Déboulonner la statue de Faidherbe que l’ardeur corrosive du temps a fini par terrasser sans bruit, ou conserver en un lieu dédié cet ornement devenu peu singulier voire banalisé, est-ce là le vrai enjeu pour la résurrection nécessaire de Ndar, ce “hyper lieu” de l’hospitalité, du métissage, du brassage ethnique, culturel, religieux, social et de l’acceptation de la différence?
Cette contribution se veut un plaidoyer pour que l’ile de Ndar soit une ville musée préservée et reconstruite pour lui redonner son lustre d’antan et la sauvegarder du péril d’une possible disparition du fait de l’élargissement continu de la brèche . Elle ambitionne aussi d’inviter le conseil municipal de la ville à consacrer formellement Baya Ndar, le carrefour qui relie les quartiers du Nord et du Sud et ainsi tourner la page de la Place Faidherbe en réhabilitant le vocable par lequel les Ndar- Ndar appellent cette place si symbolique.
DU GOUVERNEUR FAIDHERBE ET DE SA STATUE : UN DEBAT DEJA BIEN DOCUMENTÉ
Au regard des enjeux que représente l’Afrique dans le jeu mondial, il ne manque pas des batailles plus urgentes que le parachèvement de la décolonisation de l’Afrique dans l’intérêt des communautés et peuples africains. La statue de Faidherbe à Saint –Louis ne me semble pas revêtir la place et l’importance que les activistes lui accordent subitement dans l’imaginaire des Sénégalais et en premier lieu des habitants de Saint louis. Ce monument de Faidherbe subit au quotidien, tel un supplice divin, le verdict des intempéries, celles maussades des pluies acides de nos contrées sahéliennes qui, avec la critique rongeuse du temps, l’ont dénudée, lui laissant par oxydation du bronze ou cuivre, une triste couleur vert – de - gris, expression naturelle d’une saleté crasseuse.
Dans le référentiel traditionnel de salubrité des habitants de la vieille ville : « sa tilimayou vert- de- gris, ngâ saff statue Faidherbe » («Tu es aussi sale que la teinte, vert- de- gris de la statue de Faidherbe ») n’est- elle pas une forme satyrique de mépris d’une figure que les populations de Ndar n’ont réellement jamais admirée?
Et la question légitime du citoyen Momar Guèye, depuis toujours résolument engagé dans la défense du patrimoine de sa cité, trouve toute sa pertinence: « Pourquoi donc subitement s’acharner contre une statue, objet inerte en bronze et en marbre que les Saint - Louisiens n’ont jamais vénéré, jamais honoré, jamais glorifié, jamais fêté?» Fadel Dia, un fin connaisseur de Ndar et de ses spécificités, rapporte dans son article bien documenté : « Adieu Saint –Louis, bonjour Ndar ».
L’anecdote relative à la cérémonie de jumelage Lille - de Saint Louis du Sénégal où Pierre Maurois, Maire socialiste de la ville, s’est offusqué du discours officiel de valorisation de Faidherbe le lillois par son collègue, le premier magistrat de la ville de Saint-Louis de l’époque.
Assurément la ville de Saint-Louis , écartelée entre son identité africaine et son passé colonial, n’échappe pas au redoutable dilemme de type Samba Diallo : «Il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un même choix, il y a une nature étrange en détresse de n’être pas deux.» . Toujours, à la faveur des efforts de documentation du débat sur le personnage de Faidherbe, un précieux article de recherche en histoire publié en 1974 et intitulé : « Aux origines de l’Africanisme : Le rôle de l’œuvre ethno-historique de Faidherbe dans la conquête Française du Sénégal », a été fort heureusement exhumé. Pr Bathily a clarifié certains aspects du débat sur le rôle et la place de Faidherbe dans l’édification du « sanglant monument de l’ère tutélaire», dans une optique de démystification du personnage, selon sa propre expression. Il n’en reconnaissait pas moins la remarquable contribution de Faidherbe et de son régime à la connaissance du Sénégal ancien.
Dans un plus récent article de presse, le Pr Kalidou Diallo du département d’histoire de l’ UCAD est revenu, dans le même sens et avec force détails sur les cruautés du Général Faidherbe, il met en valeur quelques aspects consolidant et élargissant des recherches en sciences sociales relatives à la colonisation, confirmant ainsi le rôle de veille stratégique de « l’Ecole de Dakar » et dont la consultation des travaux de recherche universitaire doit être un préalable à tout débat sur une question de notre histoire nationale. - Nous retiendrons par ailleurs trois grandes stratégies de Faidherbe, qui ont fortement structuré sa mise en œuvre de la politique coloniale. D’abord, la création en 1856 de l’Ecole des otages qui a fourni les premiers auxiliaires africains destinés à renforcer l’appareil administratif de la colonie.
Ensuite la création en 1857 du corps des spahis qui a servi de force militaire pour les conquêtes coloniales. Enfin la création en 1857 d’un tribunal musulman reconnu par l’État colonial comme un élément central de l’appareil judiciaire colonial. La création de ce tribunal est le résultat de près d’un quart de siècle de pressions politiques exercées par la population musulmane de Saint-Louis pour que soit reconnue la charia comme moyen de régler les litiges civils entre musulmans.
LA VIE QUOTIDIENNE DES DOMOU NDAR, UN PATRIMOINE IMMATERIEL
Les faits et évènements historiques qui ont engendré à Saint Louis un melting- pot n’en resteront pas moins sacrés jusque dans leur cruauté. En effet, Saint Louis, par sa position stratégique dans le cadre d’une vaste économie mondiale marquée par le commerce triangulaire, comptabilise une première strate d’un lourd passé de traite négrière comme souligné par Jean Pierre Dozon dans son magnifique ouvrage intitulé : « Saint – Louis du Sénégal : Palimpseste d’une ville». Cette première strate temporelle de 1659 à la Révolution française, est celle du passé esclavagiste de Saint – Louis, insuffisamment assumé. En effet, selon J P Dozon, « Par un procédé d’auto-fiction rare, Saint Louis refoule les représentations de son passé esclavagiste, sa première marque identitaire. » Cet héritage ou patrimoine immatériel a été soigneusement documenté et courtoisement restitué à la mémoire de la ville, comme personne d’autre ne pouvait le faire que Abdoul Hadir Aïdara, ancien Directeur du Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal ( CRDS). Ses fortes impressions sont minutieusement consignées, fort heureusement, sous une belle plume dans un livre intitulé : «Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui».
Le domou Ndar aujourd’hui interpellé c’est bien celui unique que nul mieux que Jean Pierre Dozon, cet autre Saint Louisien d’adoption, définit de manière géniale en ces termes : « cet entre-monde devenu un entre soi suffisamment consistant pour revendiquer son propre style de vie .» C’est pour la préservation de cet extraordinaire patrimoine aujourd’hui menacé que depuis 2000, l’île de Ndar est classée patrimoine mondial par l’UNESCO. Qu’implique dès lors, le devoir de préservation d’un patrimoine mondial ? La responsabilité de préservation et de gestion d’un tel héritage historique incombe à nous tous. Toutefois plusieurs défis urgents sont à relever.
REDONNER A SAINT LOUIS MENACE, LES MOYENS DE SON SITE POUR UN NOUVEL AVENIR
Il s’agit de tourner la page de Saint-Louis façonnée pour les besoins de l’expansion de la France en Afrique de l’Ouest et de nous ceindre les reins pour reconstruire ce bijou de la nature à l’image d’une belle cité toujours tournée vers l’ouverture et l’accueil de l’autre. Quelques pistes sont esquissées pour être approfondies et concrétisées par les filles et fils du Sénégal et en particulier par les Ndar Ndar:
- Une urgence signalée clignotant au rouge : Refermer la brèche: Afin de rétablir l’équilibre d’un milieu naturel agressé et fragilisé ;
- Redonner vigueur et robustesse aux infrastructures qui portent la ville notamment les ponts et travaux d’hydraulique et d’assainissement; - Lever les fonds nécessaires à la rénovation de la ville et à la restauration du patrimoine ;
- Mettre en place un large répertoire des ressources humaines ,y compris de la diaspora sénégalaise, des compétences, scientifiques et techniques, engagées pour la reconstruction, la rénovation de Ndar ; - Inventorier et restaurer le patrimoine architectural encore debout ;
- Mettre en place un dispositif de gouvernance et de gestion concertée du patrimoine sous la coordination des Ministères , institutions et instances de délibération concernées ;
- Mettre en place en accord avec l’UNESCO, un comité scientifique international pour la préservation et la fructification du patrimoine historique ; Après avoir renoué avec le génie et la tradition de bâtisseur des fondateurs de la ville qui ont vaincu plusieurs contraintes et obstacles, nous pourrons alors sans aucune pression, baptiser et poursuivre avec responsabilité et sérénité, le travail de débaptisation des anciennes rues et édifices que les différents conseils municipaux qui ont eu le privilège d’administrer la cité, ont commencé depuis longtemps.
Les ponts Servatius et de la Geôle, ne sont – ils pas respectivement devenus : Moustapha Malick Gaye et Dr. Masseck Ndiaye ? Les populations autochtones de la vieille cité ont quant à elles depuis toujours consacré les appellations respectives de « Pomu Get Ndar » et « Pomu Loodo ». Il en va de même de « Pomu Teenjigeen » en lieu et place de Pont Faidherbe, nom imposé par décision administrative de l’autorité coloniale. Ceux qui ont moins de vingt ans savent –ils que l’avenue Seydi Ababacar Sy s’appelait : André Lebon ? Il est incontestable que, la statue de Faidherbe à « Baya », avec la mention : « Au gouverneur Faidherbe, le Sénégal reconnaissant », est devenue insolite depuis, au moins le 04 Avril 1960. Cette œuvre d’art coloniale oubliée à Saint Louis par la France, fera peut-être un jour objet de demande de restitution.
En tout cas , face à l’inertie des générations, le verdict implacable du temps qui l’a mise à terre, semble avoir devancé le mouvement actuel des activistes . En réalité, le nom générique et populaire : « BAYA » désignant cette place , témoin des évènements les plus marquants de l’histoire de la ville , a été usurpé. Cette place mythique reste encore objet de convoitises multiples , au point qu’on est tenté de nous poser la question : « kou gnouye kheuthiôle Baya ? » (Qui ose disputer aux citoyens de la ville , la paternité de la place et du patronyme : BAYA ? )
La persistance du terme populaire de Bayaal ou Baya dans la mémoire collective, selon la position insulaire ou continentale, est l’expression d’une longue résilience des populations de Saint Louis à la décision de l’autorité coloniale de baptiser cette place centrale du nom de Faidherbe.
Arrivé à Saint- Louis, ville amphibie et lumineuse, que je découvris au début des années soixante dix, j’avais retenu de mon professeur d’espagnol, le talentueux Doudou Diène, cette belle phrase de grand débutant : « Los pescadores de San - Louis vivén en el barrio de Guet Ndar » (« Guet Ndar est le quartier des pêcheurs de Saint -Louis » ). Aujourd’hui que des familles entières de pêcheurs sont déplacées vers Ngallele, pour échapper à la furie de plus en plus dévastatrice et meurtrière des vagues, la belle phrase du Professeur Diène, au-delà de sa beauté sémantique, perd toute sa consistance.
CONCLUSION
A l’image du musée de la Plantation de Whitney en Louisiane qui a décidé d’immortaliser la barbarie pour mieux pardonner et avancer dans la longue route de l’HISTOIRE; faisons de l’île de Ndar, un laboratoire et un musée d’histoire coloniale du Sénégal. Musée global dont la gestion scientifique devrait revenir légitimement au Centre de Recherche et de Documentation du Sénégal (CRDS) de l’Université Gaston Berger de Saint- Louis (UGB), institution prestigieuse, et appropriée pour à héberger dans son riche musée.
ABABACAR GAYE FALL (BABS)
Professeur d’Histoire et de Géographie à la retraite
Chargé de mission à l’Institut d’Etudes Avancées ( IEA) de Saint- Louis du Sénégal.
Email : babsgfall@gmail.com
www.iea-saintlouis.sn
Cette contribution se veut un plaidoyer pour que l’ile de Ndar soit une ville musée préservée et reconstruite pour lui redonner son lustre d’antan et la sauvegarder du péril d’une possible disparition du fait de l’élargissement continu de la brèche . Elle ambitionne aussi d’inviter le conseil municipal de la ville à consacrer formellement Baya Ndar, le carrefour qui relie les quartiers du Nord et du Sud et ainsi tourner la page de la Place Faidherbe en réhabilitant le vocable par lequel les Ndar- Ndar appellent cette place si symbolique.
DU GOUVERNEUR FAIDHERBE ET DE SA STATUE : UN DEBAT DEJA BIEN DOCUMENTÉ
Au regard des enjeux que représente l’Afrique dans le jeu mondial, il ne manque pas des batailles plus urgentes que le parachèvement de la décolonisation de l’Afrique dans l’intérêt des communautés et peuples africains. La statue de Faidherbe à Saint –Louis ne me semble pas revêtir la place et l’importance que les activistes lui accordent subitement dans l’imaginaire des Sénégalais et en premier lieu des habitants de Saint louis. Ce monument de Faidherbe subit au quotidien, tel un supplice divin, le verdict des intempéries, celles maussades des pluies acides de nos contrées sahéliennes qui, avec la critique rongeuse du temps, l’ont dénudée, lui laissant par oxydation du bronze ou cuivre, une triste couleur vert – de - gris, expression naturelle d’une saleté crasseuse.
Dans le référentiel traditionnel de salubrité des habitants de la vieille ville : « sa tilimayou vert- de- gris, ngâ saff statue Faidherbe » («Tu es aussi sale que la teinte, vert- de- gris de la statue de Faidherbe ») n’est- elle pas une forme satyrique de mépris d’une figure que les populations de Ndar n’ont réellement jamais admirée?
Et la question légitime du citoyen Momar Guèye, depuis toujours résolument engagé dans la défense du patrimoine de sa cité, trouve toute sa pertinence: « Pourquoi donc subitement s’acharner contre une statue, objet inerte en bronze et en marbre que les Saint - Louisiens n’ont jamais vénéré, jamais honoré, jamais glorifié, jamais fêté?» Fadel Dia, un fin connaisseur de Ndar et de ses spécificités, rapporte dans son article bien documenté : « Adieu Saint –Louis, bonjour Ndar ».
L’anecdote relative à la cérémonie de jumelage Lille - de Saint Louis du Sénégal où Pierre Maurois, Maire socialiste de la ville, s’est offusqué du discours officiel de valorisation de Faidherbe le lillois par son collègue, le premier magistrat de la ville de Saint-Louis de l’époque.
Assurément la ville de Saint-Louis , écartelée entre son identité africaine et son passé colonial, n’échappe pas au redoutable dilemme de type Samba Diallo : «Il n’y a pas une tête lucide entre deux termes d’un même choix, il y a une nature étrange en détresse de n’être pas deux.» . Toujours, à la faveur des efforts de documentation du débat sur le personnage de Faidherbe, un précieux article de recherche en histoire publié en 1974 et intitulé : « Aux origines de l’Africanisme : Le rôle de l’œuvre ethno-historique de Faidherbe dans la conquête Française du Sénégal », a été fort heureusement exhumé. Pr Bathily a clarifié certains aspects du débat sur le rôle et la place de Faidherbe dans l’édification du « sanglant monument de l’ère tutélaire», dans une optique de démystification du personnage, selon sa propre expression. Il n’en reconnaissait pas moins la remarquable contribution de Faidherbe et de son régime à la connaissance du Sénégal ancien.
Dans un plus récent article de presse, le Pr Kalidou Diallo du département d’histoire de l’ UCAD est revenu, dans le même sens et avec force détails sur les cruautés du Général Faidherbe, il met en valeur quelques aspects consolidant et élargissant des recherches en sciences sociales relatives à la colonisation, confirmant ainsi le rôle de veille stratégique de « l’Ecole de Dakar » et dont la consultation des travaux de recherche universitaire doit être un préalable à tout débat sur une question de notre histoire nationale. - Nous retiendrons par ailleurs trois grandes stratégies de Faidherbe, qui ont fortement structuré sa mise en œuvre de la politique coloniale. D’abord, la création en 1856 de l’Ecole des otages qui a fourni les premiers auxiliaires africains destinés à renforcer l’appareil administratif de la colonie.
Ensuite la création en 1857 du corps des spahis qui a servi de force militaire pour les conquêtes coloniales. Enfin la création en 1857 d’un tribunal musulman reconnu par l’État colonial comme un élément central de l’appareil judiciaire colonial. La création de ce tribunal est le résultat de près d’un quart de siècle de pressions politiques exercées par la population musulmane de Saint-Louis pour que soit reconnue la charia comme moyen de régler les litiges civils entre musulmans.
LA VIE QUOTIDIENNE DES DOMOU NDAR, UN PATRIMOINE IMMATERIEL
Les faits et évènements historiques qui ont engendré à Saint Louis un melting- pot n’en resteront pas moins sacrés jusque dans leur cruauté. En effet, Saint Louis, par sa position stratégique dans le cadre d’une vaste économie mondiale marquée par le commerce triangulaire, comptabilise une première strate d’un lourd passé de traite négrière comme souligné par Jean Pierre Dozon dans son magnifique ouvrage intitulé : « Saint – Louis du Sénégal : Palimpseste d’une ville». Cette première strate temporelle de 1659 à la Révolution française, est celle du passé esclavagiste de Saint – Louis, insuffisamment assumé. En effet, selon J P Dozon, « Par un procédé d’auto-fiction rare, Saint Louis refoule les représentations de son passé esclavagiste, sa première marque identitaire. » Cet héritage ou patrimoine immatériel a été soigneusement documenté et courtoisement restitué à la mémoire de la ville, comme personne d’autre ne pouvait le faire que Abdoul Hadir Aïdara, ancien Directeur du Centre de Recherches et de Documentation du Sénégal ( CRDS). Ses fortes impressions sont minutieusement consignées, fort heureusement, sous une belle plume dans un livre intitulé : «Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui».
Le domou Ndar aujourd’hui interpellé c’est bien celui unique que nul mieux que Jean Pierre Dozon, cet autre Saint Louisien d’adoption, définit de manière géniale en ces termes : « cet entre-monde devenu un entre soi suffisamment consistant pour revendiquer son propre style de vie .» C’est pour la préservation de cet extraordinaire patrimoine aujourd’hui menacé que depuis 2000, l’île de Ndar est classée patrimoine mondial par l’UNESCO. Qu’implique dès lors, le devoir de préservation d’un patrimoine mondial ? La responsabilité de préservation et de gestion d’un tel héritage historique incombe à nous tous. Toutefois plusieurs défis urgents sont à relever.
REDONNER A SAINT LOUIS MENACE, LES MOYENS DE SON SITE POUR UN NOUVEL AVENIR
Il s’agit de tourner la page de Saint-Louis façonnée pour les besoins de l’expansion de la France en Afrique de l’Ouest et de nous ceindre les reins pour reconstruire ce bijou de la nature à l’image d’une belle cité toujours tournée vers l’ouverture et l’accueil de l’autre. Quelques pistes sont esquissées pour être approfondies et concrétisées par les filles et fils du Sénégal et en particulier par les Ndar Ndar:
- Une urgence signalée clignotant au rouge : Refermer la brèche: Afin de rétablir l’équilibre d’un milieu naturel agressé et fragilisé ;
- Redonner vigueur et robustesse aux infrastructures qui portent la ville notamment les ponts et travaux d’hydraulique et d’assainissement; - Lever les fonds nécessaires à la rénovation de la ville et à la restauration du patrimoine ;
- Mettre en place un large répertoire des ressources humaines ,y compris de la diaspora sénégalaise, des compétences, scientifiques et techniques, engagées pour la reconstruction, la rénovation de Ndar ; - Inventorier et restaurer le patrimoine architectural encore debout ;
- Mettre en place un dispositif de gouvernance et de gestion concertée du patrimoine sous la coordination des Ministères , institutions et instances de délibération concernées ;
- Mettre en place en accord avec l’UNESCO, un comité scientifique international pour la préservation et la fructification du patrimoine historique ; Après avoir renoué avec le génie et la tradition de bâtisseur des fondateurs de la ville qui ont vaincu plusieurs contraintes et obstacles, nous pourrons alors sans aucune pression, baptiser et poursuivre avec responsabilité et sérénité, le travail de débaptisation des anciennes rues et édifices que les différents conseils municipaux qui ont eu le privilège d’administrer la cité, ont commencé depuis longtemps.
Les ponts Servatius et de la Geôle, ne sont – ils pas respectivement devenus : Moustapha Malick Gaye et Dr. Masseck Ndiaye ? Les populations autochtones de la vieille cité ont quant à elles depuis toujours consacré les appellations respectives de « Pomu Get Ndar » et « Pomu Loodo ». Il en va de même de « Pomu Teenjigeen » en lieu et place de Pont Faidherbe, nom imposé par décision administrative de l’autorité coloniale. Ceux qui ont moins de vingt ans savent –ils que l’avenue Seydi Ababacar Sy s’appelait : André Lebon ? Il est incontestable que, la statue de Faidherbe à « Baya », avec la mention : « Au gouverneur Faidherbe, le Sénégal reconnaissant », est devenue insolite depuis, au moins le 04 Avril 1960. Cette œuvre d’art coloniale oubliée à Saint Louis par la France, fera peut-être un jour objet de demande de restitution.
En tout cas , face à l’inertie des générations, le verdict implacable du temps qui l’a mise à terre, semble avoir devancé le mouvement actuel des activistes . En réalité, le nom générique et populaire : « BAYA » désignant cette place , témoin des évènements les plus marquants de l’histoire de la ville , a été usurpé. Cette place mythique reste encore objet de convoitises multiples , au point qu’on est tenté de nous poser la question : « kou gnouye kheuthiôle Baya ? » (Qui ose disputer aux citoyens de la ville , la paternité de la place et du patronyme : BAYA ? )
La persistance du terme populaire de Bayaal ou Baya dans la mémoire collective, selon la position insulaire ou continentale, est l’expression d’une longue résilience des populations de Saint Louis à la décision de l’autorité coloniale de baptiser cette place centrale du nom de Faidherbe.
Arrivé à Saint- Louis, ville amphibie et lumineuse, que je découvris au début des années soixante dix, j’avais retenu de mon professeur d’espagnol, le talentueux Doudou Diène, cette belle phrase de grand débutant : « Los pescadores de San - Louis vivén en el barrio de Guet Ndar » (« Guet Ndar est le quartier des pêcheurs de Saint -Louis » ). Aujourd’hui que des familles entières de pêcheurs sont déplacées vers Ngallele, pour échapper à la furie de plus en plus dévastatrice et meurtrière des vagues, la belle phrase du Professeur Diène, au-delà de sa beauté sémantique, perd toute sa consistance.
CONCLUSION
A l’image du musée de la Plantation de Whitney en Louisiane qui a décidé d’immortaliser la barbarie pour mieux pardonner et avancer dans la longue route de l’HISTOIRE; faisons de l’île de Ndar, un laboratoire et un musée d’histoire coloniale du Sénégal. Musée global dont la gestion scientifique devrait revenir légitimement au Centre de Recherche et de Documentation du Sénégal (CRDS) de l’Université Gaston Berger de Saint- Louis (UGB), institution prestigieuse, et appropriée pour à héberger dans son riche musée.
ABABACAR GAYE FALL (BABS)
Professeur d’Histoire et de Géographie à la retraite
Chargé de mission à l’Institut d’Etudes Avancées ( IEA) de Saint- Louis du Sénégal.
Email : babsgfall@gmail.com
www.iea-saintlouis.sn