Lors de sa visite économique dans la région sud du Sénégal, un des pôles touristiques majeurs du pays, le Président de la République, en réponse aux cris de détresse des acteurs du tourisme avait envisagé des mesures tendant à supprimer certaines taxes relatives à l'exercice de l'activité touristique.
Dans son adresse à la Nation le 3 avril 2015, le Président annonce, à cet effet, (i) la suppression du visa d'entrée, (ii) la baisse de 50% de la parafiscalité sur le billet d’avion ainsi que la suppression du droit de timbres, (iii) la possibilité, en relation avec les compagnies aériennes, de réduire la surcharge carburant et (iv) la mise en place d'un fonds de crédit de 5 milliards de FCFA pour accompagner le secteur hôtelier, entre autres.
En prenant de telles mesures, le Président de la République visait le redressement, la relance et l'émergence du secteur touristique sénégalais largement éprouvé par la conjugaison de plusieurs facteurs internes et externes. En effet, le secteur s'est progressivement positionné en tant que second fournisseur de revenus et de devises après la pêche grâce à une politique volontariste de l'Etat à partir des années septante.
Cependant, au cours des deux dernières décennies, le secteur a connu une évolution en dents de scie avec une baisse drastique du nombre de touristes. En 2014, par exemple, le nombre d'arrivées est estimé à moins de 500.000. Ces contreperformances du secteur ont amené l'Etat à prendre des mesures vigoureuses visant la relance touristique. Mais à l'évidence, parmi les goulots d'étranglement du tourisme figurent l'imperfection de sa gouvernance, la prédominance d'un discours idéaliste et l'insuffisance des indicateurs de mesure et d'évaluation corrects du secteur. D'ou la nécessité de mettre en place, à l'image des grandes destinations touristiques africaines comme le Maroc et l'Afrique du Sud, un compte satellite tourisme avec des indicateurs de mesure partagés. Ces indicateurs permettront d'une part d'évaluer de manière plus crédible l'apport du secteur dans le développement et l'économie et éclairer correctement la prise de décision des autorités et ainsi éviter de revenir d'une année à l'autre sur des décisions déjà entérinées à l'exemple de l'instauration / suppression, en moins de 2 ans, du visa d'entrée. L'instauration du visa d'entrée, en dépit des questions de réciprocité qui l'imposaient, demeurait également un argument sécuritaire décisif face à la menace terroriste préjudiciable à l'essor touristique.
Par ailleurs, dans un autre registre, le Président annonçait dans son discours de manière quasiment expéditive et anonyme, que ces mesures participaient aussi à ''l'allègement des frais de voyage des compatriotes sénégalais de la diaspora''. Cette annonce, nonobstant le fait qu'elle ne constitue pas l'objectif principal des mesures à prendre par le Gouvernement, est, à notre avis, d'une portée sociale, stratégique et économique inestimables autant pour le tourisme international que pour l'émergence d'une autre forme de tourisme dont les sénégalais de l'extérieur seront les principaux acteurs. Certes, le Président semble condensé son propos, mais à l'évidence celui-ci suggère une nouvelle stratégie de diversification touristique pouvant compenser les pertes à enregistrer (8millards) dans le cadre de la mise en œuvre de ces mesures à la condition de prendre toute la profondeur de la question.
En effet ces nouvelles orientations promeuvent une forme de tourisme communément appelée "VRT/ tourim" (Visiting Friends and Relatives) dont les sénégalais de l'extérieur seront le fer de lance. En réduisant les coûts des billets d'avion vers Dakar, le Gouvernement encourage les visites des sénégalais de la diaspora dont la cherté de la destination Sénégal limitait la fréquence. Parce que compte tenu des conditions parfois très difficiles à l'étranger ces dernières années avec la crise mondiale, les sénégalais de la diaspora sont habités par l'angoisse de se procurer un billet à moindre coût pour leur retour périodique mérité au bercail. Si certains se permettaient jadis d'un retour semestriel, ce fait devient de plus en plus rare et fait place à des retours mouvementés, plusieurs fois repoussés faute d'un billet d'avion à moindre coût. En outre, si le billet électronique (par internet) est jugé moins cher que celui acheté à l'agence, ils sont beaucoup à ne pouvoir utiliser cet outil pour diverses raisons (méfiance envers le paiement électronique, ou absence de cartes de crédit etc.).
Ainsi, l'allégement du prix du billet d'avion serait d'une part une véritable bouffée d'oxygène pour ces vaillants compatriotes en séjour à l'étranger et d'autre part le déclencheur d'une autre forme de tourisme dont ils seront les vecteurs. D'ailleurs, depuis l'annonce de cette mesure favorablement accueillie, il a été noté auprès de nos compatriotes avec qui nous discutons un immense et réel espoir.
Nous les entendons dire : "enfin nous pouvons faire comme les marocains, c'est à dire retourner régulièrement au "Djollof" avec la chute de 50% du prix du billet d'avion". C'est effectivement en les voyant presque jubiler suite à l'annonce de cette mesure que s'est construite la présente contribution basée et alimentée par nos notes de recherches doctorales. Certes leur propos/ sentiment est assez simpliste d'une réalité plus technique et plus complexe, mais il met en évidence toute la portée sociale de la mesure sur leurs conditions psychologiques, sociales et économiques. Car en vérité, l'analyse de la structuration des billets d'avion montre le poids non négligeable des taxes et de la surcharge de carburant sur le prix du billet d'avion au consommateur.
Ce cumul représenterait de 40 à plus de 70% ; la surcharge de carburant à elle seule représente pas moins de 30%. A titre illustratif, l'analyse de la structuration d'un billet d'avion en classe économique Dakar/ Bruxelles/ Dakar d'une compagnie aérienne reliant quotidiennement Dakar à certaines capitales européennes d'un montant de 559.400 F CFA TTC XOF comporte pas moins de 400.000 F CFA de taxes, redevances et frais y compris une surcharge de carburant de prés de 220.000 F CFA. Une autre compagnie réputée pour ces prix très économiques, proposait à la même période un tarif de 381.865 dont 294.095 F CFA XOF de taxes, redevances et dont la surcharge de carburant représentait pas moins de 180.000 FCFA. Ainsi, la baisse substantielle des taxes, redevances et surcharge de carburant, devrait faire baisser considérablement le prix du billet d'avion au consommateur. La surcharge de carburant instaurée en 2008 par les compagnies aériennes pour faire face à la flambée du prix du baril de pétrole à partir de 2008, devrait être revue à la baisse, à défaut de sa suppression, en raison de la baisse historique du prix du pétrole actuellement.
En effet, admettons alors que le cumul de la baisse de toutes les taxes, redevances, frais et de la surcharge de carburant soit égal à 40% du prix au consommateur. Dans ce cas, les prix précités seraient respectivement de 335.640 CFA TTC et 229.119 CFA TTC. Ce qui constituerait une véritable avancée dans la promotion de la destination Sénégal. Ainsi, le Gouvernement, après avoir concédé volontairement la moitié des sommes dues, devrait convaincre fermement les compagnies aériennes à opérer la baisse de la charge de carburant, et éventuellement aux pays amis, la baisse, ne serait que provisoire (d'ici 5ans), des taxes et redevances aéroportuaires et autres frais afférent à l'exploitation des équipements aéroportuaires. La suppression de la surcharge de carburant n'étant pas impossible avec la baisse vertigineuse du prix du baril de pétrole. Et les compagnies aériennes devraient accompagner l'Etat dans ce sens étant entendu qu'elles seront les principales bénéficiaires d'une bonne santé de la destination Sénégal avec l'arrivée massive des touristes et des sénégalais de la diaspora.
En outre, dans le cadre de la promotion de la destination Sénégal, l'Etat devrait davantage "ouvrir son ciel (open sky) par l'introduction du système transport aérien "low cost". A ce sujet, Saint-Louis, avec sa position géographique confortable, pourrait être le réceptacle de ce système de transport aérien en prenant relais sur Casablanca dont il est à environ 2 heures de vol. Ainsi, ce renforcement de l'ouverture du ciel installera une véritable concurrence entre compagnies ; et les passagers devraient bénéficier de la compétition qu'elles se livreront sur la destination Sénégal pour bénéficier de tarifs très réduits. L'exemple du Cap Vert devrait inspirer le Sénégal dont l'émergence touristique est en grande partie due à l'absence de taxes et autres redevances sur le transport aérien à destination de PRAIA.
C'est pour dire combien la mesure de l'allégement du prix du billet d'avion pourrait rendre plus compétitive et attractive la destination Sénégal autant pour le tourisme international que le visiting friends and relatives. Avec la baisse du billet d'avion, les sénégalais de la diaspora seraient alors plus enclins à séjourner de manière plus rapprochée et régulière au Sénégal et cela pourrait stopper progressivement, le phénomène de leur établissement à l'étranger que les pays occidentaux, , encouragent face au vieillissement de leur population.
Enfin, cette contribution qui est une note de recherche a pour objectif de contribuer, suite aux mesures envisagées par l'Etat, à la réflexion sur la relance et l'émergence du secteur du tourisme dont les impacts directs, indirects ou les effets induits sur les autres secteurs de la vie sociale et économique ne sont plus à démonter. Ici, il est mis en exergue, les retombées sociales et économiques des mesures sur le tourisme sur l'amélioration des conditions sociales et économiques des sénégalais de l'extérieur et l'émergence d'une nouvelle forme de tourisme dont ces derniers seront les vecteurs. Loin de nous par contre l'idée ou la volonté de critiquer les actes posés ou envisagés par le gouvernement. Il s'agit simplement d'apporter notre contribution à la construction de l'émergence du Sénégal sur un secteur d'actualité sur lequel portent nos interrogations scientifiques.
Dans l'espoir que cette contribution sera utile et constructive à l'émergence du Sénégal.
Par Aly SINE, Chercheur en cotutelle
Université Gaston Berger de Saint-Louis
Université Libre de Bruxelles
Laboratoire Interdisciplinaire Tourisme, Territoires et Sociétés (LIToTeS)
Email: alysine@ulb.ac.be
Bruxelles, le 23 avril 2015