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OPINION | Lutter contre la mendicité sans BRÛLER nos daaras ! Par Nioxor Tine

Samedi 16 Juillet 2016

Une semaine après son accession à la magistrature suprême en mars 2012, le président Macky Sall avait été interpellé par la coordinatrice du programme sur le travail des enfants chez "Anti-Slavery International" sur la mendicité infantile forcée, qu’elle assimilait à l’une des pires formes de travail des enfants.
D’autres organisations telles que Thomson Reuters Foundation, Human Rights Watch et même l’Organisation Internationale du Travail (OIT) n’ont eu de cesse d’exiger que le gouvernement sénégalais mette fin à la mendicité forcée des enfants, ce qui conduisit à la promulgation de la loi n° 2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes. Malheureusement, l’application de la loi s’est heurtée à de réelles pesanteurs dans la dernière décennie. Il serait cependant très réducteur de vouloir expliquer l’origine de la mendicité infantile par les daara.


Ce qu’il faut savoir, c’est que dans des pays aussi divers que l’Albanie, la Grèce, l’Inde et le Sénégal, ce sont les parents eux-mêmes (ou les tuteurs) qui forcent les enfants à mendier.

Si dans tous ces pays, le sentiment d’accomplir un devoir religieux en faisant la charité est présent, il reste que c’est au Sénégal qu’il est le plus marqué. Néanmoins, le principal déterminant de cette mendicité infantile demeure la pauvreté, du fait que la plupart des talibés proviennent des régions les plus déshéritées de notre pays ou appartiennent aux groupes de populations les plus démunis (difficultés à entretenir la famille).

Il est également établi, que les difficultés d’accès au système éducatif (accessibilité géographique, culturelle et financière) et/ou l’échec scolaire jouent un rôle important dans la décision des parents d’envoyer leurs enfants dans les daara.

Il est de notoriété publique que les daara dont l’origine remonterait au moins au quatorzième siècle, sont des institutions, qui existent dans presque tous les pays à majorité musulmane en Afrique et en Asie, avec des fonctions d’enseignement du Coran et de propagation de l’islam.

Ces daara permettent encore aux musulmans de donner à leurs enfants les instruments pour mieux connaître et pratiquer leur religion. Elles sont, pour l’écrasante majorité des jeunes musulmans sénégalais, les premières institutions scolaires (et souvent même préscolaires) qu’ils fréquentent. Elles ont aussi été le terreau fertile, d’où ont émergé toutes les personnalités religieuses sénégalaises et demeurent un symbole de résistance aux agressions culturelles de l’Occident. C’est dire que ces daara occupent une place de choix dans le cœur de tout sénégalais de confession musulmane.

La crise profonde que vit actuellement l’Ecole sénégalaise joue en faveur des écoles coraniques, plus accessibles et réputées efficaces pour développer les capacités d’apprentissage des enfants, même si elles présentent l’inconvénient de ne déboucher sur aucune qualification professionnelle ni diplôme reconnu par les pouvoirs publics.

Dans le passé, les coûts induits par l’entretien et l’apprentissage étaient pris en charge par la communauté (soit à partir de la zakat ou d’un champ cultivé par les talibés ou leurs parents). Vers les années 70-80, l’enseignement coranique traditionnel a subi les contrecoups des mutations significatives en cours au sein de la société dans son ensemble. De fait, le choc pétrolier, les sécheresses consécutives et les politiques d’ajustement structurel ont frappé de plein fouet notre pays se traduisant par un exode rural massif avec des conséquences désastreuses de la nouvelle urbanisation sur les rapports sociaux à la campagne comme en ville (bidonvilisation).

En effet, des rapports de suspicion ont commencé à régner entre les pouvoirs publics et nos concitoyens provenant du monde rural, qui développaient des stratégies de survie. C’est à ce moment qu’on a commencé à concevoir des programmes de lutte contre les talibés-mendiants, les bana-banas (devenus marchands ambulants) et autres exclus de la société, qu’on se plaisait, dans un passé pas trop lointain, à désigner sous le vocable injurieux d’encombrements humains.

Cette méfiance n’a pas épargné l’enseignement coranique, qui était combattu pendant la période coloniale et continue d’être traité en parent pauvre par une élite politique encore trop occidentalisée. Elle semble même devoir s’accentuer en ces temps troubles de psychose sécuritaire mondiale.

Un historien sénégalais réputé, rapporte « qu’en 1983, quand il était ministre de l’Education nationale il fut surpris de découvrir que Cheikh Mourtada Mbacké, pour ses 300 écoles coraniques, employant 500 enseignants et 125 agents de service, recevait une subvention annuelle de 700 000F, contre 550 millions pour les écoles confessionnelles des religions non islamiques, au nombre d’une centaine, à peu près ».

Nous doutons fort, que les choses aient radicalement changé depuis lors, même s’il faut reconnaître que le Ministère de l’Education Nationale est en train de conduire un programme de modernisation des daara.

Ainsi la Lettre de Politique générale pour le Secteur de l’Education et de la Formation, 2012-2025, ambitionne de « contribuer efficacement à la modernisation des daaras, à travers une approche holistique, prenant en compte la qualité de l’environnement physique et pédagogique, la santé et la nutrition des enfants et le renforcement des capacités des acteurs ».

Il y a également diverses autres initiatives, dans lesquelles, la part du lion revient, à l’Etat et aux PTF (UNICEF, UNFPA, USAID…), dont les plus importantes ont trait à l’introduction au sein des daara de projets de trilinguisme, d’Education à la Vie familiale (EVF/daara) d’éducation de base de qualité, sans oublier la formation professionnelle. Par ailleurs, une place plus importante a été accordée à l’éducation religieuse au sein des écoles dans le même temps où on procédait à la création d’écoles franco-arabes publiques et d’une Inspection des Daara en 2004.

Il s’agira, pour le gouvernement, avant de renforcer les mesures répressives contre la mendicité forcée, d’étudier des mesures sociales d’accompagnement, en commençant par la cartographie des zones les plus pourvoyeuses d’enfants délaissés. Ensuite, les pouvoirs publics (Etat, collectivités locales) et des mécènes pourraient accorder des subventions ciblées à des daara minutieusement sélectionnées. Enfin, il serait souhaitable de mener à terme l’entreprise de modernisation des daara qui devront perdre leur caractère informel et bénéficier des mêmes niveaux de subvention que les établissements scolaires du privé catholique.

Dans tous les cas, les pouvoirs publics et les organisations nationales et internationales de la société civile doivent éviter de donner l’impression qu’elles assimilent l’ensemble de ces écoles coraniques traditionnelles de simples entreprises d’escroquerie de jeunes enfants par des maîtres coraniques véreux. Ce serait là, faire preuve d’une ignorance patente de nos réalités socioculturelles, car, dans les écoles coraniques traditionnelles, la mendicité ne jouait qu’un rôle marginal et avait une fonction éducative (notions d’humilité, de partage, de solidarité…).

Nioxor TINE

Références :
1. Dr Momar KANE, Radioscopie d’un phénomène à la croisée du social et du religieux : la mendicité des talibés
2. Emily Delap, Anti-Slavery International 2009 : Begging for Change, Research findings and recommendations on forced child begging in Albania/Greece, India and Senegal
3. Human Rights Watch: Senegal: Protect Children from forced begging
4. Inspection des Daara / Ministère de l’Education Nationale : La Modernisation des daara
5. Professeur Iba Der THIAM, Les daara au Sénégal : Rétrospective historique

 


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