Lorsqu’on parle de Saint-Louis, il est de bon ton d’user de métaphores : « la ville tricentenaire », « la vieille cité », « la ville de Mame coumba bang », pour ne citer que les plus connues, qui sont autant de manières d’évoquer son riche patrimoine historique, culturel et architectural.
Je ne m’étendrai pas sur la composante matérielle de ce patrimoine : elle est déjà inscrite dans la pierre des édifices et des maisons, dans la splendeur des balcons torsadés en fer forgé, des fenêtres en ogives et des portails des « maisons portugaises » que l’on peut admirer à loisir, pour peu que l’on se donne la peine de déambuler dans les rues et les venelles des quartiers Loodo et Sindooné sur l’île de Ndar qui est le cœur de la ville.
Je jetterai plutôt un regard sur cet autre aspect du patrimoine que l’on qualifie d’ « immatériel » car il se manifeste essentiellement dans les créations collectives du folklore, les chants, les danses, la poésie orale et dans les « œuvres de beauté » d’une manière générale. A ce propos je citerai en référence le magnifique ouvrage de la doyenne Adjaratou Fatou Niang Siga, « Reflets de mode et traditions Saint-louisiennes » dans lequel sont minutieusement répertoriés et décrits les arts de la coiffure, de la vêture, du tatouage et de l’iconographie tels qu’ils se sont manifestés à Saint-Louis pendant la colonisation.
Je mentionnerai sans toutefois m’y attarder le fanal, le « simb » ou jeu du faux-lion, et les régates qui sont aussi des spécificités bien saint-louisiennes des arts vivants. Le volet du patrimoine immatériel sur lequel je voudrais davantage me focaliser et que, personnellement, je considère comme en étant la quintessence, concerne la littérature et la production littéraire propres à Saint-Louis.
En effet, et cela on l’oublie malheureusement trop souvent, Saint-Louis est une ville éminemment « littéraire », qui a enregistré les premiers balbutiements et vu naître les premières œuvres de notre littérature moderne et nationale, notamment avec « Les trois volontés de Malick » du gandiolais Amadou Mapathé Diagne, publié aux éditions Larose de Paris en 1918, « Force-Bonté » du tirailleur Bakari Diallo également natif de Saint-Louis, sans oublier le roman éponyme « Karim » de Ousmane Socé Diop, publié en 1935 et considéré comme la pierre angulaire de la littérature Sénégalaise « d’expression française ».
C’est d’ailleurs de « Karim » qu’est tirée la célèbre phrase, si chère au cœur des Saint-louisiens : « Saint-Louis du Sénégal, vieille ville française, centre de l’élégance et du bon goût Sénégalais ». Berceau de la littérature Sénégalaise donc, Saint-Louis en est aujourd’hui encore l’épicentre, si l’on s’en réfère à la qualité de la production littéraire locale et au nombre d’écrivains qui y résident et qui fait que « Saint-Louis a le plus nombre d’écrivains au kilomètre carré du Sénégal » comme aime le dire avec humour mon confrère Cheikhou Diakité auteur de « Nafi ou la Saint-Louisienne »).
Saint-Louis, et cela il ne faut pas l’oublier, est la ville qui a vu naître certains des plus brillants hommes de lettres de ce pays et des noms tels que Amadou Mapathé Diagne, Bakary Diallo, Amadou Dugay Cledor Ndiaye, Charles Carrère, Lamine Diakhaté, Ibrahima Sourang, Malick Fall, nos aînés et précurseurs, devraient encore aujourd’hui résonner dans la mémoire collective Saint-louisienne.
La littérature féminine s’honore également de posséder des figures de proue telles que Adjaratou Fatou Niang Siga, Aminata Sow Fall et Amina Sow Mbaye dont les œuvres de haute facture sont imprégnées des valeurs éthiques et esthétiques de leur terroir Saint-Louisien.
Le dernier point sur lequel je voudrais clore cette brève réflexion, qui se veut aussi une sorte de devoir de mémoire et qui n’a nullement la prétention d’être exhaustive, portera sur une autre facette particulière, pour ne pas dire singulière, de ce que nous conviendrons d’appeler la « littérature Saint-Louisienne et ses écrivains » pour paraphraser l’intitulé de la thèse de doctorat du troisième cycle de Madame Ndeye Astou Gueye soutenue avec brio à l’Université Gaston Berger en 2012.
Cette « particularité » propre à la « littérature Saint-louisienne », réside dans le fait qu’il existe un important corpus de textes dont la caractéristique principale est la localisation de l’espace textuel dans le cadre spatio-temporel de Saint-Louis. Ces textes produits aussi bien par des natifs de Saint-Louis que par des « étrangers » est aussi la preuve que Saint-Louis est une ville « métisse », multiculturelle, ouverte sur le monde mais aussi enracinée dans ses valeurs endogènes. De « La chaumière africaine » de Charlotte Dard à « Nafi ou la Saint-louisienne » de Cheikhou Diakité en passant par « Signare Anna » de Tita Mandeleau ou « La plaie » de Malick Fall, ce ne sont pas moins d’une trentaine de romans, qui ont pour toile de fond la ville de Saint-Louis, qui constituent ce remarquable corpus dont Saint-Louis peut également s’enorgueillir. Peu de villes peuvent se targuer d’avoir été la source d’inspiration d’autant d’œuvres de fiction d’une qualité littéraire incontestable.
Des recherches personnelles menées avec la collaboration de la librairie numérique « Soumbala » de Daniel et Alix Mignot m’ont permis de découvrir d’autres romans « Saint-louisiens » datant de l’époque coloniale. Par ailleurs La littérature « Saint-louisienne » ne cesse de s’étoffer avec le temps, grâce à la publication de nouvelles œuvres de fiction sans doute inspirées à leurs auteurs par « le souffle créateur de Mame Coumba Bang ».
Parmi elles, il me plaît de citer le dernier roman de votre serviteur « Au dessus des dunes » paru aux éditions Athena-edif en décembre 2014. Même s’il ne s’agit pas de romans et qu’ils ne peuvent donc pas être classés parmi les œuvres de fiction littéraire, il convient néanmoins de citer les ouvrages du philosophe Amadou Alpha, Sy auteur d’un essai intitulé « L’imaginaire Saint-Louisien », du colonel Moumar Gueye et de l’historien Malick Diarra tous deux auteurs de récits autobiographiques intitulés respectivement « Itinéraires d’un Saint-louisien » et « L’enfant de Balakos ».
Nous n’oublierons pas non plus le recueil de poèmes au titre évocateur d’Elie-Charles Moreau « Saint-Louis est un infini poème ».
Je terminerai ce rapide survol de la « littérature Saint-Louisienne » par un appel à tous les Saint-Louisiens et amoureux de Saint-Louis à s’intéresser davantage à ce qui constitue une part importante de leur patrimoine artistique et intellectuel. J’invite par la même occasion les autorités de la commune à s’impliquer davantage dans la défense et la valorisation de la littérature locale, élément moteur du patrimoine immatériel, car c’est à elles qu’incombent les tâches de mise en œuvre d’un programme et d’un agenda conséquents dans le cadre de la politique générale de décentralisation et de transfert des compétences à l’échelle des régions.
Saint-Louis mérite et doit avoir une bibliothèque municipale qui serait une vitrine de la production littéraire endogène et du patrimoine intellectuel, artistique et spirituel de notre ville. Dans le lot des mesures à prendre devrait également figurer une présence plus effective et un appui logistique plus significatif à la fête internationale du livre tenue à bout de bras par le Cercle des écrivains et poètes de Saint-Louis depuis cinq bonnes années.
Nous Saint-Louisiens ne devons surtout pas oublier que la culture est « au début et à la fin du développement » et que la littérature a toute sa place dans le processus de relance économique et culturel de la cité de Mame Coumba Bang. La réflexion reste ouverte à ce niveau et c’est pourquoi je voudrais terminer la mienne en laissant le dernier mot (sublime il faut en convenir !) à un illustre aîné et grand écrivain Saint-louisien, je veux nommer Malick Fall, dont le chef d’œuvre « La plaie » a été réédité et c’est tout à leur honneur, par les éditions « Jimsaan » :
« Arrivé au bout de la rue, Magamou bifurqua à droite, laissant derrière lui l’hôpital, le quartier sud ; au loin le cimetière musulman. Il fit une pause ; le vent l’avait épuisé. Appuyé sur une palissade, il regarda droit devant lui : le fleuve roulait des vaguelettes tumultueuses ; des pirogues cavalaient sur leurs crêtes, bondissantes et frêles ; des adolescents narguaient les flots, passant d’une rive à l’autre avec une aisance de mouette. On ne voyait pas l’océan mais on le sentait : l’embrun saupoudrait les cases, l’air était salé. La rumeur caractéristique de l’Atlantique en février tempérait, s’il ne les couvrait, les mille voix surgies d’on ne savait où. Le ciel était d’un bleu pâli, incendié par endroits. Des jeunes gens passaient, visiblement heureux. Des vieillards devisaient dans les mosquées de fortune, en plein air. Des coquettes roulaient des hanches, la bouche rieuse. Des ouvriers s’époumonaient, rythmant leur travail. Ni pleurs, ni cris, ni plaintes : Ndar vivait, tel qu’en lui-même, Magamou l’avait toujours souhaité. Ses yeux (le bon et le mauvais) s’embuèrent. Il était donc attaché à cette vieille ville où le vie coulait, paresseuse, capricieuse, souvent pleine, parfois héroïque. Il pensa que pour le défendre, des hommes généreux avaient épuisé le ridicule, allant jusqu’à dénaturer le sens des élections municipales par le truchement de motifs et de mots d’ordre singuliers, à l’image de son propre destin. Magamou reprit sa marche. Il luttait contre lui-même, contre sa détermination subitement chancelante. On ne quitte pas une amante, de gaieté de cœur. Ndar est une amante : son île en est le cœur, ses faubourgs, les jambes galbées, les bras séduisants. Ndar vous émerveille, le jour et vous envoûte, la nuit. Elle est ville pieuse, elle est ville païenne. Elle a une âme multiple. Elle est une mère qui essaime ses enfants, qui les rassemble une fois l’an, aux festivités d’août. On ne quitte ni l’amante ni la mère sans un sentiment de culpabilité. » ( Malick Fall, « La plaie » Ed. Jimsaan)
Louis Camara, Écrivain, « Le conteur d’Ifa »
Grand prix du président de la république pour les lettres
Lauréat du prix de la meilleure nouvelle de la fondation Léopold Sédar Senghor
Lauréat du concours de poésie Haï-Ku de l’ambassade du Japon
Je ne m’étendrai pas sur la composante matérielle de ce patrimoine : elle est déjà inscrite dans la pierre des édifices et des maisons, dans la splendeur des balcons torsadés en fer forgé, des fenêtres en ogives et des portails des « maisons portugaises » que l’on peut admirer à loisir, pour peu que l’on se donne la peine de déambuler dans les rues et les venelles des quartiers Loodo et Sindooné sur l’île de Ndar qui est le cœur de la ville.
Je jetterai plutôt un regard sur cet autre aspect du patrimoine que l’on qualifie d’ « immatériel » car il se manifeste essentiellement dans les créations collectives du folklore, les chants, les danses, la poésie orale et dans les « œuvres de beauté » d’une manière générale. A ce propos je citerai en référence le magnifique ouvrage de la doyenne Adjaratou Fatou Niang Siga, « Reflets de mode et traditions Saint-louisiennes » dans lequel sont minutieusement répertoriés et décrits les arts de la coiffure, de la vêture, du tatouage et de l’iconographie tels qu’ils se sont manifestés à Saint-Louis pendant la colonisation.
Je mentionnerai sans toutefois m’y attarder le fanal, le « simb » ou jeu du faux-lion, et les régates qui sont aussi des spécificités bien saint-louisiennes des arts vivants. Le volet du patrimoine immatériel sur lequel je voudrais davantage me focaliser et que, personnellement, je considère comme en étant la quintessence, concerne la littérature et la production littéraire propres à Saint-Louis.
En effet, et cela on l’oublie malheureusement trop souvent, Saint-Louis est une ville éminemment « littéraire », qui a enregistré les premiers balbutiements et vu naître les premières œuvres de notre littérature moderne et nationale, notamment avec « Les trois volontés de Malick » du gandiolais Amadou Mapathé Diagne, publié aux éditions Larose de Paris en 1918, « Force-Bonté » du tirailleur Bakari Diallo également natif de Saint-Louis, sans oublier le roman éponyme « Karim » de Ousmane Socé Diop, publié en 1935 et considéré comme la pierre angulaire de la littérature Sénégalaise « d’expression française ».
C’est d’ailleurs de « Karim » qu’est tirée la célèbre phrase, si chère au cœur des Saint-louisiens : « Saint-Louis du Sénégal, vieille ville française, centre de l’élégance et du bon goût Sénégalais ». Berceau de la littérature Sénégalaise donc, Saint-Louis en est aujourd’hui encore l’épicentre, si l’on s’en réfère à la qualité de la production littéraire locale et au nombre d’écrivains qui y résident et qui fait que « Saint-Louis a le plus nombre d’écrivains au kilomètre carré du Sénégal » comme aime le dire avec humour mon confrère Cheikhou Diakité auteur de « Nafi ou la Saint-Louisienne »).
Saint-Louis, et cela il ne faut pas l’oublier, est la ville qui a vu naître certains des plus brillants hommes de lettres de ce pays et des noms tels que Amadou Mapathé Diagne, Bakary Diallo, Amadou Dugay Cledor Ndiaye, Charles Carrère, Lamine Diakhaté, Ibrahima Sourang, Malick Fall, nos aînés et précurseurs, devraient encore aujourd’hui résonner dans la mémoire collective Saint-louisienne.
La littérature féminine s’honore également de posséder des figures de proue telles que Adjaratou Fatou Niang Siga, Aminata Sow Fall et Amina Sow Mbaye dont les œuvres de haute facture sont imprégnées des valeurs éthiques et esthétiques de leur terroir Saint-Louisien.
Le dernier point sur lequel je voudrais clore cette brève réflexion, qui se veut aussi une sorte de devoir de mémoire et qui n’a nullement la prétention d’être exhaustive, portera sur une autre facette particulière, pour ne pas dire singulière, de ce que nous conviendrons d’appeler la « littérature Saint-Louisienne et ses écrivains » pour paraphraser l’intitulé de la thèse de doctorat du troisième cycle de Madame Ndeye Astou Gueye soutenue avec brio à l’Université Gaston Berger en 2012.
Cette « particularité » propre à la « littérature Saint-louisienne », réside dans le fait qu’il existe un important corpus de textes dont la caractéristique principale est la localisation de l’espace textuel dans le cadre spatio-temporel de Saint-Louis. Ces textes produits aussi bien par des natifs de Saint-Louis que par des « étrangers » est aussi la preuve que Saint-Louis est une ville « métisse », multiculturelle, ouverte sur le monde mais aussi enracinée dans ses valeurs endogènes. De « La chaumière africaine » de Charlotte Dard à « Nafi ou la Saint-louisienne » de Cheikhou Diakité en passant par « Signare Anna » de Tita Mandeleau ou « La plaie » de Malick Fall, ce ne sont pas moins d’une trentaine de romans, qui ont pour toile de fond la ville de Saint-Louis, qui constituent ce remarquable corpus dont Saint-Louis peut également s’enorgueillir. Peu de villes peuvent se targuer d’avoir été la source d’inspiration d’autant d’œuvres de fiction d’une qualité littéraire incontestable.
Des recherches personnelles menées avec la collaboration de la librairie numérique « Soumbala » de Daniel et Alix Mignot m’ont permis de découvrir d’autres romans « Saint-louisiens » datant de l’époque coloniale. Par ailleurs La littérature « Saint-louisienne » ne cesse de s’étoffer avec le temps, grâce à la publication de nouvelles œuvres de fiction sans doute inspirées à leurs auteurs par « le souffle créateur de Mame Coumba Bang ».
Parmi elles, il me plaît de citer le dernier roman de votre serviteur « Au dessus des dunes » paru aux éditions Athena-edif en décembre 2014. Même s’il ne s’agit pas de romans et qu’ils ne peuvent donc pas être classés parmi les œuvres de fiction littéraire, il convient néanmoins de citer les ouvrages du philosophe Amadou Alpha, Sy auteur d’un essai intitulé « L’imaginaire Saint-Louisien », du colonel Moumar Gueye et de l’historien Malick Diarra tous deux auteurs de récits autobiographiques intitulés respectivement « Itinéraires d’un Saint-louisien » et « L’enfant de Balakos ».
Nous n’oublierons pas non plus le recueil de poèmes au titre évocateur d’Elie-Charles Moreau « Saint-Louis est un infini poème ».
Je terminerai ce rapide survol de la « littérature Saint-Louisienne » par un appel à tous les Saint-Louisiens et amoureux de Saint-Louis à s’intéresser davantage à ce qui constitue une part importante de leur patrimoine artistique et intellectuel. J’invite par la même occasion les autorités de la commune à s’impliquer davantage dans la défense et la valorisation de la littérature locale, élément moteur du patrimoine immatériel, car c’est à elles qu’incombent les tâches de mise en œuvre d’un programme et d’un agenda conséquents dans le cadre de la politique générale de décentralisation et de transfert des compétences à l’échelle des régions.
Saint-Louis mérite et doit avoir une bibliothèque municipale qui serait une vitrine de la production littéraire endogène et du patrimoine intellectuel, artistique et spirituel de notre ville. Dans le lot des mesures à prendre devrait également figurer une présence plus effective et un appui logistique plus significatif à la fête internationale du livre tenue à bout de bras par le Cercle des écrivains et poètes de Saint-Louis depuis cinq bonnes années.
Nous Saint-Louisiens ne devons surtout pas oublier que la culture est « au début et à la fin du développement » et que la littérature a toute sa place dans le processus de relance économique et culturel de la cité de Mame Coumba Bang. La réflexion reste ouverte à ce niveau et c’est pourquoi je voudrais terminer la mienne en laissant le dernier mot (sublime il faut en convenir !) à un illustre aîné et grand écrivain Saint-louisien, je veux nommer Malick Fall, dont le chef d’œuvre « La plaie » a été réédité et c’est tout à leur honneur, par les éditions « Jimsaan » :
« Arrivé au bout de la rue, Magamou bifurqua à droite, laissant derrière lui l’hôpital, le quartier sud ; au loin le cimetière musulman. Il fit une pause ; le vent l’avait épuisé. Appuyé sur une palissade, il regarda droit devant lui : le fleuve roulait des vaguelettes tumultueuses ; des pirogues cavalaient sur leurs crêtes, bondissantes et frêles ; des adolescents narguaient les flots, passant d’une rive à l’autre avec une aisance de mouette. On ne voyait pas l’océan mais on le sentait : l’embrun saupoudrait les cases, l’air était salé. La rumeur caractéristique de l’Atlantique en février tempérait, s’il ne les couvrait, les mille voix surgies d’on ne savait où. Le ciel était d’un bleu pâli, incendié par endroits. Des jeunes gens passaient, visiblement heureux. Des vieillards devisaient dans les mosquées de fortune, en plein air. Des coquettes roulaient des hanches, la bouche rieuse. Des ouvriers s’époumonaient, rythmant leur travail. Ni pleurs, ni cris, ni plaintes : Ndar vivait, tel qu’en lui-même, Magamou l’avait toujours souhaité. Ses yeux (le bon et le mauvais) s’embuèrent. Il était donc attaché à cette vieille ville où le vie coulait, paresseuse, capricieuse, souvent pleine, parfois héroïque. Il pensa que pour le défendre, des hommes généreux avaient épuisé le ridicule, allant jusqu’à dénaturer le sens des élections municipales par le truchement de motifs et de mots d’ordre singuliers, à l’image de son propre destin. Magamou reprit sa marche. Il luttait contre lui-même, contre sa détermination subitement chancelante. On ne quitte pas une amante, de gaieté de cœur. Ndar est une amante : son île en est le cœur, ses faubourgs, les jambes galbées, les bras séduisants. Ndar vous émerveille, le jour et vous envoûte, la nuit. Elle est ville pieuse, elle est ville païenne. Elle a une âme multiple. Elle est une mère qui essaime ses enfants, qui les rassemble une fois l’an, aux festivités d’août. On ne quitte ni l’amante ni la mère sans un sentiment de culpabilité. » ( Malick Fall, « La plaie » Ed. Jimsaan)
Louis Camara, Écrivain, « Le conteur d’Ifa »
Grand prix du président de la république pour les lettres
Lauréat du prix de la meilleure nouvelle de la fondation Léopold Sédar Senghor
Lauréat du concours de poésie Haï-Ku de l’ambassade du Japon