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Le naufrage silencieux du tourisme au Sénégal.

Jeudi 12 Février 2015

Déjà plombé par des taxes élevées et l’instauration du visa biométrique, le secteur fait les frais de l’épidémie d’Ebola. Et sombre lentement, avec son lot de fermetures d’hôtels et de licenciements.

C’est un naufrage silencieux qui risque de traumatiser durablement l’économie sénégalaise. Jadis florissante, considérée comme la deuxième source de devises du pays après la pêche, la filière touristique, en crise depuis plusieurs années déjà, est désormais en voie d’effondrement accéléré.

Le coupable a un nom : Ebola. Un virus qui a fait naître une psychose à l’égard de cette destination d’Afrique de l’Ouest limitrophe de la Guinée, l’un des trois principaux foyers de l’épidémie. Avec un unique cas recensé en août 2014, rapidement soigné et renvoyé en Guinée, le Sénégal est pourtant “Ebola-free”, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

“Les médias occidentaux ont trop dramatisé la situation, maintenant le mal est fait”, s’indigne un cadre du Domaine de Nianing, un vaste complexe hôtelier de la Petite-Côte. Devant la baisse accrue de la fréquentation depuis sa réouverture en octobre, il a été décidé de clore la saison 2014-2015 le 5 mars, alors que la précédente s’était prolongée jusqu’au début du mois d’août.

Le virus Ebola a également un impact sur le tourisme d’affaires, pourtant en hausse ces dernières années à Dakar. “Les annulations depuis septembre se sont traduites par un manque à gagner de 800 millions de F CFA [1,2 million d’euros]”, admet ainsi Pierre Mbow, le directeur du King Fahd Palace.

À Saly-Portudal, principal pôle touristique de la Petite-Côte, l’hôtel Espadon a mis la clé sous la porte. Et le groupe TUI France a décidé, dès le début de novembre, de fermer le Club Marmara-Les Filaos, anticipant une mauvaise saison à cause du virus – même si les autres marques du groupe (Nouvelles Frontières, Aventuria et Corsair) demeurent actives au Sénégal.

Selon les professionnels, la fréquence de rotation des appareils affrétés par les tour-opérateurs est en chute libre, et plusieurs établissements réputés figurent sur la liste des morts en sursis, leur fermeture pouvant intervenir avant la fin de la saison.

Par ailleurs, un fléau naturel a aggravé les problèmes : l’érosion côtière. Plusieurs hôtels ont vu leur plage disparaître sous la montée des eaux.

Contradictoire

Autre zone sinistrée, la Casamance, dans le Sud. Souffrant de son enclavement dans un pays coupé en deux par la Gambie, cette région luxuriante aux plages de sable fin qui fut longtemps une destination privilégiée des touristes a connu des revers de fortune qui menacent directement la survie du secteur. Outre le conflit larvé entre les indépendantistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) et l’armée sénégalaise, la situation a empiré depuis la faillite, en 2009, d’Air Sénégal International, la seule compagnie qui desservait cette région depuis Dakar.

“La saison dernière, à la suite de l’instauration du visa biométrique par les autorités, la fréquentation a baissé de 30 % à 40 %, témoigne Jean-Paul Fontaine, propriétaire et gérant des Alizés Beach Resort, le seul cinq-étoiles de la région. Et, depuis le début de la saison actuelle, nous avons à nouveau perdu 30 % à 40 % de clients, cette fois à cause d’Ebola.”

La chute spectaculaire de la fréquentation touche toutes les catégories d’hôtels, des établissements indépendants au Club Med. “Il n’y a plus une seule structure hôtelière en activité dans la région Kafountine-Abéné [à proximité de la frontière gambienne]”, ajoute Jean-Paul Fontaine. Même dans la zone réputée du Cap-Skirring, où lui-même est implanté, l’hôtelier estime que “la poursuite de la saison 2014-2015 est compromise : plusieurs établissements envisagent une fermeture anticipée”.

Or, en Casamance comme sur la Petite-Côte, le tourisme constitue un poumon économique dont les bénéficiaires ne sont pas seulement les employés des hôtels. Selon le ministère du Tourisme et des Transports aériens, le secteur génère 75 000 emplois directs et 25 000 indirects.

Si l’apparition du virus Ebola en Afrique de l’Ouest explique en grande partie cette saison catastrophique, les professionnels reconnaissent que le mal est plus profond et que le déclin s’est accéléré à partir de 2008 avec la crise financière. Les gouvernements successifs du pays ont toujours affirmé leur volonté de relancer le secteur, mais ont souvent envoyé des signaux contradictoires. “Les taxes aéroportuaires sont dissuasives, analyse un hôtelier. Avec des billets d’avion en classe économique pouvant aller de 600 à 1 300 euros selon la période, nous ne sommes pas compétitifs.”

Sénégal : la clientèle business, la nouvelle cible
Alors que le tourisme balnéaire est en déclin, c’est désormais sur la clientèle des hommes d’affaires que misent les acteurs du secteur au Sénégal. C’est essentiellement elle qui occupe les hôtels dakarois (au King Fahd Palace par exemple, elle représente désormais 85 % de la fréquentation).

Avec les événements internationaux qu’elle attire, la capitale est ainsi devenue l’une des cibles régionales des groupes internationaux et africains qui se positionnent sur ce créneau du tourisme d’affaires.

Après le groupe français Onomo en 2012, le malien Azalai Hôtels devrait prochainement y démarrer la construction d’un établissement. Tout comme l’américain Hyatt Hotels Corporation, qui y est annoncé pour cette année. Outre les étrangers, les locaux renforcent eux aussi leurs offres dans ce domaine.

Après avoir augmenté la capacité du Radisson Blu, le groupe Teyliom de Yérim Sow devrait ouvrir cette année au premier trimestre, via sa filiale Mangalis, un nouvel hôtel de 89 chambres dans le quartier des Almadies sous sa marque économique Yaas.

Comparé au Cap-Vert ou à la Gambie, qui ont “libéralisé le ciel” en permettant à des compagnies low cost de pratiquer des tarifs planchers, le Sénégal est une destination devenue très onéreuse, que même les Caraïbes concurrencent. Depuis juillet 2013 et l’instauration, sous prétexte de réciprocité, d’un visa biométrique pour les ressortissants des pays demandant un visa aux Sénégalais, la destination est encore plus chère. “Non seulement son coût de 52 euros est prohibitif, mais la gestion biométrique rend sa délivrance très compliquée et le temps d’attente à l’aéroport dissuasif”, soutient un professionnel.

À l’époque de l’adoption de cette mesure, Mamadou Racine Sy, président de la Fédération des organisations patronales de l’industrie touristique, avait mis les autorités en garde contre ses potentielles répercussions désastreuses. Selon son organisation, cela pouvait se traduire par “une baisse prévisionnelle de 35 % de l’activité” correspondant à une perte cumulée de près de 105 milliards de F CFA. Mais le gouvernement avait maintenu sa décision, proposant, pour seul palliatif, de dispenser de visa pendant un an les touristes pris en charge par des tour-opérateurs.

Une mesure qui a été reconduite jusqu’en décembre 2015. D’après les statistiques officielles, la fréquentation a légèrement augmenté entre 2011 et 2013, où un peu plus de 1 million de touristes seraient entrés au Sénégal, mais l’ensemble des acteurs de la filière, des hôteliers aux tour-opérateurs, soutient qu’en réalité celle-ci serait en chute libre.

“Le nombre de touristes ne dépasse pas 400 000 par an, estime Moustapha Kane, le secrétaire général du Syndicat patronal de l’industrie hôtelière. La tendance est à la baisse depuis dix ans.” ambitions. En novembre 2014, Mamadou Racine Sy, qui déplorait par ailleurs l’absence d’un véritable office du tourisme, a été nommé président de l’Agence nationale de promotion touristique. Mais, selon plusieurs professionnels, cette structure n’a pas encore les moyens d’assumer sa mission. “L’État lui avait promis 4 milliards de F CFA, résume Jean-Paul Fontaine. Le Maroc, lui, dépense 30 milliards à 40 milliards de F CFA chaque année pour promouvoir son industrie touristique.”

Au lendemain de son élection, en 2000, le président Abdoulaye Wade avait affiché l’ambition de porter le nombre de touristes à 1,5 million et la capacité d’accueil à 50 000 lits à l’horizon 2010. Quinze ans plus tard, on en est encore bien loin. Selon le ministère du Tourisme, la capacité d’accueil nationale s’élève à 34 062 lits (pour 744 hôtels). L’ancien chef de l’État avait par ailleurs lancé la construction de l’aéroport de Diass, à mi-chemin entre Dakar et les stations balnéaires de la Petite-Côte, afin d’améliorer la capacité aéroportuaire du pays et de rapprocher les touristes de leur destination privilégiée.

Mais son entrée en fonction, régulièrement repoussée, ne devrait pas intervenir avant la fin de l’année. Son successeur, Macky Sall, a lui aussi dévoilé des intentions ambitieuses pour le secteur. Dans le cadre de son Plan Sénégal émergent (PSE), il a fixé un objectif de 3 millions de touristes pour 2023, avec un stade intermédiaire de 2 millions en 2018.

Pour y arriver, il entend développer l’offre (avec, notamment, un accroissement de la capacité d’accueil de 25 000 lits), booster la promotion touristique, aujourd’hui en souffrance, et réformer la gouvernance du domaine (en améliorant la formation des personnels et la compétitivité de la destination). De nobles ambitions, qui laissent toutefois sceptiques de nombreux hôteliers.

Pendant ce temps, au Cap-Vert…
“Un million de touristes à l’horizon 2020.” L’objectif du ministère cap-verdien du Tourisme est précis, puisqu’il s’agit de doubler la fréquentation enregistrée par l’archipel depuis le début de la décennie. Le pays a établi un nouveau record en 2013, avec 552000 entrées sur son territoire, essentiellement vers les îles de Sal et de Boa Vista, les joyaux de la destination. “Le secteur constitue le principal vecteur de croissance de l’économie du pays, ainsi que sa principale source de devises”, assure-t-on à la direction générale du tourisme. Faute de ressources naturelles à exploiter, le pays a fait depuis vingt ans le choix d’asseoir son économie sur un secteur tertiaire largement dominé par les activités touristiques. Un domaine qui pèse à lui seul un tiers du PIB et dont les recettes sont passées de 40 millions de dollars (42,5 millions d’euros à l’époque) en 2000 à près de 350 millions de dollars en 2012.

La filière s’est également rendue indispensable en matière d’emploi, puisqu’un quart des Cap-Verdiens travaillent plus ou moins directement pour le secteur et qu’une majorité des investissements directs étrangers (IDE) le concernent. L’infrastructure hôtelière en a profité pour se développer : le pays comptait 222 établissements en 2013, contre moins d’une centaine vingt ans auparavant. Mieux encore, selon le World Travel & Tourism Council (WTTC), le Cap- Vert devrait compter parmi les dix pays qui enregistreront les hausses de fréquentation les plus importantes dans les toutes prochaines années.

“L’archipel est de plus en plus reconnu en Europe, avec ses plages, son climat tempéré toute l’année, et ce à quelques heures seulement du Vieux Continent”, explique un expert de l’organisation professionnelle. Autant d’arguments que le Sénégal pourrait reprendre à son compte.

Lu sur JeuneAfrique


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