Monsieur l’Abbé, lorsqu’on vend de la vertu, il faut en montrer un échantillon.
J’ai lu et relu votre lettre ouverte implicitement adressée au Premier Ministre Monsieur Osmane Sonko. De l’époque du Saint Cardinal Yacinthe Thiandoum (dont les discours ont bercé mon enfance) à nos jours, les saints hommes de l’Eglise sénégalaise nous avaient habitués à une élocution pondérée et courtoise, des analyses pointues sur notre société, des réflexions profondes sur nos rapports à Dieu et à autrui. Votre texte semble, à dessein ou pas, se démarquer de cette ligne de conduite. J’avoue être un peu déçu par le ton condescendant et le niveau de réflexion peu élevé de votre texte. Est-ce l’effet d’une colère diffuse et perceptible tout au long de votre message ?
Monsieur l’Abbé, permettez-moi d’abord de lever un coin du voile sur mon identité. Je suis un cadre du système éducatif sénégalais. La politique ne m’intéresse pas. je n’ai jamais milité dans un parti politique. Le seul parti que je porte dans mon cœur est le système éducatif sénégalais que je sers depuis près d’un quart de siècle. Ce qui me motive le plus à tremper ma plume est que je suis aussi parent d’élèves de quatre bouts de bois de Dieu qui fréquentent une école privée catholique à la cité Boudiouck de Saint Louis. Sur les fiches d’inscription et de réinscription que l’école distribue chaque année aux parents, il est mentionné noir sur blanc que le port du voile est interdit pour les élèves.
Monsieur l’Abbé, je vous invite à un petit rappel de la législation scolaire. Dans la hiérarchie des normes juridiques qui régissent le fonctionnement du système éducatif sénégalais, la Loi d’Orientation 91-22 a la prééminence sur les decrets présidentiels. Le decret prime sur l’arrêté et l’arrêté prime sur les réglements intérieurs des établissements scolaires, publiques et privés confondus.
De quoi est-il question dans cette affaire? Il s’agit de règlements intérieurs d’une certaine catégorie d’établissements privés qui , dit-on, interdisent le port de voile à certaines de leurs élèves de confession musulmane. Pourquoi alors convoquer Dieu dans ce débat purement républicain et citoyen ?
Monsieur l’Abbé, vous conviendrez avec moi qu’il appartient aux règlements intérieurs des établissements scolaires de se plier à la volonté de la loi et non le contraire. C’est une question d’ordonnancement juridique et réglementaire. Or en la matière, la loi portant orientation de l’Education nationale du Sénégal est, on ne peut plus claire (il s’agit de la loi 91-22 du 16 février 1991, modifiée). L’article 3 de la loi 91-22 dispose que “l’Education nationale est placée sous la responsabilité de l’Etat” qui garantit une scolarité obligatoire pour tous les enfants âgés de 6 à 16 ans. L’article 4 ajoute que l’Education nationale “respecte et garantit à tous les niveaux, la liberté de conscience des citoyens”. Enfin, l’article 5 écarte toute forme de “discrimination de sexe, d’origine sociale, de race, d’ethnie, de religion ou de nationalité”.
L’Education de tous les enfants du Sénégal est une prérogative exclusive de l’Etat. Les écoles privées (confesionnelles ou non) ne sont que des délégataires de ce pouvoir régalien de l’Etat; En contrepartie, elles recoivent chaque année une subvention conséquente de la part des contribuables sénégalais. Un Premier Ministre qui se prononce sur un aspect du système éducatif, quoi de plus normal? Peut-on d’ailleurs reprocher même à un citoyen sénégalais qui paie ses impôts, qui plus est, un Premier Ministre, de s’intéresser à une question qui touche l’éducation de nos enfants?
Monsieur l’Abbé, ne nous laissons pas influencer par ce qui se passe en France. D’ailleurs, elle n’est point un exemple en matière de tolérance et de promotion de la diversité culturelle. La France est en retard et elle retarde!
Dans ma carrière professionnelle, j’ai eu à faire l’expérience d’autres systèmes éducatifs. J’ai enseigné à Birmingham (Angleterre) dans un établissement public anglais, George Dixon School. Là, j’ai vu des enfants de confession juive avec leur kilpa côtoyer des filles musulmanes voilées, des enfants de foi chrétienne, des enfants de confession Sikh enturbannés et des enfants sans affiliation religieuse. Chaque religion avait sa salle de prière au sein de l’établissement. C’était beau de voir cette belle diversité culturelle pendant les moments de récréation.
L’autre exemple que je voulais citer est celui des Etats Unis d’Amérique. J’ai effectué une partie de mes humanités (graduate school) à l’Université Columbia de New York. La aussi, j’ai été frappé par l’importance que les universités américaines accordent à la diversité culturelle et religieuse. L’Université de Columbia a aménagé des lieux de prières pour toutes les confessions religieuses présentes dans le campus. La salle réservée aux musulmans pour la prière du vendredi a une capacité de 300 places; elle se trouve juste en face de la bibliothèque principale (main library). Dans les salles de cours, les kilpa, les voile et les croix cohabitant en parfaite harmonie.
Quel type d’école voulons nous bâtir? quel modèle de société voulons nous promouvoir? Certainement pas une école à la française! L’idéal c’est d’inventer un modèle à partir de nos propres valeurs de tolérance et d’ouverture. On pourrait également s’enrichir d’autres expériences qui se sont révélées concluantes.
Monsieur l’Abbé, lorsqu’on vend de la vertu, il faudrait au moins en exposer un échantillon, à défaut de porter toute la marchandise en bandoulière.
Monsieur l’Abbé, vous avez, dans votre texte, fait référence à la “politesse” au moins une dizaine de fois. Dans votre volonté affichée d’étouffer ce débat républicain, vous lui avait donné un caractère religieux. Du haut de votre sainteté affirmée, vous vous êtes empressé de disqualifier, je vous cite, “certains langues, certaines mains et certains pantalons” (vous auriez pu ajouter certaines jupes, pour être en phase avec la parité).
Monsieur l’Abbé, il me semble indécent et déplacé de parler de l’intimité de simples citoyens, a fortiori, de quelqu’un qui incarne une institution majeure de la république. Monsieur l’Abbé, vous auriez, peut-être sans le vouloir, manqué de respect aux Sénégalais, ou tout au moins, au 55% de nos concitoyens qui ont fait confiance à celui qui a fait confiance au Premier Ministre. “To err is human”, disent les Anglais. Heureusement, l’erreur est humaine. Elle a aussi l’avantage d’ouvrir la voie au repentir.
En définitive, Monsieur l’Abbé, votre texte n’a pas été vain. Il a ouvert la voie à des pistes de réflexion prometteuses sur le devenir de l’école sénégalaise. Il s’agira à présent d’avoir le courage de sortir de nos “comfort zones”, de surmonter nos peurs et de s’engager résolument dans la voie des réformes souhaitées par le peuple sénégalais.
Lamtoro SALL, Saint Louis
J’ai lu et relu votre lettre ouverte implicitement adressée au Premier Ministre Monsieur Osmane Sonko. De l’époque du Saint Cardinal Yacinthe Thiandoum (dont les discours ont bercé mon enfance) à nos jours, les saints hommes de l’Eglise sénégalaise nous avaient habitués à une élocution pondérée et courtoise, des analyses pointues sur notre société, des réflexions profondes sur nos rapports à Dieu et à autrui. Votre texte semble, à dessein ou pas, se démarquer de cette ligne de conduite. J’avoue être un peu déçu par le ton condescendant et le niveau de réflexion peu élevé de votre texte. Est-ce l’effet d’une colère diffuse et perceptible tout au long de votre message ?
Monsieur l’Abbé, permettez-moi d’abord de lever un coin du voile sur mon identité. Je suis un cadre du système éducatif sénégalais. La politique ne m’intéresse pas. je n’ai jamais milité dans un parti politique. Le seul parti que je porte dans mon cœur est le système éducatif sénégalais que je sers depuis près d’un quart de siècle. Ce qui me motive le plus à tremper ma plume est que je suis aussi parent d’élèves de quatre bouts de bois de Dieu qui fréquentent une école privée catholique à la cité Boudiouck de Saint Louis. Sur les fiches d’inscription et de réinscription que l’école distribue chaque année aux parents, il est mentionné noir sur blanc que le port du voile est interdit pour les élèves.
Monsieur l’Abbé, je vous invite à un petit rappel de la législation scolaire. Dans la hiérarchie des normes juridiques qui régissent le fonctionnement du système éducatif sénégalais, la Loi d’Orientation 91-22 a la prééminence sur les decrets présidentiels. Le decret prime sur l’arrêté et l’arrêté prime sur les réglements intérieurs des établissements scolaires, publiques et privés confondus.
De quoi est-il question dans cette affaire? Il s’agit de règlements intérieurs d’une certaine catégorie d’établissements privés qui , dit-on, interdisent le port de voile à certaines de leurs élèves de confession musulmane. Pourquoi alors convoquer Dieu dans ce débat purement républicain et citoyen ?
Monsieur l’Abbé, vous conviendrez avec moi qu’il appartient aux règlements intérieurs des établissements scolaires de se plier à la volonté de la loi et non le contraire. C’est une question d’ordonnancement juridique et réglementaire. Or en la matière, la loi portant orientation de l’Education nationale du Sénégal est, on ne peut plus claire (il s’agit de la loi 91-22 du 16 février 1991, modifiée). L’article 3 de la loi 91-22 dispose que “l’Education nationale est placée sous la responsabilité de l’Etat” qui garantit une scolarité obligatoire pour tous les enfants âgés de 6 à 16 ans. L’article 4 ajoute que l’Education nationale “respecte et garantit à tous les niveaux, la liberté de conscience des citoyens”. Enfin, l’article 5 écarte toute forme de “discrimination de sexe, d’origine sociale, de race, d’ethnie, de religion ou de nationalité”.
L’Education de tous les enfants du Sénégal est une prérogative exclusive de l’Etat. Les écoles privées (confesionnelles ou non) ne sont que des délégataires de ce pouvoir régalien de l’Etat; En contrepartie, elles recoivent chaque année une subvention conséquente de la part des contribuables sénégalais. Un Premier Ministre qui se prononce sur un aspect du système éducatif, quoi de plus normal? Peut-on d’ailleurs reprocher même à un citoyen sénégalais qui paie ses impôts, qui plus est, un Premier Ministre, de s’intéresser à une question qui touche l’éducation de nos enfants?
Monsieur l’Abbé, ne nous laissons pas influencer par ce qui se passe en France. D’ailleurs, elle n’est point un exemple en matière de tolérance et de promotion de la diversité culturelle. La France est en retard et elle retarde!
Dans ma carrière professionnelle, j’ai eu à faire l’expérience d’autres systèmes éducatifs. J’ai enseigné à Birmingham (Angleterre) dans un établissement public anglais, George Dixon School. Là, j’ai vu des enfants de confession juive avec leur kilpa côtoyer des filles musulmanes voilées, des enfants de foi chrétienne, des enfants de confession Sikh enturbannés et des enfants sans affiliation religieuse. Chaque religion avait sa salle de prière au sein de l’établissement. C’était beau de voir cette belle diversité culturelle pendant les moments de récréation.
L’autre exemple que je voulais citer est celui des Etats Unis d’Amérique. J’ai effectué une partie de mes humanités (graduate school) à l’Université Columbia de New York. La aussi, j’ai été frappé par l’importance que les universités américaines accordent à la diversité culturelle et religieuse. L’Université de Columbia a aménagé des lieux de prières pour toutes les confessions religieuses présentes dans le campus. La salle réservée aux musulmans pour la prière du vendredi a une capacité de 300 places; elle se trouve juste en face de la bibliothèque principale (main library). Dans les salles de cours, les kilpa, les voile et les croix cohabitant en parfaite harmonie.
Quel type d’école voulons nous bâtir? quel modèle de société voulons nous promouvoir? Certainement pas une école à la française! L’idéal c’est d’inventer un modèle à partir de nos propres valeurs de tolérance et d’ouverture. On pourrait également s’enrichir d’autres expériences qui se sont révélées concluantes.
Monsieur l’Abbé, lorsqu’on vend de la vertu, il faudrait au moins en exposer un échantillon, à défaut de porter toute la marchandise en bandoulière.
Monsieur l’Abbé, vous avez, dans votre texte, fait référence à la “politesse” au moins une dizaine de fois. Dans votre volonté affichée d’étouffer ce débat républicain, vous lui avait donné un caractère religieux. Du haut de votre sainteté affirmée, vous vous êtes empressé de disqualifier, je vous cite, “certains langues, certaines mains et certains pantalons” (vous auriez pu ajouter certaines jupes, pour être en phase avec la parité).
Monsieur l’Abbé, il me semble indécent et déplacé de parler de l’intimité de simples citoyens, a fortiori, de quelqu’un qui incarne une institution majeure de la république. Monsieur l’Abbé, vous auriez, peut-être sans le vouloir, manqué de respect aux Sénégalais, ou tout au moins, au 55% de nos concitoyens qui ont fait confiance à celui qui a fait confiance au Premier Ministre. “To err is human”, disent les Anglais. Heureusement, l’erreur est humaine. Elle a aussi l’avantage d’ouvrir la voie au repentir.
En définitive, Monsieur l’Abbé, votre texte n’a pas été vain. Il a ouvert la voie à des pistes de réflexion prometteuses sur le devenir de l’école sénégalaise. Il s’agira à présent d’avoir le courage de sortir de nos “comfort zones”, de surmonter nos peurs et de s’engager résolument dans la voie des réformes souhaitées par le peuple sénégalais.
Lamtoro SALL, Saint Louis