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Les maladies chroniques non transmissibles (MCNT): une bombe à retardement pour la santé des populations Sénégalaises - Dr Sidy Mohamed Seck

Jeudi 15 Mai 2014

Situation mondiale actuelle des MCNT:
Les maladies chroniques non transmissibles représentent l’un des défis majeurs de la santé mondiale au 21èmesiècle. Elles ont connu une progression importante lors de la dernière décennie et sont de plus en plus reconnues comme priorité de santé publique sur tous les continents. Selon le dernier rapport de l’OMS sur les causes de décès dans le monde, le diabète et les affections cardiovasculaires sont responsables de près d’un décès sur trois chez les adultes âgés de 30 à 70 ans (1). Contrairement à l’idée reçue selon laquelle ces maladies riches, les statistiques sanitaires disponibles montrent que ce sont les pays pauvres qui enregistrent la plus grande progression de ces MCNT avec un faible niveau d’accès à des soins adéquats. Ceci est lié à beaucoup de changements ou «transitions» opérés aussi bien dans le style de vie des individus que dans leurs habitudes alimentaires voire culinaires. La prise excessive de poids, l’inactivité physique et la consommation de tabac sont les principaux facteurs de risque modifiables qui contribuent à l’apparition de ces maladies.

Plusieurs documents stratégiques préconisent la mise en œuvre de programmes multisectoriels visant à prévenir et prendre en charge précocement les MCNT (2).

Cependant, un des obstacles à l’élaboration des politiques efficaces de lutte contre ces affections est l’absence de données fiables sur l’ampleur réelle des MCNT au sein de la population générale. Conformément à l’approche STEPwise suggérée par l’OMS, plusieurs pays ont effectué des enquêtes nationales sur les facteurs de risque de MCNT (3). Au Sénégal, malgré une volonté affichée des autorités sanitaires, la situation épidémiologique reste encore floue.

C’est dans ce contexte que le présent travail de recherche a été réalisé avec comme objectif de déterminer l’ampleur et les principaux déterminants médico-sociaux des MCNT dans la partie nord du Sénégal.
Il s’agit d’une enquête épidémiologique menée entre janvier et mai 2012 dans le département de Saint-Louis. Un total de 1037 individus a participé à l’étude. Pour chaque individu, des mesures cliniques et biologiques ont été réalisées. L'âge moyen était de 48 ± 17 ans (extrêmes entre 18 ans et 87 ans) et lesfemmes constituaient 62% des enquêtés.Près de la moitié des participants était âgée de 25 à 50 ans tandis que les personnes âgées de 65 ans et plus représentaient 16,8% de la population.Le taux brut de scolarisation était de 65%. Les populations urbaines étaient plus représentées avec 56% des individus contre 44% de ruraux. La principale activité professionnelle était le commerce (21% des individus)et les femmes au foyer représentaient 26% de l’échantillon.

Les données sur l’ampleur des MCNT montrent des résultats alarmant.
Des prévalences élevées d’hypertension,de diabète, et d’obésité!
L’hypertension artérielle était la MCNT la plus fréquente retrouvée chez 39% de la population (34 % des hommes et 42 % des femmes). A noter que 42% des enquêtés présentait déjà une pré-hypertension.
Quant au diabète, il concernait 12,8% de la population (10 % des hommes et 14,3 % des femmes) et 6,6% présentaientdéjà une intolérance au glucose (glycémie entre 1,10 et 1,25 g/l).

Les mesures anthropométriques effectuées montraient 23% de personnes obèses(indice de masse corporelle supérieure à 30 kg/m2) et 28% qui étaient en surpoids (indice de masse corporelle entre 25 et 30 kg/m2).
Une obésité abdominale (gros ventre lié à un excès de graisse abdominale) était notée chez 36,6% des hommes et 33,1% des femmes.

Un taux de cholestérol anormal était présent chez 63% des individus dont 34% d’élévation du LDLc (mauvais cholestérol).
Une maladie rénale chronique (MRC) a été retrouvée chez 4,9% des individus avec une nette progression en fonction de l’âge.
Un accident vasculaire cérébral (AVC)avec ou sans séquelles était retrouvé chez 1,8% de la population.
Globalement plus de la moitié des individus dépistés pour une MCNT n’étaient pas au courant de leur maladie et n’ont jamais bénéficié d’un suivi médical.

Importance de l’alimentation et des habitudes de vie
La consommation régulière de tabac était retrouvée chez 4,0% des individus dont 5,2% en zone urbaine et 2,9% en zone rurale.
Quant à la consommation d’alcool, elle était retrouvée chez 5,1% des individus dont 1,7% en zone urbaine et 8,5% en zone rurale.

Pour ces deux paramètres, nous avons également noté une nette prédominance masculine.
Pour ce qui est des habitudes alimentaires le plat le plus consommé était de loin le traditionnel «riz au poisson» avec une fréquence médiane de 5 fois par semaine. Par ailleurs, près de la moitié des personnes affirmait consommer au moins 3 fruits/légumes par jour avec des extrêmes allant de 1 à 8.

La consommation moyenne en sel n’a pas pu être déterminée mais 86,2% des individus ont déclaré utiliser des bouillons lors des préparations culinaires. Egalement, l’utilisation d’arômes de table était rapportée chez 42,5% de la population dont 38,8% en zone urbaine et 46,9% en zone rurale.
Environs 60% des participants à l’étude affirmaient pratiquer une activité physique dans le cadre de leurs professions ou en dehors du travail.

Les déterminants associés à chacune des MCNT
. Les facteurs de risque associés à l'hypertension:
L’âge: on note une augmentation linéaire du risque d'HTA avec l’âge. À titre d'illustration, les individus âgés de>60 ans avaient un risque d'hypertension 8,6 fois supérieur à ceux d’âge < 40 ans.
L'obésité abdominale: le risque d'hypertension multiplié par 2,4 chez les femmes ayant un périmètre abdominal>88cm et les hommes ayant un périmètre abdominal >102cm.
Le niveau d'instruction: comparés aux individus qui étaient arrêtés à l’école primaire, le risque d'hypertension diminue de 9% chez ceux qui avaient un niveau secondaire et de 96% chez les individus ayant un niveau universitaire (ceci après ajustement par rapport à l’âge).

Un taux de cholestérol anormal: taux élevé de cholestérol total (51% d’augmentation du risque) et de cholestérol LDL (34% d’augmentation du risque) L'urbanisation: risque multiplié par 1,5 chez les individus vivant en milieu urbain par rapport à leurs homologues ruraux de même âge et de même sexe.

Un antécédent familial: risque multiplié par 2,2 chez les individus ayant un proche parent hypertendu.
La profession: Comparés aux administratifs (travaillant dans des bureaux), les commerçants présentaient un risque d'hypertension multiplié par 2,4. À l'opposé, le risque d'hypertension était plus faible chez les étudiants, les agriculteurs et les ouvriers même si les différences n'étaient pas statistiquement significatives.
. Facteurs de risque associés au diabète:

L’âge: augmentation linéaire du risque d'HTA avec l’âge. À titre d'exemple, les individus âgés de>60 ans avaient un risque de diabète 7,6 fois plus grand que ceux âgés de moins de 40 ans.
Le genre: les femmes présentaient 2,6% plus de chance d’être diabétique que les hommes.
Le niveau d'instruction: comparés à ceux qui n'avaient pas dépassé les études primaires, le risque de diabète était diminué de 44% pour les individus avec un niveau secondaire et diminué de 98% chez les individus ayant un niveau universitaire.

L'obésité abdominale: Pour un tour de taille >88cm chez les femmes ou >102cm chez les hommes, le risque de diabète était multiplié par 2,23.

L'urbanisation: risque multiplié par 1,5 chez les individus vivant en milieu urbain
Un antécédent familial: risque multiplié par 5 chez les individus ayant un proche parent diabétique
Un taux de cholestérol anormal : l’excès de cholestérol total ou de cholestérol LDL était significativement associé à la présence d'un diabète (risque augmenté de 60% et 103% respectivement)

. Facteurs de risque associés à l'obésité:
L'âge: comparés aux individus de moins de 40 ans, ceux ayant entre 40 et 60 ans présentaient un risque d’obésité 3 fois plus élevé et ceux âgés de >60 ans avaient un risque multiplié par 2.
Le genre: le risque d’obésité était de 1,2 fois plus élevé chez les femmes comparées aux hommes L'existence d'un antécédent familial: risque multiplié par 6,6 chez les individus ayant un proche parent obèse.
L'urbanisation: risque d’obésité multiplié par 4,2 chez les individus vivant en milieu urbain
Le niveau d'instruction: comparés à ceux qui n'avaient pas dépassé les études primaires, le risque d'obésité diminuait de 15% pour les individus avec un niveau secondaire et diminué de 95% chez les individus ayant un niveau universitaire.
La sédentarité: Les individus sédentaires avaient 1,6 fois plus de chance d’être obèses que ceux pratiquant une activité physique au moins 3 fois/semaine
Les bouillons de cuisine: risque multiplié par 1,8 chez les personnes qui consommaient les bouillons.
. Facteurs de risque associés à la maladie rénale chronique:
L’âge : risque augmentant de 6% pour chaque décade,
Le diabète : risque multiplié par 1,8 pour les diabétiques et
L’hypertension artérielle : risque multiplié par 1,12 chez les personnes hypertendues.

Conclusions :
Ces résultats montrent encore une fois que l’hypertension, le diabète, et l’obésité sont très fréquents dans la population générale Saint-Louisienne. Les facteurs expliquant cette forte prévalence sont multiples et le fameux style de vie des « ndar-ndar » (sédentarité et alimentation grasse) ne saurait être le seul responsable.Les personnes âgées, sédentaires, de sexe féminin, et vivant en milieu urbain sont globalement plus exposées.Les facteurs de risque tels que le tabagisme et les anomalies du taux de cholestérol sont impliqué dans une moindre mesure.

Il est intéressant de noter que la différence entre milieu urbain et rural n’est pas si importante notamment pour l’hypertension et la maladie rénale chronique.

Afin d’éviter dans les prochaines décennies une explosion des MCNT et de leurs lourdes conséquences pour notre système de santé déjà fragile, il urge de développer une vraie politique nationalede lutte contre ces affections.En effet, ces maladies sont non seulement pourvoyeuses de complications cardiaques, rénales et neurologiques difficiles à prendre en charge mais également elles constituent une source de pauvreté de par les dépenses catastrophiques auxquelles font face les patients et leur entourage (4). Une meilleure information et sensibilisation de masse sur ces maladies pourrait être une stratégie efficace comme le montre le faible niveau de risque chez les individus les plus instruits.Un effort particulier doit être faitpour lutter contre le tabagisme, l’alimentation malsaine et l'inactivité physique qui constituent des facteurs de risque modifiables communs pour la plupart des MCNT et qui se cumulent à tout au long de la vie.
Néanmoins une approche multisectorielle est nécessaire afin de prendre en compte les nombreux déterminants médicaux, socio-économiques et environnementaux de ces maladies.

Dr Sidy Mohamed Seck, enseignant-chercheur à l'UFR des Sciences de la Santé de l'UGB


Références :
1. Statistiques Sanitaires Mondiales 2013.
2. Déclaration politique sur les maladies non transmissibles (MNT), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2011.
3. Organisation Mondiale de la Santé (2005). Le Manuel de Surveillance STEPS de l'OMS: L'approche STEPwise de l'OMS pour la surveillance des facteurs de risque des maladies chroniques. Genève, Organisation mondiale de la Santé
4. Document de politique générale : Maladies non transmissibles et développement socio-économique. OMS 2011.


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1.Posté par ndarndar le 10/06/2021 13:30
Bravo pour cet article bien fouillé et riche en données

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