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LA CRISE SCOLAIRE : DIAGNOSTIC D’UN MALAISE PROFOND. Par Ngor DIENG

Mardi 5 Mai 2015

« Les enseignants – ceux du cours maternel autant que ceux des universités – forment une armée noble aux exploits quotidiens, jamais chantés, jamais décorés. Armée toujours en marche, toujours vigilante. Armée sans tambour, sans uniforme rutilant. Cette armée-là, déjouant pièges et embûches, plante partout le drapeau du savoir et de la vertu. »
Mariama Bâ Une si longue lettre, NEAS, Dakar, 2006, p. 48.


Le malheur des pays pauvres, c’est qu’ils ne sont pas en mesure de prendre en charge le bon fonctionnement des secteurs clés du développement : l’éducation, la santé, l’agriculture etc. Le Sénégal ne fait pas exception. Si ce n’est le régime de Senghor, tous les autres gouvernements qui se sont succédé à la tête du Sénégal n’ont pas accordé une grande importance à l’éducation nationale. Or on ne peut développer notre pays qu’en instaurant un système éducatif solide et stable, avec des ressources humaines de qualité.

Au Sénégal, le système éducatif connaît des crises récurrentes. Depuis des décennies, les grèves répétitives ont fini par discréditer notre éducation nationale. Les responsabilités restent partagées entre acteurs de l’école : élèves, enseignants, syndicats et Etat.

Mais il s’agit ici de mettre l’accent sur la responsabilité de l’Etat. L’injustice qu’il y a dans le traitement des fonctionnaires de l’Etat est le nœud gordien de la grève de cette année entre autres motifs. On ne peut pas être de la même hiérarchie avec le même niveau d’études et les mêmes diplômes et être traité de manière inégale. Aristote, à propos des Olympiades, estimait qu’il y avait « autant d’injustice à traiter également des choses inégales, qu’à traiter inégalement des choses égales ». 

La démagogie et l’esprit de démesure du président Abdoulaye Wade sont à l’origine de cette injustice. Son régime a banalisé l’éducation et à discrédité notre système d’enseignement. C’est lui qui a octroyé des avantages mirobolants aux magistrats et autres corps de la fonction publique alors qu’ils ne font pas un travail plus important et plus noble que celui d’enseigner.

Dans tous les pays qui se respectent, les enseignants sont bien traités. Ils sont bien payés et bénéficient d’une estime de la part de la société. Il n’y a pas un métier plus noble que celui de former des âmes encore innocentes et malléables.
Le magistrat a été formé par un enseignant. Le médecin a été encadré par un professeur et tous les autres acteurs du secteur formel comme de l’informel ont bénéficié des connaissances et de la formation des enseignants. C’est pour dire que tout le monde a besoin de l’enseignant pour s’humaniser, s’instruire et se cultiver.

C’est vrai qu’enseigner n’a pas de prix. Mais il doit avoir un coût. Et le coût doit être des conditions de vie acceptables, un niveau de vie sociale et intellectuelle digne d’un soldat de l’esprit. « L’éveilleur de consciences » doit être mis dans de bonnes conditions de travail et bénéficier non seulement de l’estime de ses élèves mais aussi de toute la société.
L’injustice qu’il y a dans le traitement des enseignants fait qu’aujourd’hui, les meilleurs de notre système éducatif ne veulent plus devenir enseignant. L’injustice qu’il y a dans le traitement des enseignants fait que ce métier accueille aujourd’hui la poubelle de l’école sénégalaise. Tout le monde aujourd’hui enseigne, souvent n’importe quoi et n’importe comment. L’enseignement est devenu un dernier recourt, un métier par défaut au détriment de l’école sénégalaise qui, jadis faisait la fierté de l’Afrique Occidentale Française par la formation des élites africaines francophones.

Senghor était un enseignant. Il comprenait l’importance de l’éducation. Il considérait que la culture était l’alpha et l’oméga du développement. L’école joue un grand rôle dans l’éclosion culturelle des nations. Mais bien vrai que sous son règne, le système éducatif sénégalais fut durement secoué, il reste un grand partisan de l’école et des enseignants au point qu’on lui reprochait de mettre en place un « gouvernement des enseignants » parce tellement il y avait d’enseignants dans son équipe gouvernementale.

Abdou Diouf est un technocrate. Il ne connaît que l’Etat et son fonctionnement. Il est formé et formaté à servir l’Etat. Il connut une année blanche et une année invalide respectivement en 1988 et en 1994. L’arrivée de Abdoulaye Wade a vu le budget alloué à l’éducation grimper jusqu’à 40°/° mais sans grande impacte sur la bonne marche du système et sur la qualité des enseignements. Il avait pris des mesures inconcevables (pour des raisons politiques) dans la durée pour une école responsable et de qualité. Ce sont en partie les conséquences de ses mesures prises par le Pape du Sopi qui plombent aujourd’hui la marche de notre système éducatif. Les gouvernements qui se sont succédé se sont engouffrés dans des mesures discriminatoires à l’égard des agents de la fonction publique dont certains bénéficient d’avantages mirobolants au moment où d’autres ont de la peine à relier les deux bouts. En réalité, l’Etat n’a pas les moyens de ses politiques.

Dans son livre Sur les chemins de l’école, le journaliste-essayiste Mamadou Sy Albert souligne nettement que « Les moyens financiers de l’Etat sont au début et à la fin de cette crise [de l’école] complexe. Depuis les Etats Généraux tenus au début des années 1980, l’Etat n’a pas les moyens de sa politique éducative. »[[1]]url:#_ftn1
Mais si l’Etat n’a pas les moyens de sa politique éducative, il ne doit pas accentuer l’injustice dans le traitement des fonctionnaires de la même hiérarchie. Cela est à l’origine des frustrations des enseignants. Et quels que soient les accords qui pourront être signés et les garantis qui vont être données, la question de l’indemnité de logement et autres avantages fera encore l’objet d’autres grèves et reviendra toujours et encore sur les tables de négociations et d’accords entre syndicats d’enseignants et Etat du Sénégal.

Les enseignants méritent toutes les faveurs et tous les honneurs. Ils forment les citoyens et futurs cadres de la nation. Ils se donnent corps et âmes même s’ils n’ont pas toutes les conditions réunies. Ils font un investissement humain qu’aucun autre corps de métier n’exerce au monde. Dans les pays sous-développés comme le nôtre, ils font des sacrifices énormes.
Mais les enseignants d’aujourd’hui ne sont pas exempts de reproches. Certains d’entre eux ne sont mus que par l’argent. Ils n’ont aucune volonté de transmettre le savoir. Ils ne sont pas sur le terrain de la quête de la connaissance. L’enseignement n’est pas leur vocation. Et ils feraient mieux de monnayer leur talent dans un autre domaine que celui de l’enseignement. Car l’enseignement doit être une vocation personnelle, un sacerdoce pour la vie, pour toute la vie.
Dans notre livre Du destin d’un peuple, nous avons rappelé que : « Un enseignant qui cesse d’apprendre doit cesser d’enseigner. Les enseignants d’aujourd’hui ne se soucient guère de la recherche, peu d’entre eux ont une bibliothèque, une documentation digne d’un enseignant. Peu d’entre eux préparent sérieusement leurs cours. Ils aiment bâcler les cours. Ils ont perdu leurs habitudes de chercheurs, se contentant d’analyses superficielles et de débats stériles. Aujourd’hui, ils ne jouent plus le rôle qu’ils jouaient dans la société jadis. Le métier d’enseignant n’a plus de valeurs. Un certain nombre de facteurs l’ont précipité dans cette situation de perte de vitesse. »[[2]]url:#_ftn2

De nos jours, la grève semble être l’unique arme dont se servent les enseignants pour se faire entendre. En face, se trouve un gouvernement qui use et abuse de la sourde oreille pour minimiser les revendications des enseignants et les pousser à la radicalisation, avant maintenant de les appeler à la table de négociation. Mamadou Sy Albert revient dans son analyse pour montrer que « L’abus de pouvoir, le découragement, le discrédit de l’engagement gouvernemental à signer sur papier sans croire un seul instant à l’applicabilité des accords et la révolte organisée provoquent naturellement des radicalismes et de l’infantilisme »[[3]]url:#_ftn3  ; avant d’ajouter plus tard qu’« A force d’user de la grève de manière systématique, les syndicats des enseignants ont participé, consciemment ou non, à la dévalorisation de l’arme de la grève. »[[4]]url:#_ftn4

Dans notre pays, le système éducatif est gravement malade et vit une agonie longue et interminable. Chaque année, il est sauvé de justesse par des médecins qui, paradoxalement, sont peu soucieux de leur responsabilité de suivre rigoureusement et de près ce malade condamné à lutter désormais contre la mort au service d’urgence de l’hôpital de la Cité.

Mais au-delà des grèves et perturbations scolaires, il importe de mener une réflexion profonde sur l’école sénégalaise. Elle vit un malaise profond, avec la non prise en charge des véritables préoccupations des populations, celles-ci étant d’ordre social, culturel, économique et religieux. C’est une école en rupture avec la société et les réalités sénégalaises. C’est une école et une université qui n’offrent plus des formations en phase avec les exigences de l’heure : la formation professionnelle et l’approche par les compétences. Il faut repenser l’école sénégalaise.

En définitive, « Si nous aimons ce pays, travaillons à sauver l’école sénégalaise, que l’on soit du côté du gouvernement ou des syndicats, que l’on soit enseignant, élève ou étudiant. Et sauver notre école passe par la bonne formation et le respect des enseignants. Sauver notre école passe par le respect et l’application des accords signés entre le gouvernement et les syndicats. Nous voulons avoir cette « ECOLE NOUVELLE » dont on parlait sous le magistère du Pr Iba Der THIAM en 1981 avec les « états généraux de l’éducation »[[5]]url:#_ftn5 .
 
 
 
Ngor DIENG
Philosophe/
Psychologue conseiller au
CAOSP de Pikine-Guédiawaye
ngordieng@gmail.com
 
[[1]]url:#_ftnref1 Mamadou Sy Albert : Sur les chemins de l’école, Presses Universitaires de Dakar (Ucad), Août 2014, p. 99.
[[2]]url:#_ftnref2 Ngor Dieng : Du destin d’un peuple – Réflexions sur le Sénégal et l’Afrique, l’Harmattan, Paris, 2014, p. 69.
[[3]]url:#_ftnref3 Sur les chemins de l’école, p. 98
[[4]]url:#_ftnref4 Sur les chemins de l’école, p. 123
[[5]]url:#_ftnref5 Du destin d’un peuple,  p. 70


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