Initiatives de modernisation des écoles islamiques : un bilan mitigé
Le 17 avril 2024, le Président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, a annoncé lors du conseil des ministres la création de la Direction des affaires religieuses et de l’insertion des diplômés de l’enseignement arabe. Cette décision intervient dans un contexte où le système d’enseignement non formel fait face à divers défis, qu’ils soient socio-économiques, politiques ou éducatifs.
En effet, le Sénégal possède un système éducatif qui se divise en deux branches : le système formel, hérité de la colonisation française, qui englobe les écoles publiques, privées catholiques et privées laïques; et le système non formel, qui opère en marge du système officiel et comprend les écoles coraniques (daara), les écoles d’arabe, les écoles franco-arabe, ainsi que divers programmes d’alphabétisation temporaire coordonnés principalement par des ONG internationales.
En ce qui concerne l’enseignement islamique, les orientations pédagogiques, les programmes, les méthodes d'enseignement, ainsi que les examens et diplômes, sont exclusivement régis par des gestionnaires privés dont les compétences et la formation ne sont pas soumises à une validation de la part de l’État.
Le manque de ressources, les conditions d’étude difficiles et les environnements souvent précaires, en particulier dans les daara (écoles coraniques), ont conduit, entre autres conséquences, à la pratique de la mendicité par les apprenants dans les rues. Bien que largement dénoncée aujourd'hui, cette pratique est parfois justifiée en tant qu’élément intégral de la formation des apprenants, appelés « talibés », censée leur enseigner l'humilité et l'endurance, selon de nombreux maîtres coraniques. Cependant, la mendicité entraîne souvent l'exploitation économique des enfants talibés, ce qui suscite l'alerte de nombreuses ONG internationales, ainsi que de multiples organisations de protection de l'enfance et de la société civile.
En Décembre 2022, une enquête réalisée par Mamadou Faye et Céline Fleuzin de la BBC révèle que : « la mendicité rapporterait 5 milliards de FCFA par an aux marabouts » rien que dans la région de Dakar. Ce chiffre est confirmé par les experts des Nations Unies et l’ONG Human Rights Watch. La précarité des daara, le manque de ressources et l'absence d’une politique éducative plus efficace de la part de l'État envers ces structures peuvent être à l'origine du phénomène de mendicité, qui semble actuellement difficile à contrôler. En plus de la mendicité, les daara peuvent être le théâtre de maltraitance d'enfants, d'insécurité, de violences physiques et sexuelles, ainsi que d'autres formes d'abus, ayant déjà entraîné des pertes en vies humaines.
D’autre part, le problème de l'insertion professionnelle des apprenants du système d'enseignement arabo-islamique se pose. Les études dans les daara ne débouchent pas sur l'obtention de diplômes, et les apprenants qui en sortent ne possèdent pas les compétences ou les connaissances nécessaires pour trouver un emploi. Ce problème concerne l'ensemble des structures du système d'enseignement non formel. La plupart des diplômes délivrés par les écoles franco-arabe privées ne sont pas reconnus. Ce n'est qu'à partir de 2013 que le baccalauréat « option Arabe » a été introduit pour les élèves des écoles franco-arabes privées et des écoles d'arabe. Cependant, ce diplôme en arabe ne garantit pour le moment que des perspectives d'emploi d'enseignant en arabe au primaire, au collège ou au lycée.
Malgré les initiatives de modernisation des daara lancées par l'État depuis l'an 2000, telles que le projet USAID/éducation de base, le projet trilinguisme et formation professionnelle, les projets PAMOD et PAQEEB ainsi que la création des écoles franco-arabes publiques, les résultats de plus de vingt ans de réformes visant à formaliser l'enseignement arabo-islamique semblent mitigés. Le taux de chômage élevé parmi les diplômés de ces établissements a suscité une inquiétude telle que le nouveau Président de la République a décidé de mettre en place un bureau dédié à l'insertion professionnelle des diplômés en langue arabe. Cependant, cela nécessitera une politique éducative solide pour l'ensemble du système d'enseignement islamique. Bien que de nombreuses idées soient proposées, la principale lacune réside dans le manque de volonté et/ou de vision politique, ainsi que dans l'insuffisance des ressources nécessaires pour prendre en charge cet enseignement.
En réalité, l'enseignement islamique continue d'être largement valorisé par de nombreux parents d'élèves au Sénégal. L'étude du Coran et l'éducation à l'Islam demeurent des aspects essentiels de la culture islamique dans le pays. La langue arabe, considérée comme « sacrée » au Sénégal en tant que langue d'écriture du Coran, revêt une importance primordiale pour la plupart des musulmans sénégalais.
Formaliser l'éducation islamique représente un défi crucial mais essentiel pour créer un parcours éducatif novateur qui participera à assurer des opportunités égales de réussite à tousles apprenants des systèmes éducatifs. Les élèves du système arabo-islamique doivent être encouragés à acquérir des compétences professionnelles qui contribueront au progrès du pays. Ainsi, la direction des affaires religieuses et de l’insertion des diplômés de l’enseignement arabe devra se concentrer sur la promotion du vivre ensemble et du dialogue interreligieux au Sénégal, tout en veillant à prévenir toute dérive. Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, il sera crucial de réfléchir à la contribution potentielle de l'enseignement arabo- islamique au développement socio-économique du pays. Cela impliquera l'amélioration des conditions d'apprentissage et du programme scolaire, ainsi que la recherche de financements pour soutenir cet enseignement actuellement précaire. De plus, une nouvelle politique de recrutement dans les entreprises sera nécessaire pour valoriser les compétences des diplômés de ce système éducatif.
Mouhamed GUEYE
Doctorant en Sciences de l’éducation (Spécialités politiques et réformes éducatives).
Master en Sciences des religions et sociétés (Spécialiste et expert en Dialogue
interreligieux et médiation interculturelle)
Email :mouhamed.gueye@u-bordeaux.fr
Réseau : www.linkedin.com/in/mouhamed-gueye-7839b713b
En effet, le Sénégal possède un système éducatif qui se divise en deux branches : le système formel, hérité de la colonisation française, qui englobe les écoles publiques, privées catholiques et privées laïques; et le système non formel, qui opère en marge du système officiel et comprend les écoles coraniques (daara), les écoles d’arabe, les écoles franco-arabe, ainsi que divers programmes d’alphabétisation temporaire coordonnés principalement par des ONG internationales.
En ce qui concerne l’enseignement islamique, les orientations pédagogiques, les programmes, les méthodes d'enseignement, ainsi que les examens et diplômes, sont exclusivement régis par des gestionnaires privés dont les compétences et la formation ne sont pas soumises à une validation de la part de l’État.
Le manque de ressources, les conditions d’étude difficiles et les environnements souvent précaires, en particulier dans les daara (écoles coraniques), ont conduit, entre autres conséquences, à la pratique de la mendicité par les apprenants dans les rues. Bien que largement dénoncée aujourd'hui, cette pratique est parfois justifiée en tant qu’élément intégral de la formation des apprenants, appelés « talibés », censée leur enseigner l'humilité et l'endurance, selon de nombreux maîtres coraniques. Cependant, la mendicité entraîne souvent l'exploitation économique des enfants talibés, ce qui suscite l'alerte de nombreuses ONG internationales, ainsi que de multiples organisations de protection de l'enfance et de la société civile.
En Décembre 2022, une enquête réalisée par Mamadou Faye et Céline Fleuzin de la BBC révèle que : « la mendicité rapporterait 5 milliards de FCFA par an aux marabouts » rien que dans la région de Dakar. Ce chiffre est confirmé par les experts des Nations Unies et l’ONG Human Rights Watch. La précarité des daara, le manque de ressources et l'absence d’une politique éducative plus efficace de la part de l'État envers ces structures peuvent être à l'origine du phénomène de mendicité, qui semble actuellement difficile à contrôler. En plus de la mendicité, les daara peuvent être le théâtre de maltraitance d'enfants, d'insécurité, de violences physiques et sexuelles, ainsi que d'autres formes d'abus, ayant déjà entraîné des pertes en vies humaines.
D’autre part, le problème de l'insertion professionnelle des apprenants du système d'enseignement arabo-islamique se pose. Les études dans les daara ne débouchent pas sur l'obtention de diplômes, et les apprenants qui en sortent ne possèdent pas les compétences ou les connaissances nécessaires pour trouver un emploi. Ce problème concerne l'ensemble des structures du système d'enseignement non formel. La plupart des diplômes délivrés par les écoles franco-arabe privées ne sont pas reconnus. Ce n'est qu'à partir de 2013 que le baccalauréat « option Arabe » a été introduit pour les élèves des écoles franco-arabes privées et des écoles d'arabe. Cependant, ce diplôme en arabe ne garantit pour le moment que des perspectives d'emploi d'enseignant en arabe au primaire, au collège ou au lycée.
Malgré les initiatives de modernisation des daara lancées par l'État depuis l'an 2000, telles que le projet USAID/éducation de base, le projet trilinguisme et formation professionnelle, les projets PAMOD et PAQEEB ainsi que la création des écoles franco-arabes publiques, les résultats de plus de vingt ans de réformes visant à formaliser l'enseignement arabo-islamique semblent mitigés. Le taux de chômage élevé parmi les diplômés de ces établissements a suscité une inquiétude telle que le nouveau Président de la République a décidé de mettre en place un bureau dédié à l'insertion professionnelle des diplômés en langue arabe. Cependant, cela nécessitera une politique éducative solide pour l'ensemble du système d'enseignement islamique. Bien que de nombreuses idées soient proposées, la principale lacune réside dans le manque de volonté et/ou de vision politique, ainsi que dans l'insuffisance des ressources nécessaires pour prendre en charge cet enseignement.
En réalité, l'enseignement islamique continue d'être largement valorisé par de nombreux parents d'élèves au Sénégal. L'étude du Coran et l'éducation à l'Islam demeurent des aspects essentiels de la culture islamique dans le pays. La langue arabe, considérée comme « sacrée » au Sénégal en tant que langue d'écriture du Coran, revêt une importance primordiale pour la plupart des musulmans sénégalais.
Formaliser l'éducation islamique représente un défi crucial mais essentiel pour créer un parcours éducatif novateur qui participera à assurer des opportunités égales de réussite à tousles apprenants des systèmes éducatifs. Les élèves du système arabo-islamique doivent être encouragés à acquérir des compétences professionnelles qui contribueront au progrès du pays. Ainsi, la direction des affaires religieuses et de l’insertion des diplômés de l’enseignement arabe devra se concentrer sur la promotion du vivre ensemble et du dialogue interreligieux au Sénégal, tout en veillant à prévenir toute dérive. Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, il sera crucial de réfléchir à la contribution potentielle de l'enseignement arabo- islamique au développement socio-économique du pays. Cela impliquera l'amélioration des conditions d'apprentissage et du programme scolaire, ainsi que la recherche de financements pour soutenir cet enseignement actuellement précaire. De plus, une nouvelle politique de recrutement dans les entreprises sera nécessaire pour valoriser les compétences des diplômés de ce système éducatif.
Mouhamed GUEYE
Doctorant en Sciences de l’éducation (Spécialités politiques et réformes éducatives).
Master en Sciences des religions et sociétés (Spécialiste et expert en Dialogue
interreligieux et médiation interculturelle)
Email :mouhamed.gueye@u-bordeaux.fr
Réseau : www.linkedin.com/in/mouhamed-gueye-7839b713b