L’île de Saint Louis et ses bâtis coloniaux, ses monuments classés patrimoine mondial, ses rues larges résistant encore au désordre de l’homosénégalensis, ses maisons typiques noyées sous les bougainvillées, son magnifique crépuscule (Takkusanu Ndar) où le soleil mourant dessine un tableau d’une beauté inédite, ses belles femmes alliant élégance et coquetterie, son Fanal, son mythique bateau (le Bou El Mogdad), sa troupe théâtrale légendaire (Bara Yeggo)… offrent à cette ville tricentenaire un charme incomparable et un secret irréductible. Mais Saint-Louis, ce n’est pas que ce patrimoine matériel et immatériel, c’est aussi des valeurs et une manière de vivre que revendiquent ses fils appelés « Domou Ndar ».
Ce concept renvoie au raffinement, à l’élégance, au sens de l’hospitalité et au parler si particulier des originaires de cette ville. Le signe distinctif touche même l’art culinaire à travers le « thiebou dieune », le plat national dont on dit que ce fut Penda Mbaye, originaire de Guet Ndar, qui l’eût mitonné comme jamais et donné ses plus belles lettres de…goût. « Le « Domou Ndar » a ses caractéristiques et sa spécificité. Nous sommes des gens extrêmement civilisés par le parler, le savoir, l’éducation, le port vestimentaire », clame haut et fort Alioune Badara Diagne Golbert, sans doute un des Saint-Louisiens les plus connus de l’histoire.
L’origine de ces traits distinctifs du Saint-Louisien est à chercher justement dans l’histoire de cette ville qui fut, durant des années, l’épicentre de la colonisation française en Afrique de l’ouest. En effet, tout porte à croire que le fait d’avoir côtoyé la France pendant presque trois siècle a forcément influencé le style de vie des Saint-Louisiens. Ce que semble confirmer Golbert Diagne lorsqu’il avance que le « Domou Ndar » est l’héritier de la tradition, de la culture, de la formation et du développement de manière générale du Sénégal et de l’Afrique occidentale française.
Elégance et hospitalité
Notre ville a été érigée en commune de plein exercice en 1659. Les premiers comptoirs français y ont été implantés. Elle abrite également la première église ainsi que la première grande mosquée du continent. Les premiers cadres formés par la colonisation française sont issus de cette ville. Ils ont été les premiers fonctionnaires occupant les plus hautes fonctions. Les Français ont été obligés de les affecter ailleurs pour gérer l’administration et même former d’autres Africains. Nous avons tiré de cette expérience un style de vie à la française que nous gardons quand même jalousement », explique le journaliste-comédien.
Ahmadou Cissé abonde dans le même sens. Selon le Directeur du Tourisme, de la culture et du patrimoine de la commune de Saint-Louis, il y a sans doute une dose d’influence française chez le « Domou Ndar ». « Même dans le Wolof qu’on parle, il y a une différence, une prononciation bien saint-louisienne, cette nonchalance chez nos femmes. Il y a aussi ce côté érudition. Le « Domou Ndar » apprend le Coran et le français. Autant il peut être avocat, autant il peut être Imam. Cela, nous le devons au fait que la ville fut un foyer ardent et d’écoles coraniques et d’école françaises », dit-il.
Papa Samba Sow dit Zumba, artiste éclectique saint-louisien va plus loin encore. Moins qu’un fruit de l’assimilation de la culture française, le « Domou Ndar », pense-t-il, est celui qui est né dans cette ville et s’est approprié toutes ses réalités socioculturelles et cosmogoniques. « Si l’on est un « Domou Ndar », on connaît et vit le mythe de Mame Coumba Bang, on aime le jeu du faux lion, le Tannbéer, le Fanal, le Takussanu Ndar etc. Bref, le « Domou Ndar » doit avoir l’histoire de Saint-Louis en lui, c’est celui qui cherche à se greffer à toutes les réalités culturelles et cultuelles de Saint-Louis et lui-même se sent accepté par Saint-Louis », justifie-t-il. Aux temps où Saint-Louis était la capitale de l’Afrique occidentale française, tout le monde tenait à avoir des racines, aussi infimes soient-elles avec cette ville, souligne Zumba. Ce qui témoigne de l’aura que pouvait conférer le statut de « Domou Ndar ».
Si le « Domu Ndar » est fondamentalement « un Saint-Louisien de naissance, d’éducation et de culture et se distingue par son amour viscéral pour Saint-Louis, son éducation chrétienne ou islamique, sa politesse, son élégance dans le verbe et dans l’habillement», il n’en demeure pas moins que l’écrivain Moumar Guèye, pense que cette notion peut être également étendue aux Saint-Louisiens d’adoption. Une manière pour le Colonel des Eaux et Forêts à la retraite de prendre le contrepied de ceux qui ont tendance à faire la différence entre « Domou Ndar », « Doli Ndar », « Ndar Ndar ». « Je me suis toujours opposé à cette tentative de catégoriser et de diviser les Saint-louisiens.
Ainsi, certaines personnes distribuent des titres de « grand Saint-Louisien », de « non Saint-Louisien », de « vrai ou faux Saint-Louisien », de « Saint-Louisien naturel » et j’en passe. Voilà donc qu’en agissant ainsi, ces distributeurs de titres de noblesse ou de bassesse, oublient que Saint-Louis du Sénégal est une ville de métissage à tout point de vue », argue-t-il. En effet, selon l’écrivain, il est établi que tous les habitants de cette ville ne constituent pas une population spontanée. Leurs ancêtres viennent, pour la plupart, de France, de Mauritanie, du Mali, du Maroc, du Liban, du Cap-Vert, du Waalo, du Fouta, du Gandiole, du Ndiambour, voire du Cayor et du Baol.
Alors le fait de revendiquer le statut de « Domou Ndar » n’incline-t-il pas vers le chauvinisme et la condescendance vis-à-vis des autres ? « Je continue à croire que cela participe à développer un esprit condescendant chez le Saint-Louisien », admet Ahmadou Cissé. D’ailleurs, si l’on en croit Pruneau de Pommegorge dans son ouvrage « Description de la Nigritie » paru en 1789 et cité par Abdoul Hadir Aidara, ancien Directeur du Centre de recherche documentaire du Sénégal (Crds) dans son livre « Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui », ce sentiment de supériorité était déjà perceptible à l’époque.
« Les premiers habitants du Sud de l’île furent les émigrés du Cayor et cette ancienneté leur faisait regarder les autres d’un air supérieur », écrit-il. Ce caractère snob perdure encore, reconnaît M. Cissé, chez certains Saint-Louisiens de souche notamment chez les personnes âgées. Zumba fait chorus et souligne que certains nostalgiques vivent encore dans l’univers du « Domou Ndar ». « Le Saint-Louisien est par essence snob. Par son comportement, il semble dédaigner les autres, il fait l’intéressant alors que les besoins sont ailleurs. Le Saint-Louisien commence maintenant à comprendre cette nouvelle donne. Auparavant, il ne bougeait pas, il ne quittait pas son cocon. Aujourd’hui, c’est tout le contraire », soutient-il.
« Dolli Ndar »
D’ailleurs, à propos du Saint-Louisien trop imbu de lui-même, Zumba aime raconter cette anecdote : « Le président Senghor, lors d’un de ses derniers discours à Saint-Louis, avait accusé les Saint-Louisiens d’être trop snobs, d’être des gens qui aimaient trop parler de leur histoire, des gens qui, par leur comportement, semblaient dédaigner les autres. Il disait qu’il n’y avait pas plus Saint-Louisien que celui qui avait investi ou réalisé quelque chose pour cette ville ». Ces « Dolli Ndar » qui, auparavant, étaient regardés d’un œil comminatoire, figurent aujourd’hui parmi les plus dignes fils de cette ville au regard de ce qu’ils lui ont apporté.
Cela, le Saint-Louisien pure souche qu’est Golbert le reconnaît volontiers. « Aujourd’hui, plus qu’hier, dans ma lecture, je me dis qu’ils sont en train de donner un signal très fort, un enseignement important, à ceux qui se réclament ‘’Domou Ndar’’. Ils sont devenus de grands hommes. Ils sont venus à Saint-Louis, ils ont accepté les métiers que les originaires de Saint-Louis ne voulaient pas faire. Par conséquent, ils sont devenus de grands messieurs de l’économie saint-louisienne. Seul le travail paie », soutient-il. Comme quoi, qu’ils soient « Domou Ndar », « Dolli Ndar », ou « Ndar Ndar », le plus important, c’est ce que chaque fils de cette ville lui apporte pour son rayonnement. Tout le reste n’est que nostalgie d’une époque révolue.
Par El Hadj Ibrahima THIAM,
Ibrahima BA (textes) et
Sarakh DIOP (photos)
LE SOLEIL
Ce concept renvoie au raffinement, à l’élégance, au sens de l’hospitalité et au parler si particulier des originaires de cette ville. Le signe distinctif touche même l’art culinaire à travers le « thiebou dieune », le plat national dont on dit que ce fut Penda Mbaye, originaire de Guet Ndar, qui l’eût mitonné comme jamais et donné ses plus belles lettres de…goût. « Le « Domou Ndar » a ses caractéristiques et sa spécificité. Nous sommes des gens extrêmement civilisés par le parler, le savoir, l’éducation, le port vestimentaire », clame haut et fort Alioune Badara Diagne Golbert, sans doute un des Saint-Louisiens les plus connus de l’histoire.
L’origine de ces traits distinctifs du Saint-Louisien est à chercher justement dans l’histoire de cette ville qui fut, durant des années, l’épicentre de la colonisation française en Afrique de l’ouest. En effet, tout porte à croire que le fait d’avoir côtoyé la France pendant presque trois siècle a forcément influencé le style de vie des Saint-Louisiens. Ce que semble confirmer Golbert Diagne lorsqu’il avance que le « Domou Ndar » est l’héritier de la tradition, de la culture, de la formation et du développement de manière générale du Sénégal et de l’Afrique occidentale française.
Elégance et hospitalité
Notre ville a été érigée en commune de plein exercice en 1659. Les premiers comptoirs français y ont été implantés. Elle abrite également la première église ainsi que la première grande mosquée du continent. Les premiers cadres formés par la colonisation française sont issus de cette ville. Ils ont été les premiers fonctionnaires occupant les plus hautes fonctions. Les Français ont été obligés de les affecter ailleurs pour gérer l’administration et même former d’autres Africains. Nous avons tiré de cette expérience un style de vie à la française que nous gardons quand même jalousement », explique le journaliste-comédien.
Ahmadou Cissé abonde dans le même sens. Selon le Directeur du Tourisme, de la culture et du patrimoine de la commune de Saint-Louis, il y a sans doute une dose d’influence française chez le « Domou Ndar ». « Même dans le Wolof qu’on parle, il y a une différence, une prononciation bien saint-louisienne, cette nonchalance chez nos femmes. Il y a aussi ce côté érudition. Le « Domou Ndar » apprend le Coran et le français. Autant il peut être avocat, autant il peut être Imam. Cela, nous le devons au fait que la ville fut un foyer ardent et d’écoles coraniques et d’école françaises », dit-il.
Papa Samba Sow dit Zumba, artiste éclectique saint-louisien va plus loin encore. Moins qu’un fruit de l’assimilation de la culture française, le « Domou Ndar », pense-t-il, est celui qui est né dans cette ville et s’est approprié toutes ses réalités socioculturelles et cosmogoniques. « Si l’on est un « Domou Ndar », on connaît et vit le mythe de Mame Coumba Bang, on aime le jeu du faux lion, le Tannbéer, le Fanal, le Takussanu Ndar etc. Bref, le « Domou Ndar » doit avoir l’histoire de Saint-Louis en lui, c’est celui qui cherche à se greffer à toutes les réalités culturelles et cultuelles de Saint-Louis et lui-même se sent accepté par Saint-Louis », justifie-t-il. Aux temps où Saint-Louis était la capitale de l’Afrique occidentale française, tout le monde tenait à avoir des racines, aussi infimes soient-elles avec cette ville, souligne Zumba. Ce qui témoigne de l’aura que pouvait conférer le statut de « Domou Ndar ».
Si le « Domu Ndar » est fondamentalement « un Saint-Louisien de naissance, d’éducation et de culture et se distingue par son amour viscéral pour Saint-Louis, son éducation chrétienne ou islamique, sa politesse, son élégance dans le verbe et dans l’habillement», il n’en demeure pas moins que l’écrivain Moumar Guèye, pense que cette notion peut être également étendue aux Saint-Louisiens d’adoption. Une manière pour le Colonel des Eaux et Forêts à la retraite de prendre le contrepied de ceux qui ont tendance à faire la différence entre « Domou Ndar », « Doli Ndar », « Ndar Ndar ». « Je me suis toujours opposé à cette tentative de catégoriser et de diviser les Saint-louisiens.
Ainsi, certaines personnes distribuent des titres de « grand Saint-Louisien », de « non Saint-Louisien », de « vrai ou faux Saint-Louisien », de « Saint-Louisien naturel » et j’en passe. Voilà donc qu’en agissant ainsi, ces distributeurs de titres de noblesse ou de bassesse, oublient que Saint-Louis du Sénégal est une ville de métissage à tout point de vue », argue-t-il. En effet, selon l’écrivain, il est établi que tous les habitants de cette ville ne constituent pas une population spontanée. Leurs ancêtres viennent, pour la plupart, de France, de Mauritanie, du Mali, du Maroc, du Liban, du Cap-Vert, du Waalo, du Fouta, du Gandiole, du Ndiambour, voire du Cayor et du Baol.
Alors le fait de revendiquer le statut de « Domou Ndar » n’incline-t-il pas vers le chauvinisme et la condescendance vis-à-vis des autres ? « Je continue à croire que cela participe à développer un esprit condescendant chez le Saint-Louisien », admet Ahmadou Cissé. D’ailleurs, si l’on en croit Pruneau de Pommegorge dans son ouvrage « Description de la Nigritie » paru en 1789 et cité par Abdoul Hadir Aidara, ancien Directeur du Centre de recherche documentaire du Sénégal (Crds) dans son livre « Saint-Louis du Sénégal d’hier à aujourd’hui », ce sentiment de supériorité était déjà perceptible à l’époque.
« Les premiers habitants du Sud de l’île furent les émigrés du Cayor et cette ancienneté leur faisait regarder les autres d’un air supérieur », écrit-il. Ce caractère snob perdure encore, reconnaît M. Cissé, chez certains Saint-Louisiens de souche notamment chez les personnes âgées. Zumba fait chorus et souligne que certains nostalgiques vivent encore dans l’univers du « Domou Ndar ». « Le Saint-Louisien est par essence snob. Par son comportement, il semble dédaigner les autres, il fait l’intéressant alors que les besoins sont ailleurs. Le Saint-Louisien commence maintenant à comprendre cette nouvelle donne. Auparavant, il ne bougeait pas, il ne quittait pas son cocon. Aujourd’hui, c’est tout le contraire », soutient-il.
« Dolli Ndar »
D’ailleurs, à propos du Saint-Louisien trop imbu de lui-même, Zumba aime raconter cette anecdote : « Le président Senghor, lors d’un de ses derniers discours à Saint-Louis, avait accusé les Saint-Louisiens d’être trop snobs, d’être des gens qui aimaient trop parler de leur histoire, des gens qui, par leur comportement, semblaient dédaigner les autres. Il disait qu’il n’y avait pas plus Saint-Louisien que celui qui avait investi ou réalisé quelque chose pour cette ville ». Ces « Dolli Ndar » qui, auparavant, étaient regardés d’un œil comminatoire, figurent aujourd’hui parmi les plus dignes fils de cette ville au regard de ce qu’ils lui ont apporté.
Cela, le Saint-Louisien pure souche qu’est Golbert le reconnaît volontiers. « Aujourd’hui, plus qu’hier, dans ma lecture, je me dis qu’ils sont en train de donner un signal très fort, un enseignement important, à ceux qui se réclament ‘’Domou Ndar’’. Ils sont devenus de grands hommes. Ils sont venus à Saint-Louis, ils ont accepté les métiers que les originaires de Saint-Louis ne voulaient pas faire. Par conséquent, ils sont devenus de grands messieurs de l’économie saint-louisienne. Seul le travail paie », soutient-il. Comme quoi, qu’ils soient « Domou Ndar », « Dolli Ndar », ou « Ndar Ndar », le plus important, c’est ce que chaque fils de cette ville lui apporte pour son rayonnement. Tout le reste n’est que nostalgie d’une époque révolue.
Par El Hadj Ibrahima THIAM,
Ibrahima BA (textes) et
Sarakh DIOP (photos)
LE SOLEIL