La sanction populaire, exprimée avec vigueur dans la rue, fut confirmée par le verdict sans appel des urnes, lors de la présidentielle de 2012. La diversité et la représentativité des forces coalisées hissèrent Macky Sall au sommet de l’État sénégalais. Du coup, se réalisait ce vœu cher à beaucoup de Sénégalais : réussir, d’un même mouvement, une alternance politique et générationnelle. La jeunesse du nouveau locataire du Palais, sa détermination affichée à traquer la corruption et son engagement à faire prévaloir les intérêts de la patrie entretinrent l’espoir de voir, enfin, le Sénégal s’inscrire dans la trajectoire du développement.
Mais, comme dans un rituel, la République est, à nouveau, dans une zone de turbulence. Pour une intelligence du réel politique sénégalais, il est à se demander si les chaudes journées de mars 2021 constituent une simple réédition du 23 juin 2011 ? De cette lecture dépendront les perspectives à dégager pour renouer avec l’esprit républicain. Quid du sort de la presse malmenée durant ces journées de furie ?
Accusé de viol et de menaces de mort par la citoyenne Adji Sarr, le député Ousmane Sonko, leader du parti politique Pastef/Les Patriotes, avait pris l’engagement, conformément aux conseils de son marabout et de ses avocats, de déférer à la convocation du Juge d’instruction, Mais la controverse sur le chemin à emprunter engendra une situation qui occasionna son arrestation musclée, assortie de l’accusation de trouble à l’ordre public. Il en résulta une vague d’indignation, rapidement transformée en émeutes.
La violence des attaques, leur durée, tout comme le caractère indifférencié des cibles dans de nombreuses villes donnèrent le sentiment d’une situation quasi insurrectionnelle. Le spectacle en était tout simplement désolant : des magasins et stations d’essence pillés, des voitures brûlées, des tribunaux, des structures de santé, des maisons de presse et gendarmerie saccagées. En attendant le bilan financier et matériel à établir, la dizaine de morts et le nombre de blessés sont révélateurs de la folle furie qui s’est emparée des manifestants.
Les proportions atteintes par l’escalade de la violence seront suffisamment alarmantes pour susciter la préoccupation des Nations-Unies, de la CEDEAO et des milieux diplomatiques.
Et pourtant, malgré leur violence sans précédent, ces journées, sous leur double rapport de l’épaisseur républicaine et du degré organisationnel, sont bien en dessous du 23 juin. Les manifestations de 2011 avaient été organisées sous la direction du Mouvement des Forces Vives de la Nation. La représentativité citoyenne avait été d’autant plus garantie que, outre les animateurs de Y en a marre, cette structure unitaire avait été renforcée par le Cadre de Concertation et d’Action de la Société civile, composée par une douzaine de structures, créées par des citoyens de différents horizons. Toutes les actions initiées par le Mouvement avaient été articulées autour du seul et même objectif : défendre la Constitution !
En revanche, si la mobilisation des journées de mars 2021 a été déclenchée par les procédures peu orthodoxes de l’arrestation du député Ousmane Sonko, des manifestants ont vite donné une autre direction au mouvement.
La violence inouïe des attaques des biens d’honnêtes citoyens et des structures susmentionnées attestent des limites aussi bien républicaine qu’organisationnelle.
Une lecture, largement partagée, considère que ces émeutes de mars 2021 est, en vérité, l’expression d’un ras le bol de la jeunesse. Le Président de la République, dans son discours d’apaisement du 08 mars, a fait sienne cette analyse, en s’engageant à répondre favorablement à ce message. Seulement, il convient de faire remarquer que les signaux de détresse de cette frange de la société ne datent pas d'aujourd'hui. Déjà, son prédécesseur avait promis promis de répondre à la requête de ces jeunes qui, sous le mandat d’Abdou Diouf, se qualifiaient d’être nés retraités.
Ce sont les cadets de ces jeunes de 2000, qui ont contribué à porter installer Macky Sall au pouvoir qui lui renouvellent leurs puissants signaux de détresse. Certes, il a dédié une panoplie de structures à la jeunesse. Mais, aujourd'hui, le fait que celle-ci manifeste sa colère avec autant de vigueur révèle que leur efficacité reste à prouver.
Au demeurant, cette lecture des émeutes comme manifestation de la colère des jeunes, au risque d’être réductrice, doit intégrer aussi les contradictions qui structurent les rapports entre l’opposition politique et la mouvance présidentielle.
Dès la réélection de Macky Sall, l’opposition politique a douté de sa volonté de ne pas briguer un troisième mandat. Pour preuve, il aurait usé du bâton et de la carotte pour réaliser son objectif de la « réduire à sa plus simple expression ». Partant, le Président Sall aurait recours aussi bien aux péripéties politico-judiciaires qu’à l’accueil dans l’espace présidentiel de certaines figures de proue de l’opposition. Ainsi, « l’affaire Sonko » ne serait qu’un remake des cas Karim Wade et Khalifa Sall.
Ces deux facteurs, conjugués au ras le bol général d’une population éprouvée par la double crise économique et sanitaire, expliquent la singularité de la violence de ces journées.
Le Chef de l’État invite, à juste raison, les Sénégalais d’éviter de s’installer dans la logique de la confrontation. Mais toute la question est de savoir comment éviter de créer les conditions de recours à cette logique pernicieuse. Le pouvoir saura-t-il faire preuve de suffisamment de réalisme pour renouer avec l’idéal originel de l’Alternance politique ? L ’opposition sera –elle bien inspirée, pour, au-delà de son consensus du moment, soumettre à l’examen de ses compatriotes un programme alternatif ?
En attendant, que le cours politique fournisse des réponses à ces interrogations, il importe de revenir sur cet acquis démocratique le plus menacé durant ces chaudes journées, à savoir le droit des Sénégalais à une information plurielle.
En plus de l’attaque subie par la radio RFM et le quotidien le Soleil, le signal de Sen Tv et de Walf TV a été tout simplement coupé par le CNRA qui les somme « à cesser la couverture irresponsable de la situation ». Si le saccage des maisons de presse, peut être mis, jusqu’à preuve du contraire, à l’actif des vandales, la mesure prise par l’organe régulateur pose un sérieux problème d’accès à l’information. La sanction retenue par cet « organe chargé de faire respecter les règles de pluralisme, d’éthique et de déontologie » aurait dû être appliquée en toute rigueur à la RTS qui a opté de faire un blackout total « de la situation ».
Or, elle est un service public dont le fonctionnement est assuré par l’argent du contribuable qui, en contrepartie, s’attend à bénéficier d’un accès libre à l’information. Cette décision de CNRA est d’autant plus condamnable qu’elle tente de ramener le Sénégal au moins 20 ans en arrière. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les termes de ces échanges entre le Président Diouf et Sidi Lamine Niasse. Ce dernier, reçu en audience au Palais eut droit à cet accueil : « un journal incendiaire, une radio incendiaire ! » Et à l’homme de presse de répondre : « Si votre objectif est de rester au pouvoir et de le concentrer entre vos mains, vous pouvez nous considérer comme un obstacle. En revanche, si votre objectif est de rendre à la postérité un État démocratique, (…), fut- ce au prix de votre départ, nous (les médias) jouons un rôle de stabilité et de sécurité du pays. » C’était en décembre 1999 !
Depuis, des professionnels de l’information et de la communication se sont battus pour rendre effectif le pluralisme médiatique. Partant, Ainsi, contribution a été décisive dans l’exercice du droit à l’information et dans la maturation citoyenne des Sénégalais. Quoique traversée par certaines perversions, la presse demeure aujourd'hui encore l’un des remparts les plus solides contre les dérives autoritaristes.
Le Sénégal d’aujourd’hui est en déficit de ce sens de la limite, si fondateur de l’humain qu’il n’est toujours forcément écrit : « xamal lunu la waxul… xamal bi ci yam ». Dans les sociétés démocratiques, ce sens des limites s’exprime par la générosité républicaine que gouverne le principe de préférence de l’intérêt général par rapport à l’intérêt particulier. Et l’unique moyen d’inculquer à nos compatriotes cette valeur est l'instruction civique. Il revient à tous les Sénégalais et, au premier chef, à ceux qui nous gouvernent, de promouvoir le sens civique par l’exemplarité des actes qu’ils posent individuellement et collectivement.
Ce principe républicain nous met en demeure de veiller scrupuleusement au respect des personnes et de leurs biens, à la gestion des deniers publics et au partage équitable des richesses du pays. Il nous incite à exploiter nos différentes ressources, en pensant à offrir aux générations futures la possibilité de vivre décemment.
Alpha Amadou SY,
Philosophe/Ecrivan
Mais, comme dans un rituel, la République est, à nouveau, dans une zone de turbulence. Pour une intelligence du réel politique sénégalais, il est à se demander si les chaudes journées de mars 2021 constituent une simple réédition du 23 juin 2011 ? De cette lecture dépendront les perspectives à dégager pour renouer avec l’esprit républicain. Quid du sort de la presse malmenée durant ces journées de furie ?
Accusé de viol et de menaces de mort par la citoyenne Adji Sarr, le député Ousmane Sonko, leader du parti politique Pastef/Les Patriotes, avait pris l’engagement, conformément aux conseils de son marabout et de ses avocats, de déférer à la convocation du Juge d’instruction, Mais la controverse sur le chemin à emprunter engendra une situation qui occasionna son arrestation musclée, assortie de l’accusation de trouble à l’ordre public. Il en résulta une vague d’indignation, rapidement transformée en émeutes.
La violence des attaques, leur durée, tout comme le caractère indifférencié des cibles dans de nombreuses villes donnèrent le sentiment d’une situation quasi insurrectionnelle. Le spectacle en était tout simplement désolant : des magasins et stations d’essence pillés, des voitures brûlées, des tribunaux, des structures de santé, des maisons de presse et gendarmerie saccagées. En attendant le bilan financier et matériel à établir, la dizaine de morts et le nombre de blessés sont révélateurs de la folle furie qui s’est emparée des manifestants.
Les proportions atteintes par l’escalade de la violence seront suffisamment alarmantes pour susciter la préoccupation des Nations-Unies, de la CEDEAO et des milieux diplomatiques.
Et pourtant, malgré leur violence sans précédent, ces journées, sous leur double rapport de l’épaisseur républicaine et du degré organisationnel, sont bien en dessous du 23 juin. Les manifestations de 2011 avaient été organisées sous la direction du Mouvement des Forces Vives de la Nation. La représentativité citoyenne avait été d’autant plus garantie que, outre les animateurs de Y en a marre, cette structure unitaire avait été renforcée par le Cadre de Concertation et d’Action de la Société civile, composée par une douzaine de structures, créées par des citoyens de différents horizons. Toutes les actions initiées par le Mouvement avaient été articulées autour du seul et même objectif : défendre la Constitution !
En revanche, si la mobilisation des journées de mars 2021 a été déclenchée par les procédures peu orthodoxes de l’arrestation du député Ousmane Sonko, des manifestants ont vite donné une autre direction au mouvement.
La violence inouïe des attaques des biens d’honnêtes citoyens et des structures susmentionnées attestent des limites aussi bien républicaine qu’organisationnelle.
Une lecture, largement partagée, considère que ces émeutes de mars 2021 est, en vérité, l’expression d’un ras le bol de la jeunesse. Le Président de la République, dans son discours d’apaisement du 08 mars, a fait sienne cette analyse, en s’engageant à répondre favorablement à ce message. Seulement, il convient de faire remarquer que les signaux de détresse de cette frange de la société ne datent pas d'aujourd'hui. Déjà, son prédécesseur avait promis promis de répondre à la requête de ces jeunes qui, sous le mandat d’Abdou Diouf, se qualifiaient d’être nés retraités.
Ce sont les cadets de ces jeunes de 2000, qui ont contribué à porter installer Macky Sall au pouvoir qui lui renouvellent leurs puissants signaux de détresse. Certes, il a dédié une panoplie de structures à la jeunesse. Mais, aujourd'hui, le fait que celle-ci manifeste sa colère avec autant de vigueur révèle que leur efficacité reste à prouver.
Au demeurant, cette lecture des émeutes comme manifestation de la colère des jeunes, au risque d’être réductrice, doit intégrer aussi les contradictions qui structurent les rapports entre l’opposition politique et la mouvance présidentielle.
Dès la réélection de Macky Sall, l’opposition politique a douté de sa volonté de ne pas briguer un troisième mandat. Pour preuve, il aurait usé du bâton et de la carotte pour réaliser son objectif de la « réduire à sa plus simple expression ». Partant, le Président Sall aurait recours aussi bien aux péripéties politico-judiciaires qu’à l’accueil dans l’espace présidentiel de certaines figures de proue de l’opposition. Ainsi, « l’affaire Sonko » ne serait qu’un remake des cas Karim Wade et Khalifa Sall.
Ces deux facteurs, conjugués au ras le bol général d’une population éprouvée par la double crise économique et sanitaire, expliquent la singularité de la violence de ces journées.
Le Chef de l’État invite, à juste raison, les Sénégalais d’éviter de s’installer dans la logique de la confrontation. Mais toute la question est de savoir comment éviter de créer les conditions de recours à cette logique pernicieuse. Le pouvoir saura-t-il faire preuve de suffisamment de réalisme pour renouer avec l’idéal originel de l’Alternance politique ? L ’opposition sera –elle bien inspirée, pour, au-delà de son consensus du moment, soumettre à l’examen de ses compatriotes un programme alternatif ?
En attendant, que le cours politique fournisse des réponses à ces interrogations, il importe de revenir sur cet acquis démocratique le plus menacé durant ces chaudes journées, à savoir le droit des Sénégalais à une information plurielle.
En plus de l’attaque subie par la radio RFM et le quotidien le Soleil, le signal de Sen Tv et de Walf TV a été tout simplement coupé par le CNRA qui les somme « à cesser la couverture irresponsable de la situation ». Si le saccage des maisons de presse, peut être mis, jusqu’à preuve du contraire, à l’actif des vandales, la mesure prise par l’organe régulateur pose un sérieux problème d’accès à l’information. La sanction retenue par cet « organe chargé de faire respecter les règles de pluralisme, d’éthique et de déontologie » aurait dû être appliquée en toute rigueur à la RTS qui a opté de faire un blackout total « de la situation ».
Or, elle est un service public dont le fonctionnement est assuré par l’argent du contribuable qui, en contrepartie, s’attend à bénéficier d’un accès libre à l’information. Cette décision de CNRA est d’autant plus condamnable qu’elle tente de ramener le Sénégal au moins 20 ans en arrière. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les termes de ces échanges entre le Président Diouf et Sidi Lamine Niasse. Ce dernier, reçu en audience au Palais eut droit à cet accueil : « un journal incendiaire, une radio incendiaire ! » Et à l’homme de presse de répondre : « Si votre objectif est de rester au pouvoir et de le concentrer entre vos mains, vous pouvez nous considérer comme un obstacle. En revanche, si votre objectif est de rendre à la postérité un État démocratique, (…), fut- ce au prix de votre départ, nous (les médias) jouons un rôle de stabilité et de sécurité du pays. » C’était en décembre 1999 !
Depuis, des professionnels de l’information et de la communication se sont battus pour rendre effectif le pluralisme médiatique. Partant, Ainsi, contribution a été décisive dans l’exercice du droit à l’information et dans la maturation citoyenne des Sénégalais. Quoique traversée par certaines perversions, la presse demeure aujourd'hui encore l’un des remparts les plus solides contre les dérives autoritaristes.
Le Sénégal d’aujourd’hui est en déficit de ce sens de la limite, si fondateur de l’humain qu’il n’est toujours forcément écrit : « xamal lunu la waxul… xamal bi ci yam ». Dans les sociétés démocratiques, ce sens des limites s’exprime par la générosité républicaine que gouverne le principe de préférence de l’intérêt général par rapport à l’intérêt particulier. Et l’unique moyen d’inculquer à nos compatriotes cette valeur est l'instruction civique. Il revient à tous les Sénégalais et, au premier chef, à ceux qui nous gouvernent, de promouvoir le sens civique par l’exemplarité des actes qu’ils posent individuellement et collectivement.
Ce principe républicain nous met en demeure de veiller scrupuleusement au respect des personnes et de leurs biens, à la gestion des deniers publics et au partage équitable des richesses du pays. Il nous incite à exploiter nos différentes ressources, en pensant à offrir aux générations futures la possibilité de vivre décemment.
Alpha Amadou SY,
Philosophe/Ecrivan