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Débat sur l'homosexualité leur « modernité » et la nôtre (Mamadou Bamba NDIAYE)

Dimanche 11 Mars 2012

Débat sur l'homosexualité leur « modernité » et la nôtre (Mamadou Bamba NDIAYE)
Selon une dépêche de l’Agence de presse sénégalaise en date du 10 mars 2012, « le candidat Macky Sall prône une gestion ‘responsable’ de la question de l’homosexualité avec ‘toutes les forces vives’ qui sont mobilisées pour donner une société moderne au Sénégal ».

Cette annonce fait suite à sa déclaration sur les chefs religieux qu’il avait démentie contre toutes les évidences. Il lui sera difficile de démentir cette fois-ci, tant les témoins de sa nouvelle sortie sont nombreux. On scrute avec intérêt la prise de position de la Jamatou Ibadou Rahmane ainsi que des autres candidats et chefs de parti de sa coalition affichés « islamistes ».
En attendant, une rapide analyse du contenu de sa déclaration permet de mettre en lumière des enjeux occultés de la confrontation du 2ème tour. La promesse d’une « gestion responsable » est déjà particulièrement éclairante. Elle porte un jugement de valeur sur la gestion actuelle de cette question de l’homosexualité par les lois et la société sénégalaises, qu’elle estime « irresponsable », c’est-à-dire à la fois coupable et condamnable. En quoi est-elle irresponsable ? M. Sall ne le dit pas clairement. Mais, dans la suite de sa réponse, il réitère et martèle abondamment ce jugement négatif porté sur notre société en utilisant trois expressions-clés. D’abord, l’expression « forces vives » renvoie à son contraire, des « forces mortes », rétrogrades et dépassées par l’évolution historique. Ensuite, « donner au Sénégal » : on donne à quelqu’un ce dont il est privé et dont il a besoin. De quoi s’agit-il ? La troisième expression-clé offre la réponse : « une société moderne ». Quelle est le contenu de cette « modernité » ? Notre candidat n’y répond pas de façon explicite. Mais le sous-entendu est clair : la dépénalisation de l’homosexualité serait un critère de « modernité ».

La rhétorique claire-obscure de l’ancien premier ministre sénégalais rejoint ainsi - convergence intéressante ! - celle du ministre français Claude Guéant qui plaide une prétendue « supériorité » de la civilisation occidentale qui serait ainsi, pour nous, un modèle à imiter sinon un horizon à atteindre. La « modernité » selon Sall est celle occidentale qui, aujourd’hui, œuvre pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité et l’autorisation des mariages homosexuels, inspirée en cela par les politiques antinatalistes préconisées par certains cercles plus ou moins obscurs.

Cette conception s’inscrit dans une vision subjective de l’évolution des sociétés humaines comme allant de stades inférieurs vers un stade supérieur qui serait représenté par l’actuelle configuration des sociétés occidentales. Selon les idéologues de cet évolutionnisme subjectif, modernisation signifie mondialisation sans frein, c’est-à-dire adoption automatique des représentations et pratiques sociales en vogue, sans examen critique ni précaution.
Le parti-pris doctrinaire évident qui fonde leur vision empêche ces théoriciens d’observer et de reconnaître que chaque société élabore ses propres registres d’invention d’une modernité, qui cesse d’être constructive dès qu’elle devient synonyme d’uniformisation culturelle ou d’occidentalisation à outrance.

Observant en 1952 l’évolution des Lébous du Sénégal, Balandier avait pourtant constaté que « le groupement Lebou a dû marquer aussi son originalité dans la manière même dont il a accepté les apports extérieurs. Lorsqu'il emprunte, pour accroître, par des techniques religieuses, magiques ou matérielles, sa fécondité et sa puissance, il le fait avec son génie propre. Les emprunts ne sont jamais simplement plaqués, mais assimilés, incorporés à l'ensemble des éléments proprement Lebou. Et ceci explique que le voisinage des villes (coloniales –ndlr) Dakar, Rufisque, n'a pas apporté ici le désarroi total qu'il a apporté chez d'autres. Un contrepoids de tradition équilibre toujours une organisation nouvelle. Un esprit de conservation, qui est loin d'être du conservatisme, est toujours présent».

Balandier mettait ainsi au jour ce qui constitue probablement le véritable soubassement de l’« exception sénégalaise », autrement dit un processus d’invention de la modernité fondée sur la cohabitation et l’équilibre entre l’ancien et le nouveau, que Senghor résumera plus tard à travers deux formules-choc : « enracinement et ouverture », « assimiler et non être assimilé ». Un élargissement de l’enquête de Balandier aux autres populations ayant contribué à l’émergence du Sénégal d’aujourd’hui ne pourrait que confirmer, près d’un siècle plus tard, la conclusion qu’il avait tirée dès 1952 : « il n'est pas présomptueux de penser que ce petit peuple assurera son évolution dans la vie moderne sans payer celle-ci de la perte de son âme ». (1)
La perte de notre âme, c’est le prix que « le parti de l’étranger » exige de nous aujourd’hui en promettant, à mots à peine couverts, après la réduction des chefs religieux au statut de « simples citoyens ordinaires », une dépénalisation de l’homosexualité.

A petites touches, on donne ainsi un contenu de plus en plus clair au fameux Nts (nouveau type de sénégalais), qu’une minorité active de jeunes déclassés et mondialisés a imposé au M23 et à son candidat comme l’archétype de son projet de société.
Ce Nts, nous n’en voulons pas ! Ce que nous voulons, c’est un Sénégalais qui construit la modernité sans perdre son âme, qui s’ouvre au monde en restant lui-même, qui travaille à Wall Street tout en récitant Jawartu ou Mimiya. Un Sénégalais qui n’aura jamais, comme certains, honte de sa société, de ses religions, de ses autorités religieuses, de ses langues, de ses coutumes. Un Sénégalais fier et debout, conscient de devoir apprendre du monde extérieur mais aussi de lui enseigner des valeurs éthiques susceptibles de contribuer à sauver l’espèce humaine d’un naufrage annoncé.
(1)R. MERCIER ET G. BALANDIER, Les pêcheurs Lebou du Sénégal, Particularisme et évolution. Saint-Louis, Sénégal : Centre IFAN-Sénégal, 1952, 216 pp. Collection : Études sénégalaises, n° 3.

Mamadou Bamba NDIAYE
Député, Secrétaire général du Mps/Selal


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