Il est fréquent de voir, lors des grandes messes diplomatiques, certains Chefs d’Etats africains s’afficher jovialement, au mépris de la solennité et du protocole requis en cet instant, en compagnie des Grands de ce monde pour attester de la complicité qui les lieraient intimement. Ces images diffusées dans les médias sont notamment destinées à informer leur opinion publique sur leur importance et leur influence internationales. Celles-ci trahissent un art politique loin d’être une fiction diplomatique. La diplomatie poursuit autant des fins impersonnelles qui toutefois n’excluent pas les liens personnels qui peuvent servir les intérêts du pays. Il n’y a pas de contradiction. La part d’affection, de sympathie et d’admiration qu’un chef d’Etat éprouve à l’égard d’un homologue est un élément fondamental dans l’amélioration des relations bilatérales entre les deux pays concernés.
Les chefs d’Etats sont en effet souvent plus proches les uns des autres que ne le sont les membres de leurs sociétés respectives. Des liens d’amitié sincère ou intéressée se tissent à la faveur des affinités. Une véritable diplomatie de connivence, de complicité, de proximité et de complémentarité, se met ainsi intelligemment en place entre chefs d’Etats et de gouvernement ; mais aussi entre officiels et particuliers, à l’insu au su de tout le monde. Toujours pour le meilleur. Rarement pour le pire.
Les dénonciations diplomatiques au-dehors contrastent ainsi avec la collaboration au-dedans. On pourchasse celui qu’on avait accueillis à bras ouverts et tolérés tous les caprices et fantaisies quelque temps auparavant. On déroule le tapis rouge pour celui dont on avait mis à prix la tête. Le wanted dead or alive devient justement le wanted for granted. La diplomatie se forge à l’école des coups durs. Pas d’ennemi éternel ni d’ami permanent, mais que des intérêts à défendre aimait répéter le Premier Ministre britannique Palmerson.
La diplomatie se fait aussi en monnaie sonnante et trébuchante. L’argent est souvent le nerf de la guerre diplomatique que se livrent les Etats. L’argent est un outil diplomatique. La diplomatie a un coût. L’argent se présente comme une manière moins exigeante, donc plus confortable de négocier. Un donner pour un recevoir. Donc point d’élan humanitaire en dépit du coup d’éclat humaniste. Ne convient-il pas dès lors de suggérer l’idée d’une « diplomatie du ventre » qui n’est pas une nouveauté ? Les pays du nord comme ceux du sud l’ont pratiqué à satiété suivant les enjeux du moment ; pour faire voter une résolution ou soutenir une politique étrangère. La sécurité et l’intérêt se présentent aussi comme des facteurs explicatifs de ces pratiques moralement condamnables mais diplomatiquement justifiées et donc légitimées au nom de la realpolitik. La diplomatie est un mélange d’intérêts nationaux, de calculs stratégiques et d’ambitions personnelles. Celle-ci ne va pas forcément à l’encontre du peuple. Il ne s’agit pas là d’une diplomatie du ventre contre le peuple détroussé de ses biens. Une diplomatie pour le peuple qui se décide à son insu, sans porter atteinte à ses intérêts bien compris.
Alors, à qui profite le crime notamment dans une époque où il sera désormais difficile de s’éterniser au pouvoir ; les mandats électifs tendant à être limités ? On parle plus de l’argent que certains chefs d’Etat africains auraient donné à certains hommes politiques français, qu’à ce qu’ils auraient reçu en retour en nature, en symboles ou en espèces. Admettons que les transactions aient été effectives, l’on est en droit de se demander à quoi obéirait alors cette logique où le démuni « enrichit » le nanti ? Qu’ont reçu en retour ces chefs d’Etats africains : un soutien garanti, de l’argent du contribuable français, un silence sur leur mode de gouvernement, des garanties sur la non dévaluation du franc CFA ? Cette générosité banale au regard des relations internationales correspond-t-elle à une fautive malhonnêteté politique ou plutôt à une habileté diplomatique pour l’intérêt supérieur de la nation ? Reste à savoir, à condition de voir dans ce sable mouvant de la diplomatie des secrets du roi et des cabinets noirs. En tout cas, le problème ne saurait être réduit à une histoire de dominants et de dominés, voire de classes sociales qui nécessiterait une union de tous les prolétaires du monde pour inverser la « dictature » diplomatique menée à notre insu.
La politique intérieure se joue aussi sur le plan diplomatique exigeant tout un art de la main tendue, non pas pour quémander, mais surtout pour financer l’homologue en poste ou à venir. Faut-il y voir une habilité diplomatique à assumer au nom du réalisme où plutôt une pathologie politique à dénoncer avec la dernière énergie ? Et si le « fort » dépendait en fait du « faible » dans cette diplomatie du donnant-gagnant et du gagnant-donnant ?
Une grammaire de la diplomatie nous fait entrevoir les délices de la diplomatie du ventre plus que les supplices que les Etats dits faibles ressentiraient. Le mythe d’une diplomatie des forts puissants face à des faibles obéissant est toujours un raccourci explicatif assez séduisant par rapport à la réalité. Les diplomates africains, chefs d’Etats en pôle position du fait que c’est bien souvent leur « domaine réservé », sont beaucoup plus efficaces qu’on ne le soupçonne, même si on peut penser au regard de l’interventionnisme occidental dans les révolutions et transitions démocratiques africaines récentes que la diplomatie africaine n’existe pas. Pourquoi s’encombrer d’un Chef d’Etat finissant, condamné à la vindicte diplomatique ? Ils n’ont ainsi aucun état d’âme à lâcher du jour au lendemain un allié devenu encombrant, inutile et sans intérêt. C’est une règle élémentaire de réalisme politique. Pourquoi les africains devraient-ils jouer aux moralisateurs, fidèles défenseurs d’un idéalisme naïf qui les desservirait ?
L’essentiel diplomatique se joue en coulisses, derrière les caméras où le clientélisme, les accords et arrangements secrets ne relèvent pas de la diplomatie-fiction. Nombre de décisions politiques et de pratiques diplomatiques se tissent dans l’opacité la plus totale au mépris de la transparence démocratique idéalement exigée. Le réalisme raisonné prime sur l’idéalisme naïf dans la conduite des affaires étrangères qui requiert l’utilisation de l’intelligence et du tact pour conquérir et jouir des marchés diplomatiques qui livrent les Etats dans des positions de rivalité, de compétitivité et de concurrences les plus déloyales qui soient. Aussi mettre la main à la poche est un geste diplomatique banal pour ne pas être relégué en deuxième division et espérer se faire entendre un jour. Depuis Jean-Bedel Bokassa, la lumière reste encore à faire sur les relations bien personnelles et basées sur l’argent, l’or et les diamants entre dirigeants africains et français. Françafrique a-t-on dit ?
Il est tentant de plaider l’insensé d’une servitude et d’une contribution volontaires de chefs d’Etats « pauvres » renflouant les caisses déjà surchargées de ces pays riches. Loin d’être une générosité malsaine et inappropriée de présidents de pays pauvres envers des présidents ou présidentiables de pays riches, cette diplomatie de rentes de situations obéit à une logique bien réfléchie et stratégiquement calculée. Si argent versé il y a, cela viserait certainement moins à enrichir personnellement ces présidents ou présidentiables français et leurs concitoyens, et donc à appauvrir ses propres concitoyens, qu’à participer à l’effort de guerre d’une compétition qui se joue dans l’hexagone mais dont l’issue heureuse ou malheureuse pourrait avoir des répercussions intéressantes. D’où l’investissement et non la charité. L’objectif et donc clair puisqu’il s’agit de se baisser et de récolter les fruits en cas de victoire ou même de défaite. L’astuce diplomatique est fort subtile puisque ceux qui financent ne misent pas leurs billes sur une seule personnalité. Qui perd ils gagnent. Qui gagne ils gagnent. Des fruits sont à récolter tant au niveau de la politique extérieure qu’au niveau des enjeux de la politique intérieure. Un pistolet n’a pas été placé sur leurs tempes – la bourse ou la vie – pour les obliger à cette générosité qui n’en est pas une. Il convient plus de parler d’habileté diplomatique.
Une telle diplomatie du ventre peut se révéler stratégiquement fondée et pertinente. Les Chefs d’Etats ne sont pas généreux par charité chrétienne ou foi islamique. Derrière la générosité, il y a le calcul géopolitique et géostratégique, des aspirations personnelles (condamnables) mais aussi des visées impersonnelles (souhaitables) qui avantagent le pays. Peu importe que ce soit un président de gauche, de droite ou d’extrême droite. Le réalisme dicte ces méthodes. Il y a la diplomatie de la main tendue mais aussi celle de l’investissement et donc de la pièce de monnaie rendue. Reprendre de la main gauche ce qu’on a donné de la main droite. Du « give and take ».
Il y a une compétition dans la diplomatie. Les chefs d’Etats font ainsi preuve de lucidité pour jouer comme au loto leur partition diplomatique en remplissant des grilles de fidélité et d’opportunité, en espérant qu’on leur rendra la monnaie de la pièce. Le souci de l’intérêt prime sur les valeurs démocratiques ou éthiques. La diplomatie dicte bien souvent des choix contraires à l’éthique républicaine et à l’idéal démocratique à distinguer de l’efficacité diplomatique. L’argent qu’auraient reçu Jacques Chirac, Dominique de Villepin ou Jean-Marie le Pen ne leur est pas personnellement destiné. Cet argent permettrait de s’adonner comme en Afrique à la politique du ventre pour conquérir l’électorat français. Comme quoi, aucun pays ni continent n’a le monopole de la politique du ventre qu’il ne faut pas réduire à une « prostitution de l’esprit ». L’argent devient un outil diplomatique. Un donner pour un recevoir. Un soutien électoral ponctuel pour un futur soutien économique, militaire ou politique. Eventuellement, pour renvoyer l’ascenseur. Il ne s’agit point là d’un service politique ou d’une servitude volontaire des Etats africains vis-à-vis de l’économie française mais d’une contribution volontaire ou humanitaire à l’effort de guerre diplomatique qui se joue déjà dans cette séquence nationale que sont ces « primaires » et préliminaires de la compétition politique pour conquérir le pouvoir. Une solution diplomatique à la racine de la vie politique nationale.
L’opinion publique peut se montrer scandalisée face à de telles pratiques, qui ne disparaîtront pas de sitôt. Mais l’opinion publique a-t-elle en sa possession tous les éléments d’appréciation pour se prononcer sur les choix diplomatiques, notamment les plus occultes pour s’approprier la diplomatie que mène notamment l’Exécutif ? Peut-elle seulement décrypter les silences de ces séquences diplomatiques où l’argent se substitue à la parole et à la plume ? Peut-elle arriver à substituer ses sentiments aux raisonnements froids auxquels se livre l’Etat, « le plus grand de tous les monstres froids » selon le philosophe, Friedrich Nietzsche ? L’Etat et ses serviteurs apprennent ainsi à devenir selon les circonstances qui les arrangent des anges. Et comme tous les anges, ils restent invisibles tout en faisant des miracles dans et à l’ombre du pouvoir à la lueur des intérêts supérieurs de la nation.
« La démocratie écrivait Alexis de Tocqueville est le pire des régimes quand il s’agit de conduire la politique extérieure efficace ». Ce qui serait gênant dans cette affaire de financement de la campagne d’un Président français par les chefs d’Etat africains, ce serait de voir qu’au finish cela ne profite qu’à leurs ambitions personnelles, comme c’est souvent le cas pour se maintenir au pouvoir. Il y a des liens d’interdépendance complexes entre les Etats ; mais aussi et surtout des confidences étroites entre Chefs d’Etats. Donc une complexité qui autorise une complicité et donc une complémentarité que ne saurait trahir Wikileaks.
Dans le concert des nations, les partitions en solo « guichet fermé » ne sont pas que des fausses notes diplomatiques, mais le prix à payer pour une bonne orchestration de l’harmonie d’une société internationale toujours exposée à l’anarchie en l’absence d’autorité centrale régulatrice, respectée et ayant « le monopole de la violence légitime » pour reprendre l’expression consacrée de Max Weber.
Ibrahima Silla
Enseignant-chercheur en science politique
à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
Les chefs d’Etats sont en effet souvent plus proches les uns des autres que ne le sont les membres de leurs sociétés respectives. Des liens d’amitié sincère ou intéressée se tissent à la faveur des affinités. Une véritable diplomatie de connivence, de complicité, de proximité et de complémentarité, se met ainsi intelligemment en place entre chefs d’Etats et de gouvernement ; mais aussi entre officiels et particuliers, à l’insu au su de tout le monde. Toujours pour le meilleur. Rarement pour le pire.
Les dénonciations diplomatiques au-dehors contrastent ainsi avec la collaboration au-dedans. On pourchasse celui qu’on avait accueillis à bras ouverts et tolérés tous les caprices et fantaisies quelque temps auparavant. On déroule le tapis rouge pour celui dont on avait mis à prix la tête. Le wanted dead or alive devient justement le wanted for granted. La diplomatie se forge à l’école des coups durs. Pas d’ennemi éternel ni d’ami permanent, mais que des intérêts à défendre aimait répéter le Premier Ministre britannique Palmerson.
La diplomatie se fait aussi en monnaie sonnante et trébuchante. L’argent est souvent le nerf de la guerre diplomatique que se livrent les Etats. L’argent est un outil diplomatique. La diplomatie a un coût. L’argent se présente comme une manière moins exigeante, donc plus confortable de négocier. Un donner pour un recevoir. Donc point d’élan humanitaire en dépit du coup d’éclat humaniste. Ne convient-il pas dès lors de suggérer l’idée d’une « diplomatie du ventre » qui n’est pas une nouveauté ? Les pays du nord comme ceux du sud l’ont pratiqué à satiété suivant les enjeux du moment ; pour faire voter une résolution ou soutenir une politique étrangère. La sécurité et l’intérêt se présentent aussi comme des facteurs explicatifs de ces pratiques moralement condamnables mais diplomatiquement justifiées et donc légitimées au nom de la realpolitik. La diplomatie est un mélange d’intérêts nationaux, de calculs stratégiques et d’ambitions personnelles. Celle-ci ne va pas forcément à l’encontre du peuple. Il ne s’agit pas là d’une diplomatie du ventre contre le peuple détroussé de ses biens. Une diplomatie pour le peuple qui se décide à son insu, sans porter atteinte à ses intérêts bien compris.
Alors, à qui profite le crime notamment dans une époque où il sera désormais difficile de s’éterniser au pouvoir ; les mandats électifs tendant à être limités ? On parle plus de l’argent que certains chefs d’Etat africains auraient donné à certains hommes politiques français, qu’à ce qu’ils auraient reçu en retour en nature, en symboles ou en espèces. Admettons que les transactions aient été effectives, l’on est en droit de se demander à quoi obéirait alors cette logique où le démuni « enrichit » le nanti ? Qu’ont reçu en retour ces chefs d’Etats africains : un soutien garanti, de l’argent du contribuable français, un silence sur leur mode de gouvernement, des garanties sur la non dévaluation du franc CFA ? Cette générosité banale au regard des relations internationales correspond-t-elle à une fautive malhonnêteté politique ou plutôt à une habileté diplomatique pour l’intérêt supérieur de la nation ? Reste à savoir, à condition de voir dans ce sable mouvant de la diplomatie des secrets du roi et des cabinets noirs. En tout cas, le problème ne saurait être réduit à une histoire de dominants et de dominés, voire de classes sociales qui nécessiterait une union de tous les prolétaires du monde pour inverser la « dictature » diplomatique menée à notre insu.
La politique intérieure se joue aussi sur le plan diplomatique exigeant tout un art de la main tendue, non pas pour quémander, mais surtout pour financer l’homologue en poste ou à venir. Faut-il y voir une habilité diplomatique à assumer au nom du réalisme où plutôt une pathologie politique à dénoncer avec la dernière énergie ? Et si le « fort » dépendait en fait du « faible » dans cette diplomatie du donnant-gagnant et du gagnant-donnant ?
Une grammaire de la diplomatie nous fait entrevoir les délices de la diplomatie du ventre plus que les supplices que les Etats dits faibles ressentiraient. Le mythe d’une diplomatie des forts puissants face à des faibles obéissant est toujours un raccourci explicatif assez séduisant par rapport à la réalité. Les diplomates africains, chefs d’Etats en pôle position du fait que c’est bien souvent leur « domaine réservé », sont beaucoup plus efficaces qu’on ne le soupçonne, même si on peut penser au regard de l’interventionnisme occidental dans les révolutions et transitions démocratiques africaines récentes que la diplomatie africaine n’existe pas. Pourquoi s’encombrer d’un Chef d’Etat finissant, condamné à la vindicte diplomatique ? Ils n’ont ainsi aucun état d’âme à lâcher du jour au lendemain un allié devenu encombrant, inutile et sans intérêt. C’est une règle élémentaire de réalisme politique. Pourquoi les africains devraient-ils jouer aux moralisateurs, fidèles défenseurs d’un idéalisme naïf qui les desservirait ?
L’essentiel diplomatique se joue en coulisses, derrière les caméras où le clientélisme, les accords et arrangements secrets ne relèvent pas de la diplomatie-fiction. Nombre de décisions politiques et de pratiques diplomatiques se tissent dans l’opacité la plus totale au mépris de la transparence démocratique idéalement exigée. Le réalisme raisonné prime sur l’idéalisme naïf dans la conduite des affaires étrangères qui requiert l’utilisation de l’intelligence et du tact pour conquérir et jouir des marchés diplomatiques qui livrent les Etats dans des positions de rivalité, de compétitivité et de concurrences les plus déloyales qui soient. Aussi mettre la main à la poche est un geste diplomatique banal pour ne pas être relégué en deuxième division et espérer se faire entendre un jour. Depuis Jean-Bedel Bokassa, la lumière reste encore à faire sur les relations bien personnelles et basées sur l’argent, l’or et les diamants entre dirigeants africains et français. Françafrique a-t-on dit ?
Il est tentant de plaider l’insensé d’une servitude et d’une contribution volontaires de chefs d’Etats « pauvres » renflouant les caisses déjà surchargées de ces pays riches. Loin d’être une générosité malsaine et inappropriée de présidents de pays pauvres envers des présidents ou présidentiables de pays riches, cette diplomatie de rentes de situations obéit à une logique bien réfléchie et stratégiquement calculée. Si argent versé il y a, cela viserait certainement moins à enrichir personnellement ces présidents ou présidentiables français et leurs concitoyens, et donc à appauvrir ses propres concitoyens, qu’à participer à l’effort de guerre d’une compétition qui se joue dans l’hexagone mais dont l’issue heureuse ou malheureuse pourrait avoir des répercussions intéressantes. D’où l’investissement et non la charité. L’objectif et donc clair puisqu’il s’agit de se baisser et de récolter les fruits en cas de victoire ou même de défaite. L’astuce diplomatique est fort subtile puisque ceux qui financent ne misent pas leurs billes sur une seule personnalité. Qui perd ils gagnent. Qui gagne ils gagnent. Des fruits sont à récolter tant au niveau de la politique extérieure qu’au niveau des enjeux de la politique intérieure. Un pistolet n’a pas été placé sur leurs tempes – la bourse ou la vie – pour les obliger à cette générosité qui n’en est pas une. Il convient plus de parler d’habileté diplomatique.
Une telle diplomatie du ventre peut se révéler stratégiquement fondée et pertinente. Les Chefs d’Etats ne sont pas généreux par charité chrétienne ou foi islamique. Derrière la générosité, il y a le calcul géopolitique et géostratégique, des aspirations personnelles (condamnables) mais aussi des visées impersonnelles (souhaitables) qui avantagent le pays. Peu importe que ce soit un président de gauche, de droite ou d’extrême droite. Le réalisme dicte ces méthodes. Il y a la diplomatie de la main tendue mais aussi celle de l’investissement et donc de la pièce de monnaie rendue. Reprendre de la main gauche ce qu’on a donné de la main droite. Du « give and take ».
Il y a une compétition dans la diplomatie. Les chefs d’Etats font ainsi preuve de lucidité pour jouer comme au loto leur partition diplomatique en remplissant des grilles de fidélité et d’opportunité, en espérant qu’on leur rendra la monnaie de la pièce. Le souci de l’intérêt prime sur les valeurs démocratiques ou éthiques. La diplomatie dicte bien souvent des choix contraires à l’éthique républicaine et à l’idéal démocratique à distinguer de l’efficacité diplomatique. L’argent qu’auraient reçu Jacques Chirac, Dominique de Villepin ou Jean-Marie le Pen ne leur est pas personnellement destiné. Cet argent permettrait de s’adonner comme en Afrique à la politique du ventre pour conquérir l’électorat français. Comme quoi, aucun pays ni continent n’a le monopole de la politique du ventre qu’il ne faut pas réduire à une « prostitution de l’esprit ». L’argent devient un outil diplomatique. Un donner pour un recevoir. Un soutien électoral ponctuel pour un futur soutien économique, militaire ou politique. Eventuellement, pour renvoyer l’ascenseur. Il ne s’agit point là d’un service politique ou d’une servitude volontaire des Etats africains vis-à-vis de l’économie française mais d’une contribution volontaire ou humanitaire à l’effort de guerre diplomatique qui se joue déjà dans cette séquence nationale que sont ces « primaires » et préliminaires de la compétition politique pour conquérir le pouvoir. Une solution diplomatique à la racine de la vie politique nationale.
L’opinion publique peut se montrer scandalisée face à de telles pratiques, qui ne disparaîtront pas de sitôt. Mais l’opinion publique a-t-elle en sa possession tous les éléments d’appréciation pour se prononcer sur les choix diplomatiques, notamment les plus occultes pour s’approprier la diplomatie que mène notamment l’Exécutif ? Peut-elle seulement décrypter les silences de ces séquences diplomatiques où l’argent se substitue à la parole et à la plume ? Peut-elle arriver à substituer ses sentiments aux raisonnements froids auxquels se livre l’Etat, « le plus grand de tous les monstres froids » selon le philosophe, Friedrich Nietzsche ? L’Etat et ses serviteurs apprennent ainsi à devenir selon les circonstances qui les arrangent des anges. Et comme tous les anges, ils restent invisibles tout en faisant des miracles dans et à l’ombre du pouvoir à la lueur des intérêts supérieurs de la nation.
« La démocratie écrivait Alexis de Tocqueville est le pire des régimes quand il s’agit de conduire la politique extérieure efficace ». Ce qui serait gênant dans cette affaire de financement de la campagne d’un Président français par les chefs d’Etat africains, ce serait de voir qu’au finish cela ne profite qu’à leurs ambitions personnelles, comme c’est souvent le cas pour se maintenir au pouvoir. Il y a des liens d’interdépendance complexes entre les Etats ; mais aussi et surtout des confidences étroites entre Chefs d’Etats. Donc une complexité qui autorise une complicité et donc une complémentarité que ne saurait trahir Wikileaks.
Dans le concert des nations, les partitions en solo « guichet fermé » ne sont pas que des fausses notes diplomatiques, mais le prix à payer pour une bonne orchestration de l’harmonie d’une société internationale toujours exposée à l’anarchie en l’absence d’autorité centrale régulatrice, respectée et ayant « le monopole de la violence légitime » pour reprendre l’expression consacrée de Max Weber.
Ibrahima Silla
Enseignant-chercheur en science politique
à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis