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Pêche artisanale Sénégal - Mauritanie : Pour une diplomatie environnementale. Par Papa Mamadou CISSE

Lundi 19 Mars 2018

La pêche maritime représente 1,4% du PIB et 8,9% de la valeur ajoutée au prix courant du secteur primaire. Gérérant plus de 600 000 emplois, ce secteur économique stratégique positionne le Sénégal parmi les pays africains les plus performants dans l’exportation de produits halieutiques. Cependant, on note depuis 2014, une tendance baissière des débarquements avec 426.106 tonnes pour une valeur commerciale estimée à 136 milliards de francs CFA, contre 441 254 tonnes et une valeur estimée à 144 milliards francs CFA en 2013, soit une diminution de 3,4% en volume et de 5,5% en valeur.


Cette baisse découle du repli de 6,2% de la pêche artisanale (373 652 tonnes, contre 398 214 tonnes en 2013). La décadence de la pêche artisanale au Sénégal semble se maintenir entre 2015 et 2017 et renforce dramatiquement l’indigence des communautés de pêcheurs, surtout à Saint-Louis. En revanche, la pêche industrielle a progressé de 21,9%[[1]]url:#_ftn1 et profite plus aux promoteurs extérieurs à qui des licences de pêches ont été attribuées par l’Etat du Sénégal.  

 
Dans le département de Saint-Louis, la pêche maritime est pratiquée dans la zone côtière frontalière entre les eaux mauritaniennes et sénégalaises sur une distance de 70 km. Avec une baisse de 18% en 2015[[2]]url:#_ftn2 de l’activité de pêche artisanale à Saint-Louis, la situation économique des communautés de pêcheurs s’envenime, abime les forces productives locales et mène de plus en plus les professionnels du secteur à la déprime. Manifestement, la contre-performance du secteur de la pêche artisanale à Saint-Louis se comprend par la conjugaison de plusieurs facteurs d’ordre climatique, anthropique et politique.

 
En effet, du point de vue climatique, il apparait que le contexte socioéconomique des communautés de pêcheurs est intégralement basé sur un environnement fragilisé par le dérèglement climatique. Cela se traduit par un hydrodynamisme marin très mouvementé[[3]]url:#_ftn3 (fortes marées, forte houle, présence de courants littoraux) ainsi que l’élévation du niveau de la mer. D’ailleurs, les scénarios prospectifs démontrent que 80% de la ville de Saint-Louis sera menacée d’inondation d’ici 60 ans[[4]]url:#_ftn4 en raison des pressions climatiques. Aujourd’hui, la perturbation des écosystèmes par les effets directs du climat ne crée visiblement pas les conditions optimales et idéales pour la préservation des espèces marines aux larges de Saint-Louis. Sous ce regard, le climat se présente comme une contrainte majeure dont le réacteur navigue à contre-courant des courants marins et fragilise le système d’entrée de devises pour des milliers de pêcheurs, maréyeurs et transformateurs de produits de la mer.


Aussi, la géologie marine de Saint-Louis informe que près de 70% de la zone de pêche maritime est vaseuse ou sablo-vaseuse sous l’effet des courants violents de cette partie de la mer. Or, la plupart des espèces halieutiques consommées localement ne se reproduisent ni sur une zone vaseuse, ni sur la zone sablo-vaseuse. Ces espèces se reproduisent essentiellement sur des zones rocheuses ou végétalisées qui sont des niches écologiques au niveau desquelles ils y trouvent quiétude. C’est pourquoi les espèces se réfugient en Mauritanie dans la mesure où la géologie marine y est plus favorable (forte présence de roches). Saint-Louis n’est alors qu’une zone de transition et de migration des poissons et autres espèces aquatiques. Ce handicap géologique du fond marin de Saint-Louis est un facteur dissuasif qui pousse les pêcheurs artisanaux vers la zone côtière transfrontalière. Ce qui entraine des tensions et déconvenues régulières entre les deux pays.  


 
A Saint-Louis, l’unique zone où les facteurs géophysiques et les conditions hydrodynamiques ont concouru au développement de multitudes zones de refuges pour de nombreuses espèces marines et estuariennes se trouve dans l’Aire Marine Protégée (AMP). En effet, dans l’AMP, on y trouve des refuges qui constituent des fonds de pêche appelés « Xer » pour les fonds rocheux ou « joxoor » pour les fonds de nature sablo-vaseux qui se distinguent par la présence des coquillages[[5]]url:#_ftn5 . Cependant, les pêcheurs artisanaux n’ont pas accès à cette zone protégée par le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable. Cette mesure de défense de la biodiversité contribue certes à restreindre l’accès des pêcheurs aux ressources et moyens d’existence (RME), mais elle offre durablement une aire naturelle de repos et de reproduction pour les espèces marines.   


 
Au regard de cette situation climato-géologique pouvant être fatale à la survie des communautés de pêcheurs de la Langue de Barbarie (Saint-Louis), il est judicieux d’énumérer d’autres problématiques anthropiques néfastes, notamment : la surexploitation des ressources halieutiques, la non- application du repos biologique des espèces au stade juvénile, le rejet de quantités insoupçonnées de déchets dans l’océan, entre autres pratiques non respectueuses de l’environnement marin (utilisation filets en nylon). Ces facteurs anthropiques remettent en cause la pérennité de l’organisation sociale sur la langue de barbarie et contribuent fortement à la raréfaction de la ressource.


 
Sur le plan politico-institutionnel faut noter que la réglementation des licences de pêche au Sénégal est un problème majeur auquel les pêcheurs artisanaux sont confrontés. Il est - peut-être - utile de s’inspirer des dispositifs opérants mis en place par la Mauritanie dans la gestion et le suivi des licences de pêche. De plus, l’appauvrissement notoire du fond marin de Saint-Louis par le climat et la pression de l’homme ne font pas l’objet de politiques/projets structurants de développement durable allant dans le sens de promouvoir la protection de la biodiversité marine. C’est ainsi qu’il urge de promouvoir la « Diplomatie Environnementale » : un dispositif politico-opérationnel qui soutient la  meilleure prise en charge des questions de pêche, d’économie et d’environnement à travers des projets écologiques structurants et des mesures d’accompagnement efficientes en faveur des communautés locales de pêcheurs à Saint-Louis.
 

La « Diplomatie Environnementale » repose fondamentalement sur la promotion de bonnes pratiques et innovations en matière de développement durable et constitue une niche d’opportunité pour revigorer les écosystèmes marins concourant à la remontée biologique des espèces aquatiques. Si des résultats probants et structurants sont obtenus au terme des interventions de l’Etat du Sénégal (projets, programmes, politiques, mesures d’accompagnement), alors, les pêcheurs artisanaux n’auront plus besoin de s’aventurer dangereusement dans les eaux transfrontalières avec la Mauritanie. Les actions écologiques et bonnes pratiques mises en œuvre devront non seulement permettre aux pêcheurs locaux d’accroitre substantiellement les mises à terres (remontée biologique), mais également de disposer des moyens artificiels pour appâter les espèces marines de la Mauritanie vers le Sénégal (pratiques durables). Pour apporter une réponse urgente à la problématique de la pêche maritime à Saint-Louis, trois axes de travail peuvent être mis en œuvre par le Ministère de la Pêche, en concertation avec les Agences de l’Etat compétentes, les collectivités locales, les services régionaux, les organisations de la société civile et les communautés locales.

 
1. Résolution des problématiques environnementales : Dépollution du plancher marin et du littoral
 

La pollution chronique du plancher marin constitue un problème environnemental majeur dans le département de Saint-Louis. Ainsi, des opérations structurées de dépollution du plancher marin sont à mener afin d’extraire tous les déchets nocifs au développement des espèces marines (filets de pêche de type monofilaments et multifilaments en nylon, déchets plastiques, etc.). Ce travail préliminaire est une condition sine qua non pour viabiliser les espaces de reproduction des espèces dans toutes les zones de pêche artisanale et industrielle de Saint-Louis. En 2011, l’ONG Océanium de M. Ali HAIDAR a effectué des opérations concluantes de nettoyage du fond marin à Dakar. Plus de 5 tonnes de déchets ont été récupérées par 80 plongeurs professionnels. De telles initiatives écologiques doivent être répliquées à Saint-Louis au profit des communautés de pêcheurs.
 

A cela s’ajoute des mesures d’accompagnement que l’Etat doit mettre en place pour prévenir la pollution du plancher marin. Le gouvernement sénégalais, à travers son ministère de la pêche, doit encourager les pêcheurs artisanaux à utiliser les filets de pêche en coton. Ces derniers sont biodégradables. Ils disparaissent entre 6 et 12 mois dans l’océan, tandis que les filets en nylon se dégradent entre 400 et 500 ans. En effet, le fond marin est caractérisé par un environnement sombre, pauvre en oxygène et aux basses températures, les détritus peinent à se dégrader. La décomposition qui, sur terre mettrait quelques années, peut prendre plusieurs décennies dans les profondeurs océaniques. Par ailleurs, il est très fréquent de voir des dépôts irréguliers d’ordures ménagères sur les plages.  Il est alors souhaitable d’accompagner les collectivités locales ayant une frange maritime (Communes de Saint-Louis, Gandon, Gandiol) dans une stratégie de gestion intégrée des déchets sur le littoral.

 
2. Préservation durable des ressources marines à Saint-Louis : immersion de récifs artificiels

 
Sur la base des informations fournies par la géologie marine de Saint-Louis, il convient de promouvoir l’immersion de récifs artificiels pour créer de nouvelles espaces écologiques dans les zones stratégiques de pêche et dans l’Aire Maine Protégée. Généralement, on utilise des épaves (vieux bateaux, voitures) ou des roches (basaltes, blocs de béton, etc.) qu’on immerge dans les fonds marins. Cette pratique mondialement connue et reconnue comme une activité promouvant la remontée biologique est un moyen incontestable pour créer des habitats supplémentaires pour la biodiversité marine tout en boostant substantiellement le secteur de la pêche.

 
D’ailleurs, en Décembre 2017, l’ONG Le Partenariat (Opérateur de Coopération Décentralisée basé à Saint-Louis) a développé des actions pilotes d’immersion de récifs artificiels, notamment des blocs de béton armé dans la zone de l’Aire Marine Protégée. Ces actions écologiques ont été entièrement soutenues par l’Entreprise d’exploitation du gaz offshore de Saint-Louis Kosmos-BP Senegal Limited dans le cadre de son Programme d’Investissement Social au Sénégal. J’ai eu l’honneur de piloter ce projet démonstratif à travers un processus participatif avec la Commune de Saint-Louis, les communautés de pêcheurs de Saint-Louis (Plongeurs professionnels, Conseil local de pêche artisanale, conseils de quartier, associations de jeunes) et les Services régionaux (Service des pêches, ANAM, DREEC, AMP, Sapeurs pompier).
 

3. Développement d’activités alternatives : création de « Fermes Aquacoles Marines » dans l’Océan Atlantique à Saint-Louis.
 

Dans le cadre du Plan Sénégal Emergent (PSE), l’Etat soutient fortement les projets de développement économique. A travers l’ANIDA, des centaines de jeunes et femmes ont bénéficié de fermes familiales «Natangué ». L’exemple de ce concept novateur dans le domaine de l’agriculture peut être répliqué dans le secteur de la pêche, avec notamment la création de « fermes aquacoles marines » pour les communautés de pêcheurs. En réalité, l’aquaculture est l’un des secteurs prioritaires sur lequel le Sénégal compte s’appuyer pour asseoir les conditions d’un développement économique durable respectant le capital naturel existant, pilier d’une croissance forte et équitablement répartie. Manifestement, l’aquaculture sénégalaise est aujourd’hui plus orientée vers le continent. Or, avec les conflits et litiges fonciers récurrents, il peut être envisageable de diversifier l’aquaculture avec l’aménagement d’étangs auto-entretenus sur l’océan atlantique.  
 

Ces fermes aquacoles marines encouragent le repos biologique des espèces halieutiques, améliorent les revenus des familles de pêcheurs et créent des emplois verts substantiels dans de Département de Saint-Louis. La gestion de ces fermes aquacoles peut être confiée à l’Agence Nationale d’Aquaculture (ANA) qui travaillera étroitement en collaboration avec le Service Régional des Pêches, l’Agence Nationale des Affaires Marines (ANAM), les collectivités locales d’intervention, les ONG ayant prouvées une expertise sur la thématique et les Communautés locales (Conseil Local de Pêche Artisanale, Comité de Gestion de l’AMP, etc.). Ce pilotage inclusif et participatif entre acteurs de développement est gage de réussite.
 

En définitive, retenons que les changements climatiques et les pressions multiformes de l’homme sur son environnement constituent deux facteurs qui bouleversent le fonctionnement des écosystèmes marins tout en rendant les communautés de pêcheurs économiquement vulnérables. La conséquence indirecte de ces menaces climatiques et anthropiques est notamment la présence de conflits sociopolitiques manifestes ou latents entre le Sénégal et la Mauritanie. C’est pourquoi, au-delà des accords de pêche avec la Mauritanie, il urge pour le Sénégal de privilégier la diplomatie environnementale laquelle permet d’initier de bonnes pratiques environnementales à l’effet d’accroitre la capacité de résilience des communautés de pêcheurs de Saint-Louis, sans le moindre conflit avec le voisin.

 
Papa Mamadou CISSE
Spécialiste en Environnement et
Développement Durable

papamcisse@gmail.com
 
[[1]]url:#_ftnref1 ANSD, Situation Economique et sociale au Sénégal, Aout 2017
[[2]]url:#_ftnref2 Plan Départemental de Développement de Saint-Louis, 2015
[[3]]url:#_ftnref3 SALL, 2006
[[4]]url:#_ftnref4 https://www.lci.fr/international/senegal-l-elevation-du-niveau-de-la-mer-menace-l-ile-saint-louis-2075039.html
[[5]]url:#_ftnref5 FALL A., 2015


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