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Le Sénégal sous Macky, une démocratie en sursis. Par Ousmane Abdoulaye Barro

Lundi 1 Septembre 2014

« A l’ombre de la démocratie électorale-représentative, ces trois contre-pouvoirs dessinent les contours de ce que je propose d’appeler la contre-démocratie. Cette contre-démocratie n’est pas le contraire de la démocratie ; c’est plutôt la forme démocratique qui contrarie l’autre, la démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social, la démocratie de la défiance organisée face à la démocratie de la légitimité électorale. Cette contre-démocratie fait de la sorte système avec les institutions démocratiques légales. Elle vise à en prolonger et à en étendre les effets ; elle en constitue le contrefort… ».
Pierre Rosanvallon, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil, 2006, P15-16
Une version actualisée d’Une démocratie prise en otage par ses élites serait certainement la bienvenue. Le tableau jadis peint par le fameux journaliste sénégalais met en évidence, sous réserve de quelques écarts d’analyse, le mal que les acteurs (partis politiques, organisations de la société civiles etc.) causent à leurs citoyens. On se rend pourtant compte que le fait religieux était trop souvent surestimé dans l’échelle des facteurs de régression. Personne ne soupçonne aujourd’hui le nouveau régime de connivence avec une quelconque famille maraboutique. Il faut regarder du coté des acteurs susmentionnés si l’on veut vraiment saisir les raisons des flux et reflux démocratiques.

Dé-totaliser l’Etat en instituant une gouvernance favorable à la démocratie délibérative : telle semble la volonté de la société civile. L’émergence de la société civile dans les pays en transition démocratique confirme cette idée. Cette tendance s’inscrit dans un processus que Samuel Huntington qualifie, dans un livre moins célèbre que le choc des civilisations, de « troisième vague ». La décompression autoritaire est tenue de s’opérer sous la pression des mouvements contestataires, voire révolutionnaires. Il est cependant peu probable que la notion de société civile soit en mesure de charrier cette « nébuleuse agissante » bien que son usage semble s’imposer.

Un regard sur les « Assises nationales » et le « Mouvement du 23 juin »(M23) ne peut que confirmer la porosité des frontières entre les partis politiques et la « société civile ». Peu importe l’auteur de l’initiative, c’est toujours au nom d’une « alliance objective » que partis politiques et organisations de la société civile se dressent contre les dérives du pouvoir en place. Dans des conjonctures politiques aussi graves que celle qui a prévalu sous Wade, le pragmatisme doit l’emporter. La culture politique des membres de la société civile y était sans doute pour beaucoup. La démocratie procédurale devait céder la place à la démocratie délibérative à travers une expérience inédite : les Assises. Cependant, Il va falloir l’intervention énergique du peuple pour barrer la route à Wade au prix fort d’ « Une si longue journée ». L’élection de Macky sall interviendra à la faveur d’une élection présidentielle dont le Conseil constitutionnel avait fixé les termes. A ce stade, il apparait clair que la démocratie procédurale a résisté aux assauts répétés de part et d’autre. Il conviendrait de rendre hommage au peuple qui continue de fonder espoir dans la démocratie. Mais de quelle démocratie s’agit-il vraiment ? Il me semble que cette dernière a beaucoup à voir avec celle que Tocqueville assimile à un « état social ». Cet arbitrage du peuple obéit moins à une logique procédurale qu’à un répertoire de croyances à la fois culturelles et religieuses qui s’accommodent peu de la conflictualité.

Plus de deux ans après l’arrivée de Macky, le Sénégal vit une ambiance politique qui rappelle malheureusement celle que nous avons vécue sous Wade. Les Assises nationales avaient raison de parler de transition à cause de la dégradation de la situation à la veille de la présidentielle. En investissant sur le candidat Macky Sall, elles ont toutefois validé une sortie de crise politique qui, à vrai dire, n’en était pas une. L’ancien premier ministre Loum et le président Mbow persistent dans leur conviction que Macky a signé sans réserve la charte des Assises. La version du Président et sa réaction suite au dépôt du rapport laissent ceux qui croient encore aux Assises dans une position inconfortable. Le comble est atteint lorsqu’on dédouane le président pour la simple raison qu’il n’a pas été élu sur la base du programme des Assises. Ce discours renseigne sur l’indigence qui frappe nos hommes politiques. La mission des Assises a pris fin lorsque le Président de la République en a fait sa propre affaire. Le renversement de la perspective est aussi renversant que le dépôt du rapport de la CNRI. Voilà comment les Assises ont trouvé la mort. Après l’élection, le M23 subira le même sort : une bonne partie des leaders a préféré rejoindre le nouveau régime. La saignée est d’autant plus douloureuse que la nouvelle association s’est aliénée des personnalités indépendantes non moins importantes. Les élections semblent constituer le moment privilégié pour travailler alors que la démocratie commence au lendemain des scrutins.

Au regard du contexte socio- politique, les réalisations du nouveau régime et les espoirs que suscite le Plan Sénégal Emergent sont suspendus à la capacité du Président de favoriser la stabilité politique. Cette stabilité politique semble compromise par la « traque des biens mal acquis » et la crise de l’enseignement supérieur. Au-delà des manquements graves dont le ministre Mari Teuw Niane est coupable, il se pose à proprement parler un problème de gouvernance. Invoquer la légitimité électorale que confère le suffrage universel relève d’un déficit de culture démocratique. Cela nous rappelle les sorties menaçantes de l’ex régime contre les potentiels participants aux Assises. Si on ne peut pas imputer aux acteurs politiques leur manque de culture, on peut en revanche leur demander de savoir raison garder. Le suffrage universel, notamment une victoire arrachée au second tour, n’est pas une caution populaire. Celle-ci est trop évanescente pour être prise pour une épée de Damoclès sur tout opposant désinvolte.

La « société civile » sénégalaise est, pour ma part, responsable de la crise politique qui semble se profiler à l’horizon. Leur mérite résidait moins dans la réalisation commune des aspirations du peuple que dans la formation d’un contre-pouvoir. La démocratie étant faiblement institutionnalisée dans notre pays, les reculs démocratiques peuvent resurgir à tout moment. Cette collusion avec le pouvoir confirme à posteriori les accusations de Wade contre une société civile qui n’est pas étrangère à la « chose » politique. La posture du Forum civil est par contre mieux à même de contribuer au renforcement de la société civile en ce sens qu’il maintient une distance vis-à-vis des obédiences politiques. Cette neutralité est gage d’autonomie quant à la définition des enjeux autrement plus structurants que le simple partage de responsabilités. L’autonomie de la société civile participe de la vitalité politique ; elle est une condition nécessaire du système démocratique.

Nous sommes du reste obligés de faire face à une série de crises qui risquent de déboucher sur une impasse politique. La gouvernance à l’œuvre n’est pas en phase avec notre niveau de démocratie. On se demande cependant si le Président Macky était suffisamment armé pour faire le boulot qu’on attendait de lui. S’il s’agissait de rompre avec un système qui avait achevé de remettre en cause ses fondements les plus élémentaires, force est de constater que le travail reste à finir. L’obligation de mettre en œuvre les conclusions des Assises ou les résolutions du M23 ne doit pas être appréciée à l’aune des résultats de mars 2012. Ni Macky ni les instances ad hoc(les Assises et le M23) ne peuvent s’arroger la légitimité populaire. Représenter le peuple relève d’un problème auquel les démocraties n’ont pas encore trouvé solution.


Ousmane Abdoulaye Barro
PASTEF-LES PATRIOTES
ousmaneabdoulayebarro@yahoo.fr


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1.Posté par Imam le 01/09/2014 11:27
Si on ne peut pas imputer aux acteurs politiques leur manque de culture, on peut en revanche leur demander de savoir raison garder. Le suffrage universel, notamment une victoire arrachée au second tour, n’est pas une caution populaire. Celle-ci est trop évanescente pour être prise pour une épée de Damoclès sur tout opposant désinvolte

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