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Contribution : « De Sweet Beauty à une République à genou: Un bilan macabre »

Vendredi 9 Juin 2023

Au-delà des pertes humaines énormes observées, la crise politique du début du mois de juin 2023 au Sénégal est soldée d’un bilan amphigourique et sibyllin sur les infrastructures et moyens de transport, et sur le plan socio-économique. Cet article de presse vise à passer au crible les effets de cette crise sur l’économie et la situation sociale du pays. Pour cela, nous avons abordé le rapport entre les dégâts matériels des manifestations et l’économie, ensuite analysé les discours politiques et les actes des militants et enfin la stratégie de limitation de l’internet et les comportements réflexifs adoptés par de la population connectée.


Pour rappel, suite au verdict du procès du candidat déclaré des prochaines élections présidentielles de 2024, Ousmane SONKO, le Sénégal est entré dans une crise politique violente et sanglante sans précédent. En effet, le leader du parti PASTEF a été accusé de viol et de menace de mort par une ex-employée d’un salon de massage dénommé SWEET BEAUTY en 2021. Depuis le dépôt de la plainte par la jeune dame, Adji Sarr, l’accusé avait automatiquement déclaré que ceci était un complot fomenté par le camp du président de la République, Macky SALL avec des patrons de l’administration judiciaire.

Après la tombée du verdict, le 01 juin dernier, comme pratiquement dans les manifestations publiques, les infrastructures et/ou les moyens de transport public sont les cibles de premier choix des manifestants. Visiblement, les véhicules de transports collectifs et les infrastructures de transport de masse modernes (TER et BRT) réalisés par le régime en exercice étaient les principales cibles. En faisant un tour et un détour dans l’ensemble des villes secondaires du Sénégal et principalement dans la capitale, Dakar, on remarque que ces manifestations sporadiques, ponctuelles et localisées ont réduit en cendres plusieurs bus Dakar Dem Dikk , des véhicules particuliers d’autorités du camp présidentiel, des bus de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar entre autres. Les manifestants sont pratiquement des groupes de jeunes en furie barricadant les routes, brulant, vandalisant et/ou saccageant les équipements, moyens et infrastructures de transports. L’on se demanderait pourquoi le choix sur ces derniers ? La raison est simple, les barricades du réseau viaire constituent le meilleur moyen de paralyser l’économie. Il constitue en effet les fondements incontournables du développement. Les voies de communication servent à rallier les lieux de travail, les services sociaux de base et les points de loisirs. De plus, ils assurent la liaison interurbaine et entre la ville et la campagne qui sont interdépendantes. Cette situation aurait sans doute également des conséquences négatives immédiates sur l’économie du pays.

En effet, la capitale sénégalaise occupant plus de 80% des emplois et services du pays, une perturbation de la circulation mettrait l’économie nationale à terre. En outre, le secteur informel, le tourisme et le transit de marchandises au port de Dakar vers l’intérieur du pays et le Mali auraient été fortement touchés. Dans la mesure où, l’essentiel des marchandises importées du Mali passe par le port autonome de Dakar, ces violences auraient affecté le transit de marchandises du Mali par le Sénégal. Elles étaient estimées par le groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD) à 51% des importations nationales du Mali en 2008. La grandeur de ce chiffre peut s’expliquer par la crise politique de la Côte d’Ivoire en 2002 qui est le principal concurrent du Sénégal en Afrique de l’Ouest en matière de transport maritime. Aujourd’hui si ces violences persistent, le Mali n’envisagerait-il pas de transférer une bonne partie de son transit vers d’autres ports des pays de l’Afrique de l’Ouest ?
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Le terrain a ses réalités. La crise s’est invitée dans les discours. Ces derniers sont en réalité apparus par rapport au contexte mais plus particulièrement aux locuteurs. De ce fait, la « formation discursive » (Foucault) dans les événements que traverse le Sénégal peut-être scindée en deux axes: le discours militant et celui politique. Le premier dans la situation actuelle du pays a largement contribué à la construction de l’événement de la crise. Par conséquent deux question se posent: l’imaginaire sociopolitique n’est-il pas dégradé dans l’aspect discursif? Quelle place l’Homme occupe dans la production discursive? Ces questions nous amènent à prendre en considération les différentes formes de prise de position dans l’espace public. Ce dernier dit-on est conflictuel, car les acteurs qui y participent, sont dans des jeux de positionnement dans le « champ » (Bourdieu) ou la « sphère d’action sociale » (Charaudeau).

Par conséquent, les penseurs politiques tels que Habermas, Weber et Arenth ont chacun théorisé les effets discursifs sur le comportement des destinataires. Ainsi, nous notons une évolution discursive de la population (pour ne pas dire des partisans de Ousmane Sonko). De là, un bref rappel s’impose pour comprendre cette évolution discursive. Le leader du Parti Pastef avait annoncé dans un rassemblement (meeting à Keur Massar) que le mot d’ordre de la lutte est « Gatsa Gatsa » (œil pour œil, dent pour dent), mais après le verdict sur l’affaire du sweet beauty, nous constatons que le mot d’ordre soulevé par les internautes devient « Résistance » pour aboutir au « maintien ». Ce lexique de combat montre le niveau de violence de la lutte. Toutefois, l’évolution du lexique de ces jeunes sénégalais a été imposée par les sorties des différentes personnalités de l’Etat comme le Ministre de l’intérieur ou de la Direction de la sécurité publique. En effet, ces derniers ont déplacé le débat en instaurant de l’instance discursive un lexique comme : terroristes, forces occultes, étrangers, etc. Maintenant, nous notons que le débat a évolué en ne s’occupant pas des éléments premiers de la « lutte » ( justice, démocratie,…) mais de la non implication ou pas de l’Etat sur la question des « Nervis ». Ce procédé est-il une ruse des personnalités étatiques ? Quoi qu’il en soit ils ont réussi à détourner les bases du débat. Par conséquent, le leader de Pastef et sa condamnation sont aux abonnés absents des discussions dans l’espace public. Cela nous permet de distinguer l’instance citoyenne (qui gère les intérêts qui lui sont propres et la recherche de bien-être personnel) de l’instance politique (entité qui recouvre divers statuts et prend en charge le collectif dans sa globalité).

En outre, Patrick Charaudeau parlait de la situation de communication comme « le lieu institué socialement où s’inscrivent les conditions communicationnelles de l’échange sous la forme d’un contrat, lequel surdétermine le sujet qui donc n’y intervient pas ». En d’autres termes, le discours politique en ces périodes de crise mobilise certains éléments pour avoir un impact positif (persuasion) sur le public cible. Ainsi, l’agir communicationnel (Habermas) de l’Etat en ces périodes troubles est calibré de telle manière à avoir un impact considérable dans la suite de l’événement de la crise. In fine, le politique pour mieux persuader son auditoire utilise un lexique qui dans l’imaginaire de la population fait penser aux troubles des pays frontaliers (forces occultes, étrangers, terroristes). Ces termes font référence à un jargon autres que celui de la lutte pour la justice et la démocratie dans le pays. 

Ainsi, le débat se déplace avec une construction d’un discours qui va au delà de la situation que vivait la population dans l’affaire opposant Ousmane Sonko et Adji Sarr. Par conséquent pour conforter l’idée, le point de presse de la direction de la sécurité publique vient pour apporter une dose d’autorité dans l’argument du Ministre. D’autres parts, nous notons dans le discours du gouvernement un rapport de pouvoir entre les sujets. Ainsi, la sanction dont jouit l’Etat confère au sujet communicant une autorité. C’est ainsi que le ministre de l’intérieur dans son rôle de maintien de l’ordre utilise une tonalité autoritaire pour persuader son auditoire. Il a été dans sa sortie laconique et précis dans les détails et les décisions prises allant dans la restriction de certains réseaux sociaux. Force est de reconnaître que l’omerta des deux hommes (Ousmane Sonko et Macky Sall) est un signe d’apaisement de la situation comme pour dire que ces deux hommes parlent. Oui! Ils parlent. Il faut oser le dire sans détour ni tâtonnement dans le contexte macabre des manifestations.
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Notre pseudo-intellectualité nous a poussé à adopter jusque-là une démarche d’une certaine scientificité. Car comme le voudrait l’adage « l’intellectuel est un athlète de la pensée » et cet athlète a l’obligation de se prononcer à travers les mots sur les maux qui secouent sa communauté, sur tous les plans surtout quand ceux-ci impactent négativement sur la bonne marche de son pays. Partant de cette analyse absconse et abstruse du discours mené dans les deux sens, on peut admettre sans risque de se tromper que cette crise, aux enjeux multiples et variés, revêt un caractère similaire à un marasme politique sans équivalence. 

Avec son cortège de drame, cette crise, aux conséquences meurtrières et désastreuses,n’a épargné aucun secteur de la vie active notamment le numérique et l’Internet. La restriction de l'accès à l'internet par les données mobiles ou le « couvre-feu d’Internet » décrété par le gouvernement sénégalais, par un communiqué en date du 4 juin 2023, a plongé des millions d’utilisateurs des services numériques et des réseaux sociaux un désarroi profond. Ceci a poussé le ministre de l'Intérieur Antoine Félix Diome, lors d’une sortie médiatique, dans la nuit du 1er au 2 juin, à annoncer la suspension de « l'usage de certaines applications digitales par lesquelles se font les appels à la violence et à la haine ». Pour justifier cette mesure, le ministère de la Communication, des Télécommunications et de l'Economie numérique évoque « la diffusion de messages haineux et subversifs dans un contexte de trouble à l'ordre public dans certaines localités du territoire national ». Cette restriction traduit l’incapacité du gouvernement à pouvoir gérer cette crise ou bien à la maîtriser; le constat est simple : l’Etat s’est fragilisé et la République est dans la rue. Après « 30 morts », l’accès à l’Internet connait toujours des dysfonctionnements causés essentiellement par les décisions gouvernementales. Cette décision a affecté de nombreuses plateformes digitales ainsi que les principaux réseaux et médias sociaux dont YouTube, Facebook WhatsApp, Instagram, Twitter, Telegram, Tik Tok, Snapchat etc. Le Sénégal reste un pays avec un niveau de présence dans les Réseaux Sociaux énormes. Selon Digital Discover, en 2023 le Sénégal compte, 2,5 millions d'utilisateurs de Facebook, Plus de 950 000 sur Instagram et plus de 650 000 sur TikTok. En janvier 2023, le pays comptait plus de dix millions d'internautes dont 3,5 millions d'utilisateurs de médias sociaux, selon le site DataReportal.

Avec cette crise, nous assistons à un « Senegal des VPN ». Pour espérer un accès assez limité à l’Internet, les utilisateurs utilisent de VPN (Virtual Private Network ou encore Réseau Privé Virtuel en français) pour espérer se connecter à travers les réseaux sociaux. Il s'agit d'une application qui relie la connexion de l'appareil de l'utilisateur à Internet par le biais d'un serveur distant sécurisé. L'avantage majeur des VPN c'est qu'ils permettent de se protéger contre toute forme de surveillance et d'espionnage en ligne. Les VPN offrent la possibilité de déjouer « la censure numérique » provoquée le régime de Macky.

Néanmoins, les VPN ont l'inconvénient de ne pas être légaux dans certains pays et parfois de ralentir la connexion internet et la rendre instable. Cette mesure a impacté l'économie, déjà malmenée par les troubles qui ont agité le pays depuis le début des affrontements, mais aussi le quotidien des sénégalais, rappelant combien, l'internet a révolutionné leur vie.

D’autres conséquences ont découlé de cette décision attentatoire à des libertés élémentaires comme le droit à l’information et la détérioration de la situation des droits de l’homme tant combattu par certains organismes internationaux. Il est primordial de noter que « L'accès à l'information est un droit consacré par la Constitution sénégalaise, mais aussi dans des conventions internationales que le pays a ratifiées ». Alors qu'il joue un rôle important dans le contrôle citoyen et dans la manifestation de la citoyenneté, l'accès à l'information reste touiours relatif au Sénégal.

Cette crise a plombé aussi le secteur banquier à travers les opérateurs de paiement et de transfert d’argent qui se font via l’Internet par les données mobiles principalement. Pour faire ses achats élémentaires, les sénégalais utilisent le plus souvent Orange Money ou Wave ou Kpay. Avec la coupure des données mobiles, cette facilité est remise en cause. 

Fort de ces constats, beaucoup d’organismes internationaux ont jugé cette restriction des données d’une atteintes aux libertés fondamentales des peuples et d’un état de recul immense de la démocratie. De nombreuses ONG comme Amnesty  International ou Human Rights Watch ou le Réseau des entreprises du secteur des
technologies de l'information et de la communication (Restic) ou Depuis Nairobi, Paradigm Initiative (PIN), organisation panafricaine engagée dans la promotion des droits numériques et de l'inclusion digitale ont réclamé le rétablissement de l'accès à internet, en plus de l'arrêt de la "répression" exercée selon elles par les autorités. « Le RESTIC estime que les coupures d'internet c'est 12 milliards de pertes par jour pour l'économie formelle et informelle si l'on sait que le digital et le numérique c'est 12% du PIB du Sénégal ». Une heure d’Internet perdue est équivalente à une heure de travail perdue par tout utilisateur de données mobiles Internet.

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In fine, cette crise a montré les défaillances de notre système sécurité (informatique), de nos institutions judiciaires et a mis l’Etat en 04 appuis et aussi de l’ingéniosité des populations à contourner certaines restrictions gouvernementales. Même si l’Etat doit être toujours fort, la volonté de la rue l’a fait trembler. Le Sénégal peut sortir de cette tragédie par une palinodie générale accompagnée d’une capacité de résilience qui sera proportionnelle à l’affront causé et non pas à une réaction épidermique.

Nous sommes convaincus que la paix sociale est au-dessus de toute chose y compris des personnes de Macky Sall, Ousmane Sonko et Adji Sarr. Cette crise devra nous permettre de rebâtir le Sénégal sous de nouvelles bases en renforçant les acquis démocratiques, en fortifiant nos institutions républicaines, en coudant le tissu social qui s’est fissuré, en mettant en avant l’intérêt supérieur de la nation sur les clivages politiques et les avantages personnels. Cela permettra de garantir une paix durable accompagnée d’une réconciliation sociale.
Que le salut du peuple soit la loi suprême.
Vive le Sénégal 🇸🇳 

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Hamat SECK
Chercheur sur le transport et la mobilité durable
Laboratoire Leïdi/UGB
hamatseck10@gmail.com
Modou DIONE
Chercheur en Analyse du discours politique en temps de crise
GRADIS (Groupe de Recherches en Analyse des Discours Sociaux) 
dione.modou1@ugb.edu.sn
Alioune GUEYE
Chercheur Mathématiques et Applications
Laboratoire d’Algèbre, Cryptographies, Codes et Applications (LACCA)/ UGB
gueye.alioune2@ugb.edu.sn


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