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OPINION: « Charlie » ou cet autre extrémisme voilé dans la liberté d’expression. Par Amadou Salmone FALL

Dimanche 18 Janvier 2015

Doit-on rire de tout ? Y à-il une limite à la dérision ? Le sacré a-t-il sa place dans les démocraties dites modernes ? Quel contenu pour la liberté d’expression ? La provocation est-elle opportune quand elle clou au pilori ce qui fait partie intégrante de la dignité d’une communauté ?
Autant d’interrogations qui refont surface suite à la réaction meurtrière qui a emporté des journalistes de Charlie hebdo.


A cette question relative à l’opportunité d’une telle provocation, l’Etat français, à priori, répond tout bonnement par la négative. C’est ainsi qu’il se montre intransigeant en qualifiant d’antisémite toute personne dont les propos ou les agissements au relent de provocation touchent la communauté juive ou l’un de ses symboles. Le cas bien éloquent de l’humoriste Dieudonné est d’actualité. Aussi, on est vite qualifié d’homophobe quand la provocation s’oriente vers l’homosexualité. Le député UMP du Nord Christian VANNESTRE a par exemple été condamné en appel en 2007 à 9 000 euros d'amende et de dommages et intérêts pour avoir tenu des propos homophobes dans des journaux.

Cependant, en toute contradiction, quand c’est l’islam ou l’un de ses symboles qui est sujet à provocation, la liberté d’expression comme prétexte à un fondement légal, bien souvent, est vite opposée à toutes formes de résistances jugées intolérantes. IL est à préciser que la liberté d’expression suppose que tous les individus ont le droit de s’exprimer sans être importunés à cause de leurs opinions. Elle est cette liberté de faire des recherches, d’obtenir des informations et de les diffuser sans limitation de frontières et par le biais de n’importe quel moyen d’expression. L’expression ne doit jamais faire l’objet de censure préalable, mais plutôt de responsabilité ultérieure. Cependant, le droit à la liberté d'expression n'est pas absolu et peut être restreint lorsqu'il rentre en conflit avec l'exercice d'autres droits.

Alors que parallèlement la loi fondamentale française protège avec la même force juridique la liberté de culte à qui la République confère une certaine sacralité. Elle est ce principe composant la liberté de conscience qui désigne le droit de chacun à choisir et de pratiquer sa religion. La République française garantit le libre exercice des cultes Le premier article de la Loi de 1905, de séparation des Eglises et de l’Etat, indique, à la fois, que : « La République assure la liberté de conscience, elle garantit le libre exercice des cultes ». Le mot « culte » ne désigne pas seulement les cérémonies cultuelles. Il s’agit de toutes les manifestations religieuses publiques et privées, collectives et individuelles qui peuvent s’exercer librement, sous les seules restrictions du respect de l’ordre public, des libertés fondamentales et de la dignité des personnes. En ce sens, le libre exercice du culte est une forme de « liberté religieuse » bien que ce terme ne figure pas dans la loi.

Dès lors, il est sans conteste qu’en France l’équilibrage qui devait apporter les limites nécessaires à ces deux formes de libertés est purement rompu quand l’objet ou le sujet rime d’avec la religion islamique.

Il me semble donc que cette contradiction apparente des autorités françaises quant à leur perception flexible et variable du contenu de la liberté d’expression relativement à l’objet ou au sujet d’expression dénote d’une certaine hypocrisie bien loin de leur idéal de justice matérialisé dans leur droit positif. L’exercice des libertés est nécessaire dans une République autant que leur limitation l’est. C’est tout le sens de l’expression « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres ».

Avec les caricatures sur le Prophète Mohamed (PSL), ce sont les fondamentaux de la foi islamique donc de la dignité de milliards de musulmans qui a été heurtée même bafouée. Alors que la liberté de conscience ou de cultes, au même titre que la liberté d’expression, a une valeur constitutionnelle et devant donc obligatoirement s’imposer même aux trois pouvoirs étatiques qui ne peuvent nullement la dénuer de ce qui fait sa quintessence. Leurs actions devant se limiter qu’à l’organisation de son libre exercice et le Conseil constitutionnel, comme juridiction suprême veille scrupuleusement à son strict respect.

Cette satire est donc la conséquence d’une radicalisation d’une idéologie tendant à désacraliser les croyances religieuses qui pourtant bénéficient de cette protection de la loi fondamentale. Attitude qui, à mon sens, réunit les manifestations de l’extrémisme lequel est défini dans le Larousse comme étant « un comportement politique consistant à défendre les positions les plus radicales d’une idéologie ou d’une tendance ». En l’espèce, rires de tout sans tabous aucuns, n’avoir aucune limite dans la dérision, bouleverser le sacré jusqu’à ses derniers retranchements tels sont les fondements éditorialistes du journal Charlie Hebdo. Dès lors, à côté de l’extrémisme religieuse manifestée par les agissements islamistes allant des fois jusqu’à ôter la vie au nom d’une cause, il existe une autre forme d’extrémisme, moins apparente, optant pour des positions radicales qui ne vont pas sans heurter l’important chez une communauté.

Ainsi, cette tendance à choquer et à bouleverser ce qui est considéré comme fondamental pour autrui est la conséquence du diktat de la pensée unique européenne notamment, qui du reste, est bien contraire à la réalité de la relativité culturelle. Toute action, fort souvent, entraine réaction et la position insultante et provocatrice du journal Charlie Hebdo imposée à travers une liberté d’expression bien élastique s’attaquant à ce qui fait la sacralité de la culture islamique, ne devait passer sans vives réactions.

Dès lors, ces deux formes d’extrémisme ont de commun en ce qu’elles véhiculent une violence, laquelle peut être physique (attentats ou massacres des journalistes de Charlie Hebdo) comme non physique (propos, écrits ou images satiriques qui s’attaquent à la sacralité d’une communauté). Il convient de rappeler que par la force de la relativité culturelle, la notion d’importance et de sacrée sont perçus différemment donc nullement par la même intensité et cette sacralité du Prophète Mohamed (PSL) aux yeux du monde musulman est intrinsèquement liée à leur perception de la notion de dignité. C’est donc dire qu’il n’est pas aberrant, si on ne verse pas dans le diktat de la pensée unique, de considérer que le crayon puisse faire plus mal que le plomb.

Tout excès est nuisible dit-on à raison, et l’extrémisme, qui verse dans la violence doit être combattu sous toutes ses formes car il est source de chaos, il est tout ce qui sape les fondamentaux de ce qui fait la dignité de l’Homme dans ses composantes plurielles.

Ainsi, à mon sens, la solution française pour pallier la situation de chaos résultant du choc de deux formes d’intégrismes appelle une double approche :

D’abord au niveau étatique, il me semble impératif de miser notamment sur l’instauration d’institutions fortes qui veillent au libre exercice des libertés. Mais de ces libertés encadrées objectivement dans un équilibrage juste pour ne pas qu’elles s’empiètent l’une sur l’autre. Et ceci en évitant toute lecture à géométrie variable qui engendre l’injustice du « deux poids deux mesures ». Et le rôle majeur devant revenir à l’institution judiciaire qui est le dernier rempart dans les démocraties modernes dites Etat de droit. Cette institution devant plus que jamais être indépendante, gagnerait à s’opposer davantage aux manigances politiciennes dont la tendance en France est de jouer sur la notion vague et controversée de l’ « identité culturelle ». Laquelle s’appuie sur le levier de la peur immigrés-islamistes à des fins fort souvent électoralistes. Cette vigilance devant surtout s’orienter vers l’exécutif dont l’action, revêtue du privilège de l’exécution d’office, peut être plus que dangereuse pour les libertés.

Ensuite au niveau individuel, le culte de la connaissance, de l’ouverture vers l’autre, vers l’inconnu, mais fondamentalement le respect de ce qui fait la dignité de l’autre, de ce qu’il considère comme étant sa raison d’être, restent les voies sûres vers la paix et la concorde des communautés seules gages de la sauvegarde des valeurs humaines universelles qui fondent le vivre ensemble.

Amadou Salmone FALL, Greffier au TR de Sain-Louis

 


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