L'élection de Monsieur Bassirou Diomaye Faye à la Présidence de la République du Sénégal a replacé dans le débat public les questions de la bonne gouvernance, de la transparence et de la reddition des comptes dans la gestion des affaires publiques. Rappelons aussi que lors de la campagne électorale, le candidat Bassirou Diomaye Faye avait fait de ces questions son thème de prédilection. Une fois élu, le Président Faye porte un discours qui traduit une volonté affichée de faire de la reddition des comptes un impératif et de la transparence une obligation, d’où le triptyque « Jub Jubal Jubbanti ».
La bonne gouvernance, transparence et la reddition des comptes font partie des cinq orientations majeures du « Projet de transformation systémique du Sénégal » qui est le nouveau référentiel des politiques publiques. Ce changement s'inscrit en droite ligne avec les principes de la Constitution qui proclame dans son préambule que le Sénégal affirme « son l’attachement à la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques, ainsi qu’au principe de bonne gouvernance ».
Par ailleurs, face à un environnement économique difficile et des urgences sociales, le Sénégal se voit contraint de prendre des mesures visant à instaurer la bonne gouvernance, et l’efficacité et l’efficience dans la gestion des ressources publiques.
Les dispositifs de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes s’appuient sur plusieurs outils dont les documents administratifs et archives. Ces derniers découlent des activités de l’administration et reflètent la façon dont les affaires publiques ont été conduites et gérées par les agents de l'Etat. D’où les précieuses sources d’information qu’ils constituent pour les organes de contrôle (audits) et les citoyens (accès à l’information administrative).
Ainsi, il est pertinent d’aborder et de montrer la contribution d’une gestion optimale des documents administratifs et archives au développement d’une culture de bonne gouvernance dans l'administration publique sénégalaise.
Clarification conceptuelle des archives et des documents administratifs
À tort, le périmètre des archives et des documents administratifs a tendance à être élargi à tous les documents produits ou reçus par les organismes publics et les institutions étatiques. D’où la nécessité de préciser ces deux concepts. Compte tenu de leur importance dans les administrations publiques et dans le but de délimiter leur champ d’application, leur définition est généralement donnée dans les dispositifs juridiques nationaux qui leur sont dédiés.
Ainsi, dans son article premier, la loi n° 2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs définit les archives comme suit : « Les archives sont constituées par l’ensemble des documents, quels qu’en soient la nature, la date, la forme ou le support matériel, produits ou reçus par une personne physique ou morale dans le cadre de son activité publique ou privée. Les archives sont soit publiques, soit privées » .
Cette définition englobe les trois catégories d’archives à savoir les archives courantes (utilisées régulièrement pour la gestion quotidienne des affaires), les archives intermédiaires (consultées épisodiquement à titre de référence ou de preuve) et les archives historiques (conservées pour constituer la mémoire). Elle prend aussi en compte les documents et supports numériques (information numérique, sites et pages web, courriers électroniques, bases de données, les fichiers multimédias, etc.)
S’agissant des documents administratifs, la loi d’archives susmentionnée précise en son Article 21 que : « Les documents administratifs sont constitués par l’ensemble des documents produits ou reçus, dans l’exercice de leurs activités par les autorités administratives à savoir l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les sociétés nationales, les sociétés à participation publique et les organismes privés chargés de la gestion d’un service public ou investis d’une mission de service public».
À l’image des archives, les documents administratifs peuvent être physiques ou numériques. Plus précisément, ils sont constitués par « les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions » .
Les documents administratifs et archives : des outils de management public
Selon Nicolas Charest « le management public consiste en un ensemble de processus et d'outils visant à atteindre une performance optimale d'une organisation vouée au service public ».
Dans l’objectif d’atteindre la « performance optimale », le management public mobilise des outils et fonctions supports parmi lesquels figurent les ressources informationnelles dont une des composantes sont les documents administratifs et archives. Ces derniers, à la fois information et supports d’information, représentent un enjeu stratégique et constituent des moyens d’action pour les autorités administratives. Comme mentionné plus haut, les documents administratifs et archives constituent et conservent les traces de l’activité des organismes publics (et privés délégataires d’un service public) et celles de la gestion des affaires dont ils ont la charge. D’où les fonctions informative, administrative et justificative des documents administratifs et archives. Lesquelles fonctions sont essentielles à la gestion des affaires publiques.
D’abord, les documents administratifs et archives contiennent des informations fiables, validées, actualisées et stratégiques qui sont indispensables au traitement des dossiers et à la prise de décision (fonction informative). Ensuite, ils constituent les documents et dossiers nécessaires à la gestion courante des affaires et à la continuité de l’activité des autorités administratives (fonction administrative). Et enfin, ils ont une valeur probante ou juridique. Ce qui leur permet de justifier des droits et obligations ou d’éclairer des actes posés dans le cadre de l’action administrative (fonction justificative). Au vu de ces trois fonctions, les documents administratifs et archives demeurent des outils essentiels au management public et qui concourent à son objet qu’est l’atteinte de la performance optimale.
Par ailleurs, les trois fonctions susmentionnées des documents administratifs et archives, au-delà de leurs perspectives managériales, renforcent l’obligation légale qu’est la conservation des documents administratifs et archives par les organismes publics et organismes privés investis d’un service public. En outre, la conservation des documents administratifs et archives permet aux organes de contrôle de mener à bien leur travail et aux citoyens de jouir de leur droit d’accès à l’information administrative. D’où leur pleine contribution à la transparence et à la bonne gouvernance.
La gestion des documents administratifs et archives : un gage de transparence et de bonne gouvernance
La transparence renvoie à la qualité d’une organisation qui informe sur son fonctionnement, ses actions, ses décisions, ses résultats et ses projets. C’est une condition sine qua non aux dispositifs de reddition des comptes et de redevabilité. Dans le sens où sa réalisation repose sur l’accès à l’information, l’archiviste devient un acteur clé dans ce processus. Celui-ci exerce, en effet, trois activités qui servent de leviers essentiels à la transparence. Il s’agit de la sécurisation des données et documents liés à la gestion administrative et financière, leur classement pour une facilité de repérage et la réponse aux demandes de communication conformément aux dispositifs juridiques.
Promotion de la redevabilité par la conservation des documents
Les dispositifs légaux obligent l’administration et ses composantes à conserver pendant une période de dix ans les pièces justificatives des opérations de recettes, de dépenses, de trésorerie et de patrimoine. Cette prescription est notamment énoncée dans l’Acte uniforme de l’OHADA du 26 janvier 2017 relatif au droit comptable et à l’information financière, dans la loi n° 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques ainsi que dans le décret n° 2020-978 portant Règlement général sur la Comptabilité publique.
Dans cette logique, l’archiviste assure la disponibilité des archives et des documents administratifs jusqu’à l’expiration de leur délai de conservation. Pour ce faire, un outil comme le calendrier de conservation est proposé dans le champ archivistique. Il répertorie tous les types de documents de l’administration, fixe la durée de conservation pour chacun d’entre eux et définit le sort final à la fin de cette période. Les conditions de protection de l’intégrité physique et intellectuelle des documents sont aussi prises en compte en termes d’équipements, de locaux et d’environnement.
L’enjeu est d’assurer la traçabilité des actes administratifs pour contrecarrer les pertes de données et les destructions incontrôlées de documents qui compromettent la revue documentaire des organes de contrôle.
L’apport du classement des documents au contrôle administratif
L’administration produit et reçoit une grande quantité de documents dont la gestion, dans la plupart de ses démembrements, souffre de dysfonctionnements et d’insuffisances. Il s’agit particulièrement d’absence de modes de classement (thématique, numérique, chronologique), de déficit d’équipements et de locaux adaptés. C’est ce qui ressort du dernier rapport public de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) publié en 2015. Or ces manquements constituent de réels obstacles à la redevabilité et à la reddition des comptes.
À cet égard, la mise en place de systèmes de records management peut trouver un écho favorable au sein des services étatiques. Dans cette démarche, l'archiviste intervient dès la création ou la réception du document pour appliquer les premières actions d’enregistrement, de classement et d’indexation. En plus, le plan de classement, conçu en fonction des activités générant les documents, attribue à chaque dossier un emplacement précis suivant une structure logique et hiérarchique. Il en résulte une maîtrise de la production documentaire et un repérage instantané lors des recherches subséquentes.
L’accès à l’information dans une gouvernance transparente
Les services d’archives sont des médiateurs entre l’administration et les citoyens en garantissant l’accès et la diffusion des archives et documents administratifs au public soucieux de s'informer sur la conduite des politiques publiques. Conformément à la loi n°2012-22 portant Code de transparence dans Gestion des Finances publiques, l’administration est incitée à publier « dans des délais appropriés, les informations sur les finances publiques. » et d’informer régulièrement le public « sur les grandes étapes de la procédure budgétaire, leurs enjeux économiques et sociaux ».
Dans cette perspective, la mise en ligne de produits et services sur Internet (sites web, portails documentaires, réseaux sociaux, etc.), les publications en ligne et sur papier (ouvrages, guides des archives, articles de presse, etc.), la formation et la sensibilisation (expositions, journées portes ouvertes, séminaires) sont des nouveaux canaux pour élargir le champ de la diffusion de l’information.
Au sein des services d’archives, l’accès aux documents est libre et gratuit. Il s’organise autour de l’instrument de recherche permettant d’identifier et de repérer les documents recherchés, et de l’autorisation légale qui prend en compte les délais de communicabilité et la protection de la vie privée. Cependant, les professionnels des archives sont tenus de trouver le juste équilibre afin de protéger les intérêts publics et privés sans compromettre le droit à l’information.
Cette démarche proactive crée une relation de confiance entre l’administration et les usagers et participe à la formation de citoyens informés et conscients, capables de formuler des opinions constructrices sur les questions politiques, économiques et sociales.
La nécessité de valoriser la gestion des documents et des archives dans l’administration publique sénégalaise
Comme démontré dans les précédentes parties de ce texte, la gestion des archives et des documents administratifs est un pilier essentiel à la gestion des affaires publiques, à la bonne gouvernance et à la transparence. D’où l’enjeu stratégique qu’elle représente pour les pouvoirs publics et les citoyens.
Cependant, il faut souligner que l’Administration publique sénégalaise connaît de nombreux manquements en matière de gestion des documents et des archives (non-respect de la législation et des textes en vigueur, absence de contrôle, insuffisance des moyens humains matériels et financiers, manques de compétences professionnelles, absence de référentiels, non harmonisation des pratiques de gestion documentaire, locaux inadaptés à la conservation des archives, absence de structure de gestion des archives, etc.), d’où les nombreuses pertes préjudiciables (temps, documents, informations, ressources publiques, droits) qu’ils occasionnent pour l'État et les citoyens.
D’ailleurs, plusieurs rapports publiés notamment par la Cour des comptes, l’IGE, et l’ARMP soulignent et recommandent annuellement de remédier aux manquements liés à la gestion des documents et archives constatés dans de nombreux organismes publics et parapublics. Ces manquements constituent un obstacle majeur au travail des contrôleurs nécessitant l’urgence d’agir en ce sens.
Rappelons que le Sénégal dispose d’une législation et des textes qui encadrent toute action en matière de gestion de documents et d’archives, de professionnels des archives compétents et qualifiés et d’un institut universitaire (EBAD) qui forme des archivistes et vivifie la recherche en information-documentation. Le maillon manquant de la chaîne reste la volonté politique. Cette dernière, au-delà des discours, promesses et engagements, doit se traduire en actes, notamment par l’application dans toute sa rigueur de la loi d’archives, le renforcement des moyens matériels et financiers des services d’archives, le recrutement d’archivistes au sein des administrations publiques et la construction de la maison des archives tant attendue et ardemment souhaitée par les archivistes sénégalais.
La volonté affichée par les nouvelles autorités de mettre en place une administration efficace et performante, et d’instaurer la transparence et la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques ne peut se concrétiser sans la prise en compte et la valorisation de la gestion des documents et archives. Celle-ci demeure un pilier essentiel et incontournable à un management public de qualité, efficient et transparent.
El hadji Gora Sène
Ingénieur en Gestion documentaire/Archiviste
elhadji.sene934@gmail.com
Khalifa Ababacar Tall,
Archiviste, Master 2 en Sciences de l’information documentaire
tallkhalifaababacar@gmail.com
Bibliographie
Article L300-2 - Code des relations entre le public et l’administration - Légifrance [Internet]. [cité 28 avril 2024]. Disponible sur: https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033218936
BARBAT, Philippe. Comment le "records management" peut faire progresser la transparence administrative [en ligne]. [Référence du 30-04-2024]. Disponible sur : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/1488
COUTAZ, Gilbert. L'archiviste entre le droit à l'information et la protection des informations réservées. Janus. Vol. 1, 1997. [Référence du 30-04-2015]. Disponible sur : http://www.arxivers.com/index.php/documents/publicacions/revista-lligall-1/lligall-12-1/813-13118-l-archiviste-entre-le-droit-a-la-information-et-la-protection-des-informations-reservees-1/file
De BOISDEFFRE, Martine. Administration et archives aujourd’hui en ligne [en ligne]. [Référence du 30-04-2024]. Disponible sur : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=RFAP_102_0277
ENAP - Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique > Index par mot. (s. d.). Consulté le 28 avril 2024, à l’adresse https://dictionnaire.enap.ca/Dictionnaire/17/Index_par_mot.enap?by=word&id=65
Gouvernement du Sénégal. Loi n° 2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs. Journal officiel n° 6291 du samedi 5 août.
La bonne gouvernance, transparence et la reddition des comptes font partie des cinq orientations majeures du « Projet de transformation systémique du Sénégal » qui est le nouveau référentiel des politiques publiques. Ce changement s'inscrit en droite ligne avec les principes de la Constitution qui proclame dans son préambule que le Sénégal affirme « son l’attachement à la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques, ainsi qu’au principe de bonne gouvernance ».
Par ailleurs, face à un environnement économique difficile et des urgences sociales, le Sénégal se voit contraint de prendre des mesures visant à instaurer la bonne gouvernance, et l’efficacité et l’efficience dans la gestion des ressources publiques.
Les dispositifs de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes s’appuient sur plusieurs outils dont les documents administratifs et archives. Ces derniers découlent des activités de l’administration et reflètent la façon dont les affaires publiques ont été conduites et gérées par les agents de l'Etat. D’où les précieuses sources d’information qu’ils constituent pour les organes de contrôle (audits) et les citoyens (accès à l’information administrative).
Ainsi, il est pertinent d’aborder et de montrer la contribution d’une gestion optimale des documents administratifs et archives au développement d’une culture de bonne gouvernance dans l'administration publique sénégalaise.
Clarification conceptuelle des archives et des documents administratifs
À tort, le périmètre des archives et des documents administratifs a tendance à être élargi à tous les documents produits ou reçus par les organismes publics et les institutions étatiques. D’où la nécessité de préciser ces deux concepts. Compte tenu de leur importance dans les administrations publiques et dans le but de délimiter leur champ d’application, leur définition est généralement donnée dans les dispositifs juridiques nationaux qui leur sont dédiés.
Ainsi, dans son article premier, la loi n° 2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs définit les archives comme suit : « Les archives sont constituées par l’ensemble des documents, quels qu’en soient la nature, la date, la forme ou le support matériel, produits ou reçus par une personne physique ou morale dans le cadre de son activité publique ou privée. Les archives sont soit publiques, soit privées » .
Cette définition englobe les trois catégories d’archives à savoir les archives courantes (utilisées régulièrement pour la gestion quotidienne des affaires), les archives intermédiaires (consultées épisodiquement à titre de référence ou de preuve) et les archives historiques (conservées pour constituer la mémoire). Elle prend aussi en compte les documents et supports numériques (information numérique, sites et pages web, courriers électroniques, bases de données, les fichiers multimédias, etc.)
S’agissant des documents administratifs, la loi d’archives susmentionnée précise en son Article 21 que : « Les documents administratifs sont constitués par l’ensemble des documents produits ou reçus, dans l’exercice de leurs activités par les autorités administratives à savoir l’Etat, les collectivités locales, les établissements publics, les sociétés nationales, les sociétés à participation publique et les organismes privés chargés de la gestion d’un service public ou investis d’une mission de service public».
À l’image des archives, les documents administratifs peuvent être physiques ou numériques. Plus précisément, ils sont constitués par « les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions » .
Les documents administratifs et archives : des outils de management public
Selon Nicolas Charest « le management public consiste en un ensemble de processus et d'outils visant à atteindre une performance optimale d'une organisation vouée au service public ».
Dans l’objectif d’atteindre la « performance optimale », le management public mobilise des outils et fonctions supports parmi lesquels figurent les ressources informationnelles dont une des composantes sont les documents administratifs et archives. Ces derniers, à la fois information et supports d’information, représentent un enjeu stratégique et constituent des moyens d’action pour les autorités administratives. Comme mentionné plus haut, les documents administratifs et archives constituent et conservent les traces de l’activité des organismes publics (et privés délégataires d’un service public) et celles de la gestion des affaires dont ils ont la charge. D’où les fonctions informative, administrative et justificative des documents administratifs et archives. Lesquelles fonctions sont essentielles à la gestion des affaires publiques.
D’abord, les documents administratifs et archives contiennent des informations fiables, validées, actualisées et stratégiques qui sont indispensables au traitement des dossiers et à la prise de décision (fonction informative). Ensuite, ils constituent les documents et dossiers nécessaires à la gestion courante des affaires et à la continuité de l’activité des autorités administratives (fonction administrative). Et enfin, ils ont une valeur probante ou juridique. Ce qui leur permet de justifier des droits et obligations ou d’éclairer des actes posés dans le cadre de l’action administrative (fonction justificative). Au vu de ces trois fonctions, les documents administratifs et archives demeurent des outils essentiels au management public et qui concourent à son objet qu’est l’atteinte de la performance optimale.
Par ailleurs, les trois fonctions susmentionnées des documents administratifs et archives, au-delà de leurs perspectives managériales, renforcent l’obligation légale qu’est la conservation des documents administratifs et archives par les organismes publics et organismes privés investis d’un service public. En outre, la conservation des documents administratifs et archives permet aux organes de contrôle de mener à bien leur travail et aux citoyens de jouir de leur droit d’accès à l’information administrative. D’où leur pleine contribution à la transparence et à la bonne gouvernance.
La gestion des documents administratifs et archives : un gage de transparence et de bonne gouvernance
La transparence renvoie à la qualité d’une organisation qui informe sur son fonctionnement, ses actions, ses décisions, ses résultats et ses projets. C’est une condition sine qua non aux dispositifs de reddition des comptes et de redevabilité. Dans le sens où sa réalisation repose sur l’accès à l’information, l’archiviste devient un acteur clé dans ce processus. Celui-ci exerce, en effet, trois activités qui servent de leviers essentiels à la transparence. Il s’agit de la sécurisation des données et documents liés à la gestion administrative et financière, leur classement pour une facilité de repérage et la réponse aux demandes de communication conformément aux dispositifs juridiques.
Promotion de la redevabilité par la conservation des documents
Les dispositifs légaux obligent l’administration et ses composantes à conserver pendant une période de dix ans les pièces justificatives des opérations de recettes, de dépenses, de trésorerie et de patrimoine. Cette prescription est notamment énoncée dans l’Acte uniforme de l’OHADA du 26 janvier 2017 relatif au droit comptable et à l’information financière, dans la loi n° 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions électroniques ainsi que dans le décret n° 2020-978 portant Règlement général sur la Comptabilité publique.
Dans cette logique, l’archiviste assure la disponibilité des archives et des documents administratifs jusqu’à l’expiration de leur délai de conservation. Pour ce faire, un outil comme le calendrier de conservation est proposé dans le champ archivistique. Il répertorie tous les types de documents de l’administration, fixe la durée de conservation pour chacun d’entre eux et définit le sort final à la fin de cette période. Les conditions de protection de l’intégrité physique et intellectuelle des documents sont aussi prises en compte en termes d’équipements, de locaux et d’environnement.
L’enjeu est d’assurer la traçabilité des actes administratifs pour contrecarrer les pertes de données et les destructions incontrôlées de documents qui compromettent la revue documentaire des organes de contrôle.
L’apport du classement des documents au contrôle administratif
L’administration produit et reçoit une grande quantité de documents dont la gestion, dans la plupart de ses démembrements, souffre de dysfonctionnements et d’insuffisances. Il s’agit particulièrement d’absence de modes de classement (thématique, numérique, chronologique), de déficit d’équipements et de locaux adaptés. C’est ce qui ressort du dernier rapport public de l’Inspection Générale d’Etat (IGE) publié en 2015. Or ces manquements constituent de réels obstacles à la redevabilité et à la reddition des comptes.
À cet égard, la mise en place de systèmes de records management peut trouver un écho favorable au sein des services étatiques. Dans cette démarche, l'archiviste intervient dès la création ou la réception du document pour appliquer les premières actions d’enregistrement, de classement et d’indexation. En plus, le plan de classement, conçu en fonction des activités générant les documents, attribue à chaque dossier un emplacement précis suivant une structure logique et hiérarchique. Il en résulte une maîtrise de la production documentaire et un repérage instantané lors des recherches subséquentes.
L’accès à l’information dans une gouvernance transparente
Les services d’archives sont des médiateurs entre l’administration et les citoyens en garantissant l’accès et la diffusion des archives et documents administratifs au public soucieux de s'informer sur la conduite des politiques publiques. Conformément à la loi n°2012-22 portant Code de transparence dans Gestion des Finances publiques, l’administration est incitée à publier « dans des délais appropriés, les informations sur les finances publiques. » et d’informer régulièrement le public « sur les grandes étapes de la procédure budgétaire, leurs enjeux économiques et sociaux ».
Dans cette perspective, la mise en ligne de produits et services sur Internet (sites web, portails documentaires, réseaux sociaux, etc.), les publications en ligne et sur papier (ouvrages, guides des archives, articles de presse, etc.), la formation et la sensibilisation (expositions, journées portes ouvertes, séminaires) sont des nouveaux canaux pour élargir le champ de la diffusion de l’information.
Au sein des services d’archives, l’accès aux documents est libre et gratuit. Il s’organise autour de l’instrument de recherche permettant d’identifier et de repérer les documents recherchés, et de l’autorisation légale qui prend en compte les délais de communicabilité et la protection de la vie privée. Cependant, les professionnels des archives sont tenus de trouver le juste équilibre afin de protéger les intérêts publics et privés sans compromettre le droit à l’information.
Cette démarche proactive crée une relation de confiance entre l’administration et les usagers et participe à la formation de citoyens informés et conscients, capables de formuler des opinions constructrices sur les questions politiques, économiques et sociales.
La nécessité de valoriser la gestion des documents et des archives dans l’administration publique sénégalaise
Comme démontré dans les précédentes parties de ce texte, la gestion des archives et des documents administratifs est un pilier essentiel à la gestion des affaires publiques, à la bonne gouvernance et à la transparence. D’où l’enjeu stratégique qu’elle représente pour les pouvoirs publics et les citoyens.
Cependant, il faut souligner que l’Administration publique sénégalaise connaît de nombreux manquements en matière de gestion des documents et des archives (non-respect de la législation et des textes en vigueur, absence de contrôle, insuffisance des moyens humains matériels et financiers, manques de compétences professionnelles, absence de référentiels, non harmonisation des pratiques de gestion documentaire, locaux inadaptés à la conservation des archives, absence de structure de gestion des archives, etc.), d’où les nombreuses pertes préjudiciables (temps, documents, informations, ressources publiques, droits) qu’ils occasionnent pour l'État et les citoyens.
D’ailleurs, plusieurs rapports publiés notamment par la Cour des comptes, l’IGE, et l’ARMP soulignent et recommandent annuellement de remédier aux manquements liés à la gestion des documents et archives constatés dans de nombreux organismes publics et parapublics. Ces manquements constituent un obstacle majeur au travail des contrôleurs nécessitant l’urgence d’agir en ce sens.
Rappelons que le Sénégal dispose d’une législation et des textes qui encadrent toute action en matière de gestion de documents et d’archives, de professionnels des archives compétents et qualifiés et d’un institut universitaire (EBAD) qui forme des archivistes et vivifie la recherche en information-documentation. Le maillon manquant de la chaîne reste la volonté politique. Cette dernière, au-delà des discours, promesses et engagements, doit se traduire en actes, notamment par l’application dans toute sa rigueur de la loi d’archives, le renforcement des moyens matériels et financiers des services d’archives, le recrutement d’archivistes au sein des administrations publiques et la construction de la maison des archives tant attendue et ardemment souhaitée par les archivistes sénégalais.
La volonté affichée par les nouvelles autorités de mettre en place une administration efficace et performante, et d’instaurer la transparence et la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques ne peut se concrétiser sans la prise en compte et la valorisation de la gestion des documents et archives. Celle-ci demeure un pilier essentiel et incontournable à un management public de qualité, efficient et transparent.
El hadji Gora Sène
Ingénieur en Gestion documentaire/Archiviste
elhadji.sene934@gmail.com
Khalifa Ababacar Tall,
Archiviste, Master 2 en Sciences de l’information documentaire
tallkhalifaababacar@gmail.com
Bibliographie
Article L300-2 - Code des relations entre le public et l’administration - Légifrance [Internet]. [cité 28 avril 2024]. Disponible sur: https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033218936
BARBAT, Philippe. Comment le "records management" peut faire progresser la transparence administrative [en ligne]. [Référence du 30-04-2024]. Disponible sur : http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/static/1488
COUTAZ, Gilbert. L'archiviste entre le droit à l'information et la protection des informations réservées. Janus. Vol. 1, 1997. [Référence du 30-04-2015]. Disponible sur : http://www.arxivers.com/index.php/documents/publicacions/revista-lligall-1/lligall-12-1/813-13118-l-archiviste-entre-le-droit-a-la-information-et-la-protection-des-informations-reservees-1/file
De BOISDEFFRE, Martine. Administration et archives aujourd’hui en ligne [en ligne]. [Référence du 30-04-2024]. Disponible sur : http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=RFAP_102_0277
ENAP - Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique > Index par mot. (s. d.). Consulté le 28 avril 2024, à l’adresse https://dictionnaire.enap.ca/Dictionnaire/17/Index_par_mot.enap?by=word&id=65
Gouvernement du Sénégal. Loi n° 2006-19 du 30 juin 2006 relative aux archives et aux documents administratifs. Journal officiel n° 6291 du samedi 5 août.