Le fondement de toute politique de développement est la maîtrise de la donnée population et elle commence avec la maîtrise de l’état civil. Déjà au 1ièr siècle avant Jésus Christ dans la Rome Antique, sous l’empereur Auguste l’état civil existait et en France il est effectif dès le 16ieme siècle sous François 1er avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts. C’est dire l’importance que les tenants du pouvoir ont très tôt donné à la maîtrise de cette donnée dans la gestion des sociétés humaines.
En économie comme en politique sécuritaire, la maîtrise des évolutions de la population est une donnée essentielle. Connaitre sa composition, le volume et ses secteurs d’activités, son mode et ses lieux d’habitations et enfin ses centres d’intérêts sont nécessaires à la définition d’une politique pertinente de développement. Ainsi on partirait du besoin ressenti et des préoccupations de cette population pour définir les priorités et organiser les actions.
Au Sénégal, l’état civil est globalement dans un état chaotique. Cela est principalement dû à l’inexistence d’une opération concertée et nationale de modernisation et de mise en réseau de notre état civil. Il semblerait qu’au Sénégal, nous n’avons pas encore saisi l’importance et le caractère stratégique de l’état civil dans un environnement de terrorisme et de flux migratoire non maitrisé. Tous les pays modernes ont depuis des lustres intégré cette donnée et ont fait de sa maîtrise une priorité.
En France, il est très facile pour les natifs des ex colonies françaises de retrouver leur état civil à Nantes. Et pourtant on pourrait se poser la question de l’intérêt pour la France de garder les données d’état civil des natifs de territoire qui ne font plus partie de son emprise. Une meilleure maîtrise de leur administration, la responsabilité et le devoir de mémoire sont certainement passés par là.
Pour le cas du Sénégal, nous constatons que nombre de nos compatriotes ne sont pas inscrits sur les registres d’état civil. A cela s’ajoute un état de délabrement avancé desdits centres où se conjuguent archaïsme, manque de matériels adéquats et manque de personnel qualifié.
J’ai pu constater, la disparition totale ou partielle de données d’état civil au niveau de grandes communes du pays comme Tivaouane et Mbao, dû à des faits de vandalisme pré et post électoraux inexcusables.
Ces constats m’amènent à faire aujourd’hui les observations et recommandations suivantes, aux seules fins de nous éviter, encore une fois, des dépenses inutiles parce que n’intégrant pas toutes les dimensions de la question ou mal ordonnancées.
Sous Me A. WADE une grande opération de numérisation de la carte d’identité a été initiée en ignorant l’état civil national. Une démarche très peu pertinente puisqu’elle équivaut à construire un immeuble sans les fondations.
L’état civil est la base du fichier de la carte d’identité nationale, tout comme de celui de la carte d’électeur. Un état civil en lambeau discrédite et décrédibilise ces fichiers essentiels dans la gestion des personnes, de leurs biens et plus encore la gestion de la sécurité intérieure du pays. Je ne suis pas surpris que l’on veuille aujourd’hui refaire la carte d’identité en la couplant avec la carte d’électeur.
De ce point de vue, on est en droit de demander à quoi ont servi les milliards dépensés pour la numérisation de la carte d’identité. Il ne faudrait pas commettre à nouveau les erreurs du passé. Pour rappel, près ou plus d’une vingtaine de milliards ont été dépensés pour ladite opération de numérisation.
Le moment est venu d’installer un peu plus de rigueur dans cette affaire. Le Sénégal a les moyens de globaliser et d’uniformiser la gestion de son état civil. Il faudrait pour cela partir de l’existant, c’est-à-dire de la fibre optique gérée par l’ADIE[[1]]url:#_ftn1 , du savoir-faire éprouvé de nos informaticiens en Afrique à travers les start-up[[2]]url:#_ftn2 qu’ils développent et d’une action concertée entre l’Etat et les collectivités locales.
Voici donc une occasion pour donner du travail et de la matière à des dizaines d’entreprises nationales et des emplois à des milliers de sénégalais avec la garantie de la sécurité et la maîtrise des données personnelles qui est le nouvel enjeu de l’économie mondiale.
Plutôt que d’aller nourrir à coup de milliards des entreprises étrangères, confions au privé national ce travail qui serait aussi bien sinon mieux fait.
Dans cette optique et dans la perspective de prise en charge des intérêts de l’Etat, des collectivités locales, du secteur privé national et du citoyen sénégalais,
Il faudrait
- Compléter le réseau de fibre optique existant pour assurer le maillage de tout le territoire ou tout au moins des principaux établissements humains (communes de plus de 50 000 âmes),
- Assurer et maintenir la mise en réseau et la permanence d’une connexion de qualité entre les centres d’Etat civil de toutes les communes avec le service national de l’état civil.
- Mettre en place avec les techniciens sénégalais le matériel et les softwares nécessaires à la gestion concertée des fichiers de l’état civil, de la carte d’électeur et de la carte d’identité nationale.
- La dématérialisation de ce secteur en éliminant les intermédiaires ferait disparaitre la petite corruption insidieuse qui sévit dans toutes les communes autour du dépôt et du retrait des pièces d’état civil.
- Une telle opération pourrait être couplée avec l’adressage (C’est-à-dire : la capacité pour les autorités centrales comme locales de pouvoir connaitre l’adresse de tous les citoyens sur le territoire national) qui est le maillon faible de notre politique de modernisation.
- Le citoyen pourrait désormais recevoir ses pièces d’état civil partout sur le territoire national et dans tous les ambassades et consulats du Sénégal.
- Les recettes des mairies sur l’état civil seraient décuplées. Combinée à l’adressage, la redéfinition de l’assiette fiscale relèverait le nombre de contribuables.
- La taxe sur les ordures ménagères (TOM) serait collectée avec plus d’efficacité.
- Des villes comme Dakar n’auraient plus besoin de l’appui de l’Etat (12 milliards) pour assurer la propreté et la qualité de leur cadre de vie.
Il ne sert à rien dans notre politique sous régionale de verser dans une intégration superficielle avec beaucoup d’effets d’annonce sans réel impact sur la consolidation de nos organisations communautaires. Le Sénégal devrait exiger des autres pays, dans un environnement de terrorisme et de circulation non maîtrisée des personnes dans tous les Etats membres de la CEDEAO[[3]]url:#_ftn3 , l’effectivité de la numérisation et de l’informatisation de nos état civils comme préalable à la confection d’une carte d’identité sous régionale.
Ceci est un impératif, la construction de l’unité sous régionale n’a aucun sens dans un environnement où les Etats membres n’ont pas développé une capacité acceptable d’identification, de décompte et d’adressage de leurs populations. L’unité sous régionale se fera si nous sommes capables de nous imposer collectivement la rigueur dans la gestion des affaires publiques. Il n’y aura pas d’intégration véritable si nous versons dans une intégration superficielle, histoire de nous convaincre que nous avançons alors que rien de constructif et de durable n’a été élaboré.
En définitive, je propose une opération concertée, Ministère de l’intérieur, Ministère en charge des collectivités locales et Ministère des finances avec comme partenaires l’ADIE pour le volet infrastructure, l’ANSD[[4]]url:#_ftn4 pour la maîtrise des données populations, l’ADM[[5]]url:#_ftn5 pour le volet adressage et la CENA[[6]]url:#_ftn6 pour la gestion et le contrôle du fichier électoral. L’objectif étant :
- La modernisation de l’état civil
- Un adressage numérique et national qui serait la base de la redéfinition de l’assiette fiscale et d’une meilleure maîtrise des contribuables à l’échelle locale et nationale)
- La sécurisation, la fiabilisation et la modernisation des fichiers gérés par le Ministère de l’intérieur (carte d’électeur, carte d’identité, passeport, adressage)
- La possibilité de dématérialiser nombre de services rendus aux citoyens par l’Etat et ses démembrements avec pour effet de réduire de manière significative la corruption qui gangrène le service public.
Cheikh Bamba Dieye
Secrétaire Général du FSD-BJ
[[1]]url:#_ftnref1 ADIE : Agence pour le Développement de l’Informatique de l’Etat
[[2]]url:#_ftnref2 Start up : Jeune entreprise innovante généralement dans le domaine de l’économie
numérique à fort potentiel de croissance
numérique à fort potentiel de croissance
[[3]]url:#_ftnref3 CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
[[4]]url:#_ftnref4 ANSD : Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie
[[5]]url:#_ftnref5 ADM : Agence de Développement Municipal
[[6]]url:#_ftnref6 CENA : Commission Electorale Nationale Autonome