Dans cette histoire, il y a une part peu glorieuse pour nous et une autre bien plus nette. Et beaucoup d’affects. C’est tout cela qu’il faut assumer tranquillement. C’est le meilleur qu’il s’agit de cultiver. Le Sénégal est dans l’épreuve. Nous devons nous y intéresser et voir comment nous rendre utile à son peuple, notre ami de longue main.
Depuis quelques jours, le pays, longtemps modèle démocratique africain, est en ébullition populaire. L’arrestation le 3 mars de l’opposant Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et possible candidat à celle de 2024, a entraîné la plus grande vague de manifestations et émeutes depuis plusieurs années. Au moins un jeune manifestant a été tué dans des affrontements avec les forces de répression jeudi. Les autorités gouvernementales ont également suspendu pour soixante-douze heures deux télévisions privées, Sen TV et Walf TV, accusées de troubles à l’ordre public « de nature à constituer une menace sur la stabilité nationale ou la cohésion sociale ». On croirait lire un communiqué du préfet Lallement.
Évidemment, ces mesures répressives ont attisé la mobilisation. Elle n’est pas superficielle. Elle vient de loin. La contestation contre la dérive autoritaire du Président Macky Sall est profonde. Il est connu pour avoir écarté plusieurs concurrents politiques, comme le Maire de Dakar Khalifa Sall, via des procédures s’apparentant à du Lawfare, guerre judiciaire en politique. Les conditions de la procédure contre Ousmane Sonko, accusé d’un viol qu’il nie fermement, et finalement arrêté pour « trouble à l’ordre public », ont un goût évident d’instrumentalisation de la justice.
Le Sénégal est loin d’être un cas unique. L’hybridation entre libéralisme économique et autoritarisme politique est la caractéristique la plus partagée par les différents régimes sur la planète. Ici, une fois de plus, tout a commencé à mal aller avec le tournant néo-libéral il y a plusieurs décennies, comme presque partout ailleurs dans le monde. Mais l’imaginaire de la population révoltée, composée majoritairement de jeunes, ne remonte pas toujours aussi loin. L’année écoulée suffit. Comme dans la majeure partie du monde, la pandémie a polarisé au Sénégal les positions sociales antérieures. Elle a exacerbé les inégalités préexistantes. L’oligarchie profite de la crise quand le peuple en pâtit. D’autant plus que 80 % de la population sénégalaise vit ou survit de l’économie informelle, comme ailleurs, mise à l’écart des (maigres) « filets sociaux » mis en place pendant la crise sanitaire.
L’Union européenne a joué son rôle néfaste et prédateur avec des accords de pêche ruineux pour la réserve halieutique et pour les petits pécheurs côtiers sénégalais. Et depuis octobre, 480 jeunes gens sont morts en mer dans leur tentative de rejoindre l’Europe. De tout cela, les Sénégalais sont bien informés et révoltés. Ils savent que le gouvernement français ne fait rien pour aider le Sénégal dans sa relation à l’Europe.
C’est donc la masse de la population sénégalaise, et tout particulièrement de la jeunesse, qui se sent concernée de proche en proche par ces événements déclenchés par l’arrestation d’un opposant politique. Le collectif citoyen Yenamarre est d’ailleurs au rendez-vous. Créé par des rappeurs et des journalistes lors de la vague de révolutions citoyennes déclenchées en 2011, il dénonçait dans un premier temps les coupures d’électricité attribuées à la calamiteuse gestion des néolibéraux. Comme ailleurs, l’impossibilité d’accéder à tout ou partie des réseaux et ressources essentiels à la vie est un facteur majeur de soulèvement populaire. La situation n’a fait qu’empirer depuis 2011. La contestation s’est donc élargie au-delà des « seuls » partisans d’Ousmane Sonko. C’était prévisible. Tout comme il est prévisible que l’arrestation le 5 mars du rappeur Thiat, un des fondateurs de Yenamarre, ne fera que tendre davantage la situation.
En écrivant ces lignes je n’attise aucune contestation. Seul souverain au Sénégal, le peuple sénégalais sait ce qu’il a à faire. Je décris des faits et une situation qui ne peuvent nous laisser indifférents. Le Sénégal, pays phare de la francophonie en Afrique, et la France sont liés par une histoire commune. De nombreux Sénégalais ou Franco-Sénégalais vivent en France. De nombreux Français vivent au Sénégal. Comme dans de nombreux autres pays d’Afrique, l’intérêt du peuple français et l’intérêt du peuple sénégalais convergent vers le respect des principes démocratiques et des droits humains fondamentaux. Je tiens à l’affirmer pour qu’une autre voix française soit entendue que celle du gouvernement français. Ce dernier a pour seule seule ligne politique en Afrique le soutien aux oligarchies locales, dont les intérêts sont le plus souvent liés avec ceux de l’oligarchie française. D’une pierre deux coups.
Cette politique, concrétisée ici par le silence d’un gouvernement français pourtant prompt à donner des leçons de démocratie dans telle ou telle partie du monde, n’aura fait qu’alimenter les rumeurs. Y compris les plus folles et infondées, comme celle d’un soutien possible à Macky Sall de l’armée française, qui dispose d’une base au Sénégal. Cette politique à courte vue ne fait qu’alimenter la colère. Elle se tourne alors contre une France perçue comme le soutien indéfectible de dirigeants locaux de plus en plus détestés, au Sénégal comme dans le reste de l’Afrique francophone. Si 14 magasins Auchan ont été pillés, ça n’est pas seulement parce qu’ils symbolisent la cherté de la vie. C’est aussi parce qu’il s’agit d’une enseigne française. Incapables de la moindre inflexion sérieuse quant à la politique de la France dans la région, les autorités françaises dénonceront peut-être, comme elles ont pris l’habitude de le faire, l’influence de plus telle ou telle puissance concurrente pour expliquer la haine antifrançaise. Ces manœuvres existent parfois. Et je les condamne. Mais soyons clairs : telle ou telle propagande anti-française diffusée sur internet n’aurait aucune influence si elle ne rencontrait pas une colère préexistante contre la politique du gouvernement français. C’est bien cette dernière qui est le cœur du problème.
Patriote et internationaliste, je ne peux me résoudre à une telle situation. Dès mercredi j’ai tweeté mon inquiétude lors de l’arrestation d’Ousmane Sonko. Les ricanements n’ont pas manqués côté macroniste. À présent la situation a bien dérapé et les ricaneurs ne savent plus quoi faire. J’ai l’habitude. J’ai déjà vécu cette situation en appuyant le mouvement populaire au Mali. Le gouvernement et le correspondant de RFI ont tenu jusqu’au bout une ligne aveuglée qui a enfoncé notre pays dans une impasse lors du coup d’État militaire. Si je m’exprime de nouveau ici, c’est en premier lieu pour affirmer l’urgence d’une vision radicalement nouvelle des relations entre la France et l’Afrique. Et pour lancer un appel aux Sénégalais. Ne confondez pas la France avec son oligarchie. Mes compatriotes sur place aiment le Sénégal non pour le piller mais comme on peut aimer un lieu et une population.
Comme en France, les binationaux français et sénégalais aiment la France. Ne soyons pas les marionnettes des puissants qui s’arrangent très bien du fait que les peuples se détestent et se battent Je souhaite entre la France et l’Afrique une relation basée sur la coopération mutuellement profitable entre des peuples souverains. Une relation qui corresponde aux intérêts communs des peuples, non à ceux des oligarchies. Et cela commence aujourd’hui même par notre respect et appui comme Français au mouvement populaire sénégalais. Et je forme le vœu qu’il en aille de même au Sénégal entre Sénégalais et Français qui y vivent ensemble.
Depuis quelques jours, le pays, longtemps modèle démocratique africain, est en ébullition populaire. L’arrestation le 3 mars de l’opposant Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et possible candidat à celle de 2024, a entraîné la plus grande vague de manifestations et émeutes depuis plusieurs années. Au moins un jeune manifestant a été tué dans des affrontements avec les forces de répression jeudi. Les autorités gouvernementales ont également suspendu pour soixante-douze heures deux télévisions privées, Sen TV et Walf TV, accusées de troubles à l’ordre public « de nature à constituer une menace sur la stabilité nationale ou la cohésion sociale ». On croirait lire un communiqué du préfet Lallement.
Évidemment, ces mesures répressives ont attisé la mobilisation. Elle n’est pas superficielle. Elle vient de loin. La contestation contre la dérive autoritaire du Président Macky Sall est profonde. Il est connu pour avoir écarté plusieurs concurrents politiques, comme le Maire de Dakar Khalifa Sall, via des procédures s’apparentant à du Lawfare, guerre judiciaire en politique. Les conditions de la procédure contre Ousmane Sonko, accusé d’un viol qu’il nie fermement, et finalement arrêté pour « trouble à l’ordre public », ont un goût évident d’instrumentalisation de la justice.
Le Sénégal est loin d’être un cas unique. L’hybridation entre libéralisme économique et autoritarisme politique est la caractéristique la plus partagée par les différents régimes sur la planète. Ici, une fois de plus, tout a commencé à mal aller avec le tournant néo-libéral il y a plusieurs décennies, comme presque partout ailleurs dans le monde. Mais l’imaginaire de la population révoltée, composée majoritairement de jeunes, ne remonte pas toujours aussi loin. L’année écoulée suffit. Comme dans la majeure partie du monde, la pandémie a polarisé au Sénégal les positions sociales antérieures. Elle a exacerbé les inégalités préexistantes. L’oligarchie profite de la crise quand le peuple en pâtit. D’autant plus que 80 % de la population sénégalaise vit ou survit de l’économie informelle, comme ailleurs, mise à l’écart des (maigres) « filets sociaux » mis en place pendant la crise sanitaire.
L’Union européenne a joué son rôle néfaste et prédateur avec des accords de pêche ruineux pour la réserve halieutique et pour les petits pécheurs côtiers sénégalais. Et depuis octobre, 480 jeunes gens sont morts en mer dans leur tentative de rejoindre l’Europe. De tout cela, les Sénégalais sont bien informés et révoltés. Ils savent que le gouvernement français ne fait rien pour aider le Sénégal dans sa relation à l’Europe.
C’est donc la masse de la population sénégalaise, et tout particulièrement de la jeunesse, qui se sent concernée de proche en proche par ces événements déclenchés par l’arrestation d’un opposant politique. Le collectif citoyen Yenamarre est d’ailleurs au rendez-vous. Créé par des rappeurs et des journalistes lors de la vague de révolutions citoyennes déclenchées en 2011, il dénonçait dans un premier temps les coupures d’électricité attribuées à la calamiteuse gestion des néolibéraux. Comme ailleurs, l’impossibilité d’accéder à tout ou partie des réseaux et ressources essentiels à la vie est un facteur majeur de soulèvement populaire. La situation n’a fait qu’empirer depuis 2011. La contestation s’est donc élargie au-delà des « seuls » partisans d’Ousmane Sonko. C’était prévisible. Tout comme il est prévisible que l’arrestation le 5 mars du rappeur Thiat, un des fondateurs de Yenamarre, ne fera que tendre davantage la situation.
En écrivant ces lignes je n’attise aucune contestation. Seul souverain au Sénégal, le peuple sénégalais sait ce qu’il a à faire. Je décris des faits et une situation qui ne peuvent nous laisser indifférents. Le Sénégal, pays phare de la francophonie en Afrique, et la France sont liés par une histoire commune. De nombreux Sénégalais ou Franco-Sénégalais vivent en France. De nombreux Français vivent au Sénégal. Comme dans de nombreux autres pays d’Afrique, l’intérêt du peuple français et l’intérêt du peuple sénégalais convergent vers le respect des principes démocratiques et des droits humains fondamentaux. Je tiens à l’affirmer pour qu’une autre voix française soit entendue que celle du gouvernement français. Ce dernier a pour seule seule ligne politique en Afrique le soutien aux oligarchies locales, dont les intérêts sont le plus souvent liés avec ceux de l’oligarchie française. D’une pierre deux coups.
Cette politique, concrétisée ici par le silence d’un gouvernement français pourtant prompt à donner des leçons de démocratie dans telle ou telle partie du monde, n’aura fait qu’alimenter les rumeurs. Y compris les plus folles et infondées, comme celle d’un soutien possible à Macky Sall de l’armée française, qui dispose d’une base au Sénégal. Cette politique à courte vue ne fait qu’alimenter la colère. Elle se tourne alors contre une France perçue comme le soutien indéfectible de dirigeants locaux de plus en plus détestés, au Sénégal comme dans le reste de l’Afrique francophone. Si 14 magasins Auchan ont été pillés, ça n’est pas seulement parce qu’ils symbolisent la cherté de la vie. C’est aussi parce qu’il s’agit d’une enseigne française. Incapables de la moindre inflexion sérieuse quant à la politique de la France dans la région, les autorités françaises dénonceront peut-être, comme elles ont pris l’habitude de le faire, l’influence de plus telle ou telle puissance concurrente pour expliquer la haine antifrançaise. Ces manœuvres existent parfois. Et je les condamne. Mais soyons clairs : telle ou telle propagande anti-française diffusée sur internet n’aurait aucune influence si elle ne rencontrait pas une colère préexistante contre la politique du gouvernement français. C’est bien cette dernière qui est le cœur du problème.
Patriote et internationaliste, je ne peux me résoudre à une telle situation. Dès mercredi j’ai tweeté mon inquiétude lors de l’arrestation d’Ousmane Sonko. Les ricanements n’ont pas manqués côté macroniste. À présent la situation a bien dérapé et les ricaneurs ne savent plus quoi faire. J’ai l’habitude. J’ai déjà vécu cette situation en appuyant le mouvement populaire au Mali. Le gouvernement et le correspondant de RFI ont tenu jusqu’au bout une ligne aveuglée qui a enfoncé notre pays dans une impasse lors du coup d’État militaire. Si je m’exprime de nouveau ici, c’est en premier lieu pour affirmer l’urgence d’une vision radicalement nouvelle des relations entre la France et l’Afrique. Et pour lancer un appel aux Sénégalais. Ne confondez pas la France avec son oligarchie. Mes compatriotes sur place aiment le Sénégal non pour le piller mais comme on peut aimer un lieu et une population.
Comme en France, les binationaux français et sénégalais aiment la France. Ne soyons pas les marionnettes des puissants qui s’arrangent très bien du fait que les peuples se détestent et se battent Je souhaite entre la France et l’Afrique une relation basée sur la coopération mutuellement profitable entre des peuples souverains. Une relation qui corresponde aux intérêts communs des peuples, non à ceux des oligarchies. Et cela commence aujourd’hui même par notre respect et appui comme Français au mouvement populaire sénégalais. Et je forme le vœu qu’il en aille de même au Sénégal entre Sénégalais et Français qui y vivent ensemble.