Mai 1977, sans avoir, dans les annales de l’histoire du mouvement estudiantin la même épaisseur que mai 1968, n’en constitue pas moins un moment de mobilisation exceptionnel.
Le boycott des cours étaient couplés avec des piquets de masse, véritables instances de mobilisation et d’apprentissage des méthodes de de luttes. Au sortir de cette grève, la question de la réorganisation du mouvement estudiantin était à l’ordre du jour. Cet impératif, découlant des différentes lectures de l’expérience, sera exécuté dans une période d’effervescence idéologie sans précédent. Dans l’Université de Dakar, des cercles d’obédience de gauche essaimaient comme des champignons après la pluie ! Ceux qui ne se réclamaient ni de Marx, Lénine, Mao ou Trotski étaient pratiquent exclus, pour ne pas dire auto-exclus des instances de décision.
Cette dynamique produisit ses propres leaders au nombre desquels Hachem, Ousiby Touré, Djibril Dia, Bamba Ndiaye, Babacar Fall, Hamidou Dia, Ousmane Senghor et El Hadji Pape Amadou Ndiaye.
Autre facteur ayant impacté sur notre compagnonnage, l’encadrement académique et pédagogique. Nous avons toujours manifesté notre fierté d’avoir été produits de l’université de notre pays. Notre reconnaissance envers les Pr Alassane Ndaw, Dieydy Sy, Boubacar Ly, Abdoulaye Élimane Kane, Raymond-Aloyse Ndiaye, Mamoussé Diagne, Abdoulaye Bara Diop et Michel Lefebvre est demeurée une constante. Nous avons été façonnés par ces Maîtres qui savaient ce que enseigner signifie : c’est-à dire, en plus de dispenser le savoir et de consolider l’esprit critique, mesurer à sa juste valeur l’immense responsabilité de se voir confier des jeunes d’une certaine manière contestataire jusqu’au bout des ongles.
C’est dans ce contexte que le fils du Baol, fortement imprégné de la culture du terroir, Mamadou Ablaye Ndiaye, rencontra l’enfant de Saint-Louis, ou plutôt de Pikine Angle Tall, densément ancré dans la culture Haal pular ! Certes nous étions tous deux des anciens du Lycée Charles De Gaulle, mais nous ne nous étions connus que sur les bancs de l’Université, lui né en 1953 à Bambey, et moi, en 1956 dans la vieille cité portuaire.
Nous avions très tôt réussi à circonscrire des plages de convergence : si la détermination des « camarades » à s’investir pour le triomphe du monde de notre rêve ne faisait pour nous l’ombre d’aucun doute, nous n’en pensions pas moins que de sérieux efforts devaient être fournis dans « le double axe de l’appropriation du marxisme et de la maîtrise des réalités socioéconomiques du continent », pour reprendre Amady Aly Dieng. Cette conviction nôtre était d’autant plus forte que, malgré notre divergence idéologique toujours réaffirmée avec Léopold Sédar Senghor, nous reconnaissions une certaine pertinence à sa critique même formulée sous le mode de la caricature : « parmi ceux qui se disent marxistes peu ont lu Marx et parmi ceux qui ont lu Marx peu sont ceux qui l’ont compris. »
Notre sentiment était qu’une sorte de paresse intellectuelle, conjuguée à une propension incroyable à une restitution mécanique des textes des classiques, sous toile de fond d’une tradition critique des plus larvées, hypothéquait nos chances « d’accéder au sommet lumineux du savoir ». Mais cette prise de conscience débouchait aussi sur une sérieuse réserve vis-à-vis de l’académisme et du carriérisme. L’un et l’autre recoupaient souvent sur leurs difficultés à saisir judicieusement les enjeux sous-jacents à l’intelligence positive des lois qui président à l’évolution de la nature et du monde des hommes.
A la faveur de notre cohabitation au pavillon E, Ndiaye et moi primes l’engagement de faire des études et de la recherche « «une affaire sérieuse » ! La lecture attentive du Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, de l’Anti-Dühring et du Capital, entre autres, contribuèrent à nous faire comprendre la portée de la théorie de la connaissance. La même attention présida à notre exploitation des travaux de Basil Davidson, Cheikh Anta Diop, Jean- Suret Canal, Jean -Pierre Vernant, Boubacar Barry, Abdoulaye Bara Diop, Paul Pélissier, Joseph Ki Zerbo et, évidemment, Amady Aly Dieng. Cette précaution nous permit d’asseoir nos principes de base et, corrélativement, de nous mettre en perspective pour apporter notre modeste contribution à cet impératif que constitue le développement des sciences sociales au Sénégal et en Afrique. En résultait cette ligne directrice ainsi déclinée :
Dans la même mouvance unitaire, nous proposions à nos lecteurs une réflexion philosophique sur les œuvres de l’artiste-peintre Kalidou Kassé. Cet ouvrage sera traduit en anglais par le Professeur Badara Sall de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Parallèlement à ces livres édités, notre complicité intellectuelle trouvait son prolongement dans la rédaction de plusieurs dossiers de presse consignant notre lecture des bien laborieuses expériences démocratiques en cours sur l’Afrique, notamment au Sénégal. Notre journal de prédilection était, en fait, ou plutôt, de fait, Sud quotidien. Notre régularité dans la production d’articles dans ce quotidien et la fidélité à ce journal nous avaient valu des fois d’être interpellés comme les « amis de Sud »- d’autant que, à la même période, j’animais à l’antenne Sud de Saint-Louis le Banquet.
Pour Ndiaye comme pour moi, c’était des moments de délectation tout à fait singuliers que de passer mettre la dernière main sur notre dossier à paraitre. Le siège du Groupe Sud Communication nous a été toujours ouvert. Mais au-delà des bureaux, c’étaient les visages et les cœurs et au-delà des visages et des cœurs, et plus que les visages et les cœurs, c’étaient bien les esprits ! Et aujourd’hui, je revois avec ferveur des noms et des figures défiler, secouant du coup ma mémoire ankylosée par l’émotion.
Des noms, des figures, des esprits allant au-delà du comportement que requiert tout simplement le professionnalisme pour faire montre, à notre égard, d’une égale générosité : Babacar Touré, Abdoulaye Ndiaga Sylla, Saphie LY, Abdou Latif Coulibaly, Vieux Savané, Ndiaya Diop, Ben Moctar Diop, ou Sérigne Mour Diop, pour n’en citer que ceux-là !
Pr Marie Andrée, ma sœur et épouse, qui a suivi d’un regard des plus attentifs l’essentiel de mon cheminement avec Ndiaye, nous appelait affectueusement les jumeaux. Et elle ne savait si bien dire ! Nous écrivions en deux mains en une seule ! Nous nous reconnaissions mutuellement, et à nous deux seulement, à la fois, le droit, le devoir et la responsabilité de terminer sans risquer d’altérer, en quoi que ce soit notre pensée, un paragraphe voire tout simplement une phrase.
Nos plus proches, y compris nos épouses, n’étaient en mesure de dire où commence la phrase de l’un et on se termine celle de l’autre. Du reste, c’était pour nous nous une non question. Cette complicité, qui frisait l’osmose, ne faisait l’objet d’aucun doute de la part de nos chers lecteurs qui ont souvent avoué n’avoir jamais décelé la moindre cassure dans la conduite de notre pensée qui signalerait un moment de passage de témoin, ou plutôt de plume.
Certes, nous n’étions pas allés aussi loin que ces deux éminents penseurs égyptiens, Bahgat El Nadi et Adel Rifaat, qui signaient sous le même pseudonyme, Mahmoud Hussein. Cependant, nos amis nous encourageaient à leur manière, en nous comparant, toute proportion gardée, à Marx et Engels !
Et Pr Mamoussé Diagne, dont l’éloignement spatial vis-à-vis du duo était inversement proportionnel à la fraternelle attention qu’il nous accordait, nous donnait constamment sa bénédiction en faisant observer que nous avons réussi là où butait l’opposition sénégalaise : triompher des egos, pour faire une œuvre qui fait date ! (C’était, il est vrai, bien avant la victoire du FAL en 2000)
Au demeurant, ce duo nôtre n’avait pas en lui tout seul toute sa vérité. Il a bénéficié d’une sorte d’encadrement rapproché de la part d’hommes et de femmes suffisamment conscients des enjeux de notre engagement et des séries de privations qui vont avec pour nous apporter leur soutien multiforme à notre aventure. Au nombre de ceux-là, celui que nous appelions affectueusement Pa Dieng, Doyen Dieng ou tout simplement Grand Dieng. Avec sa proximité, c’était l’apprentissage d’une lourdeur stylistique à élaguer, d’une affirmation gratuite à supprimer et/ou d’une polémique à biffer au profit d’une argumentation soutenue.
Ses connaissances aux dimensions encyclopédiques avérées, son sens de la critique et son obsession de voir enfin émerger en Afrique de véritables sciences sociales auront contribué à nos armer non sans infléchir notre choix des objets de nos investigations. De ce cercle des amis faisait partie Babacar Touré, à l’époque à la tête du Groupe Sud Communication. En plus de ses conseillers et suggestions des plus précieuses et de son sens remarquable de l’écoute, son soutien n’avait jamais fait défaut surtout quand il s’agissait de résoudre une question d’ordre logistique que requiert la publication de nos thèses ou la promotion de nos livres.
Cette fraternelle assistance venait à point pour des chercheurs qui, dans la mesure où ils étaient « dans l’informel », ne bénéficiaient d’aucune subvention. Je me rappelle que, en ce moment où manipuler la souris restait encore un luxe, nous n’avions même pas suffisamment de papier. Or ce support restait des plus précieux pour assurer à la pensée la traçabilité que suppose sa lisibilité, une des conditions de son intelligibilité.
Mamadou Mbodj, Mariètou Ndiongue, Alfred Ndiaye, Mame Less Camara, Youssou Diop, Bakary Faye, Maître Abdoul Djalil Kane, Ibrahima Kane, Abdoulaye Badou Thiam, Sérigne Guèye, Marie Jo Bourdin, Mamdou Ly, affectueusement appelé Boy Ly, Ndiaye Thioro, Youssou Fall, sans citer tous mais sans non plus oublier personne, constitueront les maillons de cette chaîne de solidarité.
Last but not least, nos épouses feront preuve d’un sens extraordinaire de la grandeur et de la dignité, révélateur de leur intelligence de cette sorte de mission qui reposait sur les frêles épaules de leurs maris. Aussi avions-nous parfois procédé, presque avec leur complicité, « au détournement » du budget familial pour l’achat de livres, de journaux ou pour nos nombreux déplacements, compte non tenu des frais de téléphone.
Tout cela avait concouru à nous mettre, pour ainsi dire, l’aise. Pour preuve, malgré les exigences de la recherche par essence possessive, en dépit de cette rigueur aux accents kantiens qui nous était souvent attribuée, nous connaissions la joie de vivre. Dans le cercle de nos amis et proches, nous vivions des moments sublimes de communion comme en témoignaient nos « sourires, nos rires, voire nos éclats de rires », pour reprendre une formulation des Conquêts de la citoyenneté.
Les péripéties de la vie, alimentées par certaines contradictions dont jusqu’ici la nature me parait des plus énigmatiques, viendront à bout d’un compagnonnage vieux de plus de trente hivernages. Nous en étions à attendre la préface d’un autre livre par notre ami Babacar Touré - qui devait être la seconde, après celle généreusement rédigée pour accompagner Les Conquêtes de la citoyenneté, Essai politique sur l’Alternance politique de mars 2000. Cet ouvrage, Presse et jeu politique au Sénégal, devait être publié par le pertinent poète camerounais et non moins éditeur, notre ami Paul Dakeyo. Traitant, entre autres, des séquences les plus significatives de la contribution des professionnels de l’information et de la communication dans les luttes citoyennes pour l’avènement de l’Etat de Droit, ce livre n’a jusqu’ici échappé à la critique rongeuse des souris que grâce au concours magique des technologies de l’information et de la communication !
Que retenir de cette aventure ? L’essentiel ! C’est-à-dire cette ligne directrice de laquelle résulte cette œuvre qui survivra aussi bien à la mort de Mamadou Ablaye Ndiaye qu’à la mienne. Du moins, je le souhaite au plus profond de moi-même.
Alpha Amadou SY, Philosophe / Ecrivain
Le boycott des cours étaient couplés avec des piquets de masse, véritables instances de mobilisation et d’apprentissage des méthodes de de luttes. Au sortir de cette grève, la question de la réorganisation du mouvement estudiantin était à l’ordre du jour. Cet impératif, découlant des différentes lectures de l’expérience, sera exécuté dans une période d’effervescence idéologie sans précédent. Dans l’Université de Dakar, des cercles d’obédience de gauche essaimaient comme des champignons après la pluie ! Ceux qui ne se réclamaient ni de Marx, Lénine, Mao ou Trotski étaient pratiquent exclus, pour ne pas dire auto-exclus des instances de décision.
Cette dynamique produisit ses propres leaders au nombre desquels Hachem, Ousiby Touré, Djibril Dia, Bamba Ndiaye, Babacar Fall, Hamidou Dia, Ousmane Senghor et El Hadji Pape Amadou Ndiaye.
Autre facteur ayant impacté sur notre compagnonnage, l’encadrement académique et pédagogique. Nous avons toujours manifesté notre fierté d’avoir été produits de l’université de notre pays. Notre reconnaissance envers les Pr Alassane Ndaw, Dieydy Sy, Boubacar Ly, Abdoulaye Élimane Kane, Raymond-Aloyse Ndiaye, Mamoussé Diagne, Abdoulaye Bara Diop et Michel Lefebvre est demeurée une constante. Nous avons été façonnés par ces Maîtres qui savaient ce que enseigner signifie : c’est-à dire, en plus de dispenser le savoir et de consolider l’esprit critique, mesurer à sa juste valeur l’immense responsabilité de se voir confier des jeunes d’une certaine manière contestataire jusqu’au bout des ongles.
C’est dans ce contexte que le fils du Baol, fortement imprégné de la culture du terroir, Mamadou Ablaye Ndiaye, rencontra l’enfant de Saint-Louis, ou plutôt de Pikine Angle Tall, densément ancré dans la culture Haal pular ! Certes nous étions tous deux des anciens du Lycée Charles De Gaulle, mais nous ne nous étions connus que sur les bancs de l’Université, lui né en 1953 à Bambey, et moi, en 1956 dans la vieille cité portuaire.
Nous avions très tôt réussi à circonscrire des plages de convergence : si la détermination des « camarades » à s’investir pour le triomphe du monde de notre rêve ne faisait pour nous l’ombre d’aucun doute, nous n’en pensions pas moins que de sérieux efforts devaient être fournis dans « le double axe de l’appropriation du marxisme et de la maîtrise des réalités socioéconomiques du continent », pour reprendre Amady Aly Dieng. Cette conviction nôtre était d’autant plus forte que, malgré notre divergence idéologique toujours réaffirmée avec Léopold Sédar Senghor, nous reconnaissions une certaine pertinence à sa critique même formulée sous le mode de la caricature : « parmi ceux qui se disent marxistes peu ont lu Marx et parmi ceux qui ont lu Marx peu sont ceux qui l’ont compris. »
Notre sentiment était qu’une sorte de paresse intellectuelle, conjuguée à une propension incroyable à une restitution mécanique des textes des classiques, sous toile de fond d’une tradition critique des plus larvées, hypothéquait nos chances « d’accéder au sommet lumineux du savoir ». Mais cette prise de conscience débouchait aussi sur une sérieuse réserve vis-à-vis de l’académisme et du carriérisme. L’un et l’autre recoupaient souvent sur leurs difficultés à saisir judicieusement les enjeux sous-jacents à l’intelligence positive des lois qui président à l’évolution de la nature et du monde des hommes.
A la faveur de notre cohabitation au pavillon E, Ndiaye et moi primes l’engagement de faire des études et de la recherche « «une affaire sérieuse » ! La lecture attentive du Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, de l’Anti-Dühring et du Capital, entre autres, contribuèrent à nous faire comprendre la portée de la théorie de la connaissance. La même attention présida à notre exploitation des travaux de Basil Davidson, Cheikh Anta Diop, Jean- Suret Canal, Jean -Pierre Vernant, Boubacar Barry, Abdoulaye Bara Diop, Paul Pélissier, Joseph Ki Zerbo et, évidemment, Amady Aly Dieng. Cette précaution nous permit d’asseoir nos principes de base et, corrélativement, de nous mettre en perspective pour apporter notre modeste contribution à cet impératif que constitue le développement des sciences sociales au Sénégal et en Afrique. En résultait cette ligne directrice ainsi déclinée :
- Contribuer à restituer à la philosophie ses attributs originels en renvoyant dos à dos l’européocentrisme et l’africanisme philosophique ;
- Mettre l’accent sur la théorie de la connaissance comme matrice du mode de pensée philosophique ;
- Tenir compte du fait que la philosophie, tout en renonçant à ses visées hégémonistes, n’en constitue pas moins un ordre du savoir suffisamment outillé pour soumettre avec bonheur tous les autres discours sous le regard oblique du soupçon ;
- Articuler la volonté de vérité à la perspective de faire prévaloir dans le monde notre l’idéal de justice sociale, de liberté et de fraternité.
Dans la même mouvance unitaire, nous proposions à nos lecteurs une réflexion philosophique sur les œuvres de l’artiste-peintre Kalidou Kassé. Cet ouvrage sera traduit en anglais par le Professeur Badara Sall de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis.
Parallèlement à ces livres édités, notre complicité intellectuelle trouvait son prolongement dans la rédaction de plusieurs dossiers de presse consignant notre lecture des bien laborieuses expériences démocratiques en cours sur l’Afrique, notamment au Sénégal. Notre journal de prédilection était, en fait, ou plutôt, de fait, Sud quotidien. Notre régularité dans la production d’articles dans ce quotidien et la fidélité à ce journal nous avaient valu des fois d’être interpellés comme les « amis de Sud »- d’autant que, à la même période, j’animais à l’antenne Sud de Saint-Louis le Banquet.
Pour Ndiaye comme pour moi, c’était des moments de délectation tout à fait singuliers que de passer mettre la dernière main sur notre dossier à paraitre. Le siège du Groupe Sud Communication nous a été toujours ouvert. Mais au-delà des bureaux, c’étaient les visages et les cœurs et au-delà des visages et des cœurs, et plus que les visages et les cœurs, c’étaient bien les esprits ! Et aujourd’hui, je revois avec ferveur des noms et des figures défiler, secouant du coup ma mémoire ankylosée par l’émotion.
Des noms, des figures, des esprits allant au-delà du comportement que requiert tout simplement le professionnalisme pour faire montre, à notre égard, d’une égale générosité : Babacar Touré, Abdoulaye Ndiaga Sylla, Saphie LY, Abdou Latif Coulibaly, Vieux Savané, Ndiaya Diop, Ben Moctar Diop, ou Sérigne Mour Diop, pour n’en citer que ceux-là !
Pr Marie Andrée, ma sœur et épouse, qui a suivi d’un regard des plus attentifs l’essentiel de mon cheminement avec Ndiaye, nous appelait affectueusement les jumeaux. Et elle ne savait si bien dire ! Nous écrivions en deux mains en une seule ! Nous nous reconnaissions mutuellement, et à nous deux seulement, à la fois, le droit, le devoir et la responsabilité de terminer sans risquer d’altérer, en quoi que ce soit notre pensée, un paragraphe voire tout simplement une phrase.
Nos plus proches, y compris nos épouses, n’étaient en mesure de dire où commence la phrase de l’un et on se termine celle de l’autre. Du reste, c’était pour nous nous une non question. Cette complicité, qui frisait l’osmose, ne faisait l’objet d’aucun doute de la part de nos chers lecteurs qui ont souvent avoué n’avoir jamais décelé la moindre cassure dans la conduite de notre pensée qui signalerait un moment de passage de témoin, ou plutôt de plume.
Certes, nous n’étions pas allés aussi loin que ces deux éminents penseurs égyptiens, Bahgat El Nadi et Adel Rifaat, qui signaient sous le même pseudonyme, Mahmoud Hussein. Cependant, nos amis nous encourageaient à leur manière, en nous comparant, toute proportion gardée, à Marx et Engels !
Et Pr Mamoussé Diagne, dont l’éloignement spatial vis-à-vis du duo était inversement proportionnel à la fraternelle attention qu’il nous accordait, nous donnait constamment sa bénédiction en faisant observer que nous avons réussi là où butait l’opposition sénégalaise : triompher des egos, pour faire une œuvre qui fait date ! (C’était, il est vrai, bien avant la victoire du FAL en 2000)
Au demeurant, ce duo nôtre n’avait pas en lui tout seul toute sa vérité. Il a bénéficié d’une sorte d’encadrement rapproché de la part d’hommes et de femmes suffisamment conscients des enjeux de notre engagement et des séries de privations qui vont avec pour nous apporter leur soutien multiforme à notre aventure. Au nombre de ceux-là, celui que nous appelions affectueusement Pa Dieng, Doyen Dieng ou tout simplement Grand Dieng. Avec sa proximité, c’était l’apprentissage d’une lourdeur stylistique à élaguer, d’une affirmation gratuite à supprimer et/ou d’une polémique à biffer au profit d’une argumentation soutenue.
Ses connaissances aux dimensions encyclopédiques avérées, son sens de la critique et son obsession de voir enfin émerger en Afrique de véritables sciences sociales auront contribué à nos armer non sans infléchir notre choix des objets de nos investigations. De ce cercle des amis faisait partie Babacar Touré, à l’époque à la tête du Groupe Sud Communication. En plus de ses conseillers et suggestions des plus précieuses et de son sens remarquable de l’écoute, son soutien n’avait jamais fait défaut surtout quand il s’agissait de résoudre une question d’ordre logistique que requiert la publication de nos thèses ou la promotion de nos livres.
Cette fraternelle assistance venait à point pour des chercheurs qui, dans la mesure où ils étaient « dans l’informel », ne bénéficiaient d’aucune subvention. Je me rappelle que, en ce moment où manipuler la souris restait encore un luxe, nous n’avions même pas suffisamment de papier. Or ce support restait des plus précieux pour assurer à la pensée la traçabilité que suppose sa lisibilité, une des conditions de son intelligibilité.
Mamadou Mbodj, Mariètou Ndiongue, Alfred Ndiaye, Mame Less Camara, Youssou Diop, Bakary Faye, Maître Abdoul Djalil Kane, Ibrahima Kane, Abdoulaye Badou Thiam, Sérigne Guèye, Marie Jo Bourdin, Mamdou Ly, affectueusement appelé Boy Ly, Ndiaye Thioro, Youssou Fall, sans citer tous mais sans non plus oublier personne, constitueront les maillons de cette chaîne de solidarité.
Last but not least, nos épouses feront preuve d’un sens extraordinaire de la grandeur et de la dignité, révélateur de leur intelligence de cette sorte de mission qui reposait sur les frêles épaules de leurs maris. Aussi avions-nous parfois procédé, presque avec leur complicité, « au détournement » du budget familial pour l’achat de livres, de journaux ou pour nos nombreux déplacements, compte non tenu des frais de téléphone.
Tout cela avait concouru à nous mettre, pour ainsi dire, l’aise. Pour preuve, malgré les exigences de la recherche par essence possessive, en dépit de cette rigueur aux accents kantiens qui nous était souvent attribuée, nous connaissions la joie de vivre. Dans le cercle de nos amis et proches, nous vivions des moments sublimes de communion comme en témoignaient nos « sourires, nos rires, voire nos éclats de rires », pour reprendre une formulation des Conquêts de la citoyenneté.
Les péripéties de la vie, alimentées par certaines contradictions dont jusqu’ici la nature me parait des plus énigmatiques, viendront à bout d’un compagnonnage vieux de plus de trente hivernages. Nous en étions à attendre la préface d’un autre livre par notre ami Babacar Touré - qui devait être la seconde, après celle généreusement rédigée pour accompagner Les Conquêtes de la citoyenneté, Essai politique sur l’Alternance politique de mars 2000. Cet ouvrage, Presse et jeu politique au Sénégal, devait être publié par le pertinent poète camerounais et non moins éditeur, notre ami Paul Dakeyo. Traitant, entre autres, des séquences les plus significatives de la contribution des professionnels de l’information et de la communication dans les luttes citoyennes pour l’avènement de l’Etat de Droit, ce livre n’a jusqu’ici échappé à la critique rongeuse des souris que grâce au concours magique des technologies de l’information et de la communication !
Que retenir de cette aventure ? L’essentiel ! C’est-à-dire cette ligne directrice de laquelle résulte cette œuvre qui survivra aussi bien à la mort de Mamadou Ablaye Ndiaye qu’à la mienne. Du moins, je le souhaite au plus profond de moi-même.
Alpha Amadou SY, Philosophe / Ecrivain