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Grande interview : Macky Sall parle de son passif avec Abdoulaye Wade

Lundi 26 Octobre 2015

Le président du Sénégal, Macky Sall, était l'invité d'ITV. Il est notamment revenu sur son parcours politique et son passif avec Abdoulaye Wade, avant d’évoquer différentes questions de droits humains dans son pays, homosexualité, avortement et délits de presse notamment. Il est revenu sur la situation économique du Sénégal et sur son combat contre la corruption avant d’évoquer son analyse de questions internationales, telles que la menace terroriste en Afrique, la crise des réfugiés et le réchauffement climatique.


Macky Sall, un président 100% africain

A l'évocation de son parcours, le président sénégalais ne cache pas sa fierté d'avoir fait entièrement ses études dans son pays, même s'il note que pour certaines spécificités, le Sénégal doit construire des collaborations avec de grandes écoles et universités, notamment en France
Je suis très honoré d’être un président de la république issu du produit national et de l’enseignement public de mon pays. J’ai fait mes études entièrement au Sénégal, du primaire à l’université, où je suis sorti ingénieur géologue.
Et de revenir sur son parcours politique, tantôt Maoïste et marxiste, pour terminer "libéral-social" selon ses termes.
Pendant la période estudiantine, j’ai été Maoïste, j’ai quitté les mouvements de gauche à l’université étant conscient que ma fibre n’était pas d’être marxiste, mais je combattais à l’époque un système, la gauche sénégalaise a été la meilleure école de formation des élites. Plus tard, je suis sorti, j’ai embrassé le libéralisme, depuis 1988, j’ai engagé cette philosophie libérale, je suis un libéral-social, j’ai gardé le caractère social dans ma politique libérale.
L'occasion pour Macky Sall de préciser la position de la politique qu'il défend, à la tête de l'Etat sénégalais.
Je développe une politique libérale avec une forte connotation sociale, ce que nous voulons, c’est une politique qui s’inspire des politiques économiques, mais qui se base sur la philosophie de la liberté de l’individu dans un environnement où l’Etat doit intervenir et réguler pour aider les plus faibles.

"Je me suis engagé pour la dépénalisation des délits de presse"

Macky Sall est également revenu sur la question des délits de presse, précisant que le projet de dépénalisation qui avait été avancé par le gouvernement précédent son arrivée au pouvoir n'avait pas été voté, en raison d'un refus des députés. Il s'engage à travailler pour reprendre ce projet et l'adopter prochainement au Parlement. Il assure que, "sous sa gouvernance", l'on ne verra jamais un journaliste mis en prison pour un délit de presse.
Dans mon pays, il y a eu un débat qui a précédé mon arrivée à la tête du pays, un code de la presse a été engagé, le gouvernement l’avait transféré au Parlement, les députés n’ont pas voulu le voter. Je me suis engagé à travailler pour la dépénalisation des délits de presse. Vous ne verrez jamais, sous ma gouvernance, un journaliste mis en prison pour un délit de presse. C’est normal, lorsqu’on intervient sur une matière qui touche à la sécurité nationale, on doit être interpellés, ce n’est pas parce qu’on est journalistes qu’on est au-dessus des lois. Le délit de presse n’est pas dépénalisé mais les journalistes n’ont aucun discours au Sénégal, nous y travaillons, j’ai demandé à mon groupe parlementaire de reprendre ce projet et de l’adopter prochainement au Parlement.

Macky Sall contre la délinquance en col blanc qui a fait trop de mal à l'Afrique

Fort de sa position à la tête du Sénégal, Macky Sall a martelé ce qui fut l'un des éléments forts de sa campagne présidentielle: combattre la corruption. Pour lui, la délinquance en col blanc a fait trop de mal à l'Afrique, qui est aujourd'hui dans l'incapacité d'investir massivement pour développer son économie. Il refuse tout gaspillage, pour ainsi permettre de nourrir les initiatives visant à développer notamment l'éducation et l'agriculture de son pays.
Déjà candidat, j’avais indiqué que si j’étais élu, j’allais mettre en place des politiques qui allaient lutter contre la gabegie, les détournements de deniers publics, contre la délinquance financière, surtout la délinquance en col blanc qui a fait trop de mal à l’Afrique, qui souffre de manque de ressources de toutes sortes. Au moment où nous devons injecter des ressources considérables pour l’éducation, l’agriculture, on ne peut pas laisser une politique de gaspillage s’installer.

"Au nom de quoi, la dépénalisation de l'homosexualité devrait être une loi universelle?"

Lorsqu'il s'agit des droits humains, Macky Sall prévient que ce ne sont pas les organisations des droits de l'homme qui gouvernent le Sénégal. Avant tout, il estime que la population sénégalaise a ses représentants, élus démocratiquement. Pour le président sénégalais, il faut respecter les croyances et les convictions d'un pays et de sa société, avoir la modestie de comprendre que tous les pays ne sont pas les mêmes.
Sur la question de l'homosexualité, il estime que chaque société doit pouvoir apprécier cette question selon ses capacités
Nous avons notre code de la famille, nous avons notre culture, nous avons notre civilisation. Il faut que les gens aussi apprennent à respecter nos croyances et nos convictions. Au nom de quoi on doit penser que parce que ailleurs, on pense que l’homosexualité doit être dépénalisée, que ça doit être une loi universelle ? Au nom de quoi ça doit être une loi universelle ? Il faut respecter le droit également pour chaque peuple de définir sa propre législation, je ne vois pas pourquoi on doit nous imposer cette vision. Les gens doivent avoir la modestie de comprendre que tous les pays ne sont pas les mêmes, n’ont pas les mêmes histoires, évolutions, chaque pays a son propre métabolisme. Ce sont des problèmes de société, chaque société doit apprécier selon ses capacités. Personnellement, je pense que les gens ont la liberté de faire ce qu’ils veulent, mais ils n’ont pas la liberté d’imposer aux autres ce qu’ils sont. Qu’ils soient homosexuels, c’est leur problème, ce n’est pas mon problème.
Sur la question de l'avortement, le président sénégalais met en avant des évolutions positives, notamment en cas de viol ou d'inceste, promettant que la question de l'avortement sera prochainement abordée plus largement au Sénégal
Le droit de l’avortement est abordé chez nous, il y a des évolutions positives dans le sens où pour certains cas de viol et d’inceste, le viol doit être autorisé. Je pense que dans un proche avenir, cette question devra être abordée au Sénégal.

Le Sénégal, à l'économie jeune et informelle

Le plan de Macky Sall est clair, précis: un objectif de croissance de 7% à tenir sur une longue période. Il note à juste titre que le chemin pour y arriver sera sinueux, notamment parce que l'essentiel de l'économie sénégalaise est informelle et qu'il s'agira dans les prochains mois, voire prochaines années, de recenser cette économie informelle, pour la faire entrer dans les statistiques officielles du pays.
En parlant de statistiques, le président sénégalais livre son analyse sur la question du chômage dans son pays: sur 13.6 millions d'habitants, 400.000 seraient salariés, et plus de 2 millions de personnes feraient partie de cette économie informelle. Il situe le chômage entre 16 et 20%, mais précise que la population sénégalaise est très jeune, 65% ont en effet moins de 25 ans et ne sont pas encore considérés comme faisant partie de la population active sur laquelle se basent ces chiffres du chômage.
Au Sénégal, sur une population de 13.6 millions, nous avons moins de 400.000 salariés, mais plus de 2 millions de travailleurs informels. Nous avons lancé une politique de recensement de toute cette économie informelle. Le taux de chômage, je le situerais entre 16 et 18/20%, c’est beaucoup mais nous avons une population très jeune : au Sénégal, 65% de la population a moins de 25 ans. Plus de 70% n’ont pas encore 35 ans, c’est à la fois important mais relativement correct si on intègre tout ce qui est informel et non pris en charge dans les statistiques officielles.

Le terrorisme, une menace pour l’Afrique

Sur la question terroriste, Macky Sall salue l'action de François Hollande, au Mali et en Centrafrique. Il livre une analyse sans concessions sur l'aisance des groupes terroristes aussi bien militaire qu'économique, face à des Etats africains qui manquent de professionnalisme militaire, et qui ont besoin d'agir dans un cadre législatif qui demande du temps, notamment lorsqu'il est question de faire voter une résolution à l'ONU, qui peut prendre selon ses termes 2 à 3 mois, laissant ainsi tout le temps aux organisations terroristes d'avancer sur le terrain.
Ce que François Hollande a fait au Mali a été remarquable, si cette opération Serval n’aurait pas eu lieu, peut-être aujourd’hui on ne parlerait plus du Mali. Ce qui a été fait en Centrafrique, il faut le saluer. Il faut professionnaliser les armées africaines, et il faut beaucoup de moyens pour aller face à ces groupes terroristes, qui n’ont pas de contraintes. L’Etat islamique a accès à des ressources pétrolières qu’il vend. Ce n’est pas rien si des groupes comme Boko Haram s’allient à l’EI. La Tunisie est un pays ami qui se bat pour contrer le terrorisme dans son pays, qui doit être aidée et accompagnée. La France ne peut pas être seule présente en Afrique, il faut que l’Europe participe pleinement dans cette campagne. Si les questions se posent chez nous, elles se posent aussi chez vous. Les problèmes sont globaux. Nos Etats n’ont pas les moyens de faire face, nos urgences sont ailleurs sur la santé et l’éducation.

Crise des réfugiés

Macky Sall récuse le terme de migration économique, lorsqu'on évoque la question des flux migratoires de l'Afrique vers l'Europe. Il rappelle que les Africains comptent aujourd'hui pour 4% seulement des flux de réfugiés arrivant en Europe, et que comme il s'agit d'une question sensible, certaines caricatures sont faites au sujet du continent africain. Il milite par ailleurs pour un développement des pays africains avant tout, et d'un soutien de l'Europe aux économies locales, pour ainsi donner plus de perspectives à la jeunesse africaine.
Je récuse le terme de migration économique, il y a une caricature qui est faite. On ne peut pas dire que tous ceux qui sont Africains et qui migrent sont des migrants économiques, ça ne correspond pas à la réalité. Les réfugiés en Europe, c’est pas les Africains, ils font moins de 4% des réfugiés globalement. La question est sensible en ce moment, mais le vrai problème, c’est le drame qui se passe dans la Méditerranée. Près de 3.000 morts, je ne dirais pas dans l’indifférence, mais avec une réponse inappropriée. Faudrait-il dire que tous ceux qui viennent de Syrie sont des réfugiés, et dire que ceux qui viennent du sud sont des migrants économiques ? Ce ne serait pas juste pour l’Afrique. Nous voulons travailler avec les Européens dans des schémas durables, dans des politiques de développement en amont dans des pays africains pour donner des perspectives à notre jeunesse.


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