Une lecture du résumé du bilan du PDEF (Avril 2011), nous révèle dans l’ensemble que le système éducatif du Sénégal n’est pas encore sorti du goulot d’étranglement. En effet, il ressort de ce diagnostic que le système éducatif est gravement atteint ; il est atteint d’une crise aux multiples facettes : « faiblesse, baisse, insuffisance, insécurité, Retards, insatisfaction, limites, taux en deca de, manque de, disparité, dénuement, déficit, désinformation etc. ». Tels sont les termes qui reviennent sans cesse tout au long du bilan.
Ainsi, « malgré les ressources importantes mobilisées, les résultats escomptés ne sont pas toujours atteints. » Cet aveu de taille met tragiquement en exergue l’échec de l’application du PDEF dans ses composantes majeures centrées sur l’Accès, la Qualité et la Gestion. Une lecture analytique des données présentées ici comme résultats d’étape nous permet de déceler l’échec d’un système éducatif agonisant au bord du gouffre.
I. L’ACCES (niveau1)
L’accès porte sur trois entrées principales : Infrastructures et équipements, Recrutement et allocation du personnel enseignant, Scolarisation.
Au niveau des Infrastructures et équipements, on note un écart important entre les intentions déclarées et les résultats obtenus sur le terrain : en ce qui concerne les constructions, les réhabilitations, les équipements scolaires, certains écarts sont alarmants à cause, selon les termes du bilan, « des retards et des insuffisances des programmes de construction et d’équipement »: par exemple au niveau des réhabilitations sur 747 prévisions, l’on a enregistré que 43 réalisations, soit un taux de 5,75%. Ce qui dénote un défaut dans la planification et un manque de réalisme criard. En outre, cette faiblesse du taux de réhabilitation a de nombreuses conséquences : Sur le plan sécuritaire, le phénomène de l’insécurité dans les établissements sera de plus en plus accru : certains établissements sont à la fois de véritables dépotoirs d’ordures, des repaires pour animaux errants, des squats pour les fous et les Sans Domicile Fixe. Tout cela ajouté au manque d’électrification, aux effets destructeurs de l’usure du temps et l’augmentation des effectifs sans mesures d’accompagnements conséquentes.
Sur le plan des mobiliers et équipements pédagogique, le manque notoire de locaux (salles de classe, salles de prof ou blocs administratif, et scientifiques, toilettes…) et de matériels didactiques comme les manuels scolaires, sera de plus en plus aigu. Telles sont les raisons qui ont conduit par exemple l’équipe pédagogique du Lycée Charles De Gaulle à aller en grève, (2010-2011) pendant presque deux mois. La plate forme revendicative tournait précisément autour de ces questions suivantes : « Manque d’eau et insalubrité au niveau des toilettes, salles de classe impraticables à cause des courants d’air (vitres cassées), tableaux défectueux, manque de mobiliers (chaises, seaux d’eau), hygiène dans les salles de classe, problème de tirage de supports pédagogiques, extension et équipement de la salle des professeurs. » Jusqu’à présent le problème reste entier.
Autant de facteurs bloquants ne manquent pas de déteindre sur la qualité des apprentissages, en particulier sur le niveau des élèves, car dit-on, un esprit sain dans un corps sain, mais le corps ne peut être sain que dans un environnement sain ! On déplore souvent la baisse du niveau des élèves sans pour autant évoquer les causes liées à l’environnement scolaire: or, on doit admettre aussi qu’en matière éducatif, plus que dans d’autres domaines, le milieu détermine fortement l’individu : dites-moi dans quel établissement enseignez-vous, je vous dirai quel enseignant vous êtes! Mais aussi, dis-moi dans quelle école tu étudies, je te dirai quel élève es-tu ?
Dans ce sens, il est temps de rendre l’espace scolaire plus attrayant pour que l’école devienne un endroit où il fait bon à apprendre et à faire apprendre. Pour ce faire, il urge d’articuler, dans le cadre d’une planification réaliste et pragmatique, l’offre et les besoins en matière d’équipement et d’infrastructure. Il en sera de même pour le volet recrutement et allocation du personnel enseignant.
Recrutement et allocation du personnel enseignant : Au niveau élémentaire et au moyen, secondaire, on a pêché par excès (par exemple le nombre prévu (1962) a été largement dépassé (2643). Cet écart de 681 vacataires qualifié de positif est encore une fois le signe manifeste d’une absence de vision claire et de rigueur dans la planification :
Au plan économique : on se retrouvera sans doute avec des enseignants sous employés pour ne pas dire chômeurs avec un emploi du temps largement en deçà du quantum horaire normal. Il est fréquent de voir des collègues qui n’ont que 10H dans la semaine au lieu de 21 h par exemple. Sur le plan pédagogique, le retard du recyclage des vacataires par la formation diplômante, sera de plus en plus accru et aura des conséquences désastreuses sur la formation des élèves. De la même manière, ce qu’on appelle le quota sécuritaire demeure une véritable « caisse noire humaine », où le recrutement se fait sur la base de critères bassement politiciens, népotiste, et ethniciste. Et on retrouvera dans ce lot des gens qui ont quitté les bancs il y a longtemps, des marchands ambulants, d’excellents maçons, des mécaniciens doués… mais qui ne savent malheureusement plus écrire et s’exprimer correctement en langue française.
Par ailleurs, la distribution du personnel enseignant demeure une très grande nébuleuse aux yeux des concernés. En effet, les affectations aussi bien que les mutations, ne sont pas toujours faites de façon transparente et équitable. C’est bien connu: ici, si on n’a pas de bras long, ou quand on ne fait pas de la politique on ne passe pas, l’expression wolof : « borom koud dou lak » est la plus utilisée dans ce sens. Ainsi, les critères d’excellence, d’ancienneté, ou de zone d’enclavement comptent peu. Il est fréquent de croiser des nouveaux sortants dans les postes de choix, alors que des doyens avec le profil qu’il faut, croupissent dans la brousse ou dans des postes d’intérêt secondaire.
On se rappelle de l’affaire des O.S préfabriqués qu’on distribuait hors des circuits administratifs.
C’est dire, il reste un immense travail à abattre à tous les niveaux d’administration pour des prises de décisions plus responsables et judicieuses. Car le défaut de distribution équitable explique certains types de comportement monarchistes ou laxistes dans l’administration. La relation hiérarchique n’est pas un rapport d’assujettissement et de vassalité : certains agents, à cause d’antécédents mineurs avec leur hiérarchie, récoltent des notes administratifs en deçà de leur performance réelle ; ce qui déteint sur leur compétitivité sur le choix des postes. Ce qui est grave c’est que les recours sont nuls et non avenus ! Ainsi, le droit le plus élémentaire du travailleur, relatif à l’objectivité dans l’évaluation, est complètement foulé au pied.
Dans les instances de tutelles comme les I.A ou IDEN, on retrouve le même phénomène dans le cadre des recrutements ou mouvements internes: des postes de choix distribués à tord et à travers et sur la base des relations parentales ou amicales qu’on entretient avec telle ou telle personne ; Pire, le travail est confié non pas à un personnel qualifié dans la gestion des ressources humaines, mais à des agents qui, devraient faire valoir leur compétence dans les salles de classe ou dans les terrains de sport. Dans ce contexte, les relations enseignants et agents ne sont pas toujours au beau fixe dans les lieux administratifs.
Au niveau universitaire, ce qu’on appelle par euphémisme « difficultés relatives à l’utilisation du personnel enseignant et à l’encadrement »: sont en réalité de véritables problèmes qui entravent l’enseignement supérieur ! Ils ont pour nom déficit en personnel, répartition inégale du personnel enseignant, absence de corps d’encadrement ! Par ailleurs, d’autres problèmes majeurs que le rapport a tus à ce niveau et qui gangrènent le milieu universitaire trouvent leur expression dans l’absence d’une réelle politique de recrutement des titulaires du Doctorat, l’absence d’une formation pédagogique appropriée pour les nouvelles recrues et l’absence d’un corps de contrôle des professeurs pour un enseignement beaucoup plus responsable et rationnel.
Au plan de la Scolarisation « les avancées notées à partir des indicateurs d’accès » exprimés en termes de pourcentage ne cachent pas pour autant la réalité du terrain ; la politique de l’EPT (Education Pour Tous) est salutaire, cependant, elle n’est pas toujours soutenue par des mesures d’accompagnement conséquentes : on incite tous les enfants à aller à l’école alors qu’on ne construit pas suffisamment d’écoles. Résultats : proliférations des abris provisoires en pleine brousse, inondation des écoles primaires, avec des enseignants déroutés devant le pléthore de gosses entassés dans les salles de classes souvent trop étroites, et obligés de ce fait de recourir aux méthodes peu pédagogique du double-flux, ou du multigrade… Dans ce contexte l’EQPT (Education de Qualité Pour Tous) reste un mirage.
Niveaux moyen et secondaire, on observe presque le même phénomène de bourrage des établissements car l’entrée en sixième est pour beaucoup d’établissements une simple formalité de passage à cent pour cent. Le Bfem n’est plus le diplôme qui autorise le passage en seconde, il suffit d’avoir de « bons relevés de notes préfabriqués » pour être admis dans un lycée.
De même que le baccalauréat n’est plus le visa pour entrer à l’université mais, le Brevet d’Accès au Chômage pour des centaines de nouveaux bacheliers qui voient leur rêve se briser sur le mur des lamentations. Tandis que l’autorité préfère accorder de la place aux étudiants d’autres cieux au nom de la solidarité internationale. Certes, il est bien beau de donner, mais charité bien ordonner commence par soi-même. Dans ce contexte, malgré l’ouverture des C.U.R, (Centres universitaires régionaux), nombreux sont les jeunes diplômés qui chôment encore après le bac. Ce qui fait penser à « d’extraordinaires possibilités supprimées » d’Aimé Césaire.
Ainsi donc, l’« INSUFFISANCE », est à tous les niveaux: « Insuffisance du traitement de la demande d’éducation » ; « Insuffisance de l’équipement, » « Insuffisance du personnel »
L’offre est loin de répondre à la demande éducative, tant du point de vue de la quantité que de la qualité. Malgré, la place primordiale accordée à l’accès, la politique éducative au Sénégal, demeure une politique d’exclusion. Dans ce contexte peut-on prétendre être parmi les pays émergents comme la Chine, par exemple ? Alors que ce pays a réglé le problème de la scolarisation universelle dans les années 50 malgré sa démographie représentant le cinquième de la population mondiale. Qu’en est-il de la Qualité, deuxième axe du programme ?
II.LA QUALITE
L’évaluation de la qualité a porté sur deux thèmes majeurs : l’appréciation « des Intrants » et la mesure de « l’efficacité interne » des réformes entreprises.
Les intrants s’articulent entre autres, autour des réformes des curricula, de la qualification des enseignants, du matériel didactique. Globalement, il est fait mention « positive » sur l’introduction du curriculum dans le système éducatif. Cependant, « la généralisation ne touche que l’éducation de base ». Dans le niveau moyen et au niveau de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle, l’entrée par les compétences, est toujours à l’état des vœux pieux car on en est en phase expérimentale et dans la conception de programme : « Avancées significatives dans l’écriture et la réécriture des programmes » selon les termes du document. Ce qui est étonnant au demeurant, c’est que rien n’est dit pour le secondaire.
Par ailleurs, le bourrage de crâne ne peut pas aller avec l’exigence de qualité ! Dans le monde du savoir, on tend de plus en plus vers la spécialisation. Il est temps de mener à bout la politique de spécialisation entreprise depuis quelques temps. Les transformations des séries (A et C en L et S dans le second cycle par exemple) doivent être approfondies. On doit penser à alléger les emplois du temps des élèves pour les décharger du fardeau du surplus de matières. Le but de l’éducation n’est pas de produire des savants ni des génies mais simplement des hommes capables de réagir à des types de situations données et d’apporter des solutions spécifiques à des problèmes précis.
Au Supérieur, le système LMD, dit-on « est en phase de généralisation ». Malheureusement, ce n’est pas une bonne nouvelle pour bon nombre de professeurs et d’étudiants car, on le sait, le système LMD a, plus qu’il n’a fédéré, divisé la communauté universitaire : des étudiants ne se retrouvent pas encore dans le système des crédits horaires, tandis que beaucoup de professeurs y voient l’occasion de fructifier leur gain dans ce qu’un chercheur appelle le mercenariat universitaire avec comme conséquence le manque d’encadrement des étudiants et des cours vendus à travers des photocopies ou des fascicules. L’université, mercantilisée, est devenue tristement une très grande boutique où l’on vend de la connaissance.
Au niveau qualification des enseignants, l’appréciation des experts se passe de commentaires : « Recrutement important d’enseignants à tous les niveaux. Cependant la couverture qualitative des besoins reste largement insuffisante ».
Comme on le voit, on semble accorder beaucoup plus d’importance à la quantité. Même si l’on est conscient de son importance, la qualité est paradoxalement laissée en rade. En réalité, derrière cette tournure savante, se cache une vérité beaucoup plus dramatique qui dévoile toute la fragilité du système éducatif : l’école sénégalaise (publique et privée confondues) dans tous ses niveaux, compte beaucoup plus d’enseignants non qualifiés que d’enseignants qualifiés, c’est-à-dire, titulaires de diplôme professionnel adapté à des niveaux spécifiques. Au Moyen et Secondaire général, étapes charnières, seulement 26,4% des professeurs sont titulaires d’un diplôme professionnel adapté à ces cycles (CAECEM, CAEM, CAES).
C’est dans ce contexte qu’on se retrouve avec des élèves fraîchement titulaires du BFEM directement enroulés dans le corps des volontaires et parachutés sans formation dans les salles de classes ; des étudiants cooptés comme vacataires qui, directement servent dans le moyen et le second cycle sans la moindre idée de la pédagogie. Si les autorités reconnaissent que « dans beaucoup de structures du Secondaire, les cours de Math sont dispensés par des Professeurs non qualifiés à cet effet », le mal est aussi dans les autres disciplines aussi importantes comme le Français dispensés par des étudiants en histoire ou géographie ou vis versa, comme si on pouvait demander à des étudiants en odontologie de faire des opérations chirurgicales en cardiologie. Le mal, ce n’est pas de recruter, mais de recruter sans former.
Comment dans ces conditions pourrait-on exiger de la qualité ? Au contraire, dans ces conditions, la qualité ne peut être que promesse d’éléphants blancs. Ce qui aura des conséquences graves sur l’efficacité interne du système, laquelle se retrouvera sapée dans ses bases. En tout cas, les statistiques du bilan ne disent pas le contraire. Puisque, les redoublements et les abandons sont les résultats les plus partagés par les élèves, le taux d’achèvement reste largement en deçà du seuil de performance. Le SNERS (Système national d’évaluation du rendement scolaire) surtout dans « les disciplines de base comme le Français et les Maths, à des niveaux aussi sensibles que le Primaire, reste globalement marquée par une insuffisance des seuils de maîtrise ». C’est la conclusion du rapport à ce niveau.
« Les avancées notées au niveau des résultats aux examens » ne semblent pas refléter les statistiques à bien des égards. C’est seulement au CFEE, où on a enregistré « un écart positif » par rapport aux prévisions, qu’on a fait mention d’un taux de réussite. « Concernant le BFEM et le BAC, le taux de réussite en 2010 est en deçà de la cible au plan national » comme l’a si clairement indiqué le rapport. On se complaît dans « une évolution en dent de scie », alors que cet état de fait ne prouve que la fragilité et l’instabilité d’un système qui vacille comme pour annoncer le compte à rebours d’un écroulement imminent. Ce que le bilan n’a pas dit c’est aussi les exclus du système jetés en pâture au chômage sans une politique de réinsertion ou d’orientation sérieuse.
Ce que nous avions noté plus haut se confirme ici : la politique éducative sénégalaise est dans la réalité une politique d’exclusion. Et les experts de conclure :
« Si les conditions actuelles de rétention demeurent, la réalisation de profils de scolarisation montre que sur 100 enfants admis au CI, 51 atteindront la 6ème, 42 la classe de 3ème et 21 la classe de Terminale. » Après cette conclusion partielle, on ne trouve rien d’autres à dire que ceci :
« Ce constat ajouté à l’insuffisance des résultats aux examens appellent plus d’attention des autorités à tous les niveaux, plus d’initiatives et d’engagement pour renforcer l’efficacité du système éducatif », recommandations à la limite simplistes et trop vagues au demeurant. Quand, « sur 100 enfants admis au CI », 21 seulement atteignent la classe de terminale, le constat doit beaucoup plus que faire appel à « l’attention des autorités à plus d’initiatives et d’engagement ». Devant un tel constat d’échec qui ne dit pas son nom, la sagesse ne doit commander en toute humilité, que deux choses : rendre compte et tirer sa révérence… en catimini, car la gestion aurait été défectueuse et serait atteinte de graves manquements. Si tel est le cas on comprendra pourquoi le bilan du troisième axe du PDEF, porté justement sur la GESTION, n’est pas du tout des plus reluisants.
III. La GESTION (Niveau 3) :
En effet, que cela soit au niveau « du pilotage pédagogique » ou au niveau de « la gestion des constructions et équipements scolaires », les résultats obtenus sont loin des prévisions et des vœux.
Le pilotage pédagogique concerne entre autres, la gestion du quantum horaire, la gestion des Examens professionnels, l’encadrement des enseignants. Si dans ce dernier volet le bilan ne s’est limité qu’à l’énumération des structures et instances de formation des enseignants, au niveau des deux autres volets, l’accent est mis encore sur « les insuffisances et les contreperformances ». D’une part, les causes sont situées au niveau des perturbations scolaires, (grèves, débrayages,) d’autre part, on évoque l’absence d’un dispositif de contrôle fiable pour la gestion du quantum horaire. Or, comme le rapport le souligne « L’efficacité dans la gestion de cet intrant est déterminante dans la transformation des investissements importants dans le secteur en résultats. » On mesure donc l’impact d’une gestion qui serait défectueuse à ce niveau.
Concernant la formation des enseignants, le rapport cite les CAP (Cellule d’Animation Pédagogique), le suivi ou la supervision des Inspecteurs, le collectif des directeurs d’école ou des chefs d’établissement. Il n’est pas besoin de dire que rares sont les cellules qui fonctionnent dans les établissements surtout dans le Moyen secondaire. Premièrement, parce que les professeurs se soucient beaucoup plus de leurs cours privés ou « khar matt »( phénomène dont la généralisation peut expliquer en partie la baisse du niveau des élèves dans les établissements publics) que de s’occuper d’animation pédagogique dans leur établissement.
Deuxièmement, cela s’explique par le manque de volonté de certains chefs d’établissements qui ne font rien pour inciter les profs à animer les cellules ; et cela dans le but de préserver « les fonds pédagogiques » dont certains ne veulent même pas entendre parler. Pourquoi ? Il faut le dire, parce qu’ils les considèrent comme leur propre argent ! Pourtant, la transparence est au cœur du dispositif du Guide des chefs d’établissement.
Quant au corps de contrôle, malgré des écueils comme la faiblesse du ratio inspecteur/maîtres, un travail sérieux est en train d’être fait surtout dans les niveaux primaire et préscolaire, par certains inspecteurs épris de conscience professionnelle et d’équité, qui ne ménagent aucun effort pour faire leur travail d’inspection dans les zones les plus reculés. Les professeurs du moyen, secondaire semblent être « privilégiés » car nombreux sont les inspecteurs de spécialité pratiquement invisibles dans beaucoup de zones. Heureusement les séminaires bien que sporadiques, permettent quelque fois le renforcement et la mise à niveau des nouvelles recrues.
Équipements scolaires : Voilà ce que présente le rapport : « Équipement de l’EFI de Matam; Équipement de 1205 SDC, 17 CEM de proximité sont équipés en mobilier de bureau et en matériel informatique; 20 lycées ont été équipés en tables bancs, chaises, armoires, bureaux ». Alors quand on prend la peine de visiter quelques établissements au hasard, on se pose la question : Quels CEM et quels lycées a-t-on donc équipés ? Chaque année dans, les plateformes revendicatives aussi bien des élèves que des syndicats d’enseignement, on retrouve paradoxalement les doléances liées aux table-bancs, et aux logistiques didactiques et pédagogiques en général. De même malgré la volonté manifestée de réduction de la fracture numérique, l’informatique et l’internet sont pour bon nombre d’élèves un luxe inaccessible. Même pour ceux qui en ont accès, on compte beaucoup plus d’élèves « hypo connectés » que « d’hyper connectés », car la connexion est vendue aux élèves.
Comme un effet de retour cyclique les mêmes problèmes se posent à tous les niveaux. Ils ont pour déterminants communs : manque, insuffisance, déficit. Cela ne pointe-t-il pas, par ailleurs, le doigt sur un aspect important de la gestion lié aux capacités organisationnelles qui auraient fait défaut. A ce niveau, ni la mise en œuvre de l’organigramme du pdef, ni la gestion des fonds alloués au secteur éducatif ne semblent pas apporter un démenti au vu du diagnostic effectué.
Le rapport provisoire de l’audit diagnostic (dont la fiabilité reste à prouver) révèle selon le bilan un satisfecit au niveau central où le comité de pilotage va assurer un meilleur fonctionnement. (Restera-t-il à l’état de vœux pieux comme le nouveau cadre de planification ?) .
En tout cas, selon les termes du bilan au niveau régional: « Les CRCS, restent peu fonctionnels, au niveau départemental: les CDCS sont pour la plupart en léthargie; au niveau Communautaire : Les CLEF aussi ne fonctionnent pas. Niveau écoles/établissements: Les CGE pour la plupart sont fonctionnels ». Ce qui veut dire pas totalement.
La carence revient encore ici sous d’autres vocables aussi négativement chargés les uns que les autres « Peu fonctionnels, la plupart en léthargie, ne fonctionnent pas » ! Ce qui dénote un état de paralysie quasi généralisé des organes du corps éducatif, qui ne nécessite pas « une simple attention » de la part des autorités mais une intervention en toute urgence et à la mesure du serment de Socrate pour ne pas dire d’Hippocrate.
Mais, comment peut-on comprendre ce déficit à tous les niveaux alors que la part de l’Education dans le budget de fonctionnement de l’Etat ne cesse de croître passant de 2008 à 2010, de 40,64% à 43,7%. ? Au vu de cette masse financière, est-il logique de parler de « l’insuffisance du volume du financement mobilisé », d’autant plus que les dépenses consacrées à la qualité (2ème phase d’application du PDEF, en 2009), sont loin d’épuiser le budget prévu. En effet, 30% ont été dépensés ! Où se trouve les 70% ?
D’ailleurs, la somme que les autorités brandissent souvent comme une prouesse politique exceptionnelle n’en est pas une, car des pays de la sous région, qui aux lendemains des indépendances, étaient loin derrière le nôtre, font des résultats scolaires plus fameux avec moins d’investissement : par exemple au Mali, le budget de l’éducation en 2010 a un ratio de 33,42% ; pourtant c’est un système en évolution depuis ces quinze dernières années.
Au contraire, ici, la carence qui revient à tous les niveaux avec les mêmes difficultés qui reviennent chaque année fait qu’on semble tourner en rond et se figer dans une sorte de surplace inquiétant (dara dokhoul) : on dirait un voyageur qui a tous les moyens pour partir en sachant où aller et comment y parvenir mais qui refuse de partir ?
La carence ne s’explique-t-elle pas par un défaut de méthodologie : accès, qualité et gestion dit-on ! Mais, peut-on appliquer séparément ces trois composantes ? On a vu comment la détérioration de l’environnement a influé négativement sur le niveau des élèves et de l’enseignement en général ! Ainsi ; force est de constater qu’il y a une logique imbrication entre accès, qualité et gestion telle que l’une ne peut aller sans l’autre.
Cette anémie chronique omniprésente dans notre système n’est-elle pas symptomatique d’une gestion peu orthodoxe et d’un manque de transparence à tous les niveaux de l’administration éducative ?
Les sommes importantes injectées sont-elles équitablement et judicieusement réparties ? Les hommes qu’il faut sont-ils toujours mis à la place qu’il faut ? Autant de questions qui révèlent autant de défis à relever.
Cependant, si les défis doivent être relevés à plusieurs niveaux, il en est pour certains qui doivent être inscrits dans l’urgence non sans faire abstraction de la vigilance qu’ils demandent : « l’équité et la rationalisation dans l’allocation des ressources humaines et financières, la culture de reddition de compte qui tarde à être institutionnalisée ».
Voilà le tendon d’Achille du système éducatif sénégalais qui malheureusement se trouve en son cœur : la transparence dans la gestion. Il ne suffit pas d’un simple contrôle de routine pour voir si les papiers sont en bonne et due forme. Non un simple audit de formalité, mais une véritable investigation en profondeur qui demande une descente sur le terrain (des Directions aux établissements en passant par les Inspections) pour épingler ceux qui, nouveaux promus ou non, détournent les fonds, construisent des châteaux et roulent carrosse urbi et orbi quelque soit leur niveau de responsabilité; enquêter sur tout personnel susceptible de gérer des fonds et qui achètent des terrains et qui bâtissent des villas de luxe. Bref, tous ceux dont le comportement à l’endroit des finances est comparable à celui d’un renard jeté dans un poulailler.
Comment une école dont la finalité est de produire un citoyen modèle épris de valeurs hautement cardinales et républicaines, peut reléguer au second plan l’équité en matière de gestion humaine et financière, et la culture de reddition de compte ?
L’arbre du développement ne peut pas fleurir dans le champ de l’impunité. Tant que les ressources humaines et financières seront gérées dans l’anarchie, (népotisme, politisation, détournements, malversations, surfacturations, mal répartitions etc.) et tant qu’il n y aura de compte à rendre à personne, (Signalons que la reddition de compte ne doit pas être utilisée comme une arme pour régler des comptes personnels, c’est-à-dire, instrumentalisée voir politisée)le projet éducatif sera compromis car ces deux piliers sont ceux qui tiennent la charpente éducative dans son ensemble. Mais, faudrait-il préciser que l’éthique en sera le socle fondateur.
L’éthique définit par un éminent Professeur, comme un paradigme érigé de valeurs et qui répond à la question: comment mieux agir ?… Au bénéfice de toute la communauté !
A quatre ans de l’horizon 2015, année à laquelle le Sénégal, à l’image de toute la communauté internationale, s’est engagé à atteindre les OMD (Objectifs du Millénium pour le Développement), et à l’heure du SysGAR (Système de gestion axée sur les résultats), il est plus qu’urgent de répondre à cette question si on veut arriver avec de bons résultats à ce rendez-vous international du donner et du recevoir. Car là, si nous n’avons rien à proposer, rien ne nous sera donné. Et, parce que nous n’aurons pas respecté nos engagements, nous rentrerons penauds et bredouilles avec une étiquette de plus : P.P.T.M.E, Pays Pauvre Très Mal Eduqué.
On attend le bilan de la troisième phase d’application qui est entamé en 2011 et qui concerne la Gestion ! Vu ce qui s’est déjà passé, l’optimisme béat ne saurait être permis, mais aussi on ne doit pas se laisser abattre par un pessimisme facile et aveuglant. Seul des actions responsables, c’est-à-dire fondées justement sur l’éthique, peuvent nous permettre d’espérer des résultats acceptables ! Wait and see !
Abdoulaye Sall
Professeur de Lettres Modernes
Ainsi, « malgré les ressources importantes mobilisées, les résultats escomptés ne sont pas toujours atteints. » Cet aveu de taille met tragiquement en exergue l’échec de l’application du PDEF dans ses composantes majeures centrées sur l’Accès, la Qualité et la Gestion. Une lecture analytique des données présentées ici comme résultats d’étape nous permet de déceler l’échec d’un système éducatif agonisant au bord du gouffre.
I. L’ACCES (niveau1)
L’accès porte sur trois entrées principales : Infrastructures et équipements, Recrutement et allocation du personnel enseignant, Scolarisation.
Au niveau des Infrastructures et équipements, on note un écart important entre les intentions déclarées et les résultats obtenus sur le terrain : en ce qui concerne les constructions, les réhabilitations, les équipements scolaires, certains écarts sont alarmants à cause, selon les termes du bilan, « des retards et des insuffisances des programmes de construction et d’équipement »: par exemple au niveau des réhabilitations sur 747 prévisions, l’on a enregistré que 43 réalisations, soit un taux de 5,75%. Ce qui dénote un défaut dans la planification et un manque de réalisme criard. En outre, cette faiblesse du taux de réhabilitation a de nombreuses conséquences : Sur le plan sécuritaire, le phénomène de l’insécurité dans les établissements sera de plus en plus accru : certains établissements sont à la fois de véritables dépotoirs d’ordures, des repaires pour animaux errants, des squats pour les fous et les Sans Domicile Fixe. Tout cela ajouté au manque d’électrification, aux effets destructeurs de l’usure du temps et l’augmentation des effectifs sans mesures d’accompagnements conséquentes.
Sur le plan des mobiliers et équipements pédagogique, le manque notoire de locaux (salles de classe, salles de prof ou blocs administratif, et scientifiques, toilettes…) et de matériels didactiques comme les manuels scolaires, sera de plus en plus aigu. Telles sont les raisons qui ont conduit par exemple l’équipe pédagogique du Lycée Charles De Gaulle à aller en grève, (2010-2011) pendant presque deux mois. La plate forme revendicative tournait précisément autour de ces questions suivantes : « Manque d’eau et insalubrité au niveau des toilettes, salles de classe impraticables à cause des courants d’air (vitres cassées), tableaux défectueux, manque de mobiliers (chaises, seaux d’eau), hygiène dans les salles de classe, problème de tirage de supports pédagogiques, extension et équipement de la salle des professeurs. » Jusqu’à présent le problème reste entier.
Autant de facteurs bloquants ne manquent pas de déteindre sur la qualité des apprentissages, en particulier sur le niveau des élèves, car dit-on, un esprit sain dans un corps sain, mais le corps ne peut être sain que dans un environnement sain ! On déplore souvent la baisse du niveau des élèves sans pour autant évoquer les causes liées à l’environnement scolaire: or, on doit admettre aussi qu’en matière éducatif, plus que dans d’autres domaines, le milieu détermine fortement l’individu : dites-moi dans quel établissement enseignez-vous, je vous dirai quel enseignant vous êtes! Mais aussi, dis-moi dans quelle école tu étudies, je te dirai quel élève es-tu ?
Dans ce sens, il est temps de rendre l’espace scolaire plus attrayant pour que l’école devienne un endroit où il fait bon à apprendre et à faire apprendre. Pour ce faire, il urge d’articuler, dans le cadre d’une planification réaliste et pragmatique, l’offre et les besoins en matière d’équipement et d’infrastructure. Il en sera de même pour le volet recrutement et allocation du personnel enseignant.
Recrutement et allocation du personnel enseignant : Au niveau élémentaire et au moyen, secondaire, on a pêché par excès (par exemple le nombre prévu (1962) a été largement dépassé (2643). Cet écart de 681 vacataires qualifié de positif est encore une fois le signe manifeste d’une absence de vision claire et de rigueur dans la planification :
Au plan économique : on se retrouvera sans doute avec des enseignants sous employés pour ne pas dire chômeurs avec un emploi du temps largement en deçà du quantum horaire normal. Il est fréquent de voir des collègues qui n’ont que 10H dans la semaine au lieu de 21 h par exemple. Sur le plan pédagogique, le retard du recyclage des vacataires par la formation diplômante, sera de plus en plus accru et aura des conséquences désastreuses sur la formation des élèves. De la même manière, ce qu’on appelle le quota sécuritaire demeure une véritable « caisse noire humaine », où le recrutement se fait sur la base de critères bassement politiciens, népotiste, et ethniciste. Et on retrouvera dans ce lot des gens qui ont quitté les bancs il y a longtemps, des marchands ambulants, d’excellents maçons, des mécaniciens doués… mais qui ne savent malheureusement plus écrire et s’exprimer correctement en langue française.
Par ailleurs, la distribution du personnel enseignant demeure une très grande nébuleuse aux yeux des concernés. En effet, les affectations aussi bien que les mutations, ne sont pas toujours faites de façon transparente et équitable. C’est bien connu: ici, si on n’a pas de bras long, ou quand on ne fait pas de la politique on ne passe pas, l’expression wolof : « borom koud dou lak » est la plus utilisée dans ce sens. Ainsi, les critères d’excellence, d’ancienneté, ou de zone d’enclavement comptent peu. Il est fréquent de croiser des nouveaux sortants dans les postes de choix, alors que des doyens avec le profil qu’il faut, croupissent dans la brousse ou dans des postes d’intérêt secondaire.
On se rappelle de l’affaire des O.S préfabriqués qu’on distribuait hors des circuits administratifs.
C’est dire, il reste un immense travail à abattre à tous les niveaux d’administration pour des prises de décisions plus responsables et judicieuses. Car le défaut de distribution équitable explique certains types de comportement monarchistes ou laxistes dans l’administration. La relation hiérarchique n’est pas un rapport d’assujettissement et de vassalité : certains agents, à cause d’antécédents mineurs avec leur hiérarchie, récoltent des notes administratifs en deçà de leur performance réelle ; ce qui déteint sur leur compétitivité sur le choix des postes. Ce qui est grave c’est que les recours sont nuls et non avenus ! Ainsi, le droit le plus élémentaire du travailleur, relatif à l’objectivité dans l’évaluation, est complètement foulé au pied.
Dans les instances de tutelles comme les I.A ou IDEN, on retrouve le même phénomène dans le cadre des recrutements ou mouvements internes: des postes de choix distribués à tord et à travers et sur la base des relations parentales ou amicales qu’on entretient avec telle ou telle personne ; Pire, le travail est confié non pas à un personnel qualifié dans la gestion des ressources humaines, mais à des agents qui, devraient faire valoir leur compétence dans les salles de classe ou dans les terrains de sport. Dans ce contexte, les relations enseignants et agents ne sont pas toujours au beau fixe dans les lieux administratifs.
Au niveau universitaire, ce qu’on appelle par euphémisme « difficultés relatives à l’utilisation du personnel enseignant et à l’encadrement »: sont en réalité de véritables problèmes qui entravent l’enseignement supérieur ! Ils ont pour nom déficit en personnel, répartition inégale du personnel enseignant, absence de corps d’encadrement ! Par ailleurs, d’autres problèmes majeurs que le rapport a tus à ce niveau et qui gangrènent le milieu universitaire trouvent leur expression dans l’absence d’une réelle politique de recrutement des titulaires du Doctorat, l’absence d’une formation pédagogique appropriée pour les nouvelles recrues et l’absence d’un corps de contrôle des professeurs pour un enseignement beaucoup plus responsable et rationnel.
Au plan de la Scolarisation « les avancées notées à partir des indicateurs d’accès » exprimés en termes de pourcentage ne cachent pas pour autant la réalité du terrain ; la politique de l’EPT (Education Pour Tous) est salutaire, cependant, elle n’est pas toujours soutenue par des mesures d’accompagnement conséquentes : on incite tous les enfants à aller à l’école alors qu’on ne construit pas suffisamment d’écoles. Résultats : proliférations des abris provisoires en pleine brousse, inondation des écoles primaires, avec des enseignants déroutés devant le pléthore de gosses entassés dans les salles de classes souvent trop étroites, et obligés de ce fait de recourir aux méthodes peu pédagogique du double-flux, ou du multigrade… Dans ce contexte l’EQPT (Education de Qualité Pour Tous) reste un mirage.
Niveaux moyen et secondaire, on observe presque le même phénomène de bourrage des établissements car l’entrée en sixième est pour beaucoup d’établissements une simple formalité de passage à cent pour cent. Le Bfem n’est plus le diplôme qui autorise le passage en seconde, il suffit d’avoir de « bons relevés de notes préfabriqués » pour être admis dans un lycée.
De même que le baccalauréat n’est plus le visa pour entrer à l’université mais, le Brevet d’Accès au Chômage pour des centaines de nouveaux bacheliers qui voient leur rêve se briser sur le mur des lamentations. Tandis que l’autorité préfère accorder de la place aux étudiants d’autres cieux au nom de la solidarité internationale. Certes, il est bien beau de donner, mais charité bien ordonner commence par soi-même. Dans ce contexte, malgré l’ouverture des C.U.R, (Centres universitaires régionaux), nombreux sont les jeunes diplômés qui chôment encore après le bac. Ce qui fait penser à « d’extraordinaires possibilités supprimées » d’Aimé Césaire.
Ainsi donc, l’« INSUFFISANCE », est à tous les niveaux: « Insuffisance du traitement de la demande d’éducation » ; « Insuffisance de l’équipement, » « Insuffisance du personnel »
L’offre est loin de répondre à la demande éducative, tant du point de vue de la quantité que de la qualité. Malgré, la place primordiale accordée à l’accès, la politique éducative au Sénégal, demeure une politique d’exclusion. Dans ce contexte peut-on prétendre être parmi les pays émergents comme la Chine, par exemple ? Alors que ce pays a réglé le problème de la scolarisation universelle dans les années 50 malgré sa démographie représentant le cinquième de la population mondiale. Qu’en est-il de la Qualité, deuxième axe du programme ?
II.LA QUALITE
L’évaluation de la qualité a porté sur deux thèmes majeurs : l’appréciation « des Intrants » et la mesure de « l’efficacité interne » des réformes entreprises.
Les intrants s’articulent entre autres, autour des réformes des curricula, de la qualification des enseignants, du matériel didactique. Globalement, il est fait mention « positive » sur l’introduction du curriculum dans le système éducatif. Cependant, « la généralisation ne touche que l’éducation de base ». Dans le niveau moyen et au niveau de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle, l’entrée par les compétences, est toujours à l’état des vœux pieux car on en est en phase expérimentale et dans la conception de programme : « Avancées significatives dans l’écriture et la réécriture des programmes » selon les termes du document. Ce qui est étonnant au demeurant, c’est que rien n’est dit pour le secondaire.
Par ailleurs, le bourrage de crâne ne peut pas aller avec l’exigence de qualité ! Dans le monde du savoir, on tend de plus en plus vers la spécialisation. Il est temps de mener à bout la politique de spécialisation entreprise depuis quelques temps. Les transformations des séries (A et C en L et S dans le second cycle par exemple) doivent être approfondies. On doit penser à alléger les emplois du temps des élèves pour les décharger du fardeau du surplus de matières. Le but de l’éducation n’est pas de produire des savants ni des génies mais simplement des hommes capables de réagir à des types de situations données et d’apporter des solutions spécifiques à des problèmes précis.
Au Supérieur, le système LMD, dit-on « est en phase de généralisation ». Malheureusement, ce n’est pas une bonne nouvelle pour bon nombre de professeurs et d’étudiants car, on le sait, le système LMD a, plus qu’il n’a fédéré, divisé la communauté universitaire : des étudiants ne se retrouvent pas encore dans le système des crédits horaires, tandis que beaucoup de professeurs y voient l’occasion de fructifier leur gain dans ce qu’un chercheur appelle le mercenariat universitaire avec comme conséquence le manque d’encadrement des étudiants et des cours vendus à travers des photocopies ou des fascicules. L’université, mercantilisée, est devenue tristement une très grande boutique où l’on vend de la connaissance.
Au niveau qualification des enseignants, l’appréciation des experts se passe de commentaires : « Recrutement important d’enseignants à tous les niveaux. Cependant la couverture qualitative des besoins reste largement insuffisante ».
Comme on le voit, on semble accorder beaucoup plus d’importance à la quantité. Même si l’on est conscient de son importance, la qualité est paradoxalement laissée en rade. En réalité, derrière cette tournure savante, se cache une vérité beaucoup plus dramatique qui dévoile toute la fragilité du système éducatif : l’école sénégalaise (publique et privée confondues) dans tous ses niveaux, compte beaucoup plus d’enseignants non qualifiés que d’enseignants qualifiés, c’est-à-dire, titulaires de diplôme professionnel adapté à des niveaux spécifiques. Au Moyen et Secondaire général, étapes charnières, seulement 26,4% des professeurs sont titulaires d’un diplôme professionnel adapté à ces cycles (CAECEM, CAEM, CAES).
C’est dans ce contexte qu’on se retrouve avec des élèves fraîchement titulaires du BFEM directement enroulés dans le corps des volontaires et parachutés sans formation dans les salles de classes ; des étudiants cooptés comme vacataires qui, directement servent dans le moyen et le second cycle sans la moindre idée de la pédagogie. Si les autorités reconnaissent que « dans beaucoup de structures du Secondaire, les cours de Math sont dispensés par des Professeurs non qualifiés à cet effet », le mal est aussi dans les autres disciplines aussi importantes comme le Français dispensés par des étudiants en histoire ou géographie ou vis versa, comme si on pouvait demander à des étudiants en odontologie de faire des opérations chirurgicales en cardiologie. Le mal, ce n’est pas de recruter, mais de recruter sans former.
Comment dans ces conditions pourrait-on exiger de la qualité ? Au contraire, dans ces conditions, la qualité ne peut être que promesse d’éléphants blancs. Ce qui aura des conséquences graves sur l’efficacité interne du système, laquelle se retrouvera sapée dans ses bases. En tout cas, les statistiques du bilan ne disent pas le contraire. Puisque, les redoublements et les abandons sont les résultats les plus partagés par les élèves, le taux d’achèvement reste largement en deçà du seuil de performance. Le SNERS (Système national d’évaluation du rendement scolaire) surtout dans « les disciplines de base comme le Français et les Maths, à des niveaux aussi sensibles que le Primaire, reste globalement marquée par une insuffisance des seuils de maîtrise ». C’est la conclusion du rapport à ce niveau.
« Les avancées notées au niveau des résultats aux examens » ne semblent pas refléter les statistiques à bien des égards. C’est seulement au CFEE, où on a enregistré « un écart positif » par rapport aux prévisions, qu’on a fait mention d’un taux de réussite. « Concernant le BFEM et le BAC, le taux de réussite en 2010 est en deçà de la cible au plan national » comme l’a si clairement indiqué le rapport. On se complaît dans « une évolution en dent de scie », alors que cet état de fait ne prouve que la fragilité et l’instabilité d’un système qui vacille comme pour annoncer le compte à rebours d’un écroulement imminent. Ce que le bilan n’a pas dit c’est aussi les exclus du système jetés en pâture au chômage sans une politique de réinsertion ou d’orientation sérieuse.
Ce que nous avions noté plus haut se confirme ici : la politique éducative sénégalaise est dans la réalité une politique d’exclusion. Et les experts de conclure :
« Si les conditions actuelles de rétention demeurent, la réalisation de profils de scolarisation montre que sur 100 enfants admis au CI, 51 atteindront la 6ème, 42 la classe de 3ème et 21 la classe de Terminale. » Après cette conclusion partielle, on ne trouve rien d’autres à dire que ceci :
« Ce constat ajouté à l’insuffisance des résultats aux examens appellent plus d’attention des autorités à tous les niveaux, plus d’initiatives et d’engagement pour renforcer l’efficacité du système éducatif », recommandations à la limite simplistes et trop vagues au demeurant. Quand, « sur 100 enfants admis au CI », 21 seulement atteignent la classe de terminale, le constat doit beaucoup plus que faire appel à « l’attention des autorités à plus d’initiatives et d’engagement ». Devant un tel constat d’échec qui ne dit pas son nom, la sagesse ne doit commander en toute humilité, que deux choses : rendre compte et tirer sa révérence… en catimini, car la gestion aurait été défectueuse et serait atteinte de graves manquements. Si tel est le cas on comprendra pourquoi le bilan du troisième axe du PDEF, porté justement sur la GESTION, n’est pas du tout des plus reluisants.
III. La GESTION (Niveau 3) :
En effet, que cela soit au niveau « du pilotage pédagogique » ou au niveau de « la gestion des constructions et équipements scolaires », les résultats obtenus sont loin des prévisions et des vœux.
Le pilotage pédagogique concerne entre autres, la gestion du quantum horaire, la gestion des Examens professionnels, l’encadrement des enseignants. Si dans ce dernier volet le bilan ne s’est limité qu’à l’énumération des structures et instances de formation des enseignants, au niveau des deux autres volets, l’accent est mis encore sur « les insuffisances et les contreperformances ». D’une part, les causes sont situées au niveau des perturbations scolaires, (grèves, débrayages,) d’autre part, on évoque l’absence d’un dispositif de contrôle fiable pour la gestion du quantum horaire. Or, comme le rapport le souligne « L’efficacité dans la gestion de cet intrant est déterminante dans la transformation des investissements importants dans le secteur en résultats. » On mesure donc l’impact d’une gestion qui serait défectueuse à ce niveau.
Concernant la formation des enseignants, le rapport cite les CAP (Cellule d’Animation Pédagogique), le suivi ou la supervision des Inspecteurs, le collectif des directeurs d’école ou des chefs d’établissement. Il n’est pas besoin de dire que rares sont les cellules qui fonctionnent dans les établissements surtout dans le Moyen secondaire. Premièrement, parce que les professeurs se soucient beaucoup plus de leurs cours privés ou « khar matt »( phénomène dont la généralisation peut expliquer en partie la baisse du niveau des élèves dans les établissements publics) que de s’occuper d’animation pédagogique dans leur établissement.
Deuxièmement, cela s’explique par le manque de volonté de certains chefs d’établissements qui ne font rien pour inciter les profs à animer les cellules ; et cela dans le but de préserver « les fonds pédagogiques » dont certains ne veulent même pas entendre parler. Pourquoi ? Il faut le dire, parce qu’ils les considèrent comme leur propre argent ! Pourtant, la transparence est au cœur du dispositif du Guide des chefs d’établissement.
Quant au corps de contrôle, malgré des écueils comme la faiblesse du ratio inspecteur/maîtres, un travail sérieux est en train d’être fait surtout dans les niveaux primaire et préscolaire, par certains inspecteurs épris de conscience professionnelle et d’équité, qui ne ménagent aucun effort pour faire leur travail d’inspection dans les zones les plus reculés. Les professeurs du moyen, secondaire semblent être « privilégiés » car nombreux sont les inspecteurs de spécialité pratiquement invisibles dans beaucoup de zones. Heureusement les séminaires bien que sporadiques, permettent quelque fois le renforcement et la mise à niveau des nouvelles recrues.
Équipements scolaires : Voilà ce que présente le rapport : « Équipement de l’EFI de Matam; Équipement de 1205 SDC, 17 CEM de proximité sont équipés en mobilier de bureau et en matériel informatique; 20 lycées ont été équipés en tables bancs, chaises, armoires, bureaux ». Alors quand on prend la peine de visiter quelques établissements au hasard, on se pose la question : Quels CEM et quels lycées a-t-on donc équipés ? Chaque année dans, les plateformes revendicatives aussi bien des élèves que des syndicats d’enseignement, on retrouve paradoxalement les doléances liées aux table-bancs, et aux logistiques didactiques et pédagogiques en général. De même malgré la volonté manifestée de réduction de la fracture numérique, l’informatique et l’internet sont pour bon nombre d’élèves un luxe inaccessible. Même pour ceux qui en ont accès, on compte beaucoup plus d’élèves « hypo connectés » que « d’hyper connectés », car la connexion est vendue aux élèves.
Comme un effet de retour cyclique les mêmes problèmes se posent à tous les niveaux. Ils ont pour déterminants communs : manque, insuffisance, déficit. Cela ne pointe-t-il pas, par ailleurs, le doigt sur un aspect important de la gestion lié aux capacités organisationnelles qui auraient fait défaut. A ce niveau, ni la mise en œuvre de l’organigramme du pdef, ni la gestion des fonds alloués au secteur éducatif ne semblent pas apporter un démenti au vu du diagnostic effectué.
Le rapport provisoire de l’audit diagnostic (dont la fiabilité reste à prouver) révèle selon le bilan un satisfecit au niveau central où le comité de pilotage va assurer un meilleur fonctionnement. (Restera-t-il à l’état de vœux pieux comme le nouveau cadre de planification ?) .
En tout cas, selon les termes du bilan au niveau régional: « Les CRCS, restent peu fonctionnels, au niveau départemental: les CDCS sont pour la plupart en léthargie; au niveau Communautaire : Les CLEF aussi ne fonctionnent pas. Niveau écoles/établissements: Les CGE pour la plupart sont fonctionnels ». Ce qui veut dire pas totalement.
La carence revient encore ici sous d’autres vocables aussi négativement chargés les uns que les autres « Peu fonctionnels, la plupart en léthargie, ne fonctionnent pas » ! Ce qui dénote un état de paralysie quasi généralisé des organes du corps éducatif, qui ne nécessite pas « une simple attention » de la part des autorités mais une intervention en toute urgence et à la mesure du serment de Socrate pour ne pas dire d’Hippocrate.
Mais, comment peut-on comprendre ce déficit à tous les niveaux alors que la part de l’Education dans le budget de fonctionnement de l’Etat ne cesse de croître passant de 2008 à 2010, de 40,64% à 43,7%. ? Au vu de cette masse financière, est-il logique de parler de « l’insuffisance du volume du financement mobilisé », d’autant plus que les dépenses consacrées à la qualité (2ème phase d’application du PDEF, en 2009), sont loin d’épuiser le budget prévu. En effet, 30% ont été dépensés ! Où se trouve les 70% ?
D’ailleurs, la somme que les autorités brandissent souvent comme une prouesse politique exceptionnelle n’en est pas une, car des pays de la sous région, qui aux lendemains des indépendances, étaient loin derrière le nôtre, font des résultats scolaires plus fameux avec moins d’investissement : par exemple au Mali, le budget de l’éducation en 2010 a un ratio de 33,42% ; pourtant c’est un système en évolution depuis ces quinze dernières années.
Au contraire, ici, la carence qui revient à tous les niveaux avec les mêmes difficultés qui reviennent chaque année fait qu’on semble tourner en rond et se figer dans une sorte de surplace inquiétant (dara dokhoul) : on dirait un voyageur qui a tous les moyens pour partir en sachant où aller et comment y parvenir mais qui refuse de partir ?
La carence ne s’explique-t-elle pas par un défaut de méthodologie : accès, qualité et gestion dit-on ! Mais, peut-on appliquer séparément ces trois composantes ? On a vu comment la détérioration de l’environnement a influé négativement sur le niveau des élèves et de l’enseignement en général ! Ainsi ; force est de constater qu’il y a une logique imbrication entre accès, qualité et gestion telle que l’une ne peut aller sans l’autre.
Cette anémie chronique omniprésente dans notre système n’est-elle pas symptomatique d’une gestion peu orthodoxe et d’un manque de transparence à tous les niveaux de l’administration éducative ?
Les sommes importantes injectées sont-elles équitablement et judicieusement réparties ? Les hommes qu’il faut sont-ils toujours mis à la place qu’il faut ? Autant de questions qui révèlent autant de défis à relever.
Cependant, si les défis doivent être relevés à plusieurs niveaux, il en est pour certains qui doivent être inscrits dans l’urgence non sans faire abstraction de la vigilance qu’ils demandent : « l’équité et la rationalisation dans l’allocation des ressources humaines et financières, la culture de reddition de compte qui tarde à être institutionnalisée ».
Voilà le tendon d’Achille du système éducatif sénégalais qui malheureusement se trouve en son cœur : la transparence dans la gestion. Il ne suffit pas d’un simple contrôle de routine pour voir si les papiers sont en bonne et due forme. Non un simple audit de formalité, mais une véritable investigation en profondeur qui demande une descente sur le terrain (des Directions aux établissements en passant par les Inspections) pour épingler ceux qui, nouveaux promus ou non, détournent les fonds, construisent des châteaux et roulent carrosse urbi et orbi quelque soit leur niveau de responsabilité; enquêter sur tout personnel susceptible de gérer des fonds et qui achètent des terrains et qui bâtissent des villas de luxe. Bref, tous ceux dont le comportement à l’endroit des finances est comparable à celui d’un renard jeté dans un poulailler.
Comment une école dont la finalité est de produire un citoyen modèle épris de valeurs hautement cardinales et républicaines, peut reléguer au second plan l’équité en matière de gestion humaine et financière, et la culture de reddition de compte ?
L’arbre du développement ne peut pas fleurir dans le champ de l’impunité. Tant que les ressources humaines et financières seront gérées dans l’anarchie, (népotisme, politisation, détournements, malversations, surfacturations, mal répartitions etc.) et tant qu’il n y aura de compte à rendre à personne, (Signalons que la reddition de compte ne doit pas être utilisée comme une arme pour régler des comptes personnels, c’est-à-dire, instrumentalisée voir politisée)le projet éducatif sera compromis car ces deux piliers sont ceux qui tiennent la charpente éducative dans son ensemble. Mais, faudrait-il préciser que l’éthique en sera le socle fondateur.
L’éthique définit par un éminent Professeur, comme un paradigme érigé de valeurs et qui répond à la question: comment mieux agir ?… Au bénéfice de toute la communauté !
A quatre ans de l’horizon 2015, année à laquelle le Sénégal, à l’image de toute la communauté internationale, s’est engagé à atteindre les OMD (Objectifs du Millénium pour le Développement), et à l’heure du SysGAR (Système de gestion axée sur les résultats), il est plus qu’urgent de répondre à cette question si on veut arriver avec de bons résultats à ce rendez-vous international du donner et du recevoir. Car là, si nous n’avons rien à proposer, rien ne nous sera donné. Et, parce que nous n’aurons pas respecté nos engagements, nous rentrerons penauds et bredouilles avec une étiquette de plus : P.P.T.M.E, Pays Pauvre Très Mal Eduqué.
On attend le bilan de la troisième phase d’application qui est entamé en 2011 et qui concerne la Gestion ! Vu ce qui s’est déjà passé, l’optimisme béat ne saurait être permis, mais aussi on ne doit pas se laisser abattre par un pessimisme facile et aveuglant. Seul des actions responsables, c’est-à-dire fondées justement sur l’éthique, peuvent nous permettre d’espérer des résultats acceptables ! Wait and see !
Abdoulaye Sall
Professeur de Lettres Modernes