« Une idée me tourmentait depuis longtemps, mais je craignais d’en faire un roman parce que l’idée est trop difficile et que je n’y suis pas préparé, bien que l’idée soit tout à fait séduisante et bien que je l’aime. Cette idée consiste à représenter un homme complètement beau », Fiodor Dostoïevski.
Tous les grands hommes ont une dimension romanesque. Nelson Mandela n’échappe certainement pas à la règle. Il a ceci de Dostoïevskien d’avoir été en butte permanente aux tribulations du destin. Sans être un héros de la tragédie grecque ou un personnage shakespearien qui n’a « aucun » empire sur les choses, Mandela a ceci de « mystique » d’avoir traversé une montagne de feu sans être défiguré comme les personnages du grand écrivain russe. Mandela est un revenant. Ceux qui reviennent en savent bien des choses. Tout le secret de la beauté de l’homme est là. La beauté de la vie, la beauté de ceux qui ont mis en jeu leur vie. La beauté de ceux qui ont tutoyé la mort. Mandela a connu « l’avération de la mort », expression hégélienne qui sied parfaitement à la vie de l’homme. C’est « seulement par la mise en jeu de la vie qu’est éprouvée et avérée la liberté. L’individu qui n’a pas mis en jeu sa vie peut, certes, être reconnu comme personne ; mais il n’est pas parvenu à la vérité de cette reconnaissance, comme étant une conscience de soi autonome » a dit justement le philosophe allemand.
Tout nègre qu’il est, Mandela possède cette beauté complètement apollinienne qui a fait tant défaut à Jules César et Napoléon Bonaparte. Si Léon Tolstoï a dit que « La grandeur de Napoléon, César ou Washington n’est qu’un rayon de lune à coté du soleil de LINCOLN » c’est parce que César et Napoléon ont tous les deux une dimension dionysiaque, cette face nocturne, tumultueuse, ce génie maléfique, ce désir de donner la mort dont Lincoln et Mandela étaient fort éloignés. Voilà la ressemblance entre les deux hommes. Entre temps il y a eu deux fabuleux intermèdes, ceux de Mahatma Gandhi et Martin Luther King. Nelson Mandela et Abraham Lincoln ont ceci de particulier d’avoir combattu la discrimination raciale. Bref, tous ces quatre grands hommes de l’histoire moderne se sont distingués par leur opposition farouche à la ségrégation raciale, la fracture économique, l’inégalité entre les hommes et la haine qui détruit le cœur et souille les âmes appelées à de grandes œuvres.
Mais tous les hommes illustres ne sont pas forcément grands. La grandeur est par nature essentiellement morale. Mandela est à la fois illustre et grand, il est la beauté faite homme. A ce propos lisez les monumentales « Vies parallèles des hommes illustres » de Plutarque. Cicéron et Démosthène sont les illustres orateurs de l’antiquité grecque et romaine mais ils ont tous les deux leur coté infâme. A y voir de très près Mandela fascine par son coté paradoxal. Il est d’autant plus merveilleusement paradoxal et même « anachronique », qu’il représente ce « paradis perdu » de Milton, ce grand leader à la dimension messianique dont on nous dit à tord que le monde n’en a plus besoin. Les hommes désirent toujours ce qu’ils n’ont pas. Ils s’accrochent amoureusement aux basques de l’homme qui par sa posture hiératique leur rappelle le père protecteur.
Mandela aurait pu dans une autre vie ravager le cœur de toutes ces dames qui raffolent de stars. Sa face de boxeur boursoufflée, sa tenue impeccable, sa gouaille formidable ont fait chavirer plus d’un. Mandela avait ce coté dandy qui plaisait à la foule. Toutes les stars de la terre l’ont compris qui ont voulu se faire photographier à ses cotés. Qui a pu oublier cette image de Whitney Houston blottie dans les bras de ce « papi » à la tête complètement chenue ? A propos d’image, La dimension picturale de l’homme est l’un des aspects les plus surprenants de sa personnalité. Mandela est comme incrusté dans la figure du monde. Avec Michael Jackson, Bob Marley, et Che Guevara, il est la plus grande figure de l’iconographie planétaire. Il a par ailleurs inspiré tous les arts. Le Zulu blanc Johnny Clegg s’est distingué par cette chanson devenue un hymne à l’honneur de cet homme sans images pendant vingt sept ans. Ironie de l’histoire ! Quant au cinéaste Clint Eastwood, il a tenté de « capturer » la vie de Mandela à travers son film « Invictus », mais le résultat n’a pas été très fameux malgré l’immense talent du réalisateur de « Million dollars baby ». Il faudra un homme suffisamment haut pour porter Mandela à l’écran. Le génial Stanley Kubrick aurait certainement réussi un grand film sur Mandela. Seul le genre épique, écrit dans un formidable langage cinématographique pourrait satisfaire au grand défi artistique qu’est Mandela. Un Ridley Scott moins grandiloquent ou un cinéaste qui a des références cosmopolites comme les New Yorkais pourrait le faire. Oh si Woody Allen était disposé à réaliser des drames !
Au reste Mandela est un aristocrate en période démocratique, ce qui fait de lui un homme du « passé ». Aussi a-t-il défié le temps en enjambant le 20ème siècle. Il faut à la vérité dire que le culte de la grandeur n’est pas l’une des valeurs privilégiée de la démocratie. L’individualisme démocratique des sociétés post-modernes agit contre la grandeur. Toutefois Mandela est un homme simple, il n’a pas grand chose à voir avec des guerriers comme Napoléon, Jules César ou Alexandre de Russie. Il a la grandeur de l’homme du peuple, le héros quotidien même s’il a du sang royal. Il est la figure « simple, modeste, et par conséquent vraiment grande » de Koutouzov, le héros si l’on peut dire de « Guerre et Paix ».
Mais disons-le, Nelson Mandela est une figure noire, il est le nègre fondamental nonobstant la tentative éhontée de le couler aujourd’hui dans un universalisme décoloré sous prétexte qu’il a pardonné. Depuis que notre héros est passé de vie à trépas les média « occidentaux » occultent sa dimension africaine, politique et anti-coloniale. S’il a fait vingt sept ans de prison c’est parce qu’il est noir tout de même!
L’on veut aujourd’hui enlever toute dimension chromatique à la question Mandela. C’est ridicule ! Décidément la déracialisation peut pendre des tournures surréalistes surtout venant des « occidentaux ». Les africains doivent rester vigilants. Nos amis du Nord ont une expérience séculaire de la réécriture subtile de l’histoire. Lisez « L’orientalisme » d’Edward Saïd. Les racistes sont « indécrottables ». Ils ont le génie de cacher la nuit dans le jour. Ceux qui ont inventé l’idéologie qui est le fondement de l’Apartheid, on les entend aujourd’hui verser dans la poésie à l’eau de rose soi-disant pour saluer la mémoire de l’homme qu’ils ont voulu détruire. Décidément Tzvetan Todorov a eu raison d’écrire « l’Homme n’est pas perfectible», une manière de répondre et rendre hommage à Primo Lévi, cette autre victime de l’innommable qui a désespéré de l’homme en se donnant la mort. Si l’on y pend garde la généalogie de la conscience noire va être brouillée sous prétexte d’universalisme.
La déracialisation que l’on entend aujourd’hui n’a rien à voire avec la conception fanonienne de l’abolition de la race en tant qu’élément constitutif de la structure mentale du colonialisme. De ce point de vue Mandela est une grande figure de la décolonisation dont l’idée fondamentale est « la déclosion du monde », le surgissement d’une pensée insurrectionnelle qui secoue la terre et lui rappelle notre commune « similarité fondamentale ». Alors, de ce strict point de vue, la race n’a plus de sens. Elle devient cette «région extraordinairement stérile et aride » selon l’expression de Franz Fanon. Et Mandela par son pardon, presque christique, enjambe la race et nous révèle une Afrique du sud qui peut être le « laboratoire » de l’éclosion d’une nouvelle humanité. A ce propos lisez « Sortir de la grande nuit » d’Achille Mbembe.
Dans tous les cas, l’homme-Mandela est un personnage historique qui, a déconstruit la politique. Il a porté le pouvoir sur ses grandes épaules avec beaucoup de défiance et de « désinvolture ». Avec Mandela le pouvoir se détache de la mort, cette attitude nécro-politique bien habituelle des satrapies nègres. Chez Mandela le pouvoir signifie jaillissement, déclosion et renaissance. Un message à méditer ! Mais il n’était pas seul au combat. Il a rayonné sur d’autres grands combattants comme les valeureux Walter Sisulu, Oliver Tambo, Winnie, Desmond Tutu, Ahmed Kathrada et Marc Maharaj.
Aujourd’hui il gît auprès des grandes figures du panthéon nègre : Toussaint Louverture, Martin Luther King, Malcom X, Frederick Douglass, Rosa Park, Steve Biko, Benjamin Moloïse, Ruben Um Nyobe, William Dubois, Marcus Garvey, Franz Fanon, Aimé Césaire, Nkwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Edouardo Mondlane et Thomas Sankara et bien d’autres. Adieu Madiba !
Khalifa Touré
Sidimohamedkhalifa72@gmail.com
776151166/709341367
Tous les grands hommes ont une dimension romanesque. Nelson Mandela n’échappe certainement pas à la règle. Il a ceci de Dostoïevskien d’avoir été en butte permanente aux tribulations du destin. Sans être un héros de la tragédie grecque ou un personnage shakespearien qui n’a « aucun » empire sur les choses, Mandela a ceci de « mystique » d’avoir traversé une montagne de feu sans être défiguré comme les personnages du grand écrivain russe. Mandela est un revenant. Ceux qui reviennent en savent bien des choses. Tout le secret de la beauté de l’homme est là. La beauté de la vie, la beauté de ceux qui ont mis en jeu leur vie. La beauté de ceux qui ont tutoyé la mort. Mandela a connu « l’avération de la mort », expression hégélienne qui sied parfaitement à la vie de l’homme. C’est « seulement par la mise en jeu de la vie qu’est éprouvée et avérée la liberté. L’individu qui n’a pas mis en jeu sa vie peut, certes, être reconnu comme personne ; mais il n’est pas parvenu à la vérité de cette reconnaissance, comme étant une conscience de soi autonome » a dit justement le philosophe allemand.
Tout nègre qu’il est, Mandela possède cette beauté complètement apollinienne qui a fait tant défaut à Jules César et Napoléon Bonaparte. Si Léon Tolstoï a dit que « La grandeur de Napoléon, César ou Washington n’est qu’un rayon de lune à coté du soleil de LINCOLN » c’est parce que César et Napoléon ont tous les deux une dimension dionysiaque, cette face nocturne, tumultueuse, ce génie maléfique, ce désir de donner la mort dont Lincoln et Mandela étaient fort éloignés. Voilà la ressemblance entre les deux hommes. Entre temps il y a eu deux fabuleux intermèdes, ceux de Mahatma Gandhi et Martin Luther King. Nelson Mandela et Abraham Lincoln ont ceci de particulier d’avoir combattu la discrimination raciale. Bref, tous ces quatre grands hommes de l’histoire moderne se sont distingués par leur opposition farouche à la ségrégation raciale, la fracture économique, l’inégalité entre les hommes et la haine qui détruit le cœur et souille les âmes appelées à de grandes œuvres.
Mais tous les hommes illustres ne sont pas forcément grands. La grandeur est par nature essentiellement morale. Mandela est à la fois illustre et grand, il est la beauté faite homme. A ce propos lisez les monumentales « Vies parallèles des hommes illustres » de Plutarque. Cicéron et Démosthène sont les illustres orateurs de l’antiquité grecque et romaine mais ils ont tous les deux leur coté infâme. A y voir de très près Mandela fascine par son coté paradoxal. Il est d’autant plus merveilleusement paradoxal et même « anachronique », qu’il représente ce « paradis perdu » de Milton, ce grand leader à la dimension messianique dont on nous dit à tord que le monde n’en a plus besoin. Les hommes désirent toujours ce qu’ils n’ont pas. Ils s’accrochent amoureusement aux basques de l’homme qui par sa posture hiératique leur rappelle le père protecteur.
Mandela aurait pu dans une autre vie ravager le cœur de toutes ces dames qui raffolent de stars. Sa face de boxeur boursoufflée, sa tenue impeccable, sa gouaille formidable ont fait chavirer plus d’un. Mandela avait ce coté dandy qui plaisait à la foule. Toutes les stars de la terre l’ont compris qui ont voulu se faire photographier à ses cotés. Qui a pu oublier cette image de Whitney Houston blottie dans les bras de ce « papi » à la tête complètement chenue ? A propos d’image, La dimension picturale de l’homme est l’un des aspects les plus surprenants de sa personnalité. Mandela est comme incrusté dans la figure du monde. Avec Michael Jackson, Bob Marley, et Che Guevara, il est la plus grande figure de l’iconographie planétaire. Il a par ailleurs inspiré tous les arts. Le Zulu blanc Johnny Clegg s’est distingué par cette chanson devenue un hymne à l’honneur de cet homme sans images pendant vingt sept ans. Ironie de l’histoire ! Quant au cinéaste Clint Eastwood, il a tenté de « capturer » la vie de Mandela à travers son film « Invictus », mais le résultat n’a pas été très fameux malgré l’immense talent du réalisateur de « Million dollars baby ». Il faudra un homme suffisamment haut pour porter Mandela à l’écran. Le génial Stanley Kubrick aurait certainement réussi un grand film sur Mandela. Seul le genre épique, écrit dans un formidable langage cinématographique pourrait satisfaire au grand défi artistique qu’est Mandela. Un Ridley Scott moins grandiloquent ou un cinéaste qui a des références cosmopolites comme les New Yorkais pourrait le faire. Oh si Woody Allen était disposé à réaliser des drames !
Au reste Mandela est un aristocrate en période démocratique, ce qui fait de lui un homme du « passé ». Aussi a-t-il défié le temps en enjambant le 20ème siècle. Il faut à la vérité dire que le culte de la grandeur n’est pas l’une des valeurs privilégiée de la démocratie. L’individualisme démocratique des sociétés post-modernes agit contre la grandeur. Toutefois Mandela est un homme simple, il n’a pas grand chose à voir avec des guerriers comme Napoléon, Jules César ou Alexandre de Russie. Il a la grandeur de l’homme du peuple, le héros quotidien même s’il a du sang royal. Il est la figure « simple, modeste, et par conséquent vraiment grande » de Koutouzov, le héros si l’on peut dire de « Guerre et Paix ».
Mais disons-le, Nelson Mandela est une figure noire, il est le nègre fondamental nonobstant la tentative éhontée de le couler aujourd’hui dans un universalisme décoloré sous prétexte qu’il a pardonné. Depuis que notre héros est passé de vie à trépas les média « occidentaux » occultent sa dimension africaine, politique et anti-coloniale. S’il a fait vingt sept ans de prison c’est parce qu’il est noir tout de même!
L’on veut aujourd’hui enlever toute dimension chromatique à la question Mandela. C’est ridicule ! Décidément la déracialisation peut pendre des tournures surréalistes surtout venant des « occidentaux ». Les africains doivent rester vigilants. Nos amis du Nord ont une expérience séculaire de la réécriture subtile de l’histoire. Lisez « L’orientalisme » d’Edward Saïd. Les racistes sont « indécrottables ». Ils ont le génie de cacher la nuit dans le jour. Ceux qui ont inventé l’idéologie qui est le fondement de l’Apartheid, on les entend aujourd’hui verser dans la poésie à l’eau de rose soi-disant pour saluer la mémoire de l’homme qu’ils ont voulu détruire. Décidément Tzvetan Todorov a eu raison d’écrire « l’Homme n’est pas perfectible», une manière de répondre et rendre hommage à Primo Lévi, cette autre victime de l’innommable qui a désespéré de l’homme en se donnant la mort. Si l’on y pend garde la généalogie de la conscience noire va être brouillée sous prétexte d’universalisme.
La déracialisation que l’on entend aujourd’hui n’a rien à voire avec la conception fanonienne de l’abolition de la race en tant qu’élément constitutif de la structure mentale du colonialisme. De ce point de vue Mandela est une grande figure de la décolonisation dont l’idée fondamentale est « la déclosion du monde », le surgissement d’une pensée insurrectionnelle qui secoue la terre et lui rappelle notre commune « similarité fondamentale ». Alors, de ce strict point de vue, la race n’a plus de sens. Elle devient cette «région extraordinairement stérile et aride » selon l’expression de Franz Fanon. Et Mandela par son pardon, presque christique, enjambe la race et nous révèle une Afrique du sud qui peut être le « laboratoire » de l’éclosion d’une nouvelle humanité. A ce propos lisez « Sortir de la grande nuit » d’Achille Mbembe.
Dans tous les cas, l’homme-Mandela est un personnage historique qui, a déconstruit la politique. Il a porté le pouvoir sur ses grandes épaules avec beaucoup de défiance et de « désinvolture ». Avec Mandela le pouvoir se détache de la mort, cette attitude nécro-politique bien habituelle des satrapies nègres. Chez Mandela le pouvoir signifie jaillissement, déclosion et renaissance. Un message à méditer ! Mais il n’était pas seul au combat. Il a rayonné sur d’autres grands combattants comme les valeureux Walter Sisulu, Oliver Tambo, Winnie, Desmond Tutu, Ahmed Kathrada et Marc Maharaj.
Aujourd’hui il gît auprès des grandes figures du panthéon nègre : Toussaint Louverture, Martin Luther King, Malcom X, Frederick Douglass, Rosa Park, Steve Biko, Benjamin Moloïse, Ruben Um Nyobe, William Dubois, Marcus Garvey, Franz Fanon, Aimé Césaire, Nkwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral, Edouardo Mondlane et Thomas Sankara et bien d’autres. Adieu Madiba !
Khalifa Touré
Sidimohamedkhalifa72@gmail.com
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