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Hommage au Grand Chef de Guerre Le Damel Ngoné Latyr DIOP (1842-1886)

Dimanche 26 Octobre 2014

Le 27 octobre 1886, il ya 128 ans tombait au champ d’honneur à Dékheulé , le grand capitaine , le grand chef de guerre ,le grand résistant armé face à la conquête coloniale le Damel Lat Dior Ngoné Latyr DIOP.

Le Capitaine français Valois, rapporte que la funeste bataille de Dékheulé a eu lieu le 27 octobre 1886 au tour du mythique puits entre 11h et 11h 45 à partir d'une attaque fulgurante de Lat Dior et de ses troupes. Et le Capitaine Valois de poursuivre " Ils nous livraient un combat acharné. Pendant un quart d'heure on se fusillait de si près que beaucoup d'ennemis eurent leurs vêtements brûlés par la poudre. Lat Dior restait sur le Champ de Bataille avec deux de ses fils et soixante dix huit de ses guerriers les plus renommés." (Archives du Sénégal - Fonds A.O.F. I-D-48).
Quelque soit ses errements et « trahisons » politiques rendons à ce jour hommage au grand guerrier wolof, au grand chef de guerre sénégalais.

A travers les relations des combats menés (Bataille de Ngol-Ngol : 29 décembre 1863 ;Bataille de Loro : 16 janvier 1864 ; Bataille du Rip : 30 novembre 1865 ;Bataille de Mékhé : 03 juillet 1869 ) contre Lat Dior ce sont ses ennemis les militaires colonialistes français qui sont les premiers à rendre hommage à la pugnacité et la valeur militaire de ses soldats ainsi qu’ à sa capacité de grand stratège . Même s’ils refusent de mettre un majuscule à Damel , in fine leurs récits indiquent un profond respect militaire à Lat Dior
Aucun résistant armé en Afrique de l’Ouest n’a infligé des pertes aussi considérables aux troupes coloniales que Lat Dior qui laissait sur le champ de bataille des centaines de mort (bataille de Louga 700 morts , bataille de Ngolngol 500 morts )

Lors des confrontations avec les colonialistes l’armée de Damel Lat Dior Ngoné pouvait compter jusqu’ à 7000 hommes ; rares sont les armées modernes ouest africaines capables actuellement d’aligner dans un théâtre d’opérations des milliers d’hommes.
Avec la mort de Damel Lat Dior Ngoné ,le guerrier ceddo n’avait plus la prééminence dans la société Wolof ;la colonisation avait promu à la tête de la société les marabouts, les artisans et les artistes qui constituaient la nouvelle superstructure. L’esprit ceddo de « Diengou » de « Bagne » avait laissé la place au « masla » et au « tapalé », le sénégalais de Ndar , de Rufisque et de Gorée (traitants fonctionnaires) initiait les nouveaux modes de pensée néocoloniale. Et ce fut hélas, le début du Sénégal moderne.


CONQUÊTE DU CAYOR

Voici le récit des autorités coloniales au sujet de la conquête du Cayor :

« Le général Faidherbe avait repris le gouvernement de la colonie en juillet 1863. En présence des pillages continuels de Lat-Dior dans le Cayor et des intrigues dangereuses par lesquelles il cherchait à violer nos traités, il était urgent d'apporter un remède radical à cette situation.

Le ministère de la marine était d'ailleurs disposé à entrer dans cette voie, car il avait accordé un crédit de 30000 francs , en 1863 , destiné à la construction du poste de Thiès, et un autre de 70000 francs pour occuper trois autres points dans l'intérieur du Cayor. Le gouverneur pensa que, pour rétablir l'ordre, il fallait nommer et réinstaller un damel, quel qu'il fût, dans la partie centrale de cette province, et détacher du Cayor le Ndiambour, le Mbâouar, du côté de Saint-Louis, et le Sagnokhor, du côté de Corée, pour les ajouter à nos possessions; il pensa aussi que, pour soutenir et surveiller le damel dans le gouvernement du Cayor central, il importait d'établir un poste solide au cœur même de cette province, à Nguiguis, dans une contrée fertile. L'exécution de ces projets fut immédiatement entreprise.

Le gouverneur, à la tête des troupes de la colonie, partît pour Nguiguis, où l'on voulait construire le poste fortifié qu'on devait, d'après les traités, établir d'abord à Ndande ,Nguiguis avait été préféré à ce dernier point comme étant plus central. C'était d'ailleurs la résidence du damel Madiodio..

La colonne, composée des troupes de la garnison, se mît en route le 23 novembre, suivie d'un convoi considérable de vivres, et, quatre jours après, elle rejoignit le lieutenant-colonel Laprade, parti également de Gorée avec ses troupes; en même temps, des bâtiments venaient débarquer à Mboro, à moitié chemin entre Saint-Louis et Gorée, des matériaux de construction.

Ces divers mouvements et transports ne furent possibles que grâce à 300 ou 400 chameaux requis à Gandiole, moyennant paiement, car les mulets du train suffisaient à peine pour l'artillerie et l'ambulance.

Le damel Lat-Dior coupable de tant de violations aux traités, n'attendit pas le gouverneur; quoiqu'ayant réuni toutes ses forces, il battit en retraite devant la colonne qui le suivit jusqu'à la frontière du Cayor, d'où il se réfugia dans le Baol.

Une redoute avait été construite le jour même de l'arrivée de la colonne à Nguiguis, capitale du Cayor, où il y a des puits abondants.

Revenu à Nguiguis et croyant que Lat-Dior renonçait au pouvoir qu'il avait usurpé par sa révolte de 1862, le gouverneur reconnut, pour roi du Cayor, notre ancien allié Madiodio, et fit avec lui un traité qui nous abandonnait le Diambour, le Mbaouar, Andal et le Sagnokhor.
Le général Faidherbe partit alors pour Saint-Louis, afin de pouvoir s'occuper des Maures chez lesquels il y avait une certaine agitation. Il laissait à M. le lieutenant-colonel Laprade, pour poursuivre Lat-Dior, une colonne composée comme il suit : 100 hommes d'infanterie de marine, 100 de la compagnie disciplinaire 40 de la compagnie indigène du génie, 250 tirailleur sénégalais, 75 artilleurs (train), 38 spahis, en tout 600 hommes. La colonne s'augmenta en outre de 100 volontaires de Gorée et de 150 Poul de Saint-Louis.

Les armées de Madiodio et de Silmakha-Dieng comprenaient ensemble 500 cavaliers et 1500 fantassins.

Partie de Nguiguis le 7 décembre 1863, la colonne campa à Soguère, puis à Khaoulou où Lat-Dior se retira devant elle jusqu'à Ndary (Baol). Nos troupes arrivaient à ce dernier campement quelques heures après le départ de l'ennemi ; la poursuite fut vigoureusement continuée, et vers dix heures du matin, nous atteignîmes l’arrière-garde des fuyards qui, se sentant serrée de trop près, se décida à combattre.

Les volontaires, commandés par le sous-lieutenant Beccaria, occupaient la droite'; la compagnie disciplinaire et le bataillon de tirailleurs formaient le centre et étaient appuyés par un obusier.

Ces dispositions prises, le capitaine Ringot, à la tête de trois pelotons de tirailleurs se portait en avant, soutenu par 500 cavaliers volontaires suivis eux-mêmes de fantassins. En un instant l’ennemi fut enveloppé, aussi éprouva-t-il des pertes sensibles. Nos volontaires n'avaient que six hommes tués et cinq blessés.

L'ennemi s'enfuit alors dans toutes les directions ; Lat-Dior s'était retiré vers l'ouest une partie de son armée avait fui dans l’est. Linguére, sa mère, prise en croupe par un de ses cavaliers, se sauvait dans le sud. Quant à Samba-Maram-Khay, son allié, il l'abandonna et vint à Ndiouki et à Khaoulou où il fit sa soumission à Madiodio, devant toutes nos troupes. Après un court séjour à Khaoulou, la colonne ne pouvant poursuivre plus longtemps un ennemi dispersé qui se retirait sans cesse devant elle, rentra à Nguiguis le 14 au matin. Le poste était achevé et bien approvisionné.

Le lieutenant-colonel Laprade rentra donc à Gorée; à Taïba, sur sa route, il trouvait tous les chefs du Sagnokhor qui venaient confirmer leur acceptation aux conditions du traité qui les plaçait sous l'autorité française : paiement de l'impôt personnel, promesse de se défendre mutuellement contre les pillards et de joindre leurs forces à celles de la colonie contre ses ennemis.

Du reste, cette province avait déjà donné une preuve de ses bonnes dispositions en nous envoyant quelques jours avant 800 hommes pour le transport de Mboro à Nguiguis (8 lieues) des bois nécessaires à la construction du poste.

On laissa alors une garnison suffisante à Nguiguis pour protéger au besoin les travailleurs et les troupes étaient toutes rentrées dans leurs garnisons respectives le 20 décembre.

Combat de Ngolgol,

Contre notre attente, Lat-Dior rentra aussitôt à la tête de ses forces dans le Guet, province extrême du Cayor, vers l’est, et le 24, il était à Ndiagne, venant chercher à Coki, grand village de la province du Ndiambour, un appui h sa cause, comme il l’avait trouvé dans sa révolte de 1862 ; mais cette province qui avait sollicité son annexion complète à la colonie, lui refusa son concours , et le gouverneur envoya à Coki, pour l’appuyer dans sa résistance, une petite colonne commandée par le capitaine d'infanterie de marine Flize.


Lat-Dior s'éloigna aussitôt du Ndiambour, mais il se dirigea vers Nguiguis, annonçant qu'il allait y attaquer son rival Madiodio. La colonne de Gorée recut l'ordre de rentrer immédiatement dans le Cayor, sous les ordres du lieutenant-colonel Laprade, et le chef de bataillon d'infanterie de marine de Barolet partit aussi avec des troupes de Saint-Louis. De son côté, le capitaine Flize marcha également sur Nguiguis avec sa colonne.

Pendant ce temps, le capitaine du génie Lorans, chargé de la direction des travaux à Nguiguis et commandant la garnison, persuadé par Madiodio et Samba-Maram-Khay que, s'il les appuyait avec une partie de sa garnison, ils seraient assez forts pour battre l’ennemi commun, sortît le 29 décembre, dans la nuit, avec une compagnie de tirailleurs, un obusier et 8 canonniers, vingt-cinq spahis, vingt ouvriers du génie, et suivi dos forces de Madiodio, il alla attaquer Lat-Dior à Ngolgol, à trois lieues de distance. La rencontre eut lieu à la pointe du jour.

L'ennemi se trouva plus nombreux qu'on ne le croyait. L'armée alliée, composée de gens peu aguerris, fit une molle résistance en perdant du terrain, de sorte que la petite troupe du capitaine Lorans eut tous les hommes à pied de l'ennemi sur les bras, en même temps qu'une nombreuse cavalerie, débordant les deux ailes, l'entourait complètement.

Tout le monde comprit qu'il n'y avait plus qu'à mourir dignement. Le capitaine Lorans et le capitaine des tirailleurs Chevrel démontés tous deux, et ce dernier blessé, assistèrent stoïquement, jusqu'à ce qu'ils fussent tués eux-mêmes, à la destruction de leurs hommes, tirailleurs et ouvriers, qui combattaient jusqu'au dernier soupir. Les sept canonniers et l'adjudant Guichard se firent hacher sur leur pièce.

Le peloton de spahis, perdu au milieu d'une affreuse bagarre où il ne reconnaissait plus ni amis ni ennemis, dégagea notre damel Madiodio, et tout en perdant son chef, le sous-lieutenant Duport de Saint-Victor et quatre spahis, il parvint à atteindre Nguiguis, ramenant le damel et huit spahis blessés. Les vainqueurs poursuivirent les fuyards jusqu'à la redoute d'où ils se firent repousser en faisant des pertes sensibles. (30 décembre 1863.)

En somme, de 140 hommes environ dont se composait la colonne, il ne revint que 20 spahis dont 8 blessés, 2 officiers, 1 docteur et 6 tirailleurs dont 3 blessés ; nos alliés perdirent en outre beaucoup de monde.

Après ce désastre, où l’honneur de nos armes était seul resté sauf, Lat-Dior, sachant que trois colonnes convergeaient vers lui, se retira de nouveau sur la frontière du Baol.

Immédiatement l’ordre fut envoyé aux troupes de faire leur jonction à Nguiguis, sous le commandement du lieutenant-colonel du génie Laprade, et de se mettre à poursuivre Lat-Dior à outrance, même dans le Baol.

On se porta donc à la frontière, mais Lat-Dior, faisant un détour, nous évita, rentra de nouveau dans le Cayor, et se porta à Ngol, dans le Guet, canton où il est né et sur lequel il savait pouvoir compter.

Le lieutenant-colonel Laprade passa quatre jours à punir les villages où il trouva les dépouilles de nos soldats, et à intimider le roi du Baol pour qu'il ne permît plus à nos ennemis de se réfugier chez lui, d'y laisser leurs biens et leurs familles pour venir commettre des agressions dans le Cayor.

C'est dans ce but que la colonne, au lieu de se porter directement sur Lat-Dior, se dirigea d'abord vers le Baol. Cette pointe eut pour résultat d'intimider les chefs de ce pays et de les détacher complètement de la cause de Lat-Dior, ce qui évita de porter la guerre dans cette région qui fournit des éléments considérables à notre commerce.

Le 9 janvier 1864, on se remit en marche directement sur Lat-Dior.

Partie de Khaoulou le 9 janvier au soir, la colonne arrivait le 10 janvier à Ngaye, le 11 janvier à Mbassine.

Là on apprit que l’ennemi n était qu’à une lieue de nous et bien disposé à nous attendre. Dans ces conditions, et afin de pouvoir tirer le meilleur parti possible de l’affaire qui devait avoir lieu, le lieutenant-colonel Laprade fit bivouaquer les troupes jusqu'au lendemain. On évitait ainsi d'arriver devant l'ennemi à une heure trop avancée de la journée avec des troupes fatiguées et sans eau, ce qui aurait eu lieu si on avait continué le jour même.

Le 12 janvier au matin, la colonne se mit en marche dans l’ordre suivant :

Quelques éclaireurs de la cavalerie de Silmakha-Dieng ;

Un peloton de 50 laptots déployés en tirailleurs ;

25 ouvriers indigènes du génie ;

200 hommes d'infanterie de marine, sous les ordres du commandant de Barolet

2 obusiers sur les flancs et 50 hommes d'artillerie, capitaine Laberge ;

100 hommes de la compagnie disciplinaire, capitaine Bolot ;

Le convoi et l'ambulance, 2 obusiers;

250 hommes da bataillon des tirailleurs sénégalais, capitaine Ringot ;

80 spahis, capitaine Baussin;

La cavalerie du Djolof et les volontaires à pied.

Nous trouvâmes, en approchant de Loro, l’armée ennemie en bataille sur un mamelon et nous attendant. Nous comptions un millier d'hommes de troupes régulières et 3000 volontaires. L'ennemi avait beaucoup plus de cavalerie que nous.

Nous arrivâmes en présence de ses positions à 7 heures du matin. Le choix de ces positions était judicieusement fait, il n'aurait pas été désavoué par un militaire expérimenté.

Les fantassins étaient à couvert derrière une haie d'euphorbes qui couronnait les bords les plus avancés d'un plateau au centre duquel se tenait Lat-Dior avec une forte réserve, de telle sorte que le vallon que nous avions à franchir était admirablement battu par la mousqueterie de l'ennemi ; sur les ailes de cette position se tenait une nombreuse cavalerie.

Avant d'engager sérieusement les troupes, M. le lieutenant-colonel Laprade voulut tirer parti de la grande portée de nos armes. En conséquence, il arrêta la colonne à 400 mètres environ de l'ennemi, fit replier les éclaireurs, les tirailleurs et la section du génie, et commença le feu par l'artillerie appuyée de trois pelotons d'infanterie déployés.

L'ennemi ripostait, mais sans nous atteindre. Bientôt sa cavalerie s'ébranla et menaça nos flancs et nos derrières, mais de ces côtés elle fut contenue par le feu de la compagnie disciplinaire et par celui des deux obusiers placés à la gauche de la colonne.

Lorsque l’ennemi parut suffisamment ébranlé par notre feu les clairons sonnèrent la charge et la colonne s'avança dans l’ordre le plus imposant jusqu'à deux cents mètres des positions de l’ennemi. Alors les trois pelotons d'infanterie de marine, qui marchaient déployés en tête, prirent le pas de course, sous les ordres du chef de bataillon d'infanterie de marine de Barolet, et enfoncèrent le centre de l’armée de Lat-Dior aux cris de Vive l’Empereur !

Le capitaine Baussin, commandant l’escadron de spahis, reçut l'ordre de charger à fond par la trouée qu'avait pratiquée l'infanterie ; à sa suite s'élancèrent avec un élan indicible nos 3000 auxiliaires.

L'ennemi terrifié fuyait dans toutes les directions ; son infanterie fut écrasée, et sa cavalerie ne dut son salut qu’à la rapidité de ses chevaux.

La poursuite fut poussée jusqu'à quatre lieues du champ de bataille. L'horizon était embrasé par l'incendie de tous les villages de la contrée. A trois heures du soir, nos auxiliaires rentraient encore au camp chargés de butin.

A la suite de ce combat, où l'ennemi laissa plus de 500 cadavres sur le terrain, Lat-Dior s'enfuit avec ses cavaliers vers le sud. La colonne en rentrant à Nguiguis, ne trouva sur sa route que des villages abandonnés, et les volontaires, répandus à plusieurs lieues à la ronde parcoururent en maîtres cette contrée qui, quelques jours auparavant, était le foyer d'un vaste complot formé contre l’influence française.

Nos pertes, comparées à celles de l’ennemi, furent insignifiantes, elles se réduisirent à 3 volontaires tués. Le capitaine d'infanterie Decheverry, 23 soldats et 26 volontaires furent blessés, presque tous légèrement.

Après le brillant fait d'armes du 12 janvier, il restait à la colonne expéditionnaire un dernier et pieux devoir à remplir. Le lieutenant-colonel Laprade la conduisit sur le champ de bataille du 29 décembre, pour rendre les derniers honneurs aux victimes de cette triste journée. Cette cérémonie touchante eut lieu le 15 janvier, à 5 heures du soir, au bruit du canon.

Immédiatement après notre victoire du 12 janvier à Loro, le 13, au matin, Lat-Dior, suivi de ses cavaliers, était déjà sorti du Cayor, et rentré dans le Baol ; il ne tarda pas à pénétrer dans la partie sud-est de ce pays. Le roi du Baol, fidèle à la promesse qu'il nous avait faite, après quelques jours de pourparlers, chassa, le 20 janvier, les réfugiés de Ten-ou-Mekhey, vers le Sine. Penda-Tioro, puissant chef du Baol, dont l'autorité balance celle du roi, s'était mis avec lui dans cette circonstance. Lat-Dior fut encore abandonné de quelques-uns de ses partisans, et Madiodio, établi près de Nguiguis, reçut un assez grand nombre d'adhésions.

Le 25, Lat-Dior, réfugié à Ngagniam, sur la frontière, entre le Baol et le Sine, n'avait plus avec lui qu'un petit nombre d'hommes, et éprouvait un refus de la part du roi de Sine à qui il demandait un refuge dans ses États.
Les jours suivants, Tègne et Penda-Tioro, craignant notre mécontentement, firent de nouveaux efforts pour chasser complètement les réfugiés du territoire du Baol.

Lat-Dior, ses gens et leurs familles, aux abois, mourant de faim, sans abri, revinrent à Tchirounguène, point extrême du Cayor, vers le sud-est, et pressés par le besoin, ses cavaliers, commandés par Maïssa-Mbay, tentèrent quelques razzias dans le pays. On s'empressa d'envoyer une petite colonne d'observation, et le 8 février, le capitaine Ringot, qui la commandait, arrivait à Nguiguis. Lat-Dior était toujours à Tchirounguène, qu'on appelle dans le pays la porte du Bac! La colonne .du capitaine Ringot se porta droit sur lui et arriva le 12 février à Keur-Mandoumbé. Les uns disaient que Lat-Dior viendrait se rendre, d'autres, qu'il se ferait tuer avec ses fidèles. Il ne fit rien de tout cela, il se sauva, comme toujours, mais cette fois, les derniers chefs du Ndiambour et du Cayor qui l'avaient accompagné jusque-là l'abandonnèrent, emportant les dioundioung ou tamtams de guerre, signe de l’autorité du damel, et vinrent faire à Madiodio leur soumission définitive. Lat-Dior, avec une trentaine de cavaliers, se réfugia du côté de Mbaké ; nos alliés les poursuivirent jusqu'à la frontière du Saloum. La colonne considérant les affaires comme terminées, revint à Nguiguis, le 19, et le 23 elle arriva à Saint-Louis. L'état sanitaire ne laissait rien à désirer.

Ce qu'il y a de remarquable dans cette dernière expédition, c'est que sur notre simple appel 6000 volontaires, armés de fusils, se sont joints à notre petit noyau de troupes. Jamais auparavant plus de 2000 volontaires n'avaient marché avec nous.

Lat-Dior, avec une trentaine de cavaliers, se réfugia du côté de Mbaké, il traversa le Baol sans y trouver d'appui et se rallia, sur les rives de la Gambie, à Maba qui venait de s'emparer de quelques provinces riveraines. Nous avions donc, à cette époque, réalisé nos projets et mis le Cayor à l'abri de ces brigandages incessants dont souffraient nos comptoirs.

Un commissaire du gouvernement près le damel était nommé à Nguiguis, et le Cayor entrait dans une ère de paix qui allait lui permettre de réparer les dégâts commis par les bandes de tiédo, et de reprendre les cultures ravagées presque entièrement par les sauterelles pendant deux années consécutives.

Mais Madiodio , désormais protégé contre ses ennemis extérieurs, ne tarda pas à se livrer de nouveau à tous les vices qui caractérisent le tiédo.
Retombé dans ses anciennes erreurs, malgré la présence de notre représentant, il était redevenu incapable de faire respecter notre autorité. Le gouvernement résolut alors de le révoquer définitivement. L'ancien poste de Potou devint une habitation pour lui et sa famille, et une pension viagère de six mille francs lui fut servie par la colonie.

En même temps que le damel était révoqué, on évacuait le poste de Nguiguis et nous nommions directement les chefs dans tout le Cayor divisé en cantons.

Bientôt après, le commandant supérieur de Gorée parcourut tout ce pays, investissant du manteau vert les chefs de notre choix, chargés désormais sous l'autorité du gouverneur, de commander les cantons dont les limites sont déterminées.

L'administration de la colonie, secondée par le commerce, facilitait encore la régénération de cette province en faisant aux habitants pressés par la famine de larges avances pour leurs semailles.

Cet acte de bienveillance fut d'un excellent effet sur l’esprit des habitants ; il leur prouvait que si nous savions protéger leurs travaux contre les pillages des tiédo, nous pouvions aussi réparer les ravages bien plus terribles encore d'un insaisissable ennemi : le fléau des sauterelles.

Combat de Mékhey.

La colonne quitta N'diagne le 3 juillet et se dirigea vers le sud où Ibrahima- Penda et Lat-Dior avaient fait leur jonction. Le 9, elle s'arrêta à Khisso et le commandant Brunon envoya l'escadron de spahis et les volontaires en reconnaissance vers Mékhey, où les bandes de Lat- Dior étaient signalées.

Arrivés devant les tapades du village, les volontaires ouvrirent un feu désordonné contre les défenseurs bien abrités, puis, saisis de panique, s'enfuirent en désordre à travers la brousse. L'escadron ainsi abandonné, fut entouré par les cavaliers de Lat-Dior. Les spahis les chargèrent vigoureusement à plusieurs reprises, mais chaque fois qu'ils arrivaient contre les cases du village, ils étaient criblés de balles. M. Audibert, capitaine en second, est tué; le sous-lieutenant Couloumy est blessé; un grand nombre d'hommes sont mortellement atteints. Le capitaine Canard, commandant l'escadron, jugeant la place intenable pour ses cavaliers devant des ennemis embusqués dans des cases, se résout à battre en retraite. Pendant que la plus grande partie des survivants de l’escadron rentraient au camp sous la conduite du sous-lieutenant Couloumy, une quinzaine de spahis avec le capitaine Canard, les sous-lieutenants Bancal et Faidherbe, le vétérinaire Sorbière protégeaient la retraite et luttaient pied à pied contre les cavaliers de Lat-Dior. Poursuivis sans relâche par ceux-ci, ces courageux officiers voyaient leurs hommes tomber un à un ; bientôt ils furent réduits à six, égarés dans la brousse, démontés, séparés les uns des autres, épuisés de fatigue et mourant de soif, le capitaine Canard et ses compagnons purent néanmoins rejoindre, dans la soirée la colonne à son camp de Khaoulou.

En résumé l’escadron, qui comptait 73 hommes, eut dans cette affaire de Mékhey, 24 hommes tués, dont un officier et 3 sous-officiers, 13 blessés, 3 prisonniers et 42 chevaux tués. Après la destruction de l'escadron et la fuite des volontaires, le commandant de la colonne, ne se croyant plus assez fort, rentra à Saint-Louis.

A la suite du combat de Mékhey, Lat-Dior s’était retiré vers l’est, mais il rentrait bientôt dans le Cayor à la tète de forces plus nombreuses. A la fin du mois d'août il était signalé aux environs de Louga et de N'diagne où nous avions un poste, bloqué alors par les indigènes insurgés.

Une colonne sous les ordres du lieutenant-colonel Le Camus, fut chargée de dégager ce poste et de le ravitailler. Elle se composait de 350 hommes d'infanterie, 62 spahis, 2 pièces d'artillerie et d'un convoi de 200 chameaux et 100 mulets chargés de vivres et de munitions de guerre.

Combats de Louga.

Partie de Saint-Louis, le 11 septembre 1869, la colonne arriva le 15 près de Louga où l'ennemi semblait vouloir lui disputer le passage. Pendant que les hommes établissaient le camp et dégageaient les puits obstrués par l'ennemi, le lieutenant-colonel Le Camus envoya 150 hommes sous le commandement du capitaine d'état-major Bois pour reconnaître les positions occupées par les guerriers de Lat-Dior. Le village de Louga fut traversé sans qu'un seul coup de fusil révélât la présence de l'ennemi, lorsque longeant une haie épaisse, au delà du village, les tirailleurs furent assaillis à bout portant par un feu si violent, que 80 des leurs furent tués, y compris le capitaine Salmont qui les commandait. La reconnaissance dut battre en retraite et rejoindre le camp, où l'on prit des dispositions pour résister aux attaques que Lat-Dior, enhardi par ce succès, ne manquerait pas de tenter. En effet, aussitôt le jour tombé et pendant une partie de la nuit, les noirs vinrent tirailler contre le camp, mais du reste sans succès.

Le lendemain, à six heures du matin, le lieutenant-colonel Lecamus forma sa troupe en carré autour du convoi et se dirigea sur Louga. Le carré, bientôt entouré par près de 7000 ennemis, continua sa marche tout en faisant feu des quatre faces. Pendant trois heures et demie il résista à toutes les charges des cavaliers de Lat-Dior, aux assauts furieux de ses fantassins qui venaient se faire tuer jusque sur la pointe des baïonnettes. Enfin on atteignit Louga dont on s'empara. Lat-Dior s'enfuit abandonnant plus de 700 cadavres sur le terrain et emmenant un plus grand nombre de blessés. La colonne n'avait eu que 25 hommes mis hors de combat.

Le 18, elle atteignait le poste de N'diagne et le ravitaillait. Le 26, sa mission accomplie, elle rentrait à Saint-Louis sans avoir été inquiétée depuis les brillants combats de Louga.

Malgré ces défaites successives et les pertes considérables qu'il avait subies, et quoique Ahmadou-Cheikhou eut rappelé à lui ses partisans pour combattre dans le Toro, Lat-Dior tenait toujours dans le Cayor,

Une colonne expéditionnaire sous les ordres du capitaine Canard fut lancée contre lui au mois de décembre 1869. Elle l'atteignit le 17 à Salen, petit village situé près de Mékhey, lui tua 90 hommes et l'obligea à battre en retraite. Lat-Dior se retira dans le Rip. Il ne devait pas tarder à en revenir.

Enfin, en 1871, le gouvernement de la colonie, espérant clore l'ère des hostilités, le reconnut comme Damel el lui rendit le Cayor , sauf les banlieues de Saint-Louis et de Dakar et la province de Diander.

Pendant que les luttes dans le Cayor absorbaient toutes les forces de la colonie, Ahmadou-Cheikhou, libre de ses mouvements, avait employé les derniers mois de 1869 à révolutionner le Toro et le Dimar.
Un seul chef, le Lam Toro Samba-Oumané, était resté fidèle à notre cause et subissait dans Guédé les assauts répétés des partisans d'Âhmadou.

Âpres le combat de Salen et la retraite de Lat- Dior dans le Rip, qui en fut la conséquence, le gouverneur rappela toutes les troupes du Cayor et les dirigea sur le Toro.


Rapport sur le combat de DEKHLE

Conformément aux instructions contenues dans la lettre n° 395 de M. le Gouverneur du Sénégal, la division de spahis placée sous mes ordres, montant à cheval dans la nuit du 25 au 26 octobre 1886 pour se porter de Ndande sur Diadié. Lat Dior, à la tête de ses contingents devait se trouver en ce dernier point. Avec ma division, marchaient des cavaliers et des fantassins volontaires, sous les ordres des chefs indigènes Demba War SALL, Ibra Fatim Sarr et Samba Laobé Boury. Arrivé à Souguère, j'appris par les habitants que Lat Dior et ses partisans avaient quitté Diadié le 26 pour se rendre à Dékhélé, résidence habituelle de ce chef. Ces renseignements me furent confirmés à Diadié où j'arrivais le 26 à 9 heures du matin. Le 27 à 2 heures du matin, la division montait à cheval pour se porter vers Dékhélé, précédée par les cavaliers et fantassins volontaires ainsi que par des spahis envoyés en éclaireurs. À mon arrivée à Thilmakha, j'appris avec étonnement que Lat Dior n'était plus à Dékhélé, qu'il en était parti dans la nuit et se retirait dans la direction du Baol. Ces renseignements étaient erronés ou plutôt donnés de mauvaise foi par les habitants de Thilmakha car, à la sortie de ce village, un espion de Lat Dior, qui fut fusillé avant que je l'eusse interrogé moi-même, avait avoué que son maître se dirigeait vers l'Ouest, dans la direction de Ndande car ce mouvement de Lat Dior se plaçait entre nous et la ligne ferrée. À 10 heures du matin, je fis occuper le village de Dékhélé par les volontaires et pousser des reconnaissances dans les directions de Thirouguène, Afia et Diouki. A 11 heures, toutes ces reconnaissances étaient rentrées sans avoir rencontré de parties ennemies. Je pris alors position auprès du puits qui se trouve à 2 kilomètres environ de Dékhélé. Les abords de ce puits, sur un rayon de 30 mètres seulement sont sablonneux et complètement dénudés, tandis que les environs, aussi loin que la vue peut s'étendre, sont couverts de broussailles et de hautes herbes, dépassant de beaucoup la tête d'un cavalier à cheval. Les six premiers chevaux buvaient. Tout à coup, une fusillade épouvantable éclate sur notre droite. Trois chevaux tombent, foudroyés; six hommes sont mis hors de combat. Je rallie aussitôt la moitié des spahis autour de moi pour riposter. Les partisans de Lat Dior au nombre de 250 à 300, divisés en deux groupes, avaient gagné les abords du puits par une marche extrêmement rapide à travers les hautes herbes. Ils nous livraient un combat acharné. Pendant un quart d'heure on se fusillait de si près que beaucoup d'ennemis eurent leurs vêtements brûlés par la poudre. À 11 heures trois-quarts, j'étais presque maître de la situation. Je fis monter 20 spahis à cheval et me portai un peu en avant. L'ennemi était complètement battu. Son chef Lat Dior restait sur le champ de bataille avec ses deux fils et soixante-dix-huit de ses guerriers les plus renommés. Pendant ce combat si court, les spahis avaient fait des pertes énormes : un tiers de l'effectif en hommes et chevaux avait été mis hors de combat. Tous d'ailleurs avaient rivalisé de bravoure et donnèrent les preuves du plus admirable sang-froid. Parmi eux je tiens à distinguer : Le trompettiste Samba Assa, atteint de quatre blessures, a continué le feu en tirant à genou. Le spahi Mamadou Sy, ayant eu le bras cassé par une balle, a continué le combat jusqu'à la fin avec son revolver. Le spahi Aliou Bâ n'a cessé de combattre qu'à la troisième blessure. Enfin le spahi Samba N'Diaye, vieux soldat médaillé dont l'éloge n'est plus à faire, atteint de deux blessures, a défendu à ses camarades de le relever avant la fin du combat. Tous ces intrépides soldats se sont montrés si admirables que je me permets de soumettre à la haute bienveillance de M. le Gouverneur un état de propositions de récompenses qu'ils ont si noblement méritées.
Dékhélé, le 27 octobre 1886 Le Capitaine Commandant la division : Valois (Archives du Sénégal - Fonds A.O.F I-D-48)

Extraits « Annales sénégalaises de 1854 à 1885 suivies des traités passés avec les indigènes ouvrage publié avec l'autorisation du ministre de la marine »

Amadou Bakhaw DIAW
Historien traditionnaliste


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