Quelques jours après le décès d’un autre éminent juriste en la personne de Me Mamadou Diop, c’est un grand intellectuel tout aussi émérite qui vient de nous quitter brusquement, hélas ! Le professeur Mayacine Diagne vient de tirer sa révérence dans sa ville tricentenaire .Encore une grosse perte dans les rangs de l’intelligentsia sénégalaise. Le professeur Diagne était une sommité dans son domaine et faisait incontestablement partie des plus grands maitres de l’école de droit public de Sanar. Sans nul doute, nous retiendrons de lui l’image d’un professeur émérite de droit et d’un grand universitaire fortement convaincu de ses idées.
Un professeur émérite
C’est une périlleuse entreprise que de vouloir tenter de cerner le personnage hors du commun que fut le professeur Diagne tant l’homme était extraordinaire d’un point humain et intellectuel. Mais en tant qu’un de ses anciens étudiants, nous ne saurions nous empêcher d’apporter notre modeste pierre à l’édifice du concert de louanges et de témoignages bien fort mérités à l’endroit de sa personne. Si l’université Gaston Berger de Saint-Louis a toujours eu d’excellents résultats et fourni d’innombrables cadres de ce pays, elle le doit certainement à ses enseignants, qui de par leur science et leur proximité avec les étudiants ont beaucoup contribué à la qualité de leur formation.
Le Professeur Diagne faisait partie de ces enseignants du droit qui ne se lassent pas à dispenser la science juridique avec amour et passion. Ainsi il a contribué à la formation de beaucoup de générations de juristes sanarois qui garderont de lui à jamais une image extrêmement marquante.
L’homme ne faisait pas partie de ces enseignants fades et distants. Non ! Maya comme on se plaisait à l’appeler affectueusement, était un homme simple mais rigoureux comme tout bon juriste .Il arrivait en cours avec son gros cartable toujours bien rempli, signe qu’il était tout le temps plongé dans ses petits papiers. Grace ses qualités de grand pédagogue expérimenté, il avait l’art de transformer un cours censé être long en un véritable spectacle riche d’enseignements. Il avait compris ces mots d’Albert Einstein selon qui le « rôle essentiel du professeur est d'éveiller la joie de travailler et de connaître ». L’homme dispensait le savoir avec une verve dont lui seul connaissait le secret. Il avait une énergie débordante qui ne cessait de nous étonner .Il était à la fois théoricien et praticien.
Avec sa gestuelle, sa voix grave mais suave et son regard sage de grand érudit du droit, il parvenait à insuffler à ses étudiants un grand intérêt de la matière enseignée. Ses cours ne furent jamais de long monologues monotones .En effet il ne rechignait jamais à partager ses expériences, ses avis tranchés ou à faire des suggestions pleines de sens à ses étudiants. Le professeur Diagne fut un enseignant formidable, ouvert d’esprit et très disponible. Sa porte était toujours ouverte pour des étudiants désireux de se lancer dans une recherche scientifique relative à la rédaction d’un mémoire ou à la préparation d’une thèse de doctorat.
Monsieur Diagne était aussi connu pour sa rigueur légendaire. Pour lui, la rigueur était un élément fondamental pour tout juriste qui se respecte. Il n’hésitait pas à critiquer acerbement quand il le fallait et remettre l’apprenti juriste sur le bon chemin dans l’optique d’un travail bien fait. Son inébranlable amour du droit a fait de lui un universitaire fortement convaincu de ses idées et particulièrement animé d’une passion ardente du droit de la décentralisation. A ce propos, ce ne serait guère une gageure d’affirmer que la décentralisation était à lui ce que le service public était au doyen Léon Duguit.
Un universitaire convaincu
En effet il s’était fait une certaine idée de la décentralisation à la sénégalaise .Pour lui la décentralisation dans notre pays ne devait point se limiter à de belles déclarations d’intentions matérialisées dans un recueil de textes juridiques.
S’il considérait le Sénégal, comme un grand producteur des meilleurs textes législatifs et réglementaires en matière de politique de décentralisation au niveau sous-régional, il pensait que la bonne application de ceux-ci ne pouvait être nullement considérée comme notre point fort. Le Professeur Diagne avait une vision pragmatique de la décentralisation. Il en avait fait son dada. C’était presque devenu un sacerdoce pour lui. Avec nos anciens condisciples de Sanar, on se plaisait à le qualifier de chantre de la décentralisation au Sénégal. Lorsqu’il en parlait, il le faisait toujours avec une énergie détonante. Nous nous souvenons encore de ce colloque international de 2015 qu’il avait organisé à l’université de Saint-Louis.
Malgré le poids de l’âge, il menait la réflexion avec la passion d’un jeune chercheur. Convaincu de l’importance d’une politique de décentralisation réussie, il n’hésitait pas à prendre son bâton de pèlerin pour aller prêcher partout où ses compétences et connaissances étaient requises .Oui partout ! Que ce soit dans les institutions politiques, dans les collectivités locales, dans les milieux de savoir ou ailleurs.
Pour le professeur Diagne, la décentralisation au Sénégal a toujours été une symphonie inachevée, une décentralisation mi-figue mi-raisin. Sa conception de la décentralisation était pure. Son credo était l’émergence d’une véritable gouvernance locale axée sur une démocratie participative et inclusive. Il plaidait toujours pour une véritable liberté d’administration des collectivités locales, notion qui lui tenait à cœur. Le « mayacinisme », si on peut se permettre, est aux antipodes du « jacobinisme ». Pour lui l’Etat a donné naissance à la décentralisation tout en le sevrant, en l’empêchant de se nourrir des deux mamelles que sont : la responsabilisation des collectivités locales et l’autonomisation financière.
Sans cette alimentation vitale, les collectivités locales seront toujours destinées à être des entités vides et arides à tout point de vue. Ainsi il ne se privait pas de critiquer la méthode de compensation financière retenue, les mécanismes de répartition du fond de dotation de la décentralisation, sa faiblesse, l’absence du développement de l’intercommunalité au niveau national et continental, l’indigence fiscale des collectivités territoriales, la péréquation financière, les freins à la coopération décentralisée entre autres.
Pour lui le Sénégal ne devait pas faire évoluer sa politique de décentralisation en vase clos mais devrait s’inspirer des expériences étrangères réussies. Pour le professeur Diagne, tout développement économique devrait d’abord être local. Ainsi se plaisait-il critiquer l’hypertrophie économique et démographique de la région de Dakar par rapport au reste du pays. C’est pour cette raison qu’il clamait son désamour pour Dakar en disant ironiquement « tout est à Dakar, c’est pourquoi je n’aime pas Dakar ». C’était pour lui une manière de dénoncer la forte croissance des inégalités entre les collectivités locales de l’ouest du pays et les autres.
Pour lui, l’organisation décentralisée de la République sénégalaise est un modèle essoufflé qu’il faut redynamiser grâce à un véritable financement des collectivités locales et l’émergence d’une fonction publique locale effective, efficiente et performante. Ces dernières années, il a grandement axé ces travaux dans ce sens. Sa vision de l’élu local était aussi claire. Pour lui l’élu local devait être un manager qui ose prendre des initiatives de développement de son terroir. Il voulait un statut de l’élu local rénové, libre de tout cumul de mandats ou de fonctions, des élus locaux entièrement dévoués au développement de leurs collectivités.
Le professeur Diagne était un homme de science qui ne se limitait pas à dispenser des cours de droit administratif général ou spécial, ou de finances locales. En véritable expert, il proposait, systématisait, créait, partageait ses idées. Ainsi il laisse un immense legs scientifique aux chercheurs et autres hommes de la société civile préoccupés par le développement sous le prisme de la décentralisation. Ses innombrables publications scientifiques et autres ouvrages portant sur le droit administratif, les finances publiques ou le droit constitutionnel resterons à jamais dans la postérité et continuerons certainement d’inspirer des générations de chercheurs.
Un esprit brillant et généreux s’est éteint. Nous présentons nos condoléances à sa famille, à la nation entière, particulièrement à la communauté des chercheurs et autres passionnés du droit. Puisse le Très-Haut l’accueillir dans son paradis éternel pour un repos paisible et bien mérité. Adieu Professeur !
Saliou Bobo Kane Diallo
Titulaire d’un D.E.A en Décentralisation et gestion des collectivités locales
Université Gaston Berger de Saint Louis
Un professeur émérite
C’est une périlleuse entreprise que de vouloir tenter de cerner le personnage hors du commun que fut le professeur Diagne tant l’homme était extraordinaire d’un point humain et intellectuel. Mais en tant qu’un de ses anciens étudiants, nous ne saurions nous empêcher d’apporter notre modeste pierre à l’édifice du concert de louanges et de témoignages bien fort mérités à l’endroit de sa personne. Si l’université Gaston Berger de Saint-Louis a toujours eu d’excellents résultats et fourni d’innombrables cadres de ce pays, elle le doit certainement à ses enseignants, qui de par leur science et leur proximité avec les étudiants ont beaucoup contribué à la qualité de leur formation.
Le Professeur Diagne faisait partie de ces enseignants du droit qui ne se lassent pas à dispenser la science juridique avec amour et passion. Ainsi il a contribué à la formation de beaucoup de générations de juristes sanarois qui garderont de lui à jamais une image extrêmement marquante.
L’homme ne faisait pas partie de ces enseignants fades et distants. Non ! Maya comme on se plaisait à l’appeler affectueusement, était un homme simple mais rigoureux comme tout bon juriste .Il arrivait en cours avec son gros cartable toujours bien rempli, signe qu’il était tout le temps plongé dans ses petits papiers. Grace ses qualités de grand pédagogue expérimenté, il avait l’art de transformer un cours censé être long en un véritable spectacle riche d’enseignements. Il avait compris ces mots d’Albert Einstein selon qui le « rôle essentiel du professeur est d'éveiller la joie de travailler et de connaître ». L’homme dispensait le savoir avec une verve dont lui seul connaissait le secret. Il avait une énergie débordante qui ne cessait de nous étonner .Il était à la fois théoricien et praticien.
Avec sa gestuelle, sa voix grave mais suave et son regard sage de grand érudit du droit, il parvenait à insuffler à ses étudiants un grand intérêt de la matière enseignée. Ses cours ne furent jamais de long monologues monotones .En effet il ne rechignait jamais à partager ses expériences, ses avis tranchés ou à faire des suggestions pleines de sens à ses étudiants. Le professeur Diagne fut un enseignant formidable, ouvert d’esprit et très disponible. Sa porte était toujours ouverte pour des étudiants désireux de se lancer dans une recherche scientifique relative à la rédaction d’un mémoire ou à la préparation d’une thèse de doctorat.
Monsieur Diagne était aussi connu pour sa rigueur légendaire. Pour lui, la rigueur était un élément fondamental pour tout juriste qui se respecte. Il n’hésitait pas à critiquer acerbement quand il le fallait et remettre l’apprenti juriste sur le bon chemin dans l’optique d’un travail bien fait. Son inébranlable amour du droit a fait de lui un universitaire fortement convaincu de ses idées et particulièrement animé d’une passion ardente du droit de la décentralisation. A ce propos, ce ne serait guère une gageure d’affirmer que la décentralisation était à lui ce que le service public était au doyen Léon Duguit.
Un universitaire convaincu
En effet il s’était fait une certaine idée de la décentralisation à la sénégalaise .Pour lui la décentralisation dans notre pays ne devait point se limiter à de belles déclarations d’intentions matérialisées dans un recueil de textes juridiques.
S’il considérait le Sénégal, comme un grand producteur des meilleurs textes législatifs et réglementaires en matière de politique de décentralisation au niveau sous-régional, il pensait que la bonne application de ceux-ci ne pouvait être nullement considérée comme notre point fort. Le Professeur Diagne avait une vision pragmatique de la décentralisation. Il en avait fait son dada. C’était presque devenu un sacerdoce pour lui. Avec nos anciens condisciples de Sanar, on se plaisait à le qualifier de chantre de la décentralisation au Sénégal. Lorsqu’il en parlait, il le faisait toujours avec une énergie détonante. Nous nous souvenons encore de ce colloque international de 2015 qu’il avait organisé à l’université de Saint-Louis.
Malgré le poids de l’âge, il menait la réflexion avec la passion d’un jeune chercheur. Convaincu de l’importance d’une politique de décentralisation réussie, il n’hésitait pas à prendre son bâton de pèlerin pour aller prêcher partout où ses compétences et connaissances étaient requises .Oui partout ! Que ce soit dans les institutions politiques, dans les collectivités locales, dans les milieux de savoir ou ailleurs.
Pour le professeur Diagne, la décentralisation au Sénégal a toujours été une symphonie inachevée, une décentralisation mi-figue mi-raisin. Sa conception de la décentralisation était pure. Son credo était l’émergence d’une véritable gouvernance locale axée sur une démocratie participative et inclusive. Il plaidait toujours pour une véritable liberté d’administration des collectivités locales, notion qui lui tenait à cœur. Le « mayacinisme », si on peut se permettre, est aux antipodes du « jacobinisme ». Pour lui l’Etat a donné naissance à la décentralisation tout en le sevrant, en l’empêchant de se nourrir des deux mamelles que sont : la responsabilisation des collectivités locales et l’autonomisation financière.
Sans cette alimentation vitale, les collectivités locales seront toujours destinées à être des entités vides et arides à tout point de vue. Ainsi il ne se privait pas de critiquer la méthode de compensation financière retenue, les mécanismes de répartition du fond de dotation de la décentralisation, sa faiblesse, l’absence du développement de l’intercommunalité au niveau national et continental, l’indigence fiscale des collectivités territoriales, la péréquation financière, les freins à la coopération décentralisée entre autres.
Pour lui le Sénégal ne devait pas faire évoluer sa politique de décentralisation en vase clos mais devrait s’inspirer des expériences étrangères réussies. Pour le professeur Diagne, tout développement économique devrait d’abord être local. Ainsi se plaisait-il critiquer l’hypertrophie économique et démographique de la région de Dakar par rapport au reste du pays. C’est pour cette raison qu’il clamait son désamour pour Dakar en disant ironiquement « tout est à Dakar, c’est pourquoi je n’aime pas Dakar ». C’était pour lui une manière de dénoncer la forte croissance des inégalités entre les collectivités locales de l’ouest du pays et les autres.
Pour lui, l’organisation décentralisée de la République sénégalaise est un modèle essoufflé qu’il faut redynamiser grâce à un véritable financement des collectivités locales et l’émergence d’une fonction publique locale effective, efficiente et performante. Ces dernières années, il a grandement axé ces travaux dans ce sens. Sa vision de l’élu local était aussi claire. Pour lui l’élu local devait être un manager qui ose prendre des initiatives de développement de son terroir. Il voulait un statut de l’élu local rénové, libre de tout cumul de mandats ou de fonctions, des élus locaux entièrement dévoués au développement de leurs collectivités.
Le professeur Diagne était un homme de science qui ne se limitait pas à dispenser des cours de droit administratif général ou spécial, ou de finances locales. En véritable expert, il proposait, systématisait, créait, partageait ses idées. Ainsi il laisse un immense legs scientifique aux chercheurs et autres hommes de la société civile préoccupés par le développement sous le prisme de la décentralisation. Ses innombrables publications scientifiques et autres ouvrages portant sur le droit administratif, les finances publiques ou le droit constitutionnel resterons à jamais dans la postérité et continuerons certainement d’inspirer des générations de chercheurs.
Un esprit brillant et généreux s’est éteint. Nous présentons nos condoléances à sa famille, à la nation entière, particulièrement à la communauté des chercheurs et autres passionnés du droit. Puisse le Très-Haut l’accueillir dans son paradis éternel pour un repos paisible et bien mérité. Adieu Professeur !
Saliou Bobo Kane Diallo
Titulaire d’un D.E.A en Décentralisation et gestion des collectivités locales
Université Gaston Berger de Saint Louis