Ma première réaction par textos en direction de ces respectables intellectuels a été celle-ci : « Chers frères, je me suis délecté de cette passe d’armes sémantique d’une richesse admirable. Vous avez sans complaisance fait la radioscopie de la société sénégalaise. Vous avez raison tous les deux. Mais laissez-moi vous dire que personne ne tiendra compte de vos pertinentes analyses. Car nous sommes au pays de la parole stérile, de la danse obscène et des violences sanglantes. Nous sommes au pays des grévistes casseurs et incendiaires. Nous sommes dans un pays ou le lutteur est plus respecté et considéré que l’éducateur, le guide religieux et l’éveilleur de conscience. Nous sommes dans un pays où l’esclavagisme imposé par l’argent et le bien matériel s’est emparé du plus grand nombre et a transformé en idoles des anti modèles et contre-valeurs qui ne devraient nullement bénéficier de la plus infime considération ».
La réponse de mon ami Babacar a consisté à m’inviter à « continuer de bêcher, malgré tout…». Il m’a ainsi fraternellement rappelé le conseil du laboureur à ses enfants, poème dans lequel Jean de La Fontaine écrivait ceci : « …Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place où la main ne passe et repasse. » Et le Professeur Hamidou Dia d’ajouter, dans un même élan de générosité et d’optimisme: « Il nous faut continuer d’instruire sans relâche le procès de notre société. En le faisant, la médiocrité reculera…»
L’optimisme et la générosité de mes deux amis m’ont forcé à entrer sans complaisance, dans ce débat productif et à dire ma part de vérité. C’est dire que je ne souhaiterais pas que cette pensée de T.E. Lawrence s’applique à moi : « Leur part d'honneur leur est dérobée, et le sera toujours, tant qu'ils n'écriront pas les bulletins eux-mêmes.» (Les sept piliers de la sagesse).
Ma part de vérité est que le Sénégal n’est plus le pays de la teraanga ! Oui mon pays a perdu ce titre honorifique depuis que dans ses villes et villages dans ses rassemblements religieux ou sportifs, dans ses écoles et universités temples du savoir et de l’éducation, le fléau de la violence règne en maître dans les esprits, les cœurs et les comportements!
En effet, si le mot teraanga qui coule comme eau de source est bien synonyme de paix, de solidarité, de tolérance, d’hospitalité, de générosité, de courtoisie, de persévérance, de patriotisme et de civisme, alors je suis bien fondé à dire sans hésitation aucune qu’il y a une grave pénurie de ces composantes dans notre patrimoine sociale. Voilà pourquoi, nous avons perdu le précieux héritage que constitue la teraanga sénégalaise et que nous avaient léguée nos ancêtres à travers les âges.
Ma plus grande révolte a été provoquée par ce slogan absurde et manifestement contre-productif que constitue le NTS (Nouveau Type de Sénégalais), véhiculé par certains rappeurs prétentieux qui, sans avoir une seule fois apporté à notre peuple une preuve intellectuelle, morale ou matérielle faisant d’eux des références et des modèles dans l’édification de la nation, se sont autoproclamés directeurs de conscience de la jeunesse sénégalaise ! À leur détestable NTS synonyme de rejet de nos valeurs ancestrales, de déracinement, d’irrespect envers les anciens, de reniement de notre culture basée sur le yar (la politesse et la discipline), le jom (l’amour propre), le fit (le courage), le kersa (la pudeur), le muñ (la patience et la persévérance), j’opposerais avec fermeté le slogan ATS (Authentique Type de Sénégalais). Tout simplement parce que nul n’a le droit de rejeter un patrimoine ancestral aussi riche et admirable. On ne change pas un cheval qui gagne !
Le Sénégal n’est plus le pays de la teraanga, car une bonne partie de sa jeunesse, un grand nombre de ses acteurs politiques, la majorité de ses sportifs et amateurs de matches de nawetaan et de combats de lutte ont été infectés par le virus de la violence et de l’arrogance, du mensonge et de l’hypocrisie.
D’ailleurs, comme pour me donner raison, au moment où j’écrivais ces lignes, notre ami Sada Kane, révolté et écœuré par cette propagation inquiétante des comportements de sauvages indignes d’un être humain, a légitimement poussé ce cri de rage et de désespoir sur sa page Facebook :
« Sabres, jets de pierres, courses poursuites, projectiles de tous genres sur le macadam, et jusque dans nos rues piétonnes. Notre paisible quartier de Gibraltar a connu des moments de violence et de panique ce dimanche, en fin d'après-midi…. » Inutile de vous dire que cette honteuse scène décrite par Sada Kane est encore une fois l’image désastreuse que nous offrent tous les jours, les politiciens de notre pays, leurs militants et leurs hordes de nervis violents et surexcités. L’injure à la bouche, ils n’hésitent pas à s’attaquer aux paisibles citoyens et à tout casser sur leur passage.
Le Sénégal n’est plus le pays de la Teraanga, car vous le voyez bien, ses lions sportifs ne rugissent plus dans les stades d’Afrique et du Monde. La plupart d’entre eux perdent très vite leur talent et deviennent arrogants et se prennent pour des immortels. Dans ce pays qui fut celui de la Teraanga, quand les étudiants estiment que leurs droits sont bafoués, ils déferlent dans les rues comme des hordes sauvages, déversent leur colère sur d’innocents citoyens et détruisent les biens publics et privés.
Le Sénégal n’est plus le pays de la Teraanga, car bon nombre de ses radios et télévisions sont devenues des arbres à palabres où l’on expose les secrets de familles et les intimités des ménages. Ces outils médiatiques qui devraient servir à éduquer le peuple, à lui enseigner le civisme et à rappeler les règles du patriotisme, sont devenus les plateaux privilégiés de certains citoyens qui rivalisent dans la violence verbale, le mensonge et la trahison. Même les esprits tordus ont la voix au chapitre en se voyant invités à l’antenne dans des émissions du genre « wax sa xalaat ». La plupart de nos radios et télévisions sont devenues des instruments de propagande, de chantage, de perversion et de promotion des anti-modèles. Il est temps d’y mettre un terme!
Pour toutes les raisons que voilà, le Sénégal a perdu son titre honorifique de « Pays de la teraanga » en attendant d’être destitué de autre titre de : « Pays de démocratie ».
Moumar GUEYE
Écrivain
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