Ceux qui disaient dans l’entre-deux tours de la dernière élection présidentielle que Macky Sall était le candidat de la France n’avaient pas tort de distiller une vérité aussi indéniable aujourd’hui. En presque cinq ans de pouvoir, la France, qui avait perdu du terrain au Sénégal sous Wade du fait de la politique de diversification de nos partenaires économiques et de la réorientation de nos choix et modèle de développement, a opéré un come-back en force sur le terrain des affaires où des pays comme la Chine, l’Inde et les pays arabes commençaient à la bousculer. Même si sous le règne d’Abdoulaye Wade, la France est restée le premier partenaire économique, militaire du Sénégal malgré la diversification de la coopération multilatérale, on assiste avec Macky à la poursuite croissante du contrôle du Sénégal par la France sous des moyens économiques et commerciaux. Appuyée sur sa domination monétaire et financière, la France développe de nouveau avec l’assentiment du président Macky Sall, une politique économique aux effets asymétriques sur le Sénégal.
Quand il s’est agi de renégocier la coopération militaire avec huit pays francophone de l’Afrique de l’Ouest comme l’avait préconisé le président Nicolas Sarkozy lors d’un discours tenu le 28 février 2008 au sein du Parlement sud-africain, le président Abdoulaye Wade avait exigé que la signature d’un nouvel accord était assujetti à la remise des emprises et à la réduction des effectifs militaires présents au Sénégal. Il n’était plus question pour Abdoulaye Wade de laisser les forces militaires françaises occuper les emprises foncières de Bel-Air (300 hectares) sans payer le loyer, l’eau et l’électricité. A la place, Wade avait prévu l’érection de projets immobiliers gigantesques, notamment des hôtels et des résidences cossues, qui donneraient une vue féérique sur la baie de Hann et l’île historique de Gorée.
Dès que Macky Sall a été élu président du Sénégal le 25 mars 2012, il a inversé cette décision, lors de sa première visite en France le 18 avril 2012. Ainsi a-t-il laissé les militaires français occuper gratuitement les bâtiments de Bel-Air. Il déclarait à l'époque, après avoir bénéficié d’un prêt de 130 millions d’euros : « Ils n’ont qu’à maintenir leurs bâtiments et nous, n’avons pas besoin de versement de ce loyer… La nature de notre coopération avec la France m’interdise de l’exiger. Il ne faut pas que ce point soit un obstacle dans notre coopération. La preuve, le soutien immédiat - qui a été fait - est volontaire. Il va bien au-delà de ces questions qui se chiffraient à 2 millions voire 2,5 millions d’euros. »
Pour beaucoup Sénégalais, cet acte posé par le successeur de Wade est un retour d’ascenseur à la puissance tutélaire qui l’a soutenu pour terrasser son adversaire. Les choses ne vont pas s’arrêter en bon si bon chemin avec Macky. Le terminal roulier du port autonome de Dakar destiné pour l’import et l’export de véhicules, camions et remorques est attribué à Bolloré Africa Logistics. Et le terminal vraquier exploité pour l’import et l’export de marchandises solides en vrac est attribué à Necotrans, groupe français spécialisé dans la logistique internationale.
Les Français sont aussi fortement présents dans la distribution alimentaire. Depuis 2015, le groupe de distribution française Auchan commence à conquérir le territoire national avec ses hypermarchés portant l’enseigne Atac. Bientôt Carrefour verra ses premiers supermarchés ouvrir dans notre capitale avant de s’étendre sur d’autres zones ciblées.
Aujourd’hui l’acquisition du Train express régional (TER) constitue une preuve de la subordination de notre pays à la métropole. La France prête 200 millions d’euros au Sénégal pour l’acquisition de 15 trains express régionaux (TER). Alstom se chargera de les construire, Eiffage Rail se charge de la construction de la voie ferrée. La Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et la Régie autonome des transports parisiens (RATP) se chargeront de l’exploitation et de la maintenance. Le coût total est fixé à 535 millions d’euros. Aujourd’hui le président Sall sauve 400 emplois de Belfort, l’un des 12 sites français d’Alstom menacé de fermeture.
Dans cette opération, c’est le Sénégal qui perd sur toute la ligne. Maintenant qu’est-ce qui motive le choix d’Alstom si l’on sait que ladite société n’est pas le leader mondial en matière de construction ferroviaire ? Pourquoi serions-nous plus royaliste que le roi quand on sait que certaines entreprises ferroviaires françaises n’hésitent pas à aller acheter ses locomotives ailleurs qu’en France ? A la fin de juillet dernier, Akiem, filiale de la SNCF, qui achète des locomotives pour les louer aux opérateurs ferroviaires, a attribué à l’allemand Vossloh - et non à Alstom - une commande de 44 motrices pour un montant de 140 millions d’euros.
La décision d’Akiem s’explique aussi par la qualité des trains du constructeur allemand et aussi par le prix. En effet, le tarif moyen de 3,2 millions d’euros par appareil est inférieur de 15% à celui des locomotives de même type vendues à la fin de 2015 par Alstom à Swiss Railway. En juin 2015, Akiem avait sélectionné le canadien Bombardier dans le cadre d’un contrat de 90 millions d’euros portant sur 26 locomotives.
De plus, pourquoi choisir une entreprise qui a plaidé coupable en 2014 des faits de corruption qui lui sont reprochés aux Etats-Unis et qui et a accepté de payer un montant de 772 millions de dollars, dans le cadre d'un règlement négocié avec le département américain de la Justice ? En effet, Alstom avait versé plus de 75 millions de dollars pour gagner des contrats représentant 4 milliards de dollars, notamment en Indonésie, en Egypte, en Arabie saoudite et aux Bahamas, qui lui ont rapporté environ 300 millions de dollars de bénéfice.
In fine, ce serait un crime de lèse-majesté si la France n’est pas invité au festin de notre manne pétrolière. Ainsi lors de la visite du président Sall en France, le Sénégal a conclu avec le groupe pétrolier français Total un contrat pour l’exploitation de gisements de pétrole en mer. Et aujourd’hui, l’Etat a accordé au major pétrolier français la construction exclusive de station-service dans la capitale sénégalaise au détriment des Sénégalais qui s’activent dans le même secteur. Il suffit de passer sur l’autoroute à péage pour se rendre compte de la puissance dominatrice de la France. L’Etat semble être impuissant devant la fixation arbitraire des tarifs chers du péage. Ainsi sur 75 km d’autoroute (de Dakar à Sindia via Diameniadio), les usagers doivent casquer 3000 francs (1400 francs Dakar- Diameniadio, 1600 Diameniadio-Sindia). Au Maroc, pour une distance de 223 km de péage, les usagers payent l’équivalent de 4800 francs CFA.
Sur tout le long de l’autoroute à péage, sans appel d’offres, Total assure la vente exclusive du carburant. En sus, il y a un consortium entre Orange Money et le Groupe Total. En effet, le groupe Total et le groupe Orange ont signé en juillet 2013 un partenariat rendant les services Orange Money accessibles dans les stations-service Total. Ainsi un client effectuant un achat de carburant ou de tout autre produit/service chez Total pour 50 000 FCFA, avec Orange Money, se verra attribuer un bonus crédit de 5000 FCFA. Et tout achat de carburant chez Total génère 10 % du montant en crédit sur le mobile de l’abonné s’il est chez Orange.
L’Association sénégalaise des producteurs de pétrole (ASPP) qui regroupe 17 sociétés nationales parmi lesquelles Mk, Elton, Oryx Sénégal, Maac petrolium, SGF (Serigne Gueye et Fils) ont dénoncé en vain cette alliance jugée déloyale.
Aujourd’hui, notre pays est le 3e client de la France après le Nigéria et la Côte d’Ivoire. La France est aussi, en Afrique subsaharienne, le premier pays fournisseur du Sénégal avec environs 6000 entreprises exportatrices. Ce qui lui octroie 20% de parts de marché. En 2015, les échanges entre le Sénégal et la France ont procuré à cette dernière un excédent commercial de 446 milliards. La France est le premier pays investisseur au Sénégal avec un stock d’IDE (investissement direct à l’étranger) de 1,7 milliard d’euros. Elle représente le ¼ du PIB et des recettes fiscales. Le Sénégal est l’un des 16 pays pauvres prioritaires (PPP) à bénéficier de la France de l’aide publique au développement. Avec toutes ces faveurs et passe-droits accordés à la France, il se trouve que le Sénégal a aliéné sa souveraineté économique. Et cette souveraineté économique est surtout hypothéquée par notre servitude monétaire vis-à-vis de la puissance coloniale quand bien même le président Sall aurait déclaré lors de sa visite en France que « le franc CFA est une monnaie stable, il ne faut pas la déstabiliser ».
Tout cela montre que, par la faiblesse et soumission de nos quatre dirigeants politiques qui se sont succédé à la présidence de la République, la France continue de régner économiquement, militairement en maitre au Sénégal. Si sous le magistère de Wade, il y a eu un fléchissement dans l’occupation du terrain économique, on note avec le président un regain des intérêts français quoi ont fini être présents dans les secteurs de la vie économique. Et en se rendant à Paris récemment avec toute la République nourrie et logée aux frais de la princesse pendant plusieurs jours, le président Sall n’a fait que renouveler cette allégeance coloniale vis-à-vis de la puissance tutélaire qu’est la France.
Serigne Saliou Guèye
Quand il s’est agi de renégocier la coopération militaire avec huit pays francophone de l’Afrique de l’Ouest comme l’avait préconisé le président Nicolas Sarkozy lors d’un discours tenu le 28 février 2008 au sein du Parlement sud-africain, le président Abdoulaye Wade avait exigé que la signature d’un nouvel accord était assujetti à la remise des emprises et à la réduction des effectifs militaires présents au Sénégal. Il n’était plus question pour Abdoulaye Wade de laisser les forces militaires françaises occuper les emprises foncières de Bel-Air (300 hectares) sans payer le loyer, l’eau et l’électricité. A la place, Wade avait prévu l’érection de projets immobiliers gigantesques, notamment des hôtels et des résidences cossues, qui donneraient une vue féérique sur la baie de Hann et l’île historique de Gorée.
Dès que Macky Sall a été élu président du Sénégal le 25 mars 2012, il a inversé cette décision, lors de sa première visite en France le 18 avril 2012. Ainsi a-t-il laissé les militaires français occuper gratuitement les bâtiments de Bel-Air. Il déclarait à l'époque, après avoir bénéficié d’un prêt de 130 millions d’euros : « Ils n’ont qu’à maintenir leurs bâtiments et nous, n’avons pas besoin de versement de ce loyer… La nature de notre coopération avec la France m’interdise de l’exiger. Il ne faut pas que ce point soit un obstacle dans notre coopération. La preuve, le soutien immédiat - qui a été fait - est volontaire. Il va bien au-delà de ces questions qui se chiffraient à 2 millions voire 2,5 millions d’euros. »
Pour beaucoup Sénégalais, cet acte posé par le successeur de Wade est un retour d’ascenseur à la puissance tutélaire qui l’a soutenu pour terrasser son adversaire. Les choses ne vont pas s’arrêter en bon si bon chemin avec Macky. Le terminal roulier du port autonome de Dakar destiné pour l’import et l’export de véhicules, camions et remorques est attribué à Bolloré Africa Logistics. Et le terminal vraquier exploité pour l’import et l’export de marchandises solides en vrac est attribué à Necotrans, groupe français spécialisé dans la logistique internationale.
Les Français sont aussi fortement présents dans la distribution alimentaire. Depuis 2015, le groupe de distribution française Auchan commence à conquérir le territoire national avec ses hypermarchés portant l’enseigne Atac. Bientôt Carrefour verra ses premiers supermarchés ouvrir dans notre capitale avant de s’étendre sur d’autres zones ciblées.
Aujourd’hui l’acquisition du Train express régional (TER) constitue une preuve de la subordination de notre pays à la métropole. La France prête 200 millions d’euros au Sénégal pour l’acquisition de 15 trains express régionaux (TER). Alstom se chargera de les construire, Eiffage Rail se charge de la construction de la voie ferrée. La Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et la Régie autonome des transports parisiens (RATP) se chargeront de l’exploitation et de la maintenance. Le coût total est fixé à 535 millions d’euros. Aujourd’hui le président Sall sauve 400 emplois de Belfort, l’un des 12 sites français d’Alstom menacé de fermeture.
Dans cette opération, c’est le Sénégal qui perd sur toute la ligne. Maintenant qu’est-ce qui motive le choix d’Alstom si l’on sait que ladite société n’est pas le leader mondial en matière de construction ferroviaire ? Pourquoi serions-nous plus royaliste que le roi quand on sait que certaines entreprises ferroviaires françaises n’hésitent pas à aller acheter ses locomotives ailleurs qu’en France ? A la fin de juillet dernier, Akiem, filiale de la SNCF, qui achète des locomotives pour les louer aux opérateurs ferroviaires, a attribué à l’allemand Vossloh - et non à Alstom - une commande de 44 motrices pour un montant de 140 millions d’euros.
La décision d’Akiem s’explique aussi par la qualité des trains du constructeur allemand et aussi par le prix. En effet, le tarif moyen de 3,2 millions d’euros par appareil est inférieur de 15% à celui des locomotives de même type vendues à la fin de 2015 par Alstom à Swiss Railway. En juin 2015, Akiem avait sélectionné le canadien Bombardier dans le cadre d’un contrat de 90 millions d’euros portant sur 26 locomotives.
De plus, pourquoi choisir une entreprise qui a plaidé coupable en 2014 des faits de corruption qui lui sont reprochés aux Etats-Unis et qui et a accepté de payer un montant de 772 millions de dollars, dans le cadre d'un règlement négocié avec le département américain de la Justice ? En effet, Alstom avait versé plus de 75 millions de dollars pour gagner des contrats représentant 4 milliards de dollars, notamment en Indonésie, en Egypte, en Arabie saoudite et aux Bahamas, qui lui ont rapporté environ 300 millions de dollars de bénéfice.
In fine, ce serait un crime de lèse-majesté si la France n’est pas invité au festin de notre manne pétrolière. Ainsi lors de la visite du président Sall en France, le Sénégal a conclu avec le groupe pétrolier français Total un contrat pour l’exploitation de gisements de pétrole en mer. Et aujourd’hui, l’Etat a accordé au major pétrolier français la construction exclusive de station-service dans la capitale sénégalaise au détriment des Sénégalais qui s’activent dans le même secteur. Il suffit de passer sur l’autoroute à péage pour se rendre compte de la puissance dominatrice de la France. L’Etat semble être impuissant devant la fixation arbitraire des tarifs chers du péage. Ainsi sur 75 km d’autoroute (de Dakar à Sindia via Diameniadio), les usagers doivent casquer 3000 francs (1400 francs Dakar- Diameniadio, 1600 Diameniadio-Sindia). Au Maroc, pour une distance de 223 km de péage, les usagers payent l’équivalent de 4800 francs CFA.
Sur tout le long de l’autoroute à péage, sans appel d’offres, Total assure la vente exclusive du carburant. En sus, il y a un consortium entre Orange Money et le Groupe Total. En effet, le groupe Total et le groupe Orange ont signé en juillet 2013 un partenariat rendant les services Orange Money accessibles dans les stations-service Total. Ainsi un client effectuant un achat de carburant ou de tout autre produit/service chez Total pour 50 000 FCFA, avec Orange Money, se verra attribuer un bonus crédit de 5000 FCFA. Et tout achat de carburant chez Total génère 10 % du montant en crédit sur le mobile de l’abonné s’il est chez Orange.
L’Association sénégalaise des producteurs de pétrole (ASPP) qui regroupe 17 sociétés nationales parmi lesquelles Mk, Elton, Oryx Sénégal, Maac petrolium, SGF (Serigne Gueye et Fils) ont dénoncé en vain cette alliance jugée déloyale.
Aujourd’hui, notre pays est le 3e client de la France après le Nigéria et la Côte d’Ivoire. La France est aussi, en Afrique subsaharienne, le premier pays fournisseur du Sénégal avec environs 6000 entreprises exportatrices. Ce qui lui octroie 20% de parts de marché. En 2015, les échanges entre le Sénégal et la France ont procuré à cette dernière un excédent commercial de 446 milliards. La France est le premier pays investisseur au Sénégal avec un stock d’IDE (investissement direct à l’étranger) de 1,7 milliard d’euros. Elle représente le ¼ du PIB et des recettes fiscales. Le Sénégal est l’un des 16 pays pauvres prioritaires (PPP) à bénéficier de la France de l’aide publique au développement. Avec toutes ces faveurs et passe-droits accordés à la France, il se trouve que le Sénégal a aliéné sa souveraineté économique. Et cette souveraineté économique est surtout hypothéquée par notre servitude monétaire vis-à-vis de la puissance coloniale quand bien même le président Sall aurait déclaré lors de sa visite en France que « le franc CFA est une monnaie stable, il ne faut pas la déstabiliser ».
Tout cela montre que, par la faiblesse et soumission de nos quatre dirigeants politiques qui se sont succédé à la présidence de la République, la France continue de régner économiquement, militairement en maitre au Sénégal. Si sous le magistère de Wade, il y a eu un fléchissement dans l’occupation du terrain économique, on note avec le président un regain des intérêts français quoi ont fini être présents dans les secteurs de la vie économique. Et en se rendant à Paris récemment avec toute la République nourrie et logée aux frais de la princesse pendant plusieurs jours, le président Sall n’a fait que renouveler cette allégeance coloniale vis-à-vis de la puissance tutélaire qu’est la France.
Serigne Saliou Guèye