus de la sous-région. La prédication effectuée par Cheikh Saadbouh, alors qu’il n’était pas trentenaire, a visé les populations de toutes classes, des familles influentes, des hommes de pouvoir au Fouta Toro, au Cayor, au Djolof, au Baol, au Fouta-Djalon, en Casamance et a connu un écho retentissant accompagné de récits de karamas qui ont renforcé son aura[[8]]url:#_ftn8 .
 
Son œuvre était tout aussi florissante. Son ouvrage Nourou Siratil Moustaqim (Épître sur la lumière de la rectitude), rédigé à l’âge de vingt-et-un (21) ans, est un discours de la méthode qui décrit le cheminement du disciple qui entreprend l’ascension spirituelle[[9]]url:#_ftn9 . C’est ainsi que dans cet ouvrage, le Cheikh ne fait pas expressément référence à une obédience confrérique. Fidèle à une approche éclectique, son but ultime reste l’Islam dont il énumère les piliers et l’obligation pour l’aspirant de les respecter scrupuleusement. Sa cible privilégiée, c’est l’être humain ; comme il le rappellera à la fin de l’ouvrage.
 
Le texte, écrit en 1869 par Cheikhna Cheikh Saadbouh après son départ du Hodh (1866) et à la veille de son entrée au Sénégal (1872), est un ouvrage essentiel de sa doctrine. Cheikhna dispensait déjà un enseignement dans plusieurs domaines de la science islamique[[10]]url:#_ftn10 . 1869 était également l’année de la disparition de son père et son unique maître, Cheikhna Cheikh Mouhamed Fadel Ould Mamine. Nourou Siratil Moustaqim constituait ainsi une œuvre pionnière et allait inspirer plusieurs érudits contemporains. C’est une invite à la pratique religieuse constante dans un contexte où l’Islam était en consolidation dans nos contrées, caractérisée par un certain syncrétisme et l’assimilation balbutiante des préceptes par les croyants.
 
Cheikhna y expose les tenants et aboutissants de l’odyssée qui mène vers Dieu, suivant le droit chemin défini par le Coran et la Sunna du Prophète Mouhamed (PSL). Il se veut une adresse destinée aux prédicateurs, aux disciples - jeunes et moins jeunes -, aux générations contemporaines et futures engagés dans les sentiers du Tassawuf. Trempé dans son style d’écriture à la fois classique, dense, accessible et toujours illustré et fleuri, Cheikhna Cheikh Saadbouh retrace à travers 666 vers l’itinéraire mystique, établit ses fondements et délivre ses multiples bienfaits. Il expose au lecteur ses recommandations en les justifiant par les références coraniques, les sources de la tradition prophétique et parfois les commentaires de savants.
 
Cheikhna consacre au zikr de larges développements. Les préalables et modalités du zikr ont été définis ainsi que les contenus suivant les stades d’évolution. A travers Nourou Siratil Moustaqim, il a souhaité investir les étapes de l’avancement spirituel en distinguant les missions de chaque acteur et en dotant à l’aspirant des moyens particuliers d’accéder à la consécration. Le but ultime étant de consolider le disciple des plus belles qualités humaines et de la pureté de ses pensées et actes. Cheikhna définit le modèle du « croyant accompli » dont les vertus d’excellence le placent parmi les meilleurs de l’élite. Ces vertus sont faites de sincérité, de tolérance, d’intelligence, de pondération, de pudeur, de courtoisie, de détermination et d’endurance. 
 
En jonction avec son Seigneur, l’aspirant accède dans un cercle de sainteté épuré de toute autre considération que la crainte révérencielle et l’espoir sans borne en la miséricorde divine. Arrivé au stade de Martyr spirituel puis de véridique, déjouant les pièges de son égo – jalousie, orgueil, colère -, il « perçoit en toute chose un signe d’Allah », l’omniprésent, l’Omnipotent. Cheikhna définit, à cet effet, les différentes facettes de l’Amour à l’égard de Dieu et conclut par le summum dans la contemplation de « l’Essence divine sans mobile ni attribut ».
 
Par l’action concertée avec ses pairs de la sous-région, Cheikh Saadbouh a contribué dans la deuxième moitié du XIXème  et au début du XXème siècle à susciter un mouvement de résistance pacifique et de résilience par la spiritualité[[11]]url:#_ftn11 . L’accommodation au pouvoir colonial était une forme d’adaptabilité ; son but ultime restant la propagation de l’Islam.  Il convient de signaler, à cet égard, sa fameuse lettre adressée en 1906 à son frère Cheikh Ma El Ainin, appelé communément Nasiha.[[12]]url:#_ftn12 Dans cette œuvre épistolaire Cheikh Saadbouh a développé des arguments afin de convaincre son frère de renoncer à la lutte armée et de privilégier le Jihad Nafs[[13]]url:#_ftn13 . Ce texte encore actuel a reçu, à l’époque, un grand écho dans plusieurs pays et a fait l’objet de traduction[[14]]url:#_ftn14 . Les leaders religieux de pays sous domination coloniale s’en sont inspirés après la lutte armée afin de poursuivre la résistance pacifique par le savoir et la conquête des cœurs.
 
L’auteur a assumé une démarche plus profitable au regard des rapports de forces et du contexte. La réponse inédite formulée basée sur des références historiques et le bon sens, tout en reconnaissant les prescriptions divines en la matière, était conforme à la tradition musulmane et aux orientations de la Fadiliya. Les conditions de la guerre sainte n’étaient pas réunies selon lui.
 
Il faut signaler, à cet égard, que les différents protagonistes ont développé des stratégies parallèles à même d’assurer le succès de leurs entreprises respectives. C’est du moins ce que reconnaissent A. Le Chatelier et P. Marty relativement à la généralisation de la langue française, de la civilisation occidentale, de jeux d’alliances et d’accords de commerce. Ce dernier a qualifié  la Fadiliya d’une «importante famille et confrérie dont certains membres ont joué et jouent encore au Maroc un rôle politique de premier plan, qui n’est pas achevé, et dont les autres travaillent avec méthode et fruit, sous l’égide de la paix française, à l’islamisation des pays noirs ».[[15]]url:#_ftn15
 
La colonisation aurait donc assuré la poursuite du succès de l’islam en Afrique noire. Cet effet n’était pas un objectif recherché à l’origine mais devant l’impossibilité d’arrêter l’expansion de la religion musulmane, le colonisateur a semblé de manière circonstancielle s’allier à l’islam confrérique, doté d’une unité administrative centralisée susceptible de stabiliser le nouvel ordre politique[[16]]url:#_ftn16 .
 
Au final, la posture préconisée par Cheikh Saadbouh s’est révélée plus adaptée à la conjoncture et a permis sous la contrainte coloniale de faire triompher l’Islam tout en sauvegardant les vies et les biens. Ses relations avec le colonisateur étaient délimitées et n’ont pas entamé sa détermination à propager l’Islam avec méthode et intelligence. Sans souplesse, son entreprise spirituelle aurait sans doute connu des résultats mitigés. Aujourd’hui, les temps ont changé et le message de Cheikh Saadbouh s’est étendu et revendique l’universalité.
 
Cheikh Saadbouh était un pionnier de son temps du fait de ses grandes ambitions. Il a donc atteint la postérité en toute logique. Son œuvre lui a survécu et ses enseignements sont toujours actuels déjouant les prévisions de Paul Marty qui pariait sur un effritement de son groupement religieux à sa disparition[[17]]url:#_ftn17 . Nimzat, son dernier campement, est aujourd’hui une reluisante localité en expansion sur plusieurs plans. Ses nombreux disciples sont engagés à perpétuer son œuvre en restant fidèle à son enseignement qui donne la primauté à la bonne conduite et à l’élévation spirituelle.
 
Cheikh Sadibou DIOP
Dakar
 
[[1]]url:#_ftnref1 Sur la complexité du contexte et les bouleversements, Voir Pr Iba Der Thiam, Cheikhna Cheikh Saad Bouh (1853-1917) : un homme de paix, de conciliation, de tolérance et d’ouverture, in Le Cheikh des deux rives, Actes du colloque international, Dakar, PUD, 2018, p.136.
[[2]]url:#_ftnref2 Sur le bilan historiographique du parcours de Cheikhna Cheikh Saadbouh, des sources sont disponibles aux Archives nationales du Sénégal. Les actes du colloque international « Questionner l’actualité du message de Cheikhna Cheikh Saad Bouh », organisé à l’UCAD en 2017 ont fait l’objet de publication.
[[3]]url:#_ftnref3 L. Bouvat, « Cheikh Saadibouh et son entourage », in Revue du monde musulman, Paris, Leroux, février 1912, pp.190-197.
[[4]]url:#_ftnref4 Nourou Siratil Moustaqim est un manuscrit de 87 pages et fait partie des premiers écrits de Cheikhna Cheikh Saadbouh. La Nasiha est une lettre de conseil de 24 pages adressée à son grand frère Cheikh Ma El Aînin (1831-1910) qui a mené, à la frontière entre le Maroc et la Mauritanie, une résistance armée contre le colonisateur. 
[[5]]url:#_ftnref5 Il faut signaler que l’islamisation des côtes occidentales de l’Afrique était établie depuis le Xème siècle. Voir Pr Iba Der Thiam, ibidem, p.132
[[6]]url:#_ftnref6 Voir Abdel Wedoud Ould Cheikh, « Al-Sayh Sa’d Bùh : vie et œuvre », in Le Cheikh des deux rives, ibidem, p.26.
[[7]]url:#_ftnref7 Rahal Boubrik, Le Cheikh des deux rives, ibidem, pp. 102-103.
[[8]]url:#_ftnref8 Paul Marty, Etudes sur l’Islam maure : Cheikh Sidia, les Fadelia, les Ida ou Ali, Leroux, Paris, 1916, p. 187
[[9]]url:#_ftnref9 La Dahira Sadikhina wa Sadikhate sous la direction de Chérif Mouhamdoul Mamoune AIDARA, petit-fils de Cheikhna Cheikh Saadbouh, a entrepris de traduire en français et wolof Nourou Siratil Moustaqim. L’ouvrage finalisé est en instance de publication. D’autres initiatives de même nature sont envisagées par la famille de Cheikh Ahmadou  Djimbira et l’ONG Nour Sat.
[[10]]url:#_ftnref10 Ces centres d’enseignement islamique ont joué un rôle de contrepoids au moment où le colonisateur tentait d’assimiler les populations locales, propageait sa culture et prônait l’enseignement du français.
[[11]]url:#_ftnref11 Sur la stratégie concertée des leaders musulmans de l’époque, voir Pr Iba Der Thiam, Op.cit., pp. 136-137.
[[12]]url:#_ftnref12 Cheikhna Cheikh Saad Bouh, Nasiha Celui qui prend les armes s’éloigne de la vertu, Dakar, Salihina Editions et PUD, 2019, 106 pages
[[13]]url:#_ftnref13 Jihad de l’âme et le combat contre soi-même
[[14]]url:#_ftnref14 L’administration coloniale avait traduit et publié en 1909 la Nasiha sous le titre « Un mandement de Saad Bouh à Ma El Aînin » in Revue Renseignements coloniaux et documents, pp. 225-232.
[[15]]url:#_ftnref15 A. Le Chatelier, op.cit., p. 363 ; P. Marty, idem, p.183.
[[16]]url:#_ftnref16 Voir article D.-C O’BRIEN, « La filière musulmane Confréries soufies et politique en Afrique noire » in Revue Politique africaine, 1981, p.20.
[[17]]url:#_ftnref17 Paul Marty, op.cit., p. 176


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