Le Sénégal organise à partir du 15 mai son 5ème recensement général de la population et de l’habitat. L’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (l’ANSD) s’y est mise avec beaucoup de professionnalisme en envisageant de dénombrer exactement la population et de la caractériser. Seulement la collecte de certaines données n’est pas sans risque sur le plan social. La variable ethnie comme celle de la religion ont toujours suscité des polémiques dans les pays qui se comptent. De ce fait, certains pays, comme la France, interdisent tout simplement leur traitement.
Ce qui n’est pas le cas du Sénégal qui continue à collecter des données relatives à l’appartenance ethnique malgré le tollé que cela suscite à chaque fois. On se demande pour qui cherchent-on ces renseignements et à quelle fins ? Que servent-elles vraiment dans les recensements du Sénégal ? Ces questions méritent d’être posées vu l’ampleur de la contestation autours de la collecte de cette information.
La charge du terme Ethnie
Il faut savoir que ce terme n’était utilisé au XVIIème siècle que pour caractériser les sociétés considérées comme non civilisées. C’est à dire en dehors de l’Occident. Il n’était valable qu’en Afrique, en Océanie et en Amérique indigène. Parce qu’on considérait qu’il n’y avait aucune cohésion dans ces sociétés qui étaient loin de constituer des nations. Ainsi, la notion d’ethnie équivalait à celle de race que les idéologues du parti nazi n’ont pas hésité à exploiter pour bâtir leur statut de « peuples supérieurs » qui avaient droit de vie et de mort sur les autres.
Pour dire que la notion d’ethnie comme celle de race sont à la base des atrocités historiques subies par l’humanité. En effet, vouloir différencier les populations selon cette caractéristique non objectivable, au contour flou n’est pas sans danger. L’ethnie permet-elle de définir quelle communauté ? Linguistique ? Historique ? Religieuse ? Coutumière ? Biologique ? Ou autres ? Chacun de ces traits peut désigner un groupe culturel qui réduirait la notion en morceaux. Ce qui ne favorise pas la cohésion recherchée dans tous les pays. Dès lors l’utilité liée à la collecte des données ayant trait à l’appartenance ethnique est à comparer aux dégâts que celle-ci occasionnerait, même si les renseignements obtenus de cette rubrique ne seront pas publiés. Les garder à la disposition des chercheurs n’est pas sans susciter des doutes. Le recensement est une commande publique pour les Sénégalais et leurs décideurs d’abord. La nécessité de collecter des données ethniques, s’il y a lieu, doit être clairement justifiée.
La communauté pulaarophone du Sénégal
La langue pulaar est l’une des plus parlées en Afrique au sud du Sahara avec ses 50 000 000 de locuteurs environ. Elle est souvent classée quatrième après le Swahili, le Haoussa et le Yoruba. Au Sénégal, elle est plus parlée dans la vallée du fleuve qu’ailleurs. Et les habitants de cette région se faisaient appelés Fulbe ou Sebbe parfois même Subalbe avant la Révolution du Fuuta qui a instauré l’Etat des Almaami. C’est de ce bouleversement social que le groupe des Toorobbe (Lettrés) s’est institué.
Le clan des Toorobbe
La multiplication des foyers d’enseignement au Fouta durant le règne des Deeniyankoobe (Descendants de Koly Tengella Ba) et la formation d’un nombre important d’hommes de sciences n’étaient pas sans bouleverser la hiérarchie politique jusque-là stable. Les pensionnaires du nouveau système éducatif avaient acquis une considération sociale qui leur avait valu la jalousie de la classe régnante des Fulbe. Ces derniers, par mépris, leur avaient donné le sobriquet de Torotoobe (Mendiants), et leurs lançaient des diatribes telles que : « Le Tooroodo (dérivé de Torotoodo) n’est qu’un maccudo (asservi) devenu lettré, sans sébile ou tablette il ne vaut rien ». « Qu’Allah brise ces petites sébiles des Toorobbe, contenant de pourritures d’aliments nauséabonds » invoquaient-ils.
Mais, l’expansion du système éducatif et son ouverture à toutes les couches sociales renforçaient ce groupe. Celui-ci s’est vite transformé en une importante classe sociale facilement accessible. En effet, tout membre de la société pouvait acquérir le statut de Tooroodo, il suffisait seulement de devenir lettré. De cette nouvelle classe sociale est née une élite qui a eu l’ambition de réformer la société. C’est cette dernière qui a mené la Révolution au Fouta-Tooro et à Sokoto au Nigeria actuelle pour faire tomber les régimes qui y régnaient depuis plusieurs siècles et y achever l’islamisation. Autant que Malik Sy Daouda de Boundou et Sileymàani Baal, Usmaan Danfojo aussi revendiquait son statut de Tooroodo de Sokoto.
Enfin, ajoutons que chacun des clans du Fouta tenait à son autonomie et à la pureté de sa lignée et s’interdisait, autant que faire se peut, l’exogamie. Les Peuls pasteurs, se voyant supérieurs à tous les autres, préféraient se marier entre eux. Alors que les Toorobbe les acceptaient même s’ils émettaient souvent des réserves sur leur foi islamique. L’intermariage n’était pas franchement abhorré entres les Sebbe, Jaawanbe, Subalɓe et Toorobbe. Mais chez les maccubbe (Asservis) l’endogamie était de mise.
Seulement, le nouveau groupe des lettrés (Toorobbe) avait fini par phagocyter des membres d’autres clans. D’où la mutation des patronymes Diallo et Ba en Kane et Baal. Pour dire que depuis ce moment au moins, les Toorobbe se sont démarqués de la grande famille des Fulbe pour se positionner au sommet de la pyramide sociale et politique. Seule la langue unissait véritablement les deux clans. Ce que le Lam Tooro avait exploité à Guédé bien avant la venue de Koly Tenguella pour donner une identité au grand groupe des locuteurs pulaar. C’est lui qui avait décrété que seule cette langue doit être parlée dans cette ville. Ce qui a donné naissance au qualificatif Haal pulaar (Pulaarophone). Voilà le terme qui ferait consensus au Sénégal.
Enfin, disons que l’utilité de la collecte des données sur l’appartenance ethnique n’est pas évidente. Les clivages inutiles que celle-ci engendre à chaque fois au sein de certaines ethnies devraient être évités. La langue, considérée comme un marqueur culturel réel, devrait être le critère principal d’identification des groupes sociaux. Sinon, il y a risque de fragmenter la société sénégalaise et d’entamer la cohésion et le soubassement de sa nation. Dans ce type d’exercice, il vaut mieux privilégier l’appartenance nationale (la citoyenneté) que de tendre les fibres communautaristes ou clanistes.
Mamadou Youry Sall
Chercheur-Enseignant à l’UGB
Ce qui n’est pas le cas du Sénégal qui continue à collecter des données relatives à l’appartenance ethnique malgré le tollé que cela suscite à chaque fois. On se demande pour qui cherchent-on ces renseignements et à quelle fins ? Que servent-elles vraiment dans les recensements du Sénégal ? Ces questions méritent d’être posées vu l’ampleur de la contestation autours de la collecte de cette information.
La charge du terme Ethnie
Il faut savoir que ce terme n’était utilisé au XVIIème siècle que pour caractériser les sociétés considérées comme non civilisées. C’est à dire en dehors de l’Occident. Il n’était valable qu’en Afrique, en Océanie et en Amérique indigène. Parce qu’on considérait qu’il n’y avait aucune cohésion dans ces sociétés qui étaient loin de constituer des nations. Ainsi, la notion d’ethnie équivalait à celle de race que les idéologues du parti nazi n’ont pas hésité à exploiter pour bâtir leur statut de « peuples supérieurs » qui avaient droit de vie et de mort sur les autres.
Pour dire que la notion d’ethnie comme celle de race sont à la base des atrocités historiques subies par l’humanité. En effet, vouloir différencier les populations selon cette caractéristique non objectivable, au contour flou n’est pas sans danger. L’ethnie permet-elle de définir quelle communauté ? Linguistique ? Historique ? Religieuse ? Coutumière ? Biologique ? Ou autres ? Chacun de ces traits peut désigner un groupe culturel qui réduirait la notion en morceaux. Ce qui ne favorise pas la cohésion recherchée dans tous les pays. Dès lors l’utilité liée à la collecte des données ayant trait à l’appartenance ethnique est à comparer aux dégâts que celle-ci occasionnerait, même si les renseignements obtenus de cette rubrique ne seront pas publiés. Les garder à la disposition des chercheurs n’est pas sans susciter des doutes. Le recensement est une commande publique pour les Sénégalais et leurs décideurs d’abord. La nécessité de collecter des données ethniques, s’il y a lieu, doit être clairement justifiée.
La communauté pulaarophone du Sénégal
La langue pulaar est l’une des plus parlées en Afrique au sud du Sahara avec ses 50 000 000 de locuteurs environ. Elle est souvent classée quatrième après le Swahili, le Haoussa et le Yoruba. Au Sénégal, elle est plus parlée dans la vallée du fleuve qu’ailleurs. Et les habitants de cette région se faisaient appelés Fulbe ou Sebbe parfois même Subalbe avant la Révolution du Fuuta qui a instauré l’Etat des Almaami. C’est de ce bouleversement social que le groupe des Toorobbe (Lettrés) s’est institué.
Le clan des Toorobbe
La multiplication des foyers d’enseignement au Fouta durant le règne des Deeniyankoobe (Descendants de Koly Tengella Ba) et la formation d’un nombre important d’hommes de sciences n’étaient pas sans bouleverser la hiérarchie politique jusque-là stable. Les pensionnaires du nouveau système éducatif avaient acquis une considération sociale qui leur avait valu la jalousie de la classe régnante des Fulbe. Ces derniers, par mépris, leur avaient donné le sobriquet de Torotoobe (Mendiants), et leurs lançaient des diatribes telles que : « Le Tooroodo (dérivé de Torotoodo) n’est qu’un maccudo (asservi) devenu lettré, sans sébile ou tablette il ne vaut rien ». « Qu’Allah brise ces petites sébiles des Toorobbe, contenant de pourritures d’aliments nauséabonds » invoquaient-ils.
Mais, l’expansion du système éducatif et son ouverture à toutes les couches sociales renforçaient ce groupe. Celui-ci s’est vite transformé en une importante classe sociale facilement accessible. En effet, tout membre de la société pouvait acquérir le statut de Tooroodo, il suffisait seulement de devenir lettré. De cette nouvelle classe sociale est née une élite qui a eu l’ambition de réformer la société. C’est cette dernière qui a mené la Révolution au Fouta-Tooro et à Sokoto au Nigeria actuelle pour faire tomber les régimes qui y régnaient depuis plusieurs siècles et y achever l’islamisation. Autant que Malik Sy Daouda de Boundou et Sileymàani Baal, Usmaan Danfojo aussi revendiquait son statut de Tooroodo de Sokoto.
Enfin, ajoutons que chacun des clans du Fouta tenait à son autonomie et à la pureté de sa lignée et s’interdisait, autant que faire se peut, l’exogamie. Les Peuls pasteurs, se voyant supérieurs à tous les autres, préféraient se marier entre eux. Alors que les Toorobbe les acceptaient même s’ils émettaient souvent des réserves sur leur foi islamique. L’intermariage n’était pas franchement abhorré entres les Sebbe, Jaawanbe, Subalɓe et Toorobbe. Mais chez les maccubbe (Asservis) l’endogamie était de mise.
Seulement, le nouveau groupe des lettrés (Toorobbe) avait fini par phagocyter des membres d’autres clans. D’où la mutation des patronymes Diallo et Ba en Kane et Baal. Pour dire que depuis ce moment au moins, les Toorobbe se sont démarqués de la grande famille des Fulbe pour se positionner au sommet de la pyramide sociale et politique. Seule la langue unissait véritablement les deux clans. Ce que le Lam Tooro avait exploité à Guédé bien avant la venue de Koly Tenguella pour donner une identité au grand groupe des locuteurs pulaar. C’est lui qui avait décrété que seule cette langue doit être parlée dans cette ville. Ce qui a donné naissance au qualificatif Haal pulaar (Pulaarophone). Voilà le terme qui ferait consensus au Sénégal.
Enfin, disons que l’utilité de la collecte des données sur l’appartenance ethnique n’est pas évidente. Les clivages inutiles que celle-ci engendre à chaque fois au sein de certaines ethnies devraient être évités. La langue, considérée comme un marqueur culturel réel, devrait être le critère principal d’identification des groupes sociaux. Sinon, il y a risque de fragmenter la société sénégalaise et d’entamer la cohésion et le soubassement de sa nation. Dans ce type d’exercice, il vaut mieux privilégier l’appartenance nationale (la citoyenneté) que de tendre les fibres communautaristes ou clanistes.
Mamadou Youry Sall
Chercheur-Enseignant à l’UGB