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Le décideur politique et le déclin académique. Par Mamadou Youry SALL

Dimanche 28 Décembre 2014

Dans une lettre adressée au Président de la République au mois de juillet, une soixantaine d’universitaires attiraient son attention sur le caractère autonomicide des décrets et projets de loi que le ministre en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche lui a proposés. Ils l’invitaient, en termes claires, à veiller au respect des instances délibérantes et à la gestion concertée. « Aussi, voudrions-nous vous inviter, Monsieur le Président, à revoir le décret n° 2013-1295 du 23 septembre et les arrêtés basés sur celui-ci ainsi que le projet de loi n°18-2014 relatif aux universités publiques adopté par le Conseil des Ministres sans l’avis des Assemblées d’université. Il y va de l‘adhésion et de la mobilisation de la communauté universitaire, gages du fonctionnement normal des établissements.»

Force est de constater que rien n’a changé. L’année dernière, c’était l’Assemblé de l’université Gaston Berger de Saint-Louis qui contestait la décision de la tutelle d’y orienter 3000 nouveaux bacheliers en faisant fi de sa capacité d’accueil et d’encadrement. Aujourd’hui, c’est la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d'Odonto-Stomologie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar qui fait face à la décision du ministre de tutelle d’y admettre 1100 nouveaux bacheliers. Comme dans les deux situations les présidents des instances délibérantes ont bien assumé leur fonction en suivant leurs mandants, la tutelle a fait muter l’un et fait relever l’autre de sa fonction.

Ces agissements du ministre laissent penser qu’il a une conception très particulière de l’autonomie des universités et des libertés académiques. Ce qui ne peut être sans conséquences sur les finalités pédagogiques et, par ricochet, sans risque pour la stabilité du système et l’essor scientifique du pays.

Le temple du savoir sous la botte du pouvoir politique
Depuis que l’Université est communauté de chercheurs du savoir pour le savoir par le savoir, ses membres ont décidé de se libérer de toute autorité ou pouvoir qui aliènerait leur indépendance dans la quête de vérité. Beaucoup de sacrifices ont été consenties pour que cette liberté demeure. L’histoire de Galileo, condamné et mis en résidence surveillée pour avoir remis en question la certitude aristotélicienne de l’Eglise, est toujours dans la mémoire des universitaires. La vérité qu’il avait découverte est aujourd’hui bénéfice pour toute l’Humanité. « La terre tourne » et l’avancée technologique satellitaire en a résulté. Tout près de nous, au Sénégal du 20ème siècle, un marabout préféra laisser sa vie au chef de Canton qui voulait le pousser à falsifier la science islamique (la Sharia) pour valider son mariage. Le fondateur de l’Université de Pir, Khali Amar Fall, avait refusé le poste de Ghadi (Juge) du Dammel pour ne pas subir son autorité. Jusqu’à récemment, pour symboliser la prééminence du savoir et la suprématie de l’autorité de son porteur, chaque gouverneur de région en France devait renouveler solennellement l’allégeance républicaine à un savant de sa localité.

Il est heureux qu’il y’ait dans ce monde des êtres humains jaloux de leur liberté et tenant à leur indépendance d’esprit. Sinon, les détenteurs des forces autres que celui du savoir régenteraient l’Univers et y feraient régner la loi de la jungle et les règles de la forêt. Apparemment ce statut du savoir et de ses porteurs convenait bien à certains souverains du moyen âge qui ont décidé de protéger cette communauté de chercheurs de vérité en lui permettant de vivre à part, dans des endroits qui lui permette de mener ses activités sans contrainte et en toute liberté. Par la suite, les états modernes en ont profité pour confier à celle-ci la charge et de préparer l’élite de la société et de former les nouvelles générations à la recherche. La communauté bien protégée, s’est ainsi mise volontairement au service de la société. En Afrique, le Sultan Mansa Kanku Mussa (14ème siècle) avait assuré l’affranchissement de la ville universitaire Diba de telle sorte que « quiconque pénétrait dans cette cité était à l’abri des violences et des vexations royales et, même s’il eût tué l’un des enfants du roi, ce dernier n’eût pu lui réclamer le prix du sang » nous dit M. Kaati, l’auteur de Taarikh al-fattache.

Jusqu’ici les pays de tradition universitaire ont évité de mettre cette communauté sous le joug d’une quelconque autorité. La Tunisie de l’université de Zeïtuna (8ème siècle) vient de rejoindre les pays de l’ONU qui ont constitutionalisé les libertés académiques. Ce que le Sénégal n’a pas encore fait. Pire, les actes (loi, décret et arrêté) que les décideurs politiques de ce pays sont en train de poser, nous font penser que leur intention est de mettre aux pas les acteurs scientifiques comme de vulgaires agents d’administration.

La subordination des universitaires
Face à la forte demande d’accès à la formation supérieure, l’insuffisance de l’infrastructure d’accueil et du budget, la tutelle politique gouverne par oukazes. Les directives provenant du cabinet ministériel se multiplient. Des décrets et arrêtés relatifs aux questions pédagogiques et scientifiques se prennent à l’insu des assemblées d’université. Une commission nationale d’orientation des bacheliers est créée d’autorité afin de pouvoir sélectionner et inscrire les étudiants à la place des structures universitaires de base. Ce faisant, le ministère de l’enseignement supérieur décide, du jamais vu, d’affecter directement à chaque département un nombre d’étudiants en faisant fi des délibérations des instances de gouvernance locale : les assemblées de département, de faculté et d’université. Autrement dit, la tutelle gère l’université comme un service administratif banal, sans instance délibérante ni autorité autonome. Ce qui enlève à l’institution académique toute sa personnalité traditionnelle et juridique. D’ordinaire, elle est un établissement public à caractère scientifique jouissant de l’autonomie de gestion ainsi que de la liberté d’agir en ce qui concerne les questions académiques. Sans cette forme juridique, l’Université serait dépourvue de ses prérogatives et raterait ses objectifs.

La falsification des finalités pédagogique et scientifique
Quoi qu’on puisse dire, les deux établissements du supérieur les plus en vue ses dernières années, en termes de régularité de fonctionnement et de résultats, restent l’université Gaston Berger et la faculté de médecine. L’année académique y démarre souvent en octobre pour s’y achever en juillet, le taux de rendement en diplômés y est maintenu au-dessus de la barre de 50 % et la production scientifique y reste à un niveau élevé. C’est pour cela d’ailleurs que ces deux établissements sont sélectionnés à l’issue d’une compétition africaine pour abriter des centres d’excellence. Si des finalités plutôt politiques, caser les bacheliers quitte à les mettre dans les conditions d’échec avérées, ne l’emportaient pas sur les objectif pédagiques ou scientifiques, le fonctionnement de ces établissements devrait être érigé en norme et leurs acteurs coiffés de lauriers.

Enfin, il est à craindre que la vision étriquée du décideur politique en ce qui concerne les libertés académiques, mène les instituions du savoir à la décadence. On constate, pour le déplorer, qu’après Pr. Moustapha Sourang, tous les acteurs scientifiques cooptés au Conseil des ministres y perdent leur face pour ne pas dire leur âme. Ils troquent leur toge contre le kaala du parti au pouvoir. Tous les textes et attitudes liberticides sur le plan académique sont, ces dernières années, le fait d’éminents universitaires du pays devenus partisans. Nommés en passant outre la confiance de leurs pairs, seule la satisfaction de l’autorité décrétant et chef de leur clan compte. La communauté scientifique et ses instances délibérantes sont moins que rien pour eux. Dans ces conditions démotivantes et méprisantes, il n’est pas étonnant que la démission gagne la plupart des universitaires et réduit à néant leur engagement patriotique. Et c’est un leurre de faire croire au Prince et aux représentants du peuple, que les universités vont baigner dans la tranquillité et les esprits être absorbés par la quête du savoir, quand les acteurs scientifiques sont aussi déconsidérés. Il est temps que force reste à la Lumière pour éviter d’autres dégâts humains et mieux gérer l’émotion nationale !
Mamadou Youry SALL
Chercheur-Enseignant
UGB
Le 28/12/2014


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