« Lorsqu'il est critiqué, ou qu'il échoue, le sujet narcissique éprouve de l'angoisse et ressent que perdre son ego avec lequel il est identifié, c'est tout perdre, c'est n'être plus rien. Constatant qu'il n'est pas conforme à l'image qu'il a de lui-même, il éprouve un sentiment de catastrophe intime, de destruction de l'image de soi. Le moment est venu pour lui de se poser la question, qui suis-je donc ? Et pour apaiser son angoisse, il va concentrer ses efforts pour renforcer son ego », dit Jean Sarkissoff dans son œuvre intitulée : "Psychanalyse et spiritualité". Ces propos s’appliqueraient à merveille au président Macky Sall qui, critiqué par son ancien mentor qui l’accuse d’anthropophagie et de descendant d’esclave, flétri constamment par une opposition qui range son PSE aux ras de pâquerettes, a senti le besoin irrépressible de s’épancher dans un livre pour parler de soi mais surtout d’apporter la réplique à ses contempteurs.
« Le but de cet ouvrage n’était pas de parler des uns et des autres ou de ce qu’ils ont ou n’ont pas fait. Le but c’était, comme je l’ai indiqué, à la veille de ce combat qui est devant nous mais qui est surtout à la fin du mandat qui m’a été confié par le peuple sénégalais, je me suis rendu compte que je ne n’étais pas assez connu. Pas assez connu par mes origines, mon histoire, ma personnalité. Peut-être aussi pas assez connu dans ce qui fonde le sens de mon combat politique, y compris parmi mes partisans. Et c’est pourquoi j’ai estimé que le moment était venu de parler un peu de moi-même », dixit le président Macky lors de la cérémonie de présentation de son livre : « Le Sénégal au cœur ». Cérémonie pendant laquelle la cour royale a chantonné un « happy birthday » à sa Majesté qui célèbrait ses 57 piges.
Ainsi, cette envie irrésistible de vouloir parler de soi n’est pas seulement pour se faire connaitre un peu plus mais aussi pour poser un pansement balsamique sur une blessure ontologique causée par les propos blessants du président Abdoulaye Wade et attaquer ses opposants dénigreurs qui ne cessent de tourner en dérision son programme de développement sur lequel il compte chèrement pour avoir un deuxième mandat. Un 24 février 2015, lors d’une conférence de presse à la résidence de Madické Niang à Fann, Wade avait mis à nu les origines esclaves de son ancien Premier ministre, actuel président de la République du Sénégal. « Macky Sall est un descendant d’esclaves. Ses parents étaient anthropophages. Ils mangeaient des bébés et on les a chassés du village. Jamais mon fils Karim n’acceptera que Macky Sall soit au-dessus de lui. Dans d’autres situations, je l’aurais vendu en tant qu’esclave », avait lancé Abdoulaye Wade encoléré et exaspéré par l’incarcération de son fils Karim. Ces propos qui ont indigné plus d’un Sénégalais ont été considérés par le président Sall comme une contrevérité historique dont le seul but est de jeter l’opprobre sur celui qui l’a défait un 25 mars 2012.
Dans le Fouta d’où sont originaires les parents de Macky Sall, les maccubé (esclaves) sont l’objet de rejet et de discrimination. C’est pourquoi, il était nécessaire pour Macky Sall de rétablir la vérité historique déformée sous le prisme d’un amour filial immodéré par le président Abdoulaye Wade. « On a voulu me présenter pour ce que je ne suis pas, pour des raisons politiques. On a dit de moi ce que je ne suis pas… Je suis issu d’une lignée de guerriers. Les guerriers préfèrent mourir que de perdre la face. », a déclaré Macky Sall aux journalistes présents à la cérémonie de présentation de son livre.
Les Sénégalais savent…
Mais au-delà de ces déclarations narcissiques et des règlements de compte voilés contenus dans l’ouvrage, le président Sall s’illusionne quand il déclare que les Sénégalais ne le connaissent pas assez. Certes l’histoire personnelle du président peut ne pas les intéresser mais ils connaissent bien sa trajectoire politique qui est jalonnée d’engagements et de promesses non tenus.
Les Sénégalais savent que celui qui les dirige n’a pas respecté les engagements qu’il leur avait tenus quand il pérégrinait à travers le Sénégal et la diaspora pour solliciter le suffrage de ses compatriotes. Les Sénégalais savent que le chef de l’Alliance pour la République (APR) n’est pas esclave de sa parole et qu’il a commis un parjure en ne respectant pas le serment sur la réduction du mandat présidentiel prononcé devant les citoyens-électeurs lors de la campagne de 2012. La promesse de réduire son mandat de sept à cinq ans, qui lui a fait bénéficier de plusieurs voix au second tour, n’a pas été respectée au gré d’une boulimie du pouvoir et d’une peur de se faire balayer au moment où les chantiers du PSE étaient encore à l’état embryonnaire.
Les Sénégalais savent bien que leur président qui avait assuré que sa famille ne serait jamais impliquée dans la gestion des affaires de l’Etat a monarchisé la République en mettant la fratrie, la belle-famille, le cercle amical et l’ethnie à tous les postes stratégiques. Aujourd’hui son frère Aliou Sall, affranchi de tout contrôle de l’ARMP, dirige la Caisse de dépôt et de consignation avec la liberté de passer des marchés de gré à gré. Les proches du président ont gangrené et cornaqué l’économie en faisant main basse sur des pans entiers de l'économie du pays et mettant en place un véritable système de pillage institutionnalisé. Pourtant c’est Macky Sall, alors président de l’APR, qui déclarait le 11 avril 2010 sur les ondes de la RFM que « la famille du président Wade est envahissante ».
Les Sénégalais savent que le chef de l’Etat Macky Sall n’a pas fait de l’Etat de droit, un principe de bonne gouvernance puisqu’il a instrumentalisé sa justice pour écarter des candidats susceptibles de le terrasser à la prochaine présidentielle. Karim Wade a été embastillé puis gracié mais privé illégalement par Aly Ngouille Ndiaye, de participer à l’élection présidentielle. Khalifa Sall sera exécuté bientôt par la Cour suprême. Les Sénégalais savent que leur président use aujourd’hui de tous les moyens de domestication des institutions (Assemblée nationale, le pouvoir judiciaire, le CNRA, le Conseil constitutionnel, la CENA, la Direction générale des élections) pour gagner frauduleusement la présidentielle de février 2019 comme cela a été le cas lors des législatives. Les Sénégalais savent que leur président s’est surarmé de véhicules anti-émeutes et a renforcé l’effectif des forces de sécurité pour mater toute velléité de contestation électorale au soir du 24 février.
Les Sénégalais savent que leur président, qui s’était engagé à leur débarrasser de l’Etat patrimonial dont les ressources étaient accaparées par une oligarchie néo-libéralo-bourgeoise avec un slogan expressif « La patrie avant le parti », a déstructuré cet Etat par le clanisme et l’ethnicisme dans l’attribution des postes de responsabilité et le "prébendisme" dans la redistribution des ressources du pays.
Les Sénégalais savent que leur président qui abhorrait hier la transhumance du désert adore aujourd’hui ces ruminants politiques « beige-marron » conditionnés par les démangeaisons fréquentes de leur tube digestif. Celui qui avait qualifié la transhumance de cancer politique en a fait sa panacée pour assurer sa victoire à la prochaine élection.
Les Sénégalais savent que leur président n’a pas fait de la transparence un principe de bonne gouvernance. Ila Touba, le Ter, les constructions de Diamniadio, le building administratif, l’attribution de plusieurs marchés publics ont été exécutés sans une once de transparence. Les Sénégalais savent que dans l’exploration du pétrole et du gaz, leur président a attribué complaisamment le bloc Rufisque Offshore Profond, d’une superficie de 10.357 km2 aux Français de Total dans la plus grande opacité au détriment de Kosmos et de BP classés devant pour les meilleures offres.
Les Sénégalais savent que leur président qui gageait dans son premier discours à la Nation qu’il ne protégerait aucun des membres de son parti a mis sous le coude les dossiers Pétrotim où son frère Aliou est impliqué, l’affaire Prodac qui éclabousse son ministre Mame Mbaye Niang, le dossier du Coud qui épingle la gestion calamiteuse de Cheikh Oumar Hanne.
Les Sénégalais savent que leur président a été incapable de tenir la promesse des 500 emplois tenue à ces nombreux chômeurs qui constituaient l’essentiel de son électorat. Les Sénégalais savent que la croissance des 7.2 brandie en toute occurrence n’est qu’un trompe-l’œil qui cache mal la misère dans laquelle la plupart des Sénégalais vivent. Les Sénégalais savent que leur président a surendetté leur pays de façon exponentielle en moins de 7 ans sans aucun impact positif sur leur vécu. D’ailleurs le dernier IDH (Indice de développement humain) classe notre pays comme le 25e pays le plus pauvre du monde malgré tout le tohu-bohu trompeur sur l’émergence. Fin 2011, la dette du Sénégal était de 2.704,2 milliards de francs CFA, aujourd’hui 2018, elle est de 6564,2 milliards. En 2011, cet encours de la dette représentait alors 39,7% du PIB. En 2018, elle représente 49% du PIB.
Si l’objectif du livre « Le Sénégal au cœur » (dont la première de couverture met en exergue ostensiblement un président habillé symboliquement en blanc avec un rictus qui laisse apparaitre un sourire banania) était de faire découvrir, de montrer la facette moins « niangaliste » d’un homme débonnaire, on peut dire que c’est raté dans la mesure où l’homme en question nous a habitués à un comportement jupitérien qui ne s’accommode pas des schémas de pensées contradictoires de l’autre.
PS. Je ne terminerai pas sans souligner l’attitude obséquieuse de ces intellectuels alimentaires, ces vils flatteurs et serviles hagiographes, ces bien-pensants collabos qui entouraient le Prince le jour de la cérémonie et classent trompeusement son œuvre parmi celles qui serviront de bréviaire à la future génération. Mais à quoi peut-on s’attendre d’adeptes du « lèche-bottisme » dont la feuille de route est de se transbahuter de média en média pour transformer un navet en best-seller ? A mesure que la présidentielle approche, les masques tombent et les maquillages s’écaillent. Alors comme le dit le chroniqueur de RFI, Jean Baptiste Placa, certains « intellectuels » cèdent facilement à la tentation de la servilité et du zèle, dès lors qu’ils accèdent à la « mangeoire ».
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