Aujourd’hui est le temps du soulagement, mais demain pourrait certainement être celui des regrets et des accusations. L’année scolaire sera certes bouclée, mais les conséquences de son déroulement ne saurait être occultées. D’une année à l’autre, le Sénégal tout entier s’évertue, toujours à la dernière minute, à sauver un mourant, oubliant les apprenants. A défaut d’un effet boomerang aux prochains examens, il faut s’attendre à vivre un jour la vengeance de générations sacrifiées.
De tous les côtés et à tous les niveaux, des voix s’élèvent pour se féliciter de la fin de la crise scolaire. Si tant est qu’on peut parler de fin. Car, il est plus approprié de l’appeler suspension, comme aiment bien à le préciser les syndicats. L’année prochaine, les perturbations seront certainement de retour. Et ainsi de suite, au grand dam des générations actuelles d’élèves. Evidement, on ne le souhaite pas, mais à quoi sert l’histoire, si ce n’est d’éclairer l’avenir ? Au Sénégal, on est désormais habitué à sauver des années in extrémis. Il suffit de chasser l’expression ‘’sauver l’année’’ dans les différentes interventions orales ou écrites pour se rendre compte de l’ampleur du désastre. Autorités étatiques, syndicats d’enseignants, organisations de la société civile, médiateurs civils ou religieux, tous ont les mêmes mots à la bouche. Et ce, depuis au moins une décennie.
La carte du pourrissement
Face aux grèves répétées, l’Etat, qui détient la clé du dénouement, joue la carte du pourrissement. Les autorités, estimant que le temps est leur meilleur allié, font du dilatoire, en attendant la veille des examens. Aujourd’hui, l’opinion s’acharne sur les syndicats d’enseignants qui, sans doute, ont commis des erreurs. Mais, on doit se rappeler qu’en 2012, toute la classe politique, y compris les dirigeants actuels, avait tourné le dos à l’école pour une élection présidentielle. 5 mois de grève ne les avaient pas amenés à porter une attention particulière au système éducatif. Au contraire, il a fallu que les joutes électorales se terminent pour qu’ils se penchent enfin sur le sort de l’école.
En 2015, la même situation s’est reproduite. Les grèves ont démarré, dès le début de l’année. Mais, ce n’est qu’à la fin du mois d’avril que le gouvernement a rechigné à enfin proposer une solution. Durant plus de 6 mois, les syndicats d’enseignants et les ministères impliqués dans les négociations ont eu du mal à s’entendre. C’est seulement, dans la dernière décade du mois d’avril que le Premier ministre est entré en lice. En l’espace d’une semaine, il a réussi à dénouer la crise. Cette année encore, l’Etat a adopté la même attitude.
Durant toute l’année et bien avant, les décideurs n’ont rien proposé de concret aux enseignants. D’ailleurs, les syndicalistes ont très tôt donné le ton, avec un caustique ‘’Oubi tey, grève tey’’. Un pied de nez au slogan ‘’Oubi tey diang tey’’. C’est seulement, le 3 avril, après trois mois de perturbations, que le président de la République a annoncé les 10 000 mises en solde et 24 milliards de rappel. Mais, il faut préciser que l’Etat n’est pas le seul acteur à intervenir à la dernière minute.
La société aussi a sa part de responsabilité. En 2012, seules les Ong spécialisées dans l’éducation ont essayé de contrecarrer l’agenda politique, en essayant de trouver une place à celui éducatif. Mais leurs voix étaient à peine audibles. En 2014, les médiateurs issus de l’Assemblée nationale et du Conseil économique et social ont attendu les derniers instants pour intervenir. Une fois le compromis obtenu, ils ont disparu de la scène.
L’indifférence sociale
Cette année encore, les bons samaritains ont pris leur bâton de pèlerin à un moment où, c’était presque trop tard. Certes, le médiateur de la République a réussi à arracher la participation des enseignants aux épreuves anticipées de Philosophie, mais dans l’ensemble, les interventions de toutes les parties, excepté celles des religieux, se sont soldées par un échec. L’amertume de Mamadou Diop Castro et la dernière déclaration de la Cosydep intitulée : ‘’Sommes-nous incapables de sauver l’école’’ en sont des preuves patentes.
De leur côté, les syndicats ont la propension de ne lâcher du lest que quand il ne reste pratiquement rien à sauver. Pourtant, l’essentiel de leurs acquis, ils ne les ont pas obtenus dans les périodes d’une extrême gravité. Au contraire, à chaque fois que la situation est devenue critique, les gouvernants se sont contentés de signer des documents, les yeux quasi fermés. Car, au moment de parapher, ils savent pertinemment qu’ils ne respecteront pas leur signature. L’essentiel pour eux est de sortir de la situation embarrassante et de sauver une soi-disant année scolaire qui ne l’est que de nom.
D’un colmatage à l’autre,…
D’un colmatage à l’autre, les années sont peut-être sauvées, mais non l’école, encore moins, les élèves qui en sont les principales victimes. Car au finish, les autorités vont continuer à gouverner, les enseignants vont continuer à percevoir leur salaire, sans un centime de moins. Mais les élèves, dont le seul bénéfice dans cette affaire est la connaissance acquise et bien assimilée, se retrouvent sacrifiés. Point n’est besoin d’aller loin. Il suffit juste d’interroger les résultats des examens. 31% d’admis parmi les candidats au baccalauréat en 2015. Même taux de réussite qu’en 2014. Entre 38 et 39% en 2012 et 2013. Rien ne nous dit que 2016 ne sera pas pareil ou pire. Car les candidats de cette année étaient en classe de Première, l’année dernière. En d’autres termes, ils ont perdu deux ans de suite. ‘’Nous avons besoin d’un système fort qui fait des résultats. Voilà plus de 30 ans que nous sommes entre 30 et 40% de taux de réussite. C’est vraiment faible. Chaque année, on fait les mêmes constats. Il est temps de corriger et d’aller vers l’amélioration du système’’, plaidait Cheikh Mbow, après les résultats du bac 2015.
Un taux d’échec situé entre 60 et 70%
30 à 40% de taux de réussite. Si on inverse la courbe, cela donne un taux d’échec situé entre 60 et 70%. Autrement dit, sur 10 élèves qui arrivent au baccalauréat, seuls 3 à 4 accéderont à l’enseignement supérieur. Sans compter tout ceux que le système a rejeté avant la classe de Terminal. Une véritable machine de production de ‘’déchets’’, ce système éducatif sénégalais ! Évidemment, il n’est pas question de faire porter le chapeau aux grèves. La corrosion du quantum horaire due au déficit de classe et d’enseignants, le niveau et la formation de ceux-ci, leur niveau d’engagement, l’environnement scolaire et l’accessibilité des établissements sont autant de facteurs qui impactent les résultats finaux. Mais les grèves, leur rôle déstabilisateur (déconcentration) et l’impact psychologique que cela peut avoir n’est pas négligeable.
Et dire que ce sont les parents d’élèves qui financent 80% de son fonctionnement. Il y a de quoi se demander ce qu’ils font pendant que l’Etat et les enseignants prennent leurs enfants en otage. Les meetings politiques drainent du monde, les combats de lutte aussi, mais jamais la cause de l’école. Pas plus tard qu’avant-hier le ministre de l’Enseignement supérieur lançait un cri de détresse à propos de la disparation des séries scientifiques. ‘’Le baccalauréat des séries S2 et S3 est en voie de disparition. Sur 45 000 bacheliers, nous n’avons que 750 qui sont issus de ces séries. Or, ce sont ces jeunes qui vont devenir de grands ingénieurs de conception et des mathématiciens. Il y a une difficulté et il faut faire en sorte qu’il y ait plus d’élèves qui s’orientent dans les filières S2 et S3’’. Avec ce système, il n’est pas évident que la courbe s’inverse. Car l’apprentissage des Sciences demandent plus de temps, de moyens et de maîtrise. Si rien n’est fait, c’est le Sénégal tout entier qui va en pâtir. Car aujourd’hui des générations sont sacrifiées. Mais demain, quand le pays aura besoin d’eux pour piloter des programmes et les mettre en œuvre, ce jour-là, elles prendront leur revanche sur toute la société.
BABACAR WILLANE
De tous les côtés et à tous les niveaux, des voix s’élèvent pour se féliciter de la fin de la crise scolaire. Si tant est qu’on peut parler de fin. Car, il est plus approprié de l’appeler suspension, comme aiment bien à le préciser les syndicats. L’année prochaine, les perturbations seront certainement de retour. Et ainsi de suite, au grand dam des générations actuelles d’élèves. Evidement, on ne le souhaite pas, mais à quoi sert l’histoire, si ce n’est d’éclairer l’avenir ? Au Sénégal, on est désormais habitué à sauver des années in extrémis. Il suffit de chasser l’expression ‘’sauver l’année’’ dans les différentes interventions orales ou écrites pour se rendre compte de l’ampleur du désastre. Autorités étatiques, syndicats d’enseignants, organisations de la société civile, médiateurs civils ou religieux, tous ont les mêmes mots à la bouche. Et ce, depuis au moins une décennie.
La carte du pourrissement
Face aux grèves répétées, l’Etat, qui détient la clé du dénouement, joue la carte du pourrissement. Les autorités, estimant que le temps est leur meilleur allié, font du dilatoire, en attendant la veille des examens. Aujourd’hui, l’opinion s’acharne sur les syndicats d’enseignants qui, sans doute, ont commis des erreurs. Mais, on doit se rappeler qu’en 2012, toute la classe politique, y compris les dirigeants actuels, avait tourné le dos à l’école pour une élection présidentielle. 5 mois de grève ne les avaient pas amenés à porter une attention particulière au système éducatif. Au contraire, il a fallu que les joutes électorales se terminent pour qu’ils se penchent enfin sur le sort de l’école.
En 2015, la même situation s’est reproduite. Les grèves ont démarré, dès le début de l’année. Mais, ce n’est qu’à la fin du mois d’avril que le gouvernement a rechigné à enfin proposer une solution. Durant plus de 6 mois, les syndicats d’enseignants et les ministères impliqués dans les négociations ont eu du mal à s’entendre. C’est seulement, dans la dernière décade du mois d’avril que le Premier ministre est entré en lice. En l’espace d’une semaine, il a réussi à dénouer la crise. Cette année encore, l’Etat a adopté la même attitude.
Durant toute l’année et bien avant, les décideurs n’ont rien proposé de concret aux enseignants. D’ailleurs, les syndicalistes ont très tôt donné le ton, avec un caustique ‘’Oubi tey, grève tey’’. Un pied de nez au slogan ‘’Oubi tey diang tey’’. C’est seulement, le 3 avril, après trois mois de perturbations, que le président de la République a annoncé les 10 000 mises en solde et 24 milliards de rappel. Mais, il faut préciser que l’Etat n’est pas le seul acteur à intervenir à la dernière minute.
La société aussi a sa part de responsabilité. En 2012, seules les Ong spécialisées dans l’éducation ont essayé de contrecarrer l’agenda politique, en essayant de trouver une place à celui éducatif. Mais leurs voix étaient à peine audibles. En 2014, les médiateurs issus de l’Assemblée nationale et du Conseil économique et social ont attendu les derniers instants pour intervenir. Une fois le compromis obtenu, ils ont disparu de la scène.
L’indifférence sociale
Cette année encore, les bons samaritains ont pris leur bâton de pèlerin à un moment où, c’était presque trop tard. Certes, le médiateur de la République a réussi à arracher la participation des enseignants aux épreuves anticipées de Philosophie, mais dans l’ensemble, les interventions de toutes les parties, excepté celles des religieux, se sont soldées par un échec. L’amertume de Mamadou Diop Castro et la dernière déclaration de la Cosydep intitulée : ‘’Sommes-nous incapables de sauver l’école’’ en sont des preuves patentes.
De leur côté, les syndicats ont la propension de ne lâcher du lest que quand il ne reste pratiquement rien à sauver. Pourtant, l’essentiel de leurs acquis, ils ne les ont pas obtenus dans les périodes d’une extrême gravité. Au contraire, à chaque fois que la situation est devenue critique, les gouvernants se sont contentés de signer des documents, les yeux quasi fermés. Car, au moment de parapher, ils savent pertinemment qu’ils ne respecteront pas leur signature. L’essentiel pour eux est de sortir de la situation embarrassante et de sauver une soi-disant année scolaire qui ne l’est que de nom.
D’un colmatage à l’autre,…
D’un colmatage à l’autre, les années sont peut-être sauvées, mais non l’école, encore moins, les élèves qui en sont les principales victimes. Car au finish, les autorités vont continuer à gouverner, les enseignants vont continuer à percevoir leur salaire, sans un centime de moins. Mais les élèves, dont le seul bénéfice dans cette affaire est la connaissance acquise et bien assimilée, se retrouvent sacrifiés. Point n’est besoin d’aller loin. Il suffit juste d’interroger les résultats des examens. 31% d’admis parmi les candidats au baccalauréat en 2015. Même taux de réussite qu’en 2014. Entre 38 et 39% en 2012 et 2013. Rien ne nous dit que 2016 ne sera pas pareil ou pire. Car les candidats de cette année étaient en classe de Première, l’année dernière. En d’autres termes, ils ont perdu deux ans de suite. ‘’Nous avons besoin d’un système fort qui fait des résultats. Voilà plus de 30 ans que nous sommes entre 30 et 40% de taux de réussite. C’est vraiment faible. Chaque année, on fait les mêmes constats. Il est temps de corriger et d’aller vers l’amélioration du système’’, plaidait Cheikh Mbow, après les résultats du bac 2015.
Un taux d’échec situé entre 60 et 70%
30 à 40% de taux de réussite. Si on inverse la courbe, cela donne un taux d’échec situé entre 60 et 70%. Autrement dit, sur 10 élèves qui arrivent au baccalauréat, seuls 3 à 4 accéderont à l’enseignement supérieur. Sans compter tout ceux que le système a rejeté avant la classe de Terminal. Une véritable machine de production de ‘’déchets’’, ce système éducatif sénégalais ! Évidemment, il n’est pas question de faire porter le chapeau aux grèves. La corrosion du quantum horaire due au déficit de classe et d’enseignants, le niveau et la formation de ceux-ci, leur niveau d’engagement, l’environnement scolaire et l’accessibilité des établissements sont autant de facteurs qui impactent les résultats finaux. Mais les grèves, leur rôle déstabilisateur (déconcentration) et l’impact psychologique que cela peut avoir n’est pas négligeable.
Et dire que ce sont les parents d’élèves qui financent 80% de son fonctionnement. Il y a de quoi se demander ce qu’ils font pendant que l’Etat et les enseignants prennent leurs enfants en otage. Les meetings politiques drainent du monde, les combats de lutte aussi, mais jamais la cause de l’école. Pas plus tard qu’avant-hier le ministre de l’Enseignement supérieur lançait un cri de détresse à propos de la disparation des séries scientifiques. ‘’Le baccalauréat des séries S2 et S3 est en voie de disparition. Sur 45 000 bacheliers, nous n’avons que 750 qui sont issus de ces séries. Or, ce sont ces jeunes qui vont devenir de grands ingénieurs de conception et des mathématiciens. Il y a une difficulté et il faut faire en sorte qu’il y ait plus d’élèves qui s’orientent dans les filières S2 et S3’’. Avec ce système, il n’est pas évident que la courbe s’inverse. Car l’apprentissage des Sciences demandent plus de temps, de moyens et de maîtrise. Si rien n’est fait, c’est le Sénégal tout entier qui va en pâtir. Car aujourd’hui des générations sont sacrifiées. Mais demain, quand le pays aura besoin d’eux pour piloter des programmes et les mettre en œuvre, ce jour-là, elles prendront leur revanche sur toute la société.
BABACAR WILLANE
Auteur: Babacar Willane - EnquetePlus