Avant les années 2000, le zircon était une inconnue pour la majorité des Sénégalais. Mais dans la région de Thiès et en Casamance, ce minerai « dormait » dans le sable. Sa découverte a laissé poindre l’espoir de lendemains qui chantent pour l’État et pour les populations. Mais après quatre années d’exploitation, celles-ci continuent de recenser leurs misères et d’étaler la pauvreté dont elles espéraient sortir.
Diogo est sorti de l’ombre à l’orée du XXIe siècle. Situé non loin du littoral, dans la commune de Darou Khoudoss (région de Thiès) [environ à mi-chemin entre Dakar et Saint-Louis], ce village n’avait rien qui puisse retenir l’attention. Jusqu’à ce que, la Grande Côte Opérations Sa (GCO), une entreprise minière franco-australienne, y démarre des activités extractives. On commençait alors à parler de zircon, mais aussi d’ilménite, de rutile et de leucoxène. Mais, quand les premières « grosses machines » sont arrivées et qu’on a commencé à construire une voie de chemin de fer pour évacuer la production, les chiffres ont commencé à créer une sorte d’euphorie.
Les emplois créés, eux, restent maigres
C’était bien avant les découvertes de gaz et de pétrole annoncées en 2014, le Sénégal commençait alors à rêver en couleurs. La Chambre des mines du Sénégal (CMDS) l’annonçait 3e producteur mondial de zircon, avec une production qui devait représenter 8 % de la consommation mondiale et 25 % du commerce européen. Mais, après 15 ans d’activités sur le site dont l’exploitation a commencé en 2014, le zircon fait plus pleurer que rire.
À Diogo, les populations ne cachent ni leur amertume ni leur désillusion. Premier adjoint au maire de la commune de Darou Khoudoss, Moda Samb exprime un sentiment négatif : « Il était prévu que le chômage des jeunes allait être un mauvais souvenir et que les conditions de vie des populations de Diogo, Fass Boye et environs soient améliorées. Hélas… Il était aussi annoncé la construction d’un hôpital, d’un stade multifonctionnel et de routes, en plus de l’électrification des villages environnants. Autant de promesses qui faisaient rêver les populations. Mais depuis le démarrage de ses activités, la société n’a pas versé la moindre redevance à cette vaste commune de Diogo. Nous n’avons pas encore de centre de santé. Le seul qui existe dans la zone est à Tivaouane. Nous avions demandé qu’il en soit construit un, entre Taïba Ndiaye, Darou Khoudoss et Mboro, précisément dans la zone de Diogo et Fass Boye », a-t-il dit. Mieux encore, les populations qui vivaient de l’agriculture sont contraintes à l’exode rural vers Thiès, Tivaoune, Diamniadio, Dakar ou Louga.
Les emplois créés, eux, restent maigres, s’insurgent certains habitants de Diogo. Président de la commission chargé de ce secteur au niveau de la commune de Darou Khoudoss, Ibra Fall évoque des acquis minimes. « Il y a cinq ans, GCO a formé plus de 400 jeunes dans des domaines comme l’électricité, la mécanique, et dans d’autres modules comme conducteurs polyvalents. Mais seuls environ 40 d’entre eux ont été recrutés. Au départ, les engagements de la société portaient sur 300 emplois. Aujourd’hui encore, ces jeunes non casés attendent, diplôme à la main », regrette-t-il. Ses parents de Diogo et lui reprochent à GCO de n’avoir « pas pu construire un hôpital et subventionner le coût des traitements. Aujourd’hui, le poste de santé de Diogo prend en charge des populations de 30 villages et hameaux estimées à plus de 25.000 personnes. Chaque matin, la liste des patients à prendre en charge est bouclée dès 8 heures », regrette-t-il, à cause du nombre de patients qui prend d’assaut ledit poste.
Du nombre des représentants des jeunes, Ibra Ba, président d’une association de 12 villages regroupant des agriculteurs, dit être déçu. « GCO a fait moins que ce qu’on attendait d’elle sur les terres prises aux populations. Elle avait promis de réhabiliter et de réaménager les terres après l’exploitation du zircon. Mais quand on se rend aujourd’hui sur le site où se trouvaient certains champs, on est attristé par l’état des lieux. Même, les arbres qui y ont été plantés peinent à croître à cause de l’état des sols. C’est donc tout le contraire de ce que GCO nous avait promis », s’indigne M. Ba.
Aucune réalisation provenant des retombées de l’exploitation de ces richesses minérales n’est sortie de terre
En face de l’entrée principale du site qu’exploite GCO, les lieux passent plus pour une forteresse aux yeux des populations de Diogo et environs. À cet accès principal, deux grandes portes en grillage barrent l’entrée. Celles-ci s’ouvrent et sont refermées continuellement à cause des va-et-vient incessants des véhicules. Une entrée filtrée par les agents de sécurité. Celle-ci est distante de plus d’une centaine de mètres des bâtiments abritant, entre autres, des bureaux et la salle de restauration du personnel. Mais ce sont des bâtiments qui sont très éloignés des sites d’exploitation des minerais et des bureaux de l’administration. Pour s’y rendre, il est nécessaire de prendre l’un des véhicules de ladite société et d’emprunter une longue piste latéritique coupée tantôt par des barrières surveillées. Quant à l’accès au site d’exploitation proprement dit, il demeure quasiment impossible. Le respect d’un certain nombre de mesures de sécurité liées au travail fait que seuls les privilégiés ou certains personnels bien équipés peuvent y accéder, ont confié des responsables de GCO, lors d’une visite de site à Diogo.
Sortie de l’anonymat grâce à plusieurs ressources minières, dont le zircon, Darou Khoudoss n’abrite encore aucune infrastructure digne de ce nom. Aucune grande réalisation notoire provenant des retombées de l’exploitation de ces richesses minérales n’est sortie de terre. En l’absence du stade fonctionnel promis, au début, les jeunes de Diogo et environs continuent de jouer leurs matchs sur des terrains vagues, sans tribunes ni mur de clôture. Il faut, toutefois, reconnaître que des ambulances ont été offertes et des sites de recasement, une école, une mosquée, entre autres, construits au profit des personnes affectées par cette exploitation. Des investissements que Serigne Mbacké Mbaye, un jeune de la localité, trouve dérisoires : « Nous ne sommes satisfaits qu’à 30 % par rapport à nos attentes. Et nous ne pouvons pas dire que nous ne tirons pas profit des retombées du zircon dans notre localité. Mais GCO avait mieux à faire. Elle se devait, par exemple, de créer des centres de formation pour les jeunes de la localité », dit-il.
« L’eau a commencé à se raréfier depuis que GCO mène ses activités »
L’accès à l’emploi n’est pas la seule cause de griefs. Les récriminations des populations montent aussi à propos des conséquences environnementales que cause l’exploitation du zircon. Ces effets, Alioune Ndiaye dit les vivre. Maraicher de son état, il s’en désole : « L’eau a commencé à se raréfier depuis que GCO mène ses activités. Nous sommes désormais obligés de creuser des puits de plus de 18 m de profondeur pour avoir de l’eau pour l’arrosage. »
Consultant en évaluation environnementale et sociale, par ailleurs spécialiste en gestion des impacts des industries extractives et développement, Adama Fall note que de telles difficultés peuvent être entraînées par le fait que « le procédé d’exploitation du zircon demande beaucoup d’eau ». D’où ses craintes pour ces zones dans l’avenir. « Il y a des prélèvements dans la nappe. Et n’oublions pas que c’est une exploitation qui va durer 25 ans, pour un contrat renouvelable. Imaginez donc les conséquences d’un éventuel manque d’eau sur l’agriculture et le maraichage dans cette zone ! » dit-il. Concernant ce manque d’eau, les experts interrogés sont partagés sur la question. Par ailleurs, M. Fall souligne la nécessité de « voir si l’entreprise a nivelé et réhabilité les sols après exploitation du site ».
Dans cette localité, la richesse des terres n’est pas perceptible sur les habitats. Sur l’axe principal où est construite la grande mosquée, les maisons d’un autre âge jalonnent la voie. C’est aussi là où est implanté ce qui sert aux populations locales de marché. Il s’agit d’un petit périmètre où les étals de fortune constituent l’essentiel du décor. Un lieu d’échange, où tous les après-midi, les vendeurs viennent écouler leurs produits. Serigne Sarr est membre de l’Association pour la défense des droits à l’eau et à l’assainissement (Addea), Rufisque/Sénégal
Diogo est sorti de l’ombre à l’orée du XXIe siècle. Situé non loin du littoral, dans la commune de Darou Khoudoss (région de Thiès) [environ à mi-chemin entre Dakar et Saint-Louis], ce village n’avait rien qui puisse retenir l’attention. Jusqu’à ce que, la Grande Côte Opérations Sa (GCO), une entreprise minière franco-australienne, y démarre des activités extractives. On commençait alors à parler de zircon, mais aussi d’ilménite, de rutile et de leucoxène. Mais, quand les premières « grosses machines » sont arrivées et qu’on a commencé à construire une voie de chemin de fer pour évacuer la production, les chiffres ont commencé à créer une sorte d’euphorie.
Les emplois créés, eux, restent maigres
C’était bien avant les découvertes de gaz et de pétrole annoncées en 2014, le Sénégal commençait alors à rêver en couleurs. La Chambre des mines du Sénégal (CMDS) l’annonçait 3e producteur mondial de zircon, avec une production qui devait représenter 8 % de la consommation mondiale et 25 % du commerce européen. Mais, après 15 ans d’activités sur le site dont l’exploitation a commencé en 2014, le zircon fait plus pleurer que rire.
À Diogo, les populations ne cachent ni leur amertume ni leur désillusion. Premier adjoint au maire de la commune de Darou Khoudoss, Moda Samb exprime un sentiment négatif : « Il était prévu que le chômage des jeunes allait être un mauvais souvenir et que les conditions de vie des populations de Diogo, Fass Boye et environs soient améliorées. Hélas… Il était aussi annoncé la construction d’un hôpital, d’un stade multifonctionnel et de routes, en plus de l’électrification des villages environnants. Autant de promesses qui faisaient rêver les populations. Mais depuis le démarrage de ses activités, la société n’a pas versé la moindre redevance à cette vaste commune de Diogo. Nous n’avons pas encore de centre de santé. Le seul qui existe dans la zone est à Tivaouane. Nous avions demandé qu’il en soit construit un, entre Taïba Ndiaye, Darou Khoudoss et Mboro, précisément dans la zone de Diogo et Fass Boye », a-t-il dit. Mieux encore, les populations qui vivaient de l’agriculture sont contraintes à l’exode rural vers Thiès, Tivaoune, Diamniadio, Dakar ou Louga.
Les emplois créés, eux, restent maigres, s’insurgent certains habitants de Diogo. Président de la commission chargé de ce secteur au niveau de la commune de Darou Khoudoss, Ibra Fall évoque des acquis minimes. « Il y a cinq ans, GCO a formé plus de 400 jeunes dans des domaines comme l’électricité, la mécanique, et dans d’autres modules comme conducteurs polyvalents. Mais seuls environ 40 d’entre eux ont été recrutés. Au départ, les engagements de la société portaient sur 300 emplois. Aujourd’hui encore, ces jeunes non casés attendent, diplôme à la main », regrette-t-il. Ses parents de Diogo et lui reprochent à GCO de n’avoir « pas pu construire un hôpital et subventionner le coût des traitements. Aujourd’hui, le poste de santé de Diogo prend en charge des populations de 30 villages et hameaux estimées à plus de 25.000 personnes. Chaque matin, la liste des patients à prendre en charge est bouclée dès 8 heures », regrette-t-il, à cause du nombre de patients qui prend d’assaut ledit poste.
Du nombre des représentants des jeunes, Ibra Ba, président d’une association de 12 villages regroupant des agriculteurs, dit être déçu. « GCO a fait moins que ce qu’on attendait d’elle sur les terres prises aux populations. Elle avait promis de réhabiliter et de réaménager les terres après l’exploitation du zircon. Mais quand on se rend aujourd’hui sur le site où se trouvaient certains champs, on est attristé par l’état des lieux. Même, les arbres qui y ont été plantés peinent à croître à cause de l’état des sols. C’est donc tout le contraire de ce que GCO nous avait promis », s’indigne M. Ba.
Aucune réalisation provenant des retombées de l’exploitation de ces richesses minérales n’est sortie de terre
En face de l’entrée principale du site qu’exploite GCO, les lieux passent plus pour une forteresse aux yeux des populations de Diogo et environs. À cet accès principal, deux grandes portes en grillage barrent l’entrée. Celles-ci s’ouvrent et sont refermées continuellement à cause des va-et-vient incessants des véhicules. Une entrée filtrée par les agents de sécurité. Celle-ci est distante de plus d’une centaine de mètres des bâtiments abritant, entre autres, des bureaux et la salle de restauration du personnel. Mais ce sont des bâtiments qui sont très éloignés des sites d’exploitation des minerais et des bureaux de l’administration. Pour s’y rendre, il est nécessaire de prendre l’un des véhicules de ladite société et d’emprunter une longue piste latéritique coupée tantôt par des barrières surveillées. Quant à l’accès au site d’exploitation proprement dit, il demeure quasiment impossible. Le respect d’un certain nombre de mesures de sécurité liées au travail fait que seuls les privilégiés ou certains personnels bien équipés peuvent y accéder, ont confié des responsables de GCO, lors d’une visite de site à Diogo.
Sortie de l’anonymat grâce à plusieurs ressources minières, dont le zircon, Darou Khoudoss n’abrite encore aucune infrastructure digne de ce nom. Aucune grande réalisation notoire provenant des retombées de l’exploitation de ces richesses minérales n’est sortie de terre. En l’absence du stade fonctionnel promis, au début, les jeunes de Diogo et environs continuent de jouer leurs matchs sur des terrains vagues, sans tribunes ni mur de clôture. Il faut, toutefois, reconnaître que des ambulances ont été offertes et des sites de recasement, une école, une mosquée, entre autres, construits au profit des personnes affectées par cette exploitation. Des investissements que Serigne Mbacké Mbaye, un jeune de la localité, trouve dérisoires : « Nous ne sommes satisfaits qu’à 30 % par rapport à nos attentes. Et nous ne pouvons pas dire que nous ne tirons pas profit des retombées du zircon dans notre localité. Mais GCO avait mieux à faire. Elle se devait, par exemple, de créer des centres de formation pour les jeunes de la localité », dit-il.
« L’eau a commencé à se raréfier depuis que GCO mène ses activités »
L’accès à l’emploi n’est pas la seule cause de griefs. Les récriminations des populations montent aussi à propos des conséquences environnementales que cause l’exploitation du zircon. Ces effets, Alioune Ndiaye dit les vivre. Maraicher de son état, il s’en désole : « L’eau a commencé à se raréfier depuis que GCO mène ses activités. Nous sommes désormais obligés de creuser des puits de plus de 18 m de profondeur pour avoir de l’eau pour l’arrosage. »
Consultant en évaluation environnementale et sociale, par ailleurs spécialiste en gestion des impacts des industries extractives et développement, Adama Fall note que de telles difficultés peuvent être entraînées par le fait que « le procédé d’exploitation du zircon demande beaucoup d’eau ». D’où ses craintes pour ces zones dans l’avenir. « Il y a des prélèvements dans la nappe. Et n’oublions pas que c’est une exploitation qui va durer 25 ans, pour un contrat renouvelable. Imaginez donc les conséquences d’un éventuel manque d’eau sur l’agriculture et le maraichage dans cette zone ! » dit-il. Concernant ce manque d’eau, les experts interrogés sont partagés sur la question. Par ailleurs, M. Fall souligne la nécessité de « voir si l’entreprise a nivelé et réhabilité les sols après exploitation du site ».
Dans cette localité, la richesse des terres n’est pas perceptible sur les habitats. Sur l’axe principal où est construite la grande mosquée, les maisons d’un autre âge jalonnent la voie. C’est aussi là où est implanté ce qui sert aux populations locales de marché. Il s’agit d’un petit périmètre où les étals de fortune constituent l’essentiel du décor. Un lieu d’échange, où tous les après-midi, les vendeurs viennent écouler leurs produits. Serigne Sarr est membre de l’Association pour la défense des droits à l’eau et à l’assainissement (Addea), Rufisque/Sénégal