J’ai toujours marché sur tes pas : Immaculée Conception de Rufisque, Institution Notre Dame, Institution Sainte Jeanne d’Arc. Te rappelles-tu, lorsque, brillante élève, tu fus reçu par Maurice Guèye, Maire Mythique de la ville de Rufisque, c’était l’époque où les joutes politiques avaient un parfum d’ironie sans méchanceté.
Rufisque, c’était nos uniformes et les ridicules calots que nous arborions, en route pour l’Église Sainte Agnès. Nous avons chanté le « tantum ergo » de nos voix non païennes comme dit le poète, mais de nos voix musulmanes. Toutes nos vies, nous avons navigué du « daara » au catéchisme, de « yaa ustaaz » aux catéchèses.
Te rappelles-tu Mariama, nos conciliabules lorsque, avant de rentrer dans une salle d’examen, nous nous concertions pour savoir qui, de la Faatiha ou du Notre Père était plus susceptible de nous accorder une bonne note ? Souvent, pour mettre toutes les chances de notre côté, nous récitions les deux prières, l’une après l’autre. C’est dire que le dialogue islamo chrétien c’est sans doute Mariama et moi qui l’avons initié.
Je t’ai donc suivi à l’Institution Notre Dame dans les années 65. Tu as toujours eu une relation particulière avec les religieuses, nos professeurs d’alors. Je me souviens, tu avais été l’élève favorite de Mère Marie Danielle. C’était elle-même Mère Supérieure et nulle autre, qui s’était chargée de ton éducation artistique en t’enseignant le piano. De tes doigts effilés, des sons magiques s’échappaient.
Mariama, tu as toujours été différente. Tu avais tant de distance gracieuse. Nous étions chahuteuses. Tu étais si sage ! Tu te contentais de glousser de nos bêtises. En classe de seconde, les religieuses, qui avaient une très haute idée de toi et de tes capacités, avaient pensé te renforcer en te faisant reprendre la classe de seconde. Ton sentiment aigu de l’honneur, en bonne léboue, s’en est trouvé égratigné. Tu avais alors juré que les « élèves avec qui tu avais cheminé, ne passeraient pas le Baccalauréat avant toi». Dans le secret, dès la classe de première, tu te préparais à cet examen si déterminant. Je dis bien « dans le secret », car Mariama, tu as toujours tout partagé sauf tes projets.
C’est ainsi qu’en juillet, nous apprîmes que tu étais bachelière. À la rentrée suivante, alors que sur les bancs de l’école, nous annoncions Jean Paul Sartres, Albert Camus, Bergson, sur les bancs des amphithéâtres à l’Université de Dakar déjà tu entamais tes études de lettres classiques : Licence, Maîtrise, Doctorat. Tout cela n’est pas le fruit du hasard. C’est avec la meilleure graine littéraire que tu as partagé ces années d’université. Il s’agit du Professeur Oumar Sangaré, qui a rejoint l’éternité par sa valeur, du Professeur Amadou Ly, de Racine Senghor et Madieyna Ndiaye. Lorsque tu m’as entraînée dans la formidable aventure de l’écriture, avec générosité, tu m’as menée à tes brillants condisciples. Comme on dit en langage populaire, ils sont devenus mes coachs. Mes manuscrits à eux soumis me reviennent maculés d’encre rouge…
Génie précoce, dès les années 80, tu as commencé à publier. D’abord une nouvelle : « sœurs dans le souvenir » (prix 1982 Sénégal Culture) aussitôt suivie d’une autre nouvelle « De vous à moi » puis de « Parfum d’enfance ».
Mariama c’est avec le roman que ton génie explose, ce sera tour à tour « Soukey », prix Paul Nionda des lycéens de Gabon. Après Soukey ce sera le magnifique roman « Comme du bon pain », peinture si juste de la société sénégalaise à travers la polygamie. « L’arbre s’est penché » comme on pouvait s’y attendre a reçu deux prix ; le prix Ivoire 2012 et le prix féminin 2014 de la première dame du Mali. Comment le jury pouvait-il être insensible à ce sublime hommage à ta mère disparue ?
Conformément à l’esprit du Saint Coran, l’hommage à ton père viendra après l’hommage à ta mère. Mais ta dernière œuvre « Vous avez dit lébou ? » Hommage à ton père Thianar NDOYE Fatou NIANGA ne pouvait être autre chose que l’hommage à son peuple qu’il a tant aimé et à ses valeurs sublimes.
Médecin de renom, ce n’est pas par hasard qu’il a choisi la nutrition comme spécialité. Il est de la branche Hagane des lébous. Les Haganes, dont je suis, avaient essentiellement pour rôle d’assurer le ravitaillement en vivres des soldats et de la population. Comme dans une ruche d’abeilles, chaque branche lébou avait son rôle bien défini.
Après l’enfance, après la vie d’écolière, étudiante, d’écrivain, que reste-t-il ? Ta vie de femme. Épouse de diplomate, cette vie se confond avec celle de ton brillant époux. Ce que le Professeur Sankharé a été pour les lettres classiques, El Hadj Mbengue, l’a été pour la langue anglaise. En effet, El Hadj a été le premier agrégé d’anglais au Sénégal. Il a poursuivi une brillante carrière internationale à la Banque Africaine de Développement (BAD) et y a occupé la prestigieuse fonction de Chef de la Division des Conférences.
El Hadj Mbengue et Mariama Ndoye : un couple mythique. Des personnages mythiques, il y en a des milliers, mais des couples mythiques il y en a si peu. Je pense à Abdou Anta Kâ et Aminata Maïga, Lucien et Jacqueline Scot Lemoine. Qui d’autre ?
El Hadji et Mariama c’est l’alliance de deux finesses, deux beautés, deux intelligences et deux élégances. Ce jeune homme qui était si convoité des jeunes filles du lycée devenu Abdoulaye Sadji de Rufisque - à l’ère où la quantité des prix obtenus pesait lourd pour faire pencher les cœurs – Eh bien, Mariama qui avait l’air si sage « moo ka ni doññet ! ».
Tu es sortie de l’école du Louvre, comme conservateur de Musée. Quelle honneur pour la collectivité Léboue celle des douze peñc ses 121 villages que cette nomination par le Président Macky SALL, accompagné du titre de Conseiller Spécial. Mais Mariama, moi, qui me suis toujours réjouie de tes promotions, j’ai éprouvé des inquiétudes. Peut –on investir la maison d’un Léopold Sédar Senghor et y être tranquille ? Mes inquiétudes ont sans doute été les mêmes que celles du génie de ta ville, Mame Coumba Lamb Ndoye. Mame Coumba Lamb est la mère de tous les génies : Ndeuk Daour Mbaye, Coumba Castel, Ndiéré, Ndogal, Matoulane.
À ta nomination, la mère Coumba Lamb s’est levée. Sur l’ilot Sarpan. Elle a rencontré le fils aîné : Ndeuk Daour lèves-toi et vas à la rencontre des pangols du Sine ! Dis-leur de laisser Mariama en paix dans la demeure du poète. Les lébous et les sérères ne sont qu’un peuple. Ils se sont séparés à Toubab Dialao. C’était il y a 6 siècles. De leur nostalgie pour le peuple frère, les lébous ont donné à leurs lieux mystiques des noms sérères : Fann, Diopal (Dieuppeul) Karak, Kasoum, Soumbédioune.
Dans la maison de Senghor, tu as établi tes quartiers. Tu déambules avec grâce, apaisée. Je t’y rends visite rarement, car chaque fois que j’y pénètre, la tristesse me saisit de savoir Baye Thianar et Fatou Dieng Meissa absents lors de tes jours d’honneur bien mérité.
Nous avons tant de choses en partage, Mariama, mais de tout ce que nous avons en partage, le plus important, le plus profond n’est-ce-pas nos liens de sang ? N’est-ce pas cet ancêtre commun, le premier Lébou arrivé dans la zone de Rufisque/Bargny ? Ce que nous avons en commun c’est Saayour Guedj Ndoye et sa fille Ndegue Ndoye. C’était à Lendeng, là où la SOCOCIM, s’est installée. C’est là, devant l’immensité bleue de l’océan, que nos ancêtres trouvèrent leur halte et essaimèrent le Cap-Vert.
Mariama, comme tes ancêtres, tu sais renoncer aux honneurs lorsque ton honneur est en jeu. Tu pars droit devant toi sans tourner la tête et sans regret.
Mariama, si Dieu le veut, tu continueras ta marche vers les hauteurs, c’est ton mérite, certes, mais c’est l’œuvre de tes aïeuls Ndeye Dji Rew. Ces Ndey ji Réew qui n’ont jamais de portail à leur porte, pour que le fugitif harcelé, s’y engouffre librement, pour que celui qui est en désarroi ou que la faim tenaille y trouve refuge sans se tromper de demeure.
Mariama, que Dieu te garde et répande sur toi et ta famille sa grâce et sa bénédiction !
Rahmatou SECK
Romancière
Rufisque, c’était nos uniformes et les ridicules calots que nous arborions, en route pour l’Église Sainte Agnès. Nous avons chanté le « tantum ergo » de nos voix non païennes comme dit le poète, mais de nos voix musulmanes. Toutes nos vies, nous avons navigué du « daara » au catéchisme, de « yaa ustaaz » aux catéchèses.
Te rappelles-tu Mariama, nos conciliabules lorsque, avant de rentrer dans une salle d’examen, nous nous concertions pour savoir qui, de la Faatiha ou du Notre Père était plus susceptible de nous accorder une bonne note ? Souvent, pour mettre toutes les chances de notre côté, nous récitions les deux prières, l’une après l’autre. C’est dire que le dialogue islamo chrétien c’est sans doute Mariama et moi qui l’avons initié.
Je t’ai donc suivi à l’Institution Notre Dame dans les années 65. Tu as toujours eu une relation particulière avec les religieuses, nos professeurs d’alors. Je me souviens, tu avais été l’élève favorite de Mère Marie Danielle. C’était elle-même Mère Supérieure et nulle autre, qui s’était chargée de ton éducation artistique en t’enseignant le piano. De tes doigts effilés, des sons magiques s’échappaient.
Mariama, tu as toujours été différente. Tu avais tant de distance gracieuse. Nous étions chahuteuses. Tu étais si sage ! Tu te contentais de glousser de nos bêtises. En classe de seconde, les religieuses, qui avaient une très haute idée de toi et de tes capacités, avaient pensé te renforcer en te faisant reprendre la classe de seconde. Ton sentiment aigu de l’honneur, en bonne léboue, s’en est trouvé égratigné. Tu avais alors juré que les « élèves avec qui tu avais cheminé, ne passeraient pas le Baccalauréat avant toi». Dans le secret, dès la classe de première, tu te préparais à cet examen si déterminant. Je dis bien « dans le secret », car Mariama, tu as toujours tout partagé sauf tes projets.
C’est ainsi qu’en juillet, nous apprîmes que tu étais bachelière. À la rentrée suivante, alors que sur les bancs de l’école, nous annoncions Jean Paul Sartres, Albert Camus, Bergson, sur les bancs des amphithéâtres à l’Université de Dakar déjà tu entamais tes études de lettres classiques : Licence, Maîtrise, Doctorat. Tout cela n’est pas le fruit du hasard. C’est avec la meilleure graine littéraire que tu as partagé ces années d’université. Il s’agit du Professeur Oumar Sangaré, qui a rejoint l’éternité par sa valeur, du Professeur Amadou Ly, de Racine Senghor et Madieyna Ndiaye. Lorsque tu m’as entraînée dans la formidable aventure de l’écriture, avec générosité, tu m’as menée à tes brillants condisciples. Comme on dit en langage populaire, ils sont devenus mes coachs. Mes manuscrits à eux soumis me reviennent maculés d’encre rouge…
Génie précoce, dès les années 80, tu as commencé à publier. D’abord une nouvelle : « sœurs dans le souvenir » (prix 1982 Sénégal Culture) aussitôt suivie d’une autre nouvelle « De vous à moi » puis de « Parfum d’enfance ».
Mariama c’est avec le roman que ton génie explose, ce sera tour à tour « Soukey », prix Paul Nionda des lycéens de Gabon. Après Soukey ce sera le magnifique roman « Comme du bon pain », peinture si juste de la société sénégalaise à travers la polygamie. « L’arbre s’est penché » comme on pouvait s’y attendre a reçu deux prix ; le prix Ivoire 2012 et le prix féminin 2014 de la première dame du Mali. Comment le jury pouvait-il être insensible à ce sublime hommage à ta mère disparue ?
Conformément à l’esprit du Saint Coran, l’hommage à ton père viendra après l’hommage à ta mère. Mais ta dernière œuvre « Vous avez dit lébou ? » Hommage à ton père Thianar NDOYE Fatou NIANGA ne pouvait être autre chose que l’hommage à son peuple qu’il a tant aimé et à ses valeurs sublimes.
Médecin de renom, ce n’est pas par hasard qu’il a choisi la nutrition comme spécialité. Il est de la branche Hagane des lébous. Les Haganes, dont je suis, avaient essentiellement pour rôle d’assurer le ravitaillement en vivres des soldats et de la population. Comme dans une ruche d’abeilles, chaque branche lébou avait son rôle bien défini.
Après l’enfance, après la vie d’écolière, étudiante, d’écrivain, que reste-t-il ? Ta vie de femme. Épouse de diplomate, cette vie se confond avec celle de ton brillant époux. Ce que le Professeur Sankharé a été pour les lettres classiques, El Hadj Mbengue, l’a été pour la langue anglaise. En effet, El Hadj a été le premier agrégé d’anglais au Sénégal. Il a poursuivi une brillante carrière internationale à la Banque Africaine de Développement (BAD) et y a occupé la prestigieuse fonction de Chef de la Division des Conférences.
El Hadj Mbengue et Mariama Ndoye : un couple mythique. Des personnages mythiques, il y en a des milliers, mais des couples mythiques il y en a si peu. Je pense à Abdou Anta Kâ et Aminata Maïga, Lucien et Jacqueline Scot Lemoine. Qui d’autre ?
El Hadji et Mariama c’est l’alliance de deux finesses, deux beautés, deux intelligences et deux élégances. Ce jeune homme qui était si convoité des jeunes filles du lycée devenu Abdoulaye Sadji de Rufisque - à l’ère où la quantité des prix obtenus pesait lourd pour faire pencher les cœurs – Eh bien, Mariama qui avait l’air si sage « moo ka ni doññet ! ».
Tu es sortie de l’école du Louvre, comme conservateur de Musée. Quelle honneur pour la collectivité Léboue celle des douze peñc ses 121 villages que cette nomination par le Président Macky SALL, accompagné du titre de Conseiller Spécial. Mais Mariama, moi, qui me suis toujours réjouie de tes promotions, j’ai éprouvé des inquiétudes. Peut –on investir la maison d’un Léopold Sédar Senghor et y être tranquille ? Mes inquiétudes ont sans doute été les mêmes que celles du génie de ta ville, Mame Coumba Lamb Ndoye. Mame Coumba Lamb est la mère de tous les génies : Ndeuk Daour Mbaye, Coumba Castel, Ndiéré, Ndogal, Matoulane.
À ta nomination, la mère Coumba Lamb s’est levée. Sur l’ilot Sarpan. Elle a rencontré le fils aîné : Ndeuk Daour lèves-toi et vas à la rencontre des pangols du Sine ! Dis-leur de laisser Mariama en paix dans la demeure du poète. Les lébous et les sérères ne sont qu’un peuple. Ils se sont séparés à Toubab Dialao. C’était il y a 6 siècles. De leur nostalgie pour le peuple frère, les lébous ont donné à leurs lieux mystiques des noms sérères : Fann, Diopal (Dieuppeul) Karak, Kasoum, Soumbédioune.
Dans la maison de Senghor, tu as établi tes quartiers. Tu déambules avec grâce, apaisée. Je t’y rends visite rarement, car chaque fois que j’y pénètre, la tristesse me saisit de savoir Baye Thianar et Fatou Dieng Meissa absents lors de tes jours d’honneur bien mérité.
Nous avons tant de choses en partage, Mariama, mais de tout ce que nous avons en partage, le plus important, le plus profond n’est-ce-pas nos liens de sang ? N’est-ce pas cet ancêtre commun, le premier Lébou arrivé dans la zone de Rufisque/Bargny ? Ce que nous avons en commun c’est Saayour Guedj Ndoye et sa fille Ndegue Ndoye. C’était à Lendeng, là où la SOCOCIM, s’est installée. C’est là, devant l’immensité bleue de l’océan, que nos ancêtres trouvèrent leur halte et essaimèrent le Cap-Vert.
Mariama, comme tes ancêtres, tu sais renoncer aux honneurs lorsque ton honneur est en jeu. Tu pars droit devant toi sans tourner la tête et sans regret.
Mariama, si Dieu le veut, tu continueras ta marche vers les hauteurs, c’est ton mérite, certes, mais c’est l’œuvre de tes aïeuls Ndeye Dji Rew. Ces Ndey ji Réew qui n’ont jamais de portail à leur porte, pour que le fugitif harcelé, s’y engouffre librement, pour que celui qui est en désarroi ou que la faim tenaille y trouve refuge sans se tromper de demeure.
Mariama, que Dieu te garde et répande sur toi et ta famille sa grâce et sa bénédiction !
Rahmatou SECK
Romancière