Voici une vingtaine d’années déjà que, chargé du rôle de « poète maudit », Elie-Charles Moreau explose périodiquement sous forme de menus livrets ou de journaux démesurés. Disons que E. Ch. Moreau est un cas.
S’il est doué d’une verve lyrique incontestable, riche en images et en formules bien frappées, ses envols poétiques sont souvent interrompus par des expressions baroques ou des prosaïsmes politiques et moralisateurs. C’est ainsi qu’il manqua de très peu le grand prix du président de la République en 199…
Et qu’il en voulut énormément à son jury… C’est donc avec d’autant plus de plaisir que nous signalons les deux plaquettes ci-dessus où il magnifie sa ville de Saint-Louis, et surtout celle où il développe à sa manière le thème populaire du 23 juin devenu célèbre au Sénégal de 2012. Il a trouvé là une forme de prose poétique (et non de poésie prosaïque ce qui serait regrettable) qui se présente en strophes-paragraphes d’une dizaine de lignes animées d’un rythme intérieur qui ne doit rien à la rime.
Le seul point de comparaison que je puis offrir est ce que fait Césaire dans la première partie de son Cahier.
Plagiat dira-t-on ? Point du tout. Car si Elie Charles a su « capter » un rythme césairien, il en fait sa pulsation intime et l’adapte à ses propres sentiments pour exprimer la réalité sénégalaise. Il en sort un texte violent, chaotique, émouvant, comme les laves brûlantes d’un volcan.
Avec ses scories certes. Car ce texte est un premier jet, l’auteur lui-même l’avoue, et il mériterait d’être travaillé, quelque peu nettoyé et discipliné ; mais pas trop ; pour que soient conservés ce jaillissement et cette incandescence extraordinaires. Nous en donnerons ici pour preuve quelques extraits : Les promesses aussi meurent d’abus (extraits).
LES SENEGALAIS SONT FATIGUES D’ÊTRE FATIGUES !
Leurs cœurs sont malades et leurs souffles obstrués. Ils sont en panne. Ils sont en peine. Ils ont soif de bonheur ! Et n’ont plus que faire ni de chants de sirènes ni qu’on les endorme comme des gamins. Sans patience, je désire en finir d’avec NOS errements et ires. Nous ne sommes prédestinés ni à l’attente ni aux fers. J’ai folle ivresse de Paix et d’air non vicié. Plus de nuits obscures ! Et de maisonnées sombres plus que tombes communes !
Toute promesse est en berne. Et de partout le chaos clabaude. Et avec le temps, on a appris à en abhorrer et la lettre et l’esprit. Au diable, les faussaires ! Et les thuriféraires aussi ! Et les sicaires et Fatou de la République ! Au diable, princes et princesses consorts ! Une autre ère s’énonce de vertu et de droite fraternité !
Résister, tel est l’ordre, la norme ! SOYONS DES CROISES ! REDEVENONS ZELES ! Le salut est à ce prix ! Du moins, c’est ce qu’on dit dans les lieux d’où se formulent les viatiques d’à-venir non précaires. Le soir doit arriver où l’on assouvira nos ivresses d’humanité respectée. Et nous serons sereins enfin !... Parmi des proches et prochains qui nous ouvrirons sans calcul et leurs cœurs et leurs sains esprits.
Les Nègres valent tous les Blancs, pardieu ! Je n’en dé-mordrai jamais. Même si trop de nos frères et papas ne paraissent à l’aise que dans leurs statuts d’assistés et de domestiques. Je n’ai de respect que pour les gens imbus de leur moi.
Le désir m’emplit de vomir. On le dit. On le répète. On nous a tellement rabâchés que nos ancêtres se vêtaient de peaux de bêtes et vivaient de chasse et de cueillette, que nous avons fini par n’en plus douter. Assez, maintenant !
Autres siècles, autres certitudes ! Un autre millénaire a dressé ses quartiers. Meublons-le de vocables neufs et vitaux ! D’entités et d’hommes positivement sensés !
Je ne comprends plus de langue que de révolution. Nous ne nous exprimerons désormais que pour désordonner les ordres pouacres et boueux régnants ! J’ai mentalement réquisitionné les guerriers et les amazones, les visionnaires non virtuels et les bâtisseurs de forteresses imprenables.
En ma cervelle, il est des chantiers grandioses plus beaux que ceux qui font qu’on fantasme sur Paris et sur Calcutta, sur New York et sur Copacabana, sur Pékin et sur le Léman. Ah ! Tiens !
J’ai extrait les populaces de la fange et des eaux-vannes dans lesquelles on les avait toujours loties et mises en tas. On ne verra plus fermenter les eaux de pluie encore moins dégouliner en les venelles les fosses septiques. J’ai configuré des villes et villages flambant neufs et vivables avec des bassins, des jardins où, tous les soirs, on rivalisera en chants et danses bien de chez nous. Il y aura des avenues et boulevards bruissants de joies vertes et bleues avec des murs couverts de tags et qui seront autant d’espaces de doléances populaires et seront autant d’estrades d’émulation de rappeurs et slameurs.
Il n’y aura plus de « y en a marre » que de trop bien vivre ! Il n’y aura plus de villes-bidons ! Certes, des banlieues y seront, mais plus de bas-lieux ! Plus jamais de bas-lieux.
Ah ! Et quoi en plus ?... On y restaurera constant le dialogue de la foi et du moi. Et je ne me lasserai jamais de jouir de la fraternité et du cousinage qui en est et le socle et le levain primordial. Plus de sectarisme ! Plus d’irrédentisme ! Chaque cœur humain sera comme une maison sans porte.
Note de lecture
Lilyan Kesteloot
Par Elie-Ch. Moreau
2012 édition Le Nègre international
S’il est doué d’une verve lyrique incontestable, riche en images et en formules bien frappées, ses envols poétiques sont souvent interrompus par des expressions baroques ou des prosaïsmes politiques et moralisateurs. C’est ainsi qu’il manqua de très peu le grand prix du président de la République en 199…
Et qu’il en voulut énormément à son jury… C’est donc avec d’autant plus de plaisir que nous signalons les deux plaquettes ci-dessus où il magnifie sa ville de Saint-Louis, et surtout celle où il développe à sa manière le thème populaire du 23 juin devenu célèbre au Sénégal de 2012. Il a trouvé là une forme de prose poétique (et non de poésie prosaïque ce qui serait regrettable) qui se présente en strophes-paragraphes d’une dizaine de lignes animées d’un rythme intérieur qui ne doit rien à la rime.
Le seul point de comparaison que je puis offrir est ce que fait Césaire dans la première partie de son Cahier.
Plagiat dira-t-on ? Point du tout. Car si Elie Charles a su « capter » un rythme césairien, il en fait sa pulsation intime et l’adapte à ses propres sentiments pour exprimer la réalité sénégalaise. Il en sort un texte violent, chaotique, émouvant, comme les laves brûlantes d’un volcan.
Avec ses scories certes. Car ce texte est un premier jet, l’auteur lui-même l’avoue, et il mériterait d’être travaillé, quelque peu nettoyé et discipliné ; mais pas trop ; pour que soient conservés ce jaillissement et cette incandescence extraordinaires. Nous en donnerons ici pour preuve quelques extraits : Les promesses aussi meurent d’abus (extraits).
LES SENEGALAIS SONT FATIGUES D’ÊTRE FATIGUES !
Leurs cœurs sont malades et leurs souffles obstrués. Ils sont en panne. Ils sont en peine. Ils ont soif de bonheur ! Et n’ont plus que faire ni de chants de sirènes ni qu’on les endorme comme des gamins. Sans patience, je désire en finir d’avec NOS errements et ires. Nous ne sommes prédestinés ni à l’attente ni aux fers. J’ai folle ivresse de Paix et d’air non vicié. Plus de nuits obscures ! Et de maisonnées sombres plus que tombes communes !
Toute promesse est en berne. Et de partout le chaos clabaude. Et avec le temps, on a appris à en abhorrer et la lettre et l’esprit. Au diable, les faussaires ! Et les thuriféraires aussi ! Et les sicaires et Fatou de la République ! Au diable, princes et princesses consorts ! Une autre ère s’énonce de vertu et de droite fraternité !
Résister, tel est l’ordre, la norme ! SOYONS DES CROISES ! REDEVENONS ZELES ! Le salut est à ce prix ! Du moins, c’est ce qu’on dit dans les lieux d’où se formulent les viatiques d’à-venir non précaires. Le soir doit arriver où l’on assouvira nos ivresses d’humanité respectée. Et nous serons sereins enfin !... Parmi des proches et prochains qui nous ouvrirons sans calcul et leurs cœurs et leurs sains esprits.
Les Nègres valent tous les Blancs, pardieu ! Je n’en dé-mordrai jamais. Même si trop de nos frères et papas ne paraissent à l’aise que dans leurs statuts d’assistés et de domestiques. Je n’ai de respect que pour les gens imbus de leur moi.
Le désir m’emplit de vomir. On le dit. On le répète. On nous a tellement rabâchés que nos ancêtres se vêtaient de peaux de bêtes et vivaient de chasse et de cueillette, que nous avons fini par n’en plus douter. Assez, maintenant !
Autres siècles, autres certitudes ! Un autre millénaire a dressé ses quartiers. Meublons-le de vocables neufs et vitaux ! D’entités et d’hommes positivement sensés !
Je ne comprends plus de langue que de révolution. Nous ne nous exprimerons désormais que pour désordonner les ordres pouacres et boueux régnants ! J’ai mentalement réquisitionné les guerriers et les amazones, les visionnaires non virtuels et les bâtisseurs de forteresses imprenables.
En ma cervelle, il est des chantiers grandioses plus beaux que ceux qui font qu’on fantasme sur Paris et sur Calcutta, sur New York et sur Copacabana, sur Pékin et sur le Léman. Ah ! Tiens !
J’ai extrait les populaces de la fange et des eaux-vannes dans lesquelles on les avait toujours loties et mises en tas. On ne verra plus fermenter les eaux de pluie encore moins dégouliner en les venelles les fosses septiques. J’ai configuré des villes et villages flambant neufs et vivables avec des bassins, des jardins où, tous les soirs, on rivalisera en chants et danses bien de chez nous. Il y aura des avenues et boulevards bruissants de joies vertes et bleues avec des murs couverts de tags et qui seront autant d’espaces de doléances populaires et seront autant d’estrades d’émulation de rappeurs et slameurs.
Il n’y aura plus de « y en a marre » que de trop bien vivre ! Il n’y aura plus de villes-bidons ! Certes, des banlieues y seront, mais plus de bas-lieux ! Plus jamais de bas-lieux.
Ah ! Et quoi en plus ?... On y restaurera constant le dialogue de la foi et du moi. Et je ne me lasserai jamais de jouir de la fraternité et du cousinage qui en est et le socle et le levain primordial. Plus de sectarisme ! Plus d’irrédentisme ! Chaque cœur humain sera comme une maison sans porte.
Note de lecture
Lilyan Kesteloot
Par Elie-Ch. Moreau
2012 édition Le Nègre international