La région administrative de Matam avec la vallée du fleuve Sénégal et la zone sylvo-pastorale vont recevoir le Président Macky Sall, les prochains jours, dans le cadre des Conseils ministériels décentralisés. Avec cette étape, après Saint Louis et Louga, le chef de l’Etat boucle le périple de l’espace Nord dont l’aménagement et l’exploitation intensive contribueront à résoudre de façon significative les problèmes de pauvreté et d’emploi auxquels le pays est confronté.
C’est une étape pour faire le point et le plaidoyer sur la vocation agricole de la région nord et l’AGRICULTURE au sens large du terme, que le chef de l’exécutif porte en bandoulière comme moteur, peace-maker et point nodal de notre développement socio-économique, trouvera en ce Conseil un cadre idéal pour son expression.
Comme disait l’autre, l’or du Sénégal n’est pas à Sabodala mais dans la région naturelle du fleuve.
Je voudrais dans cette contribution porter ma réflexion sur un sous-secteur de l’agriculture, l’élevage, et m’interroger avec ses acteurs, des décideurs aux éleveurs, sur les perspectives et les tendances lourdes négatives qui plombent son envol et partager avec eux, quelques idées fondatrices qui structurent son évolution. Je m’intéresserai spécifiquement à l’élevage bovin, et accessoirement à celui des petits ruminants que sont les ovins et les caprins. C’est une démarche réductrice certes, mais le sujet est trop vaste pour être abordé dans une réflexion de cette nature.
La vallée du fleuve Sénégal et la zone sylvo-pastorale constituent une unité dynamique et leur complémentarité interactive crée les conditions présentant les éléments et les fondamentaux pour la concrétisation, la matérialisation de la vision et de la politique agricole de Monsieur le Président de la République.
La zone sylvo-pastorale, c’est près du tiers du territoire national et agrégée à la vallée, c’est sensiblement la moitié de l’espace national. Ce domaine, cet espace reste fondamentalement le creuset de notre potentiel agricole, et devrait jouer le rôle de grenier national en termes de production céréalière, de viande et de lait.
Les régions de Matam, de Saint Louis et de Louga sont dans l’écrasante majorité de leurs superficies occupées, colonisées par la zone sylvo-pastorale, écosystème pâturé et dégradé, fragile, mais paradoxalement intensément exploité sur un mode extensif par un troupeau dont l’effectif évolue en dent de scie. Nous sommes là au Sahel avec un isohyète tournant autour de 200mm de pluies par an avec une longue saison sèche et une saison pluvieuse courte de près de trois mois au cours de laquelle se constitue la biomasse fourragère dont la capacité de charge et la valeur bromatologique du fourrage sont des éléments explicatifs, clefs du rendement annuel du troupeau. Et pourtant, ce milieu difficile et hostile à certains égards, dans des rapports dialectiques avec le Peulh,lui a insufflé des pratiques, un savoir,un savoir-faire et des comportements d’adaptation qui se sont cristallisés en une connaissance empirique permettant de gérer et de prendre en charge les équations que pose l’environnement.
Cependant, deux questions majeures viennent à l’esprit : sur le plan national, pourquoi le cheptel bovin, malgré tous les inputs consentis stagnent grosso modo autour de trois millions (3000.000) de têtes ? Et deuxièmement pourquoi invariablement, les gardiens et dépositaires du troupeau national utilisent les mêmes stratégies de développement dont les trajectoires visent principalement le nombre, la quantité, toujours le nombre, la qualité, l’efficacité et l’efficience étant reléguées aux calendes grecques ?
Serions-nous là en présence du mythe de Sisyphe ou du tonneau de Danaïde ? Les sociologues et les anthropologues ont leur mot à dire.
Face à cette structuration mentale et cette évolution historique ancrée dans des schémas et des repères bien typés, que faire ?
Force est de constater que du Dr Rémy Nainsouta fondateur et directeur des services de l’élevage de 1917 à 1934, le sous-secteur de l’élevage, malgré les tentatives de modernisation, n’a pas significativement évolué et que le mode extensif qui nous vient du fond des âges reste sa marque de fabrique.
Le dispositif mis en place depuis lors pour booster le sous-secteur, fondé sur l’encadrement, s’enlise dans les sables du Ferlo. Mais il faut reconnaitre que la vocation pastorale du Ferlo a été très tôt identifiée et que des infrastructures d’appoint ont été édifiées : ce sont les forages pastoraux et les postes vétérinaires pour valoriser la zone à travers les productions animales. En amont nous retrouvons de grands instituts d’appui pour la santé animale et la recherche zootechnique. Le Laboratoire National de Hann pour la recherche et la production de vaccins vivants au début était une urgence pour faire face aux maladies et particulièrement les grandes épizooties que sont entre autres la peste bovine et la péripneumonie contagieuse bovine qui décimaient le troupeau. Signalons que ce n’est qu’en 2003 que notre pays a été déclaré indemne de la peste bovine, mais retenons en même temps que beaucoup de pathologies provoquent encore un manque à gagner important.
Quant à la recherche zootechnique, c’est à Dahra, au cœur de la zone sylvo-pastorale, qu’un Centre a été érigé (CRZ de Dahra) pour s’occuper du zébu gobra, tandis que la race taurine, la Ndama, trypanotolérante et évoluant dans le sud du pays, est prise en charge par le Centre de Recherche(CRZ) de Kolda. Des résultats fort intéressants ont été acquis, mais l’application et le transfert des résultats de la recherche en milieu réel se sont heurtés à la dure réalité que nous avons évoquée plus haut. Notons avant de poursuivre notre propos que le laboratoire vétérinaire de Farcha au Tchad a joué le même rôle en Afrique Centrale que celui de HANN en Afrique Occidentale Française.
Aujourd’hui, le chef de l’Etat réaffirme avec force et de la manière la plus claire son intention de faire de l’agriculture le moteur de la croissance économique. Le bon sens et les données agro écologiques de notre pays militent en faveur de cette posture, adoptée également par ses devanciers qui n’ont pas pu ou n’ont pas réussi à imprimer au secteur le dynamisme apte à concrétiser cette vision, ce postulat.
Pour étayer cette approche du chef de l’Etat, rappelons que le Sénégal se situe dans la majeure partie de son territoire sous les climats sahélien et soudanais, avec une bande de climat guinéen au Sud, une enclave saharo-sahélienne au Nord et la zone côtière, les Niayes, sous l’influence de la brise maritime, sur la côte ouest.
Une variété de climats par conséquent, modelés par endroits par de grands cours d’eau permettant une diversification importante des productions végétales, animales, piscicoles et forestières. Il s’y ajoute que près de 65% de la population vit et s’active en milieu rural. Et ne serait-ce que de ce point de vue, et pour des raisons d’équité également, l’option politique pertinente de Monsieur le Président est à encourager, à accompagner.
Au stade actuel de notre développement, le couple Agriculture –Elevage à travers des exploitations mixtes et familiales est à privilégier avec une option résolue de faire de la grappe agriculture /agro-industrie la véritable locomotive de la croissance. Si le couple permet de lutter de façon efficace contre les disettes récurrentes en milieu rural et maintenir les producteurs à la base dans leur milieu, et freiner en conséquence l’exode rural et l’émigration clandestine, la grappe doit avoir pour orientation et vocation l’accroissement substantiel des revenus des ménages et sa participation de façon significative à la création d’un produit intérieur brut à la hauteur de nos attentes.
Dans cette perspective, l’élevage reste la clef de voûte du dispositif à mettre en place. Le code pastoral en cours d’élaboration devrait entre autres définir les contours d’un élevage productif à haute valeur ajoutée et fixer les lignes directrices de son évolution.
L’option d’intensification des productions animales constitue aujourd’hui le substrat sur lequel travaillent les pouvoirs publics et il faut à la vérité reconnaitre qu’objectivement les éléments constitutifs d’une telle stratégie sont disponibles et que sa mise en œuvre requiert quelques précautions et nécessite une certaine démarche. L’existence de cadres compétents, des structures complémentaires bien réparties dans l’espace, l’émergence quoiqu’encore balbutiantes d’organisations d’éleveurs constituent des atouts de taille pour redémarrer avec vitalité le sous-secteur de l’élevage avec des éleveurs bien formés, et non des pasteurs. Parce que la composante formation des producteurs capables de se conduire comme des entrepreneurs est un passage obligé pour des mutations profondes. Les éleveurs doivent être outillés pour leur permettre de raisonner et de planifier leur activité dans un monde globalisé.
Etre compétitif et lorgner l’international devra être un objectif fortement recherché. Si l’éleveur traditionnel, le pasteur a su nous conserver et transmettre un troupeau important, un saut qualitatif doit être opéré pour le bien de la nation entière dont la demande en produits animaux ne cesse de croitre. Nous avons vu plus haut la tendance à la stagnation de la taille du troupeau.Un des facteurs explicatifs de cette situation est lié au stock fourrager naturel disponible d’année en année et qui ne peut aller au-delà d’un certain seuil et en conséquence ne peut nourrir n’importe quel nombre d’animaux.Ce stock, cette biomasse fourragère constituée par les strates herbacée et ligneuse, combiné à certaines pathologies se comporte comme une niveleuse.Nous sommes là en présence d’une courbe asymptotique que l’intensification seule saura briser.
Une agriculture intensive, compétitive, durable, dans un environnement sain et une agro-industrie conséquente, nécessitent des ruptures pour l’instauration d’une REVOLUTION VERTE (le mot est lâché) qui mobilisera et canalisera des énergies, des compétences, des moyens d’abord humains puis financiers et matériels. Nos relations avec les pays émergents dits BRIC (Brésil, Inde, et Chine) constitueraient à ce titre un appui technique appréciable, de par leur parcours et leur histoire du développement.
L’intensification des productions animales, en dehors des cadres institutionnel et réglementaire s’articulera autour d’un pivot représenté par l’insémination artificielle, l’alimentation et l’éleveur, pierre angulaire de la stratégie.Ce tryptique est fondateur d’un élevage moderne et sa mise en œuvre à une grande échelle est source d’emplois pour les jeunes d’horizons divers et de parcours scolaires bien différents.
Le nouveau type d’éleveur est à rechercher chez les vétérinaires et les ingénieurs des travaux de l’élevage d’abord, qui combineront à leur pratique médicale l’exploitation de fermes laitières tout en se spécialisant dans l’insémination artificielle pour certains, sous la supervision des inspecteurs régionaux et départementaux de l’élevage. Ces deux corps,initialement employés en totalité par la fonction publique,commencent à grossir le rang des chômeurs .La formation académique qu’ils ont reçu les prédisposent et les qualifient pour être à l’avant-garde de la production animale. Ce faisant ils constitueraient la pépinière et les germes du changement et porteraient du coup le mouvement de rupture tant souhaité.
Le second vivier pour alimenter ce créneau de l’élevage est représenté par les jeunes qui se bousculent pour la formation professionnelle agricole où l’on retrouve des porteurs de tous les diplômes, du secondaire au supérieur.
Aujourd’hui le concours d’entrée au Centre National de Formation des Techniciens de l’Elevage et des Industries Animales dont le besoin est de vingt (20) entrants à peu près par an, ce sont des milliers de candidats que l’on enregistre. Au bout de leur formation de trois ans, l’emploi n’est pas garanti et ils sont pris en étau entre les docteurs vétérinaires et les ingénieurs des travaux.Une question de fond se pose quant à la vocation de ces structures parce que les jeunes qui y sortent ont tendance à compétir avec les vétérinaires sur le terrain à cause de la libéralisation et la privatisation de la profession vétérinaire. Peu de chance s’ils veulent s’installer en privé.On observe le même phénomène à l’agriculture et aux eaux et forêts et certainement à la pêche .La question de fond, au regard du contexte qui prévaut est de s’interroger sur l’opportunité de transformer ces structures en instituts de formation des producteurs sous forme modulaire.
Le troisième vivier est représenté par les éleveurs des organisations professionnelles qui auront besoin en plus de l’alphabétisation fonctionnelle d’une formation bien spécifique. C’est là un terreau fertile de tous les âges des deux sexes et il y a lieu d’y entrevoir une formation massale incontournable.
Naturellement, dans ce processus, les émigrés occuperont une place de choix.
Laproblématique de l’acteur étant cernée, la stratégie de l’améliorationgénétique avec ses préalables devront êtreposés, et des choix opérés en vue de l’atteinte des objectifs de toutes les productions .Nous pourrions nous entendre dans un premier temps de privilégier la production laitière, en considérant la viande comme un sous-produit, comme la peau, le fumier et les phanères.
La biotechnologie nous offre deux méthodes pour l’amélioration génétique : l’insémination artificielle et le transfert d’embryons et les programmes en cours ont objectivement retenu la première.
L’amélioration génétique de notre troupeau en vue de la production laitière et la création d’un génome devra s’envisager sur le long terme et nécessitera des corrections, des adaptations, des apprentissages et des mesures d’accompagnement pour réduire progressivement la facture laitière qui avoisine les 60 milliards. Parce que le lait, produit noble et fragile requiert des soins particuliers, des zones de production à la consommation, la chaine est longue et délicate.
Pour la production laitière, il y a une condition, la stabulation et un préalable, une alimentation suffisante et équilibrée pour les besoins d’entretien et de production de l’animal. Et sous ce registre les réserves fourragères représentent le tendon d’Achille de la conduite du troupeau. Les gènes laitiers que l’on met à la disposition de l’éleveur ont une valeur inestimable et leur livraison ne devrait pas se conjuguer avec une compagne comme la vaccination et devraient être opérées sur la base d’une demande et d’un contrat dans lequel figureraient en bonne place les conditions de la stabulation et des réserves fourragères. Faute de quoi, le candidat est recalé.
Revenant sur le Conseil ministériel de Matam, nous pensons que les pistes de production, le riz et le lait seront de Grandes Vedettes et que sans nul doute les populations tendront l’oreille pour savoir ce qu’il en sera dit et surtout retenu.
Au-delà du lait et dans une perspective du développement intégral de l’élevage au Sénégal, la ville neuve de Ranérou en devenir, de par sa position stratégique relativement aux régions de Saint Louis et de Louga, du bassin arachidier et de la Haute Casamance devrait jouer un rôle de premier ordre avec des infrastructures de transformation, de conservation et pourquoi pas d’exportation des produits animaliers en direction du Maghreb et du Moyen Orient par exemple.Ne pourrions- nous pas créer là une Centrale pour les pays de la sous-région ?
Je vais m’en arrêter là, conscient que je n’ai fait que survoler à grands traits le sujet, et que des questions comme l’industrie laitière, le financement et d’autres n’ont pas été abordés.
Je terminerai tout de même mon propos par une suggestion et une recommandation.
La suggestion est relative au mouton Bali-Bali ou mouton peulh qui, par des croissements d’absorption avec le Touabir, est en voie d’extinction. Or, ce génotype est un patrimoine national que la sélection naturelle au cours du temps nous a légué.Nous inspirant de la bergerie de Rambouillet, près de Paris, ou des moutons descendant de souches du 18ème siècle sont entrenus, ne devrions-nous pas tenter de sauver cet ovin d’un naufrage certain si rien n’est fait ?
La recommandation quant à elle est une invite à méditer, pour le bien du programme d’insémination en cours dans notre pays, les interventions du Dr Pagot et du Professeur Queinnec, au cours d’un Colloque sur l’Elevage à Fort-Lamy (actuel N’Djamena) du 8 au 13 Décembre 1969.Pour le Dr PAGOT, « les programmes de sélection et de croisement nécessitent une certaine continuité et nombre d’essais de croisement ont été voués à l’échec par abandon prématuré.
En effet, un délai de quinze à vingt ans est nécessaire pour obtenir des résultats en matière bovine.L’application intempestive dans un milieu non amélioré de programmes de croisement ou de métissages avec des races importées risque d’être plus un mal qu’un progrès à cause d’un milieu trop agressif. « Et le Professeur QUEINNEC d’asséner : « Finalement, l’amélioration génétique se ramène à un déplacement du génotypemoyeninitial,grâce à une modification de la fréquence des différents gènes de la population,ce qui se traduit par un mouvement de dérive génétique. La sélection induit généralement une dérive lente dont le rythme peut rester parallèle à celui de l’amélioration du milieu.Le croisement induit une dérive tumultueuse, la vitesse de déplacement est grande et se heurte au barrage du milieu. »
Et bonne fête pour les populations de Matam et du Fouta
Dr Yéro Hameth DIALLO
Ancien Ministre de l’Elevage
C’est une étape pour faire le point et le plaidoyer sur la vocation agricole de la région nord et l’AGRICULTURE au sens large du terme, que le chef de l’exécutif porte en bandoulière comme moteur, peace-maker et point nodal de notre développement socio-économique, trouvera en ce Conseil un cadre idéal pour son expression.
Comme disait l’autre, l’or du Sénégal n’est pas à Sabodala mais dans la région naturelle du fleuve.
Je voudrais dans cette contribution porter ma réflexion sur un sous-secteur de l’agriculture, l’élevage, et m’interroger avec ses acteurs, des décideurs aux éleveurs, sur les perspectives et les tendances lourdes négatives qui plombent son envol et partager avec eux, quelques idées fondatrices qui structurent son évolution. Je m’intéresserai spécifiquement à l’élevage bovin, et accessoirement à celui des petits ruminants que sont les ovins et les caprins. C’est une démarche réductrice certes, mais le sujet est trop vaste pour être abordé dans une réflexion de cette nature.
La vallée du fleuve Sénégal et la zone sylvo-pastorale constituent une unité dynamique et leur complémentarité interactive crée les conditions présentant les éléments et les fondamentaux pour la concrétisation, la matérialisation de la vision et de la politique agricole de Monsieur le Président de la République.
La zone sylvo-pastorale, c’est près du tiers du territoire national et agrégée à la vallée, c’est sensiblement la moitié de l’espace national. Ce domaine, cet espace reste fondamentalement le creuset de notre potentiel agricole, et devrait jouer le rôle de grenier national en termes de production céréalière, de viande et de lait.
Les régions de Matam, de Saint Louis et de Louga sont dans l’écrasante majorité de leurs superficies occupées, colonisées par la zone sylvo-pastorale, écosystème pâturé et dégradé, fragile, mais paradoxalement intensément exploité sur un mode extensif par un troupeau dont l’effectif évolue en dent de scie. Nous sommes là au Sahel avec un isohyète tournant autour de 200mm de pluies par an avec une longue saison sèche et une saison pluvieuse courte de près de trois mois au cours de laquelle se constitue la biomasse fourragère dont la capacité de charge et la valeur bromatologique du fourrage sont des éléments explicatifs, clefs du rendement annuel du troupeau. Et pourtant, ce milieu difficile et hostile à certains égards, dans des rapports dialectiques avec le Peulh,lui a insufflé des pratiques, un savoir,un savoir-faire et des comportements d’adaptation qui se sont cristallisés en une connaissance empirique permettant de gérer et de prendre en charge les équations que pose l’environnement.
Cependant, deux questions majeures viennent à l’esprit : sur le plan national, pourquoi le cheptel bovin, malgré tous les inputs consentis stagnent grosso modo autour de trois millions (3000.000) de têtes ? Et deuxièmement pourquoi invariablement, les gardiens et dépositaires du troupeau national utilisent les mêmes stratégies de développement dont les trajectoires visent principalement le nombre, la quantité, toujours le nombre, la qualité, l’efficacité et l’efficience étant reléguées aux calendes grecques ?
Serions-nous là en présence du mythe de Sisyphe ou du tonneau de Danaïde ? Les sociologues et les anthropologues ont leur mot à dire.
Face à cette structuration mentale et cette évolution historique ancrée dans des schémas et des repères bien typés, que faire ?
Force est de constater que du Dr Rémy Nainsouta fondateur et directeur des services de l’élevage de 1917 à 1934, le sous-secteur de l’élevage, malgré les tentatives de modernisation, n’a pas significativement évolué et que le mode extensif qui nous vient du fond des âges reste sa marque de fabrique.
Le dispositif mis en place depuis lors pour booster le sous-secteur, fondé sur l’encadrement, s’enlise dans les sables du Ferlo. Mais il faut reconnaitre que la vocation pastorale du Ferlo a été très tôt identifiée et que des infrastructures d’appoint ont été édifiées : ce sont les forages pastoraux et les postes vétérinaires pour valoriser la zone à travers les productions animales. En amont nous retrouvons de grands instituts d’appui pour la santé animale et la recherche zootechnique. Le Laboratoire National de Hann pour la recherche et la production de vaccins vivants au début était une urgence pour faire face aux maladies et particulièrement les grandes épizooties que sont entre autres la peste bovine et la péripneumonie contagieuse bovine qui décimaient le troupeau. Signalons que ce n’est qu’en 2003 que notre pays a été déclaré indemne de la peste bovine, mais retenons en même temps que beaucoup de pathologies provoquent encore un manque à gagner important.
Quant à la recherche zootechnique, c’est à Dahra, au cœur de la zone sylvo-pastorale, qu’un Centre a été érigé (CRZ de Dahra) pour s’occuper du zébu gobra, tandis que la race taurine, la Ndama, trypanotolérante et évoluant dans le sud du pays, est prise en charge par le Centre de Recherche(CRZ) de Kolda. Des résultats fort intéressants ont été acquis, mais l’application et le transfert des résultats de la recherche en milieu réel se sont heurtés à la dure réalité que nous avons évoquée plus haut. Notons avant de poursuivre notre propos que le laboratoire vétérinaire de Farcha au Tchad a joué le même rôle en Afrique Centrale que celui de HANN en Afrique Occidentale Française.
Aujourd’hui, le chef de l’Etat réaffirme avec force et de la manière la plus claire son intention de faire de l’agriculture le moteur de la croissance économique. Le bon sens et les données agro écologiques de notre pays militent en faveur de cette posture, adoptée également par ses devanciers qui n’ont pas pu ou n’ont pas réussi à imprimer au secteur le dynamisme apte à concrétiser cette vision, ce postulat.
Pour étayer cette approche du chef de l’Etat, rappelons que le Sénégal se situe dans la majeure partie de son territoire sous les climats sahélien et soudanais, avec une bande de climat guinéen au Sud, une enclave saharo-sahélienne au Nord et la zone côtière, les Niayes, sous l’influence de la brise maritime, sur la côte ouest.
Une variété de climats par conséquent, modelés par endroits par de grands cours d’eau permettant une diversification importante des productions végétales, animales, piscicoles et forestières. Il s’y ajoute que près de 65% de la population vit et s’active en milieu rural. Et ne serait-ce que de ce point de vue, et pour des raisons d’équité également, l’option politique pertinente de Monsieur le Président est à encourager, à accompagner.
Au stade actuel de notre développement, le couple Agriculture –Elevage à travers des exploitations mixtes et familiales est à privilégier avec une option résolue de faire de la grappe agriculture /agro-industrie la véritable locomotive de la croissance. Si le couple permet de lutter de façon efficace contre les disettes récurrentes en milieu rural et maintenir les producteurs à la base dans leur milieu, et freiner en conséquence l’exode rural et l’émigration clandestine, la grappe doit avoir pour orientation et vocation l’accroissement substantiel des revenus des ménages et sa participation de façon significative à la création d’un produit intérieur brut à la hauteur de nos attentes.
Dans cette perspective, l’élevage reste la clef de voûte du dispositif à mettre en place. Le code pastoral en cours d’élaboration devrait entre autres définir les contours d’un élevage productif à haute valeur ajoutée et fixer les lignes directrices de son évolution.
L’option d’intensification des productions animales constitue aujourd’hui le substrat sur lequel travaillent les pouvoirs publics et il faut à la vérité reconnaitre qu’objectivement les éléments constitutifs d’une telle stratégie sont disponibles et que sa mise en œuvre requiert quelques précautions et nécessite une certaine démarche. L’existence de cadres compétents, des structures complémentaires bien réparties dans l’espace, l’émergence quoiqu’encore balbutiantes d’organisations d’éleveurs constituent des atouts de taille pour redémarrer avec vitalité le sous-secteur de l’élevage avec des éleveurs bien formés, et non des pasteurs. Parce que la composante formation des producteurs capables de se conduire comme des entrepreneurs est un passage obligé pour des mutations profondes. Les éleveurs doivent être outillés pour leur permettre de raisonner et de planifier leur activité dans un monde globalisé.
Etre compétitif et lorgner l’international devra être un objectif fortement recherché. Si l’éleveur traditionnel, le pasteur a su nous conserver et transmettre un troupeau important, un saut qualitatif doit être opéré pour le bien de la nation entière dont la demande en produits animaux ne cesse de croitre. Nous avons vu plus haut la tendance à la stagnation de la taille du troupeau.Un des facteurs explicatifs de cette situation est lié au stock fourrager naturel disponible d’année en année et qui ne peut aller au-delà d’un certain seuil et en conséquence ne peut nourrir n’importe quel nombre d’animaux.Ce stock, cette biomasse fourragère constituée par les strates herbacée et ligneuse, combiné à certaines pathologies se comporte comme une niveleuse.Nous sommes là en présence d’une courbe asymptotique que l’intensification seule saura briser.
Une agriculture intensive, compétitive, durable, dans un environnement sain et une agro-industrie conséquente, nécessitent des ruptures pour l’instauration d’une REVOLUTION VERTE (le mot est lâché) qui mobilisera et canalisera des énergies, des compétences, des moyens d’abord humains puis financiers et matériels. Nos relations avec les pays émergents dits BRIC (Brésil, Inde, et Chine) constitueraient à ce titre un appui technique appréciable, de par leur parcours et leur histoire du développement.
L’intensification des productions animales, en dehors des cadres institutionnel et réglementaire s’articulera autour d’un pivot représenté par l’insémination artificielle, l’alimentation et l’éleveur, pierre angulaire de la stratégie.Ce tryptique est fondateur d’un élevage moderne et sa mise en œuvre à une grande échelle est source d’emplois pour les jeunes d’horizons divers et de parcours scolaires bien différents.
Le nouveau type d’éleveur est à rechercher chez les vétérinaires et les ingénieurs des travaux de l’élevage d’abord, qui combineront à leur pratique médicale l’exploitation de fermes laitières tout en se spécialisant dans l’insémination artificielle pour certains, sous la supervision des inspecteurs régionaux et départementaux de l’élevage. Ces deux corps,initialement employés en totalité par la fonction publique,commencent à grossir le rang des chômeurs .La formation académique qu’ils ont reçu les prédisposent et les qualifient pour être à l’avant-garde de la production animale. Ce faisant ils constitueraient la pépinière et les germes du changement et porteraient du coup le mouvement de rupture tant souhaité.
Le second vivier pour alimenter ce créneau de l’élevage est représenté par les jeunes qui se bousculent pour la formation professionnelle agricole où l’on retrouve des porteurs de tous les diplômes, du secondaire au supérieur.
Aujourd’hui le concours d’entrée au Centre National de Formation des Techniciens de l’Elevage et des Industries Animales dont le besoin est de vingt (20) entrants à peu près par an, ce sont des milliers de candidats que l’on enregistre. Au bout de leur formation de trois ans, l’emploi n’est pas garanti et ils sont pris en étau entre les docteurs vétérinaires et les ingénieurs des travaux.Une question de fond se pose quant à la vocation de ces structures parce que les jeunes qui y sortent ont tendance à compétir avec les vétérinaires sur le terrain à cause de la libéralisation et la privatisation de la profession vétérinaire. Peu de chance s’ils veulent s’installer en privé.On observe le même phénomène à l’agriculture et aux eaux et forêts et certainement à la pêche .La question de fond, au regard du contexte qui prévaut est de s’interroger sur l’opportunité de transformer ces structures en instituts de formation des producteurs sous forme modulaire.
Le troisième vivier est représenté par les éleveurs des organisations professionnelles qui auront besoin en plus de l’alphabétisation fonctionnelle d’une formation bien spécifique. C’est là un terreau fertile de tous les âges des deux sexes et il y a lieu d’y entrevoir une formation massale incontournable.
Naturellement, dans ce processus, les émigrés occuperont une place de choix.
Laproblématique de l’acteur étant cernée, la stratégie de l’améliorationgénétique avec ses préalables devront êtreposés, et des choix opérés en vue de l’atteinte des objectifs de toutes les productions .Nous pourrions nous entendre dans un premier temps de privilégier la production laitière, en considérant la viande comme un sous-produit, comme la peau, le fumier et les phanères.
La biotechnologie nous offre deux méthodes pour l’amélioration génétique : l’insémination artificielle et le transfert d’embryons et les programmes en cours ont objectivement retenu la première.
L’amélioration génétique de notre troupeau en vue de la production laitière et la création d’un génome devra s’envisager sur le long terme et nécessitera des corrections, des adaptations, des apprentissages et des mesures d’accompagnement pour réduire progressivement la facture laitière qui avoisine les 60 milliards. Parce que le lait, produit noble et fragile requiert des soins particuliers, des zones de production à la consommation, la chaine est longue et délicate.
Pour la production laitière, il y a une condition, la stabulation et un préalable, une alimentation suffisante et équilibrée pour les besoins d’entretien et de production de l’animal. Et sous ce registre les réserves fourragères représentent le tendon d’Achille de la conduite du troupeau. Les gènes laitiers que l’on met à la disposition de l’éleveur ont une valeur inestimable et leur livraison ne devrait pas se conjuguer avec une compagne comme la vaccination et devraient être opérées sur la base d’une demande et d’un contrat dans lequel figureraient en bonne place les conditions de la stabulation et des réserves fourragères. Faute de quoi, le candidat est recalé.
Revenant sur le Conseil ministériel de Matam, nous pensons que les pistes de production, le riz et le lait seront de Grandes Vedettes et que sans nul doute les populations tendront l’oreille pour savoir ce qu’il en sera dit et surtout retenu.
Au-delà du lait et dans une perspective du développement intégral de l’élevage au Sénégal, la ville neuve de Ranérou en devenir, de par sa position stratégique relativement aux régions de Saint Louis et de Louga, du bassin arachidier et de la Haute Casamance devrait jouer un rôle de premier ordre avec des infrastructures de transformation, de conservation et pourquoi pas d’exportation des produits animaliers en direction du Maghreb et du Moyen Orient par exemple.Ne pourrions- nous pas créer là une Centrale pour les pays de la sous-région ?
Je vais m’en arrêter là, conscient que je n’ai fait que survoler à grands traits le sujet, et que des questions comme l’industrie laitière, le financement et d’autres n’ont pas été abordés.
Je terminerai tout de même mon propos par une suggestion et une recommandation.
La suggestion est relative au mouton Bali-Bali ou mouton peulh qui, par des croissements d’absorption avec le Touabir, est en voie d’extinction. Or, ce génotype est un patrimoine national que la sélection naturelle au cours du temps nous a légué.Nous inspirant de la bergerie de Rambouillet, près de Paris, ou des moutons descendant de souches du 18ème siècle sont entrenus, ne devrions-nous pas tenter de sauver cet ovin d’un naufrage certain si rien n’est fait ?
La recommandation quant à elle est une invite à méditer, pour le bien du programme d’insémination en cours dans notre pays, les interventions du Dr Pagot et du Professeur Queinnec, au cours d’un Colloque sur l’Elevage à Fort-Lamy (actuel N’Djamena) du 8 au 13 Décembre 1969.Pour le Dr PAGOT, « les programmes de sélection et de croisement nécessitent une certaine continuité et nombre d’essais de croisement ont été voués à l’échec par abandon prématuré.
En effet, un délai de quinze à vingt ans est nécessaire pour obtenir des résultats en matière bovine.L’application intempestive dans un milieu non amélioré de programmes de croisement ou de métissages avec des races importées risque d’être plus un mal qu’un progrès à cause d’un milieu trop agressif. « Et le Professeur QUEINNEC d’asséner : « Finalement, l’amélioration génétique se ramène à un déplacement du génotypemoyeninitial,grâce à une modification de la fréquence des différents gènes de la population,ce qui se traduit par un mouvement de dérive génétique. La sélection induit généralement une dérive lente dont le rythme peut rester parallèle à celui de l’amélioration du milieu.Le croisement induit une dérive tumultueuse, la vitesse de déplacement est grande et se heurte au barrage du milieu. »
Et bonne fête pour les populations de Matam et du Fouta
Dr Yéro Hameth DIALLO
Ancien Ministre de l’Elevage