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Dans un article antérieur (la lutte sénégalaise : à quand la fin de la violence), suite aux altercations sanglantes entre les partisans de Yékini et Balla Gaye 2, j’attirais l’attention sur la recrudescence de la violence autour de la lutte, violence à laquelle nous commençons malheureusement à être habitués à force de sa banalisation abusive : le sang coule, mais on s’en émeut peu, ou l’on exprime notre admiration : « Youbounako ardo » à l’endroit du saigneur de l’arène
Cependant, il y a plus grave : les pratiques mystiques et l’emballement excessif de nos concitoyens.
En effet, quoique faisant partie de notre patrimoine culturel et cultuel longtemps hérité de notre passé, les pratiques mystiques dans la lutte sénégalaise prennent de plus en plus de l’ampleur. Le recours au surnaturel chez les lutteurs devient quasi obsessionnel voir psychopathologique. Jadis, en à croire les anciens gloires, le lutteur use généralement de pratiques mystiques en guise de protection. Aujourd’hui, en plus de la protection, l’on recourt aux usages surnaturels, plus en vue de détruire son adversaire pour vaincre : on se pointe des objets, on se jette des substances mystiques, on s’observe à travers des trous de sandales… Même si on ne comprend pas au fond, l’intention de diriger le mal vers son adversaire est manifeste. Sans compter les préparations bien avant le jour J.
Certes, cette utilisation massive du mystique dont la finalité est de triompher peut s’expliquer par l’importance des enjeux en question : somme d’argents colossale à remporter, statut de champion, sur médiatisation à retombées économiques, phénomène de vedettariat…
Cependant, ces privilèges et honneurs quoique réconfortant, ne sauraient autoriser le recours abusif de pratiques mystiques nocives et souvent contraires à la religion. D’ailleurs, le CNG en avait pris conscience en interdisant le port des bouteilles de 10 litres de bains rituels ou de certains animaux dangereux. C’est salutaire même si c’était pour des raisons de sécurité ou d’économie de temps.
Par ailleurs, on aura remarqué l’internationalisation de l’usage du mystique dans l’arène sénégalais. Car, on n’hésite plus à voyager, comme on sait le faire en politique, à entrer dans les coins et recoins les plus reculés de la terre pour recruter des marabouts et des magiciens étrangers, avec sans doute des génies étrangers pour renforcer l’armada local déjà en œuvre depuis la signature du contrat. Cela dit, de part et d’autre, l’on est prêt à débourser beaucoup d’argents pour les besoins des préparations et des attaques mystiques. Et comme l’adage wolof le dit « ay du yam ci boppu borom » (la guerre ne se limite pas sur les belligérants), les sorts jetés ça et là peuvent atterrir sur n’importe quel quidam, surtout « ceux qui ont les têtes légères », c’est-à-dire les vulnérables.
N’est-ce pas une curieuse coïncidence qu’il y a morts en général après les combats de gros enjeux où les pratiques mystiques sont massivement utilisées ? Des réactions enthousiastes, bien que susceptibles de provoquer des remous au fond du cœur, peuvent-elles toujours expliquer les nombreux cas de crise ou d’arrêt cardiaque chez certains pauvres amateurs ? Mort naturelle comme le dirait le cardiologue en se fondant sur sa sacro-sainte science de médecine ? Ou mort surnaturelle, comme le croirait le fétichiste informé des coups fatals invisibles jetés depuis l’arène ? Il est difficile de trancher. En tout cas la recrudescence des découvertes macabres, à allure de meurtres rituels en dit long sur la présence et la croyance du surnaturel dans notre pays. Si les génies peuvent y entrer inaperçus , doit-on laisser n’importe quel féticheur, magicien ou charlatan de tout acabit passer nos frontières pour exercer sur la terre de nos saints hommes leurs pratiques mystiques occultes ?
Par ailleurs, un autre problème me préoccupe chez nos chers concitoyens, qu’un écrivain philosophe qualifiait de surprenants car réagissant là où on était loin de les attendre. C’est tout à fait normal, passionnés que nous sommes, de manifester nos émotions (de joie ou de peines) après la défaite ou la victoire individuelle ou collectives de nos sportifs ou équipes préférés. Mais, ce à quoi nous assistons après les spectacles de lutte dépasse l’imaginaire : des hommes et des femmes qui tombent en syncope, d’autres en transe endiablée, des suicidaires donnant des coups de tête, de gros gaillards qui criaillent, ou pleurnichent comme des enfants, le tout relayée par des reporters attendris ou qui psalmodient des noms de Dieu dans une atmosphère qui n’a rien de religieux. On eût dit un séisme japonais ou un tsunami indonésien ! Mais on ose espérer qu’avec le phénomène de la pédicatrice qui édifie sur les résultats avant l’heure, la tension s’abaissera et on aura moins de cas.
Comment expliquer cet emballement et ce zèle excessif des supporteurs qui en fin de compte n’y gagne absolument rien ! Mais paradoxalement peuvent y perdre tout, en l’occurrence la Vie. Voilà un sérieux sujet de recherche pour psychologues et sociologues chasseurs de phénomènes sociaux para normaux.
Comment se fait-il, qu’il se pose au Sénégal des problèmes aussi importants que la cherté de la vie, la crise scolaire, la question énergétique, la difficulté de l’accès aux soins sanitaires de base, le problème du logement, dont la résolution devrait susciter autant d’intérêts et de passions de la part de nos concitoyens séné galériens car dépendant fondamentalement de notre survie quotidienne !
Pourtant, les médias sensibilisent, prêtres et imams prêchent, les mouvements citoyens éveillent les consciences, mais le peuple de la lutte semble sourd à ce cri de ralliement national… En attendant de répondre encore à l’appel des arènes.