Ebranlé par ces vagues de commentaires et d’articles sur la situation sanitaire dans laquelle la pandémie COVID-19 a plongé notre pays depuis maintenant plus de deux mois. Egaré par les nombreuses analyses et avis tranchés, parfois contradictoires sur le sujet, j’ai décidé d’entreprendre cette réflexion sur le sujet dans le but de comprendre comment nous en sommes arrivés à ce stade, d’analyser avec l’objectivité qui s’y prête la stratégie jusqu’ici entreprise par le gouvernement du Sénégal pour contenir la propagation du virus à court terme et l’éradiquer par la suite.
Cette entreprise serait inachevée si elle ne s’attelait pas à explorer d’autres solutions adaptées à nos réalités socio-économiques qu’il aurait été judicieux d’expérimenter.
Dans son ouvrage intitulé Le Monde d’effondre, Chinua Achebe déclarait en 1958 « Le blanc est malin, il est venu tranquillement et paisiblement avec sa religion. Nous nous sommes amusés de sa sottise et nous lui avons permis de rester. Maintenant il a conquis nos frères et notre clan ne peut plus agir comme un seul homme. Il a placé un couteau sur les choses qui nous tenaient ensemble et nous sommes tombés en morceaux ». Il est évidemment très loin de moi l’idée de comparer l’homme blanc à un coronavirus. Pour autant, lorsque l’on regarde de près ce qui s’est passé avec la gestion de cette maladie au Sénégal depuis le patient 0 venu de France, les mesures prises par le gouvernement et la façon dont ces dernières ont été accueillies par nos concitoyens, cette citation dans ce livre que j’affectionne particulièrement y trouve toute sa place.
Le 23 Mars dernier, le Sénégal décrétait l’Etat d’urgence dans tout le territoire national, dernier jalon d’une série de mesures visant à contenir la propagation de la pandémie dans le pays. Un couvre-feu est alors installé à partir de 20h et les brutalités policières qui ont suivi les premières nuits sont là pour montrer toute la détermination de ce gouvernement. Les écoles sont maintenant fermées depuis 8 jours, les rassemblements, prières de groupe et déplacements inter-régionaux interdits.
Cette situation plonge le pays dans une configuration inédite où l’économie est à terre et des milliers de pères et mères de famille dans l’incapacité de nourrir convenablement leur progéniture.
De la grève des transporteurs, contraints à respecter un nombre strict de passagers, découle des scènes insoutenables d’essaim de banlieusards sur l’autoroute tentant de regagner désespérément leur demeure avant l’heure fatidique où la horde de policiers déchainés et assoiffés de sang jaillit des casernes pour leur rappeler que « 20h = 20h ». Le pays compte alors seulement 71 patients sous traitement.
Illusion d’une stratégie…
On se dit malgré tout que le gouvernement dispose d’un plan stratégique visant à éviter à tout prix que le virus se propage. Les conséquences sociales et économiques risqueraient d’être dramatiques. Le pays dispose de seulement 80 lits de réanimations (parmi les plus faibles du continent). Le nombre de places en hospitalisation est également limité. Outre sa grande contagiosité, ce virus affectionne particulièrement la promiscuité et la chaleur qui font tant le charme de nos modes de vie. Pour un pays sous développé comme le nôtre, prendre ce problème à bras le corps et tôt pourrait sembler une bonne idée. Seulement faut-il prendre des mesures adaptées à la situation socio-économique. Le challenge qui se dresse en face du gouvernement est alors de prendre des mesures efficaces qui tiendraient sur la durée et n’engendreraient pas plus de problèmes qu’elles n’en résolvent.
Kyrielle de mesures inefficaces et inadaptées…
Apparu sur son sol en Décembre 2019, la Chine fait encore face au virus six mois après. Lorsque le Sénégal prenait ces premières mesures, il apparaissait déjà clair que la pandémie ne serait pas combattue en un mois. Pourtant ces premières mesures décidées dans la précipitation s’apparentent clairement à celles appliquées dans les pays occidentaux avec les moyens en moins.
La première fausse bonne idée aura été le couvre-feu imposé le soir. La plupart des Etats Africains y ont eu recours à défaut de pouvoir imposer un confinement total à leur population. Le pouvoir matraque les récalcitrants et donne l’impression d’être en guerre et de maitriser la situation.
Pour autant, son inefficacité dans ce contexte ne fait aucun doute car les individus libres durant la journée ont tout le temps d’attraper la maladie et de contaminer leur famille le soir venu. Pourquoi dès-lors mobiliser autant de ressources de l’état pour une cause d’avance perdue ?
La fermeture des marchés, les mesures restrictives dans le secteur des transports et l’interdiction des trajets interurbains ont eu comme effet d’anéantir le secteur informel qui représente à lui tout seul près de 41% du produit intérieur brut du pays et emploie environ 48% de la population active. La capacité d’épargne de ces ménages étant presque nulle, des familles entières doivent se résigner à rester chez elles et mourir de faim. Les entreprises s’endettent et mettent la clé sous la porte faute de commandes. Au moment où les productions de carottes, d’ognons, de choux et de tomates sont à leur paroxysme à l’intérieur du pays, des producteurs regardent impuissants leur seule récolte de l’année pourrir. Encore une fois, le génie du gouvernement a cru bon d’adopter aveuglément les mêmes mesures contraignantes qu’en Europe, se gardant d’indemniser les familles et entreprises touchées.
La réalité c’est surtout que l’Etat n’a simplement pas les moyens de sa politique. En guise de comparaison le coût du chômage partiel visant à indemniser les salariés qui ne pouvaient pas travailler est estimé à 24 milliards d’euros en moins de deux mois. Gouverner c’est prévoir. Gouverner c’est anticiper. C’est également innover lorsque les prévisions ne sont pas reluisantes ou les circonstances extraordinaires. C’est un euphémisme de dire que nos autorités ont manqué cruellement de clairvoyance.
Défiances et rétropédalage…
La patience des sénégalais n’est point éternel. Les prédécesseurs de Macky Sall l’avaient déjà appris à leur dépens. Le soutien de la population à ces mesures venues d’ailleurs, appliquées sans la moindre prise en compte des contraintes quotidiennes du sénégalais lambda n’aura pas duré longtemps. Les récentes déclarations de chefs religieux exigeant la réouverture des lieux de prières ne sont en réalité que l’ultime expression du rejet de la gestion catastrophique de cette crise. Pourtant l’exécutif entend en profiter…
Le 11 Mai, Le président Macky Sall revient sur toutes les mesures visant à lutter contre la pandémie alors que la situation sanitaire s’est considérablement dégradée ces derniers jours avec une augmentation fulgurante des nombres de nouveaux cas, d’hospitalisation et de réanimation. Circulez ! Il n’y a rien à comprendre. Pour masquer son échec dans la gestion de la COVID-19, le président se pose en gouvernant attentif aux préoccupations de son peuple. Il suffit de regarder le point de presse du ministre de la santé Abdoulaye Diouf Sarr le lendemain pour s’en persuader. Il y parle d’une nouvelle option stratégique qui s’explique par la seule nécessité d’apprendre à vivre avec le virus.
Evidemment cette nouvelle stratégie tombe très mal, dans la mesure où le gouvernement avait toutes les informations en sa possession pour l’adopter deux mois auparavant. Par ailleurs, tous les pays dans le monde qui ont adopté avec succès l’apaisement des mesures restrictives l’ont fait après avoir constaté une baisse significative de la progression du virus. En France, le déconfinement a été prononcé après plus de 15 jours de baisse systématique des principaux indicateurs de l’avancée/recul du virus que sont :
• Le nombre de nouveaux cas positifs
• Le nombre de nouveaux cas positifs hospitalisés
• Le nombre de cas sévères en réanimation
Cette nouvelle stratégie s’apparente donc plus à un renoncement qu’à une adaptation. Le terme « démission » employé par Ousmane Sonko leader de l’opposition n’est à mon avis point usurpé.
Aurions-nous pu faire autrement ?...
Comment un pays sous développé peut faire face efficacement à une pandémie d’une grande contagiosité ? Ceci aurait été sans doute un excellent sujet de thèse pour quelqu’un qui aurait suivi des études poussées en politique de santé publique. A défaut, je propose des stratégies simples adoptées ailleurs et qui étaient à la portée d’un pays sous développé comme le Sénégal.
Pour rappel, nouveauté, pandémie, forte contagiosité et faibles moyens sont d’une part les principaux challenges auxquels font face ces pays sous-développés ou en voie de développement.
D’autre part le temps est presque l’unique facteur positif dont ont disposés ces pays face à ce coronavirus apparu fin 2019. On a l’habitude de dire que gouverner c’est prévoir. L’Afrique étant parmi les derniers à être touchés par la crise, le génie sénégalais avait certainement le temps de se mettre en branle, adoptant des stratégies innovantes et viables seyantes au contexte social et économique pour faire face à la crise.
Contrôle judicieux des déplacements interurbains
Interdire le déplacement des personnes et des biens entre deux régions non touchées par le virus n’a aucun sens. Dans ces zones seul le respect des mesures barrières devait être instigué. Les écoles, le tourismes, l’économie régional tourneraient alors normalement et les productions locales exportables sous certaines conditions. En revanche, l’’essentiel de l’effort aurait dû être déployé pour surveiller les flux de passages entre les zones touchées et les zones non touchées.
Le contrôle des personnes et la désinfection des flux de marchandises doivent y être systématiques. La route étant le principal moyen de transport, le contrôle en serait davantage facilité. Eventuellement, Un système clair de seuil de contagion défini à l’avance pourrait enclencher des mesures plus restrictives dans ces zones non ou très peu touchées. C’est la décision qui a été prise en Côte d’ivoire dans le volets 2 de la lutte contre la COVID-19 qui voit la ville d’Abidjan épicentre de la pandémie fermée alors que le reste du pays où aucun nouveau cas n’a été détecté reprend une vie normale.
Ces mesures, en plus de permettre la continuité de l’activité ont l’avantage de coûter peu chères, faciles à déployer et durables.
Tests à grande d’échelle et stratégie d’isolation pérenne
Le Sénégal aurait dû investir massivement dans une stratégie de tests à grande échelle sur toute personne présentant des symptômes, avec une isolation des personnes malades pensée de façon pérenne et par pallier. Aujourd’hui tous les tests sont réaliser à Dakar par l’institut Pasteur. Dans l’attente des résultats, les patients peuvent vaquer à leurs occupations risquant de contaminer encore plus de monde. Si des centres de tests avaient été installés dans toutes les régions, le diagnostic se ferait beaucoup plus rapidement et l’isolation des malades plus efficaces. L’Etat n’a pas les moyens de loger toutes les familles mises en quarantaine dans des hôtels. A la place une isolation surveillée à domicile avec assistance médicale aurait été plus judicieux. Seuls les cas graves seraient acceptés à l’hôpital. Cette stratégie exige une logistique adaptée et des investissements colossaux dans les tests virologiques RT-PCR préconisés pour établir le diagnostic de la maladie.
Sensibilisation sur la nature de la maladie
Le gouvernement du Sénégal a déployé des moyens importants dans la communication avec la transparence dans les communiqués quotidiens sur l’évolution de la maladie. Des campagnes de sensibilisation se sont malheureusement concentrées uniquement sur les mesures d’hygiène et de distanciation sociale à adopter. En revanche, beaucoup de gens ignorent encore les caractéristiques de la maladie. Comment peut-on l’attraper et ne développer aucun symptôme ? Comment peut-on la transmettre même si on ne se sent pas malade ? Des patients parfois guéris se mettent à douter de la maladie par honte d’avoir vu leur familles mises en quarantaine ou simplement par méconnaissance des spécificités de la maladie. A l’avenir un effort de pédagogie plus important devra y être consacré parce que cela augmente la méfiance des populations dont la coopération est primordiale pour vaincre pareille pandémie. Le folklore qui accompagne la sensibilisation n’est d’aucune utilité.
En définitive, les autorités sénégalaises confrontées à la pandémie de la COVID-19 ont adopté dans la précipitation des mesures restrictives inadaptées et intenables économiquement de surcroît sur la durée. Cette pandémie par la même occasion a mis en exergue la fragilité et les nombreuses carences de notre système de santé mais également la fébrilité de notre économie portée par le secteur informel. Le gouvernement avec certes très peu de moyens, a sans doute manqué une belle occasion d’exposer le génie sénégalais en adoptant des solutions innovantes et viables pour lutter efficacement contre le virus tout en soutenant l’économie.
A défaut, il est demandé aujourd’hui aux sénégalais d’apprendre à vivre avec le virus avec l’assouplissement des mesures restrictives. Les conséquences risquent d’être dramatiques. A l’avenir il faudra se pencher sérieusement sur des stratégies concertées à l’échelle régionale et continentale pour venir à bout de tels fléaux qui risquent hélas de se répéter.