Il faut vraiment être déterminé pour trouver cette place historique de la capitale sénégalaise. Pour le touriste qui vient d’arriver à Dakar, rien ne l’aide à trouver ce lieu qui fait partie intégrante de l’histoire de la capitale sénégalaise. Kermel est complètement noyé par la pression urbaine. Des géants en béton poussent de partout le cernant de tout bord.
L’on passerait plusieurs fois devant sans parvenir à le situer. Il est impossible d’avoir une vue d’ensemble de ce qu’a été Kermel du temps de sa splendeur. Il n’est guère différent des autres marchés de Dakar où l’insalubrité s’ajoute à la promiscuité. Au bout de la route sinueuse partant de l’avenue Albert Sarrault, rien n’indique son emplacement. Il faut être guidé. «La place Kermel étouffe», regrette un marchand d’objets d’art installé dans le marché éponyme depuis plus de vingt ans. Sa boutique de fortune, presqu’identique aux nombreuses autres éparpillées autour du marché, fait partie du décor. Les horloges montées au sommet des entrées semblent avoir suspendu le temps. Elles ne marchent plus depuis belle lurette. Cependant, rien n’est plus pareil. D’après Pape Mor Sylla installé sur les lieux depuis 1984, ce patrimoine sénégalais ne vit plus. Il agonise. En trente ans de présence sur ces lieux, il est le témoin de la splendeur de cette place, mais aussi de son déclin. «Personne ne vient plus visiter cette place. Les touristes traînent rarement par ici maintenant», se désole-t-il. En période estivale, il recevait la visite de vacanciers venus découvrir ou se ressourcer, mais plus maintenant. «On peut rester plus de dix jours sans voir passer un seul acheteur», partage-t-il. L’explication à tout cela est toute trouvée : l’Etat est responsable de cet état de fait. Pour lui, non seulement les autorités ont laissé faire en autorisant la construction de buildings tout près du marché, mais aussi à trop vouloir moderniser le coin, elles lui ôtent son identité. Son charme. Le principal accusé est aujourd’hui le maire de Dakar, Khalifa Sall. Ce dernier est en train de mettre la dernière touche au centre commercial qui doit accueillir leurs marchandises. «Regardez ce bâtiment, il est laid et n’a rien pour attirer les touristes. Il est quelconque. On dirait une école ou un dispensaire», s’indigne Pape Mor Sylla.
L’architecture coloniale dominante
Même s’il est considéré comme un patrimoine de ce pays, Kermel ne figure pas sur la liste officielle des monuments et sites classés. Le directeur du Patrimoine est le premier à le regretter. «On ne peut plus parler de vieux Dakar. Les immeubles sortent partout de terre. Même les espaces qu’on a voulu sauvegarder comme l’espace Kermel, où est un peu parti le plan de Dakar, sont menacés. Kermel est dans un trou entouré par des immeubles», se désole Abdou Aziz Guissé. Le site est agressé de toute part presqu’à l’image de ceux figurant sur la liste du Patrimoine culturel du Sénégal. Ces lieux sont pourtant protégés par la loi. Ils sont une cinquantaine, mais malheureusement méconnus de la plupart des Sénégalais. La liste comporte des bâtiments historiques hérités de la colonisation, des sites naturels et des lieux de mémoire. Dakar en compte une dizaine. Ici, les bâtiments et sites classés sont les témoins de l’histoire de la capitale sénégalaise. Ces lieux permettent de lire son histoire.
L’Ile de Gorée, un des premiers sites classés, est témoin des siècles d’esclavage subi par les Africains. En plus de sa beauté, cette île multi-centenaire renferme entre les murs des maisons des insulaires et surtout la Maison des esclaves des pans entiers de l’histoire du Sénégal, mais aussi de toute l’Afrique de l’Ouest. Les Sénégalais qui la visitent, en empruntant la chaloupe, sont rarement attirés par l’aspect historique de l’île. En dehors des voyages d’étude, la Maison des esclaves a rarement l’honneur de voir ses fils la visiter. La plage et les bons petits plats servis par les restaurants sont beaucoup plus attrayants.
Dakar a aussi dans son patrimoine l’île des Madeleines, les lieux de culte des Layènes, le Pënc de Santhiaba et l’ensemble Grande Mosquée-Institut islamique de Dakar qui rendent compte des croyances et rites des populations à majorité léboue. Mais le passage des colonisateurs est beaucoup plus présent sur cette liste. La plupart des bâtiments classés sont de type colonial. Le palais de la République, le ministère des Affaires étrangères, la Gare ferroviaire, l’Hôtel de ville de Dakar et la Cathédrale du Souvenir africain sont tous des héritages de l’époque coloniale. Ils n’ont pas un meilleur sort que Gorée.
Les lieux de mémoire, l’exception à la règle
Pour figurer sur cette liste, ces quelques sites et monuments se distinguent par leur caractère exceptionnel, un intérêt historique ou sur le plan de l’écosystème. Cependant, ces qualités ne sont pas très visibles et exploitées. Il est rare de tomber sur quelqu’un qui en sache un bout. Il semble que le domaine du patrimoine classé soit réservé à un groupe très restreint. Les historiens sont les plus nombreux à s’y intéresser. Aux non-initiés, les noms de Gorée et de Saint-Louis viennent en premier. Ces deux lieux figurant sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco sortent toujours du lot. Pourtant, le Sénégal a sept sites inscrits dans le Patrimoine mondial.
Les Mégalithes de Sénégambie, le Delta du Saloum, les paysages culturels du pays Bassari, le Parc de Niokolo Koba et le parc de Djoudj complètent le tableau. Cependant, les lieux de mémoire comme la Maison royale de Diakhao, la résidence royale de Yang et la tombe de Kocc Barma Fall sont jalousement gardés par les populations elles-mêmes. Leur identité est attachée à ces biens, témoins de leur passé.
Les menaces qui pèsent sur leur préservation ne sont pas très inquiétantes dans ces coins où la population s’identifie à ces sites. Pour Abdou Aziz Guissé, les dépositaires y voient leurs intérêts. Dans d’autres lieux, c’est plus compliqué. La loi de 1971, héritée de l’époque coloniale, met des garde-fous pour conserver la qualité des biens qui leur ont valu ce classement. Des dispositions permettent de réguler des interventions et aménagements. C’est le ministère de la Culture qui effectue un contrôle a priori. Mais cette étape est souvent contournée par les populations. A Saint-Louis, il est souvent arrivé que des aménagements cassent le rythme et les formes architecturaux qui font la beauté et l’exceptionnalité de cette île. Dans ce domaine, le directeur du Patrimoine compte sur le soutien de comités de veille constitués par les populations et sur les collectivités locales à qui les compétences de sauvegarde sont transférées.
Une loi dépassée
Un autre écueil entrave le chemin des «conservateurs». Le Patrimoine culturel national est régi par une loi qui date de longtemps. La loi 71-12 du 25 février 1971 fixe le régime des monuments historiques. Elle est héritée des colonisateurs qui avaient légiféré en 1956 sur les sites et monuments historiques. C’est sur cette base que la première liste du Patrimoine culturel national avec une quinzaine de sites répertoriés est sortie. Elle est actualisée tous les deux ans pour permettre d’inclure les nouveaux biens classés. Cependant, les nouvelles mutations ne sont pas prises en compte. Au niveau mondial, le patrimoine n’est pas que matériel. L’aspect intangible des biens est pris en compte. Heureusement, l’Unesco a voté en 2003 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel. Cela a permis au Sénégal de voir le Kankourang et le Xoy sérère élevés au rang de patrimoine mondial. D’autres biens sont sur une liste à présenter. La bataille de reconnaissance des biens exceptionnels du pays semble ne jamais prendre fin.
La direction du Patrimoine a d’autres dossiers à défendre. Mais il reste, sur le plan national, à avoir un cadre juridique bien plus adapté pour peser encore plus sur la préservation du patrimoine. Il est également difficile de trouver les moyens financiers pour gérer ces biens. Les budgets sont limités et la tâche grande. Pourtant, le fait de figurer sur cette liste classée constitue une aubaine pour le tourisme sénégalais. Le tourisme de plus en plus adopté se base sur des richesses du Sénégal qui a beaucoup à partager. Mais il n’est pas structuré. Seule la Maison des esclaves, qui a d’ailleurs reçu il y a peu un prix pour sa capacité à attirer les touristes, est exploitée. Mais comme le souligne M. Guissé, la structure elle-même n’en bénéficie pas. L’entrée est si dérisoire qu’il ne permet pas de prendre en charge les besoins de ce musée. En attendant de voir ce cadre réglementaire mis en place, Abdou Aziz Guissé compte sur la sensibilisation envers les populations.
agueye@lequotidien.sn
L’on passerait plusieurs fois devant sans parvenir à le situer. Il est impossible d’avoir une vue d’ensemble de ce qu’a été Kermel du temps de sa splendeur. Il n’est guère différent des autres marchés de Dakar où l’insalubrité s’ajoute à la promiscuité. Au bout de la route sinueuse partant de l’avenue Albert Sarrault, rien n’indique son emplacement. Il faut être guidé. «La place Kermel étouffe», regrette un marchand d’objets d’art installé dans le marché éponyme depuis plus de vingt ans. Sa boutique de fortune, presqu’identique aux nombreuses autres éparpillées autour du marché, fait partie du décor. Les horloges montées au sommet des entrées semblent avoir suspendu le temps. Elles ne marchent plus depuis belle lurette. Cependant, rien n’est plus pareil. D’après Pape Mor Sylla installé sur les lieux depuis 1984, ce patrimoine sénégalais ne vit plus. Il agonise. En trente ans de présence sur ces lieux, il est le témoin de la splendeur de cette place, mais aussi de son déclin. «Personne ne vient plus visiter cette place. Les touristes traînent rarement par ici maintenant», se désole-t-il. En période estivale, il recevait la visite de vacanciers venus découvrir ou se ressourcer, mais plus maintenant. «On peut rester plus de dix jours sans voir passer un seul acheteur», partage-t-il. L’explication à tout cela est toute trouvée : l’Etat est responsable de cet état de fait. Pour lui, non seulement les autorités ont laissé faire en autorisant la construction de buildings tout près du marché, mais aussi à trop vouloir moderniser le coin, elles lui ôtent son identité. Son charme. Le principal accusé est aujourd’hui le maire de Dakar, Khalifa Sall. Ce dernier est en train de mettre la dernière touche au centre commercial qui doit accueillir leurs marchandises. «Regardez ce bâtiment, il est laid et n’a rien pour attirer les touristes. Il est quelconque. On dirait une école ou un dispensaire», s’indigne Pape Mor Sylla.
L’architecture coloniale dominante
Même s’il est considéré comme un patrimoine de ce pays, Kermel ne figure pas sur la liste officielle des monuments et sites classés. Le directeur du Patrimoine est le premier à le regretter. «On ne peut plus parler de vieux Dakar. Les immeubles sortent partout de terre. Même les espaces qu’on a voulu sauvegarder comme l’espace Kermel, où est un peu parti le plan de Dakar, sont menacés. Kermel est dans un trou entouré par des immeubles», se désole Abdou Aziz Guissé. Le site est agressé de toute part presqu’à l’image de ceux figurant sur la liste du Patrimoine culturel du Sénégal. Ces lieux sont pourtant protégés par la loi. Ils sont une cinquantaine, mais malheureusement méconnus de la plupart des Sénégalais. La liste comporte des bâtiments historiques hérités de la colonisation, des sites naturels et des lieux de mémoire. Dakar en compte une dizaine. Ici, les bâtiments et sites classés sont les témoins de l’histoire de la capitale sénégalaise. Ces lieux permettent de lire son histoire.
L’Ile de Gorée, un des premiers sites classés, est témoin des siècles d’esclavage subi par les Africains. En plus de sa beauté, cette île multi-centenaire renferme entre les murs des maisons des insulaires et surtout la Maison des esclaves des pans entiers de l’histoire du Sénégal, mais aussi de toute l’Afrique de l’Ouest. Les Sénégalais qui la visitent, en empruntant la chaloupe, sont rarement attirés par l’aspect historique de l’île. En dehors des voyages d’étude, la Maison des esclaves a rarement l’honneur de voir ses fils la visiter. La plage et les bons petits plats servis par les restaurants sont beaucoup plus attrayants.
Dakar a aussi dans son patrimoine l’île des Madeleines, les lieux de culte des Layènes, le Pënc de Santhiaba et l’ensemble Grande Mosquée-Institut islamique de Dakar qui rendent compte des croyances et rites des populations à majorité léboue. Mais le passage des colonisateurs est beaucoup plus présent sur cette liste. La plupart des bâtiments classés sont de type colonial. Le palais de la République, le ministère des Affaires étrangères, la Gare ferroviaire, l’Hôtel de ville de Dakar et la Cathédrale du Souvenir africain sont tous des héritages de l’époque coloniale. Ils n’ont pas un meilleur sort que Gorée.
Les lieux de mémoire, l’exception à la règle
Pour figurer sur cette liste, ces quelques sites et monuments se distinguent par leur caractère exceptionnel, un intérêt historique ou sur le plan de l’écosystème. Cependant, ces qualités ne sont pas très visibles et exploitées. Il est rare de tomber sur quelqu’un qui en sache un bout. Il semble que le domaine du patrimoine classé soit réservé à un groupe très restreint. Les historiens sont les plus nombreux à s’y intéresser. Aux non-initiés, les noms de Gorée et de Saint-Louis viennent en premier. Ces deux lieux figurant sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco sortent toujours du lot. Pourtant, le Sénégal a sept sites inscrits dans le Patrimoine mondial.
Les Mégalithes de Sénégambie, le Delta du Saloum, les paysages culturels du pays Bassari, le Parc de Niokolo Koba et le parc de Djoudj complètent le tableau. Cependant, les lieux de mémoire comme la Maison royale de Diakhao, la résidence royale de Yang et la tombe de Kocc Barma Fall sont jalousement gardés par les populations elles-mêmes. Leur identité est attachée à ces biens, témoins de leur passé.
Les menaces qui pèsent sur leur préservation ne sont pas très inquiétantes dans ces coins où la population s’identifie à ces sites. Pour Abdou Aziz Guissé, les dépositaires y voient leurs intérêts. Dans d’autres lieux, c’est plus compliqué. La loi de 1971, héritée de l’époque coloniale, met des garde-fous pour conserver la qualité des biens qui leur ont valu ce classement. Des dispositions permettent de réguler des interventions et aménagements. C’est le ministère de la Culture qui effectue un contrôle a priori. Mais cette étape est souvent contournée par les populations. A Saint-Louis, il est souvent arrivé que des aménagements cassent le rythme et les formes architecturaux qui font la beauté et l’exceptionnalité de cette île. Dans ce domaine, le directeur du Patrimoine compte sur le soutien de comités de veille constitués par les populations et sur les collectivités locales à qui les compétences de sauvegarde sont transférées.
Une loi dépassée
Un autre écueil entrave le chemin des «conservateurs». Le Patrimoine culturel national est régi par une loi qui date de longtemps. La loi 71-12 du 25 février 1971 fixe le régime des monuments historiques. Elle est héritée des colonisateurs qui avaient légiféré en 1956 sur les sites et monuments historiques. C’est sur cette base que la première liste du Patrimoine culturel national avec une quinzaine de sites répertoriés est sortie. Elle est actualisée tous les deux ans pour permettre d’inclure les nouveaux biens classés. Cependant, les nouvelles mutations ne sont pas prises en compte. Au niveau mondial, le patrimoine n’est pas que matériel. L’aspect intangible des biens est pris en compte. Heureusement, l’Unesco a voté en 2003 la Convention pour la sauvegarde du patrimoine immatériel. Cela a permis au Sénégal de voir le Kankourang et le Xoy sérère élevés au rang de patrimoine mondial. D’autres biens sont sur une liste à présenter. La bataille de reconnaissance des biens exceptionnels du pays semble ne jamais prendre fin.
La direction du Patrimoine a d’autres dossiers à défendre. Mais il reste, sur le plan national, à avoir un cadre juridique bien plus adapté pour peser encore plus sur la préservation du patrimoine. Il est également difficile de trouver les moyens financiers pour gérer ces biens. Les budgets sont limités et la tâche grande. Pourtant, le fait de figurer sur cette liste classée constitue une aubaine pour le tourisme sénégalais. Le tourisme de plus en plus adopté se base sur des richesses du Sénégal qui a beaucoup à partager. Mais il n’est pas structuré. Seule la Maison des esclaves, qui a d’ailleurs reçu il y a peu un prix pour sa capacité à attirer les touristes, est exploitée. Mais comme le souligne M. Guissé, la structure elle-même n’en bénéficie pas. L’entrée est si dérisoire qu’il ne permet pas de prendre en charge les besoins de ce musée. En attendant de voir ce cadre réglementaire mis en place, Abdou Aziz Guissé compte sur la sensibilisation envers les populations.
agueye@lequotidien.sn