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Dr Mamadou Ndiaye (Cesti- Ucad) : « L’adoption du code de la presse permettrait d’assainir le milieu.»

Mercredi 4 Janvier 2017

Le Docteur Mamadou Ndiaye est le chef du département communication du Centre d’études des sciences et techniques de l'information (Cesti) de l’université Cheikh Anta Diop Dakar, où il est chargé du cours de Multimédia, entre autres enseignements. Dans cet entretien accordé à Nouvel Hebdo, il explique l’option du Cesti d’introduire l’enseignement du multimédia et des Tic, l’absence de politique de développement du numérique au Sénégal et l’environnement d’une presse en ligne qui s’habitue aux dérives…


Il y a quelques années, le Cesti a pris l’option d’introduire un cours de multimédia. Qu’est-ce qui le justifiait ?  Internet est parvenu à rompre le monopole de la collecte, du traitement et de la diffusion de l’information que détenaient les journalistes et autres professionnels de l’information. Il a changé le rapport au savoir et à l’information. Aux yeux de nombreux citoyens, le journaliste n’est plus le seul pourvoyeur de l’information. 
Face à cette situation, le Cesti a opté pour l’ouverture en intégrant les Tic dans leur offre de formation afin de donner aux futurs journalistes les outils nécessaires pour affronter le cyberespace. Une reconfiguration voire une restructuration des méthodes d’enseignement et des contenus de la formation a été effectuée. Ainsi, depuis le début des années 2000, le Cesti porte une attention particulière aux Tic tant au niveau de la formation qu’au niveau de l’administration. Nous pouvons citer l’acquisition d’équipements informatiques, l’intégration de nouveaux enseignements comme le droit des Tic, le multimédia, les usages sociaux des Tic, le web journalisme et le community management. L’un des actes les plus significatifs a été la a création d’un blog institutionnel, le Dakar Bondy blog, à l’occasion de la cérémonie de remise du prix Albert Londres 2008 à Dakar. En 2012, le Cesti a été cité parmi les acteurs clés de la couverture de l’élection présidentielle avec son site d’information Cesti info et ses réseaux sociaux. 
  
Les Tics apportent-ils un plus à la formation des journalistes ? 
Si l’on pense qu’un journaliste, il est d’abord de télévision, de radio ou de presse écrite, on peut être tenté de répondre par l’affirmative. Mais en réalité, ce n’est pas une compétence de plus. Naturellement, un journaliste du 21e siècle doit maîtriser les Tic et les nouveaux médias. Aujourd’hui, on ne peut pas former un bon journaliste s’il ne maîtrise pas les outils ou applications web et s’il n’a pas la culture numérique. C’est indispensable pour tout journaliste qui souhaite pratiquer convenablement et sans contraintes son métier. C’est assurément le moyen le plus rapide pour réussir son insertion parce qu’aujourd’hui, maîtriser les Tic est un plus dans une rédaction. Dans les offres d’emploi que nous recevons, il est très souvent demandé aux journalistes de savoir travailler sur une plateforme web. Heureusement que dès la première année, un étudiant du Cesti gère un blog individuel et un compte twitter, maîtrise les pratiques multimédias en deuxième année et valide ses compétences en web journalisme en troisième année à travers une évaluation individualisée. Pour les étudiants du niveau master également, de solides compétences en Community management leur sont demandées dans le cadre de leurs recrutements pour un premier emploi ou pour un stage. 
  
Un cours de multimédia demande un certain environnement : (disponibilité, de l’électricité, des ordinateurs, et de l’internet ou wifi). Est-ce que cet environnement existe au Cesti ? 
Oui cet environnement existe. Les deux derniers directeurs du Cesti y ont cru et ont beaucoup investi dans le domaine des Tic avec l’acquisition d’équipements de dernière génération, le recrutement des meilleurs spécialistes, la mise en place de partenariats innovants, l’accompagnement des agents dans le cadre de la formation continue et le renforcement des capacités. L’université Cheikh Anta Diop de Dakar a doté le Cesti d’une connexion internet de qualité, accessible aux enseignants, étudiants et techniciens. Aussi, il y’a quelques années, je disais au directeur du Cesti d’alors qu’il serait difficile d’enseigner le multimédia au Cesti faute d’ordinateurs disponibles en quantité suffisante. Aujourd’hui, cette tendance a été complètement renversée. La salle multimédia est équipée d’ordinateurs à écran tactile super performantes et nous avons réussi à réaliser le ratio un étudiant/un ordinateur. Maintenant, concernant l’électricité, cela ne dépend pas de nous. Nous saluons quand même le fait qu’il y’a aujourd’hui une certaine stabilité dans la fourniture de l’électricité à l’université. 
  
Le Cesti a-t-il été un avant-gardiste dans ce domaine quand on sait que le métier de journalisme a beaucoup évolué grâce aux Tic ? 
Oui le Cesti, conformément à son statut, a été un précurseur. Aujourd’hui, je suis heureux de constater que pratiquement toutes les écoles de formation en journalisme intègrent les TIC et les métiers de l’internet dans leurs offres de formation. Ce qui est une bonne chose. Désormais, nous avons l’ambition de développer le data journalisme à travers la mise en place d’un laboratoire avec toutes les compétences requises (infographistes, développeurs, documentalistes, etc.) et la mise en place de solides partenariats institutionnels. 
  
Peut-on s’attendre à ce que le Cesti fasse de l’enseignement à distance pour former le plus de journalistes avec des étudiants qui pourront suivre leurs cours en restant dans leurs régions d’origine ? 
Chaque année, nous avons des diplômés du Cesti qui nous demandent à quand une formation à distance. Juste après l’obtention du diplôme spécialisé en journalisme et en communication, les jeunes cherchent naturellement une insertion professionnelle au Sénégal ou dans leurs pays d’origine pour les étudiants non sénégalais. Ce qui rend pratiquement impossible la poursuite d’études en présentiel. C’est pourquoi nous pensons mettre sur place une plateforme d’enseignement à distance mais nos premières consultations dans ce sens ont révélé que le dispositif coûte cher. Nous sommes en train de réfléchir sur des solutions pour répondre à cette demande. 
  
C’est vous qui délivrez ce cours de multimédia. Quel est le feed-back que vous avez des sortants et des patrons de presse qui utilisent vos sortants ? 
Les étudiants qui suivent cette formation connaissent des fortunes diverses. A la sortie, ils maitrisent tous les outils et applications web du moment. Certains continuent à se bonifier, d’autres préfèrent se concentrer sur leur spécialisation. Mais dans l’ensemble, les témoignages des patrons de presse nous donnent des raisons d’être satisfaits. De nombreux étudiants décrochent un diplôme en presse écrite, en télévision ou en radio. Mais leur premier emploi, c’est sur un site internet. D’ailleurs, le patron d’un grand groupe de presse sénégalais qui souhaite créer une rédaction web m’exprime régulièrement son intérêt pour les diplômés du Cesti. 
  
Les plateformes et les Tic évoluent vite. Pensez-vous à ramener les sortants pour une mise à niveau ? 
Nous n’avons pas encore l’opportunité d’organiser ce genre de session de formation continue. En sortant du Cesti, les diplômés possèdent les outils nécessaires pour suivre les évolutions dans le domaine des Tic et du web journalisme. A l’aide de tutoriels disponibles sur les sites de partage sur internet, ils peuvent mettre à jour leurs connaissances. Certains passent me voir ou m’appellent en cas de difficultés. Il m’arrive de contacter mes anciens étudiants pour rectifier des pratiques qui ne me semblent pas des meilleurs sur internet. 
  
Quel regard jeter sur la presse en ligne au Sénégal ? 
Dans un pays où l’analphabétisme atteint des proportions importantes, la profusion de sites d’information en ligne peut étonner plus d’un. Les sites web d’information sénégalais, dans leur apparente diversité, présentent un contenu uniforme et, assez souvent, de très mauvaise qualité. Beaucoup de sujets sur la politique et les faits divers, peu d’articles sur les questions de développement, sur l’éducation, l’environnement, la culture, etc. 
L’APPEL (association de la presse privée en ligne) fait beaucoup d’efforts pour améliorer la situation mais il faut reconnaître que la tâche est immense. 
  
Ces organes de presse en ligne que nous avons au Sénégal sont-ils viables ? 
Du moment où il n’existe pas un système d’abonnement, pour la grande majorité de journaux en ligne, l’aide à la presse et les insertions publicitaires d’entreprises ou de leaders de partis politiques constituent le seul espoir de survie. Cette situation qui fragilise la presse en ligne pose la vieille problématique de l’indépendance des médias par rapport aux milieux économiques et au pouvoir politique. Elle nous pousse également à nous interroger sur la capacité de la presse en ligne à mettre en place un modèle économique viable. 
  
Ce qui est sûr, c’est que les usagers se plaignent des dérives et des contenus qui constituent une menace pour ce sous-secteur… 
Des dérives dans la presse en ligne, il y’en a. Tout le monde est d’accord là-dessus, y compris les acteurs de la presse en ligne eux-mêmes. J’ai assisté à plusieurs rencontres au cours desquelles des solutions ont été avancées. Le projet de code de la presse prévoit de labelliser les sites web, impose le recrutement de journalistes professionnels et d’un directeur de publication avec, au moins, une expérience professionnelle de 10 ans. Les journalistes coupables de dérives risquent de perdre leurs cartes de presse, donc leur outil de travail. Toutes choses qui me poussent à croire que l’adoption de ce code de la presse permettrait d’assainir le milieu. 
  
Les médias traditionnels sont-ils condamnés par les réseaux sociaux et les médias en ligne, moins exigeants en dépenses et en personnel ? 
Pendant longtemps, Internet a été présenté comme la « nouvelle technologie » qui allait porter un coup fatal à la presse écrite. Le 24 août 2006, The Economist affirmait, dans une enquête intitulée « Qui a tué les journaux ? », que la moitié des titres en circulation aura disparu dans les prochaines décennies. L’accès quasiment gratuit à de nombreux sites Web et le flot continu d’informations régulièrement mises à jour sont les arguments avancés pour fonder cette prédiction. Mais la vérité est que les réseaux sociaux et internet ne feront pas disparaître la presse traditionnelle. Au contraire, elle s’adapte aux nouveaux médias et développent des services additionnels. Je remarque que pendant les grands évènements, l’information utile, structurée, documentée nous vient des médias traditionnels et non des réseaux sociaux qui mettent plutôt l’accent sur une utilisation égocentrique de la technologie. 
  
Que faire pour réguler cette presse en ligne émergente et sanctionner les dérives sur les données personnelles ? 
Il faut savoir que l’internet sénégalais n’est pas une zone de non droit. L’arsenal juridique de 2008 prévoit des sanctions. Le code pénal également. Mais il faut reconnaître également que les malfaiteurs ont souvent une longueur d’avance, ce qui nécessite une mise à jour permanente des textes législatifs. 
  
Le Sénégal avait une communauté de blogueurs active, mais la tendance aujourd’hui, c’est que le côté commercial a pris le pas sur l’engagement citoyen. Est-ce votre sentiment ? 
Mon sentiment est que dans ce pays, le bloging voire le cyber activisme est une pente déclinante. Une communauté de blogueurs s’est révélée à l’opinion nationale et internationale à la suite de l’élection présidentielle de 2012. Ils ont bénéficié d’une grande couverture des médias traditionnels. Ce qui a construit leur notoriété. Aujourd’hui, je suis au regret de constater que ces vaillants précurseurs utilisent leurs journées à gérer leurs business, à faire des formations, à donner des conférences, à entretenir l’image des hommes politiques, des entreprises ou de leurs marques commerciales. Combien de fois a-t-on entendu les blogueurs demander de voyager dans les délégations du président de la république ? Je dis que c’est très bien de vouloir vivre d’une activité. Mais il faut oser dire que les logiques économiques ont eu raison du réseau des blogueurs du Sénégal. Les dirigeants actuels doivent évacuer le plancher et laisser la place à des blogueurs indépendants des pouvoirs politiques et économiques. Au nom de l’éthique, on ne peut plus répondre d’une activité que l’on ne pratique plus. La liberté caractéristique de la naissance d’internet ne permet pas de tout faire. Le débat, il est là. 
  
Y a-t-il d’une politique de développement des Tic claire ? 
Le Sénégal ne dispose absolument pas d’une politique des Tic claire. Je dirais même que l’élan des années 2000 a été brisé. L’ADIE et l’ARTP, les deux piliers de la politique informatique du Sénégal, ont été politisées. La promesse du président Wade et de son premier ministre d’alors, Macky Sall, de faire du pays un e-Sénégal est désormais compromise. 
  
Malgré l’existence d’un environnement favorable avec l’existence de grands opérateurs en télécommunication, le Sénégal peine à tirer profit de cette économie numérique. Que faire ? 
Ce qu’il faut faire, c’est confier ces deux organes à des Sénégalais compétents et qui savent développer des services, des projets innovants. Tant que le secteur sera géré par des politiques qui développent des logiques partisanes, l’économie numérique au Sénégal sera une coquille vide. 
Dans les négociations avec les entreprises de télécommunication, il serait souhaitable de mettre en avant les intérêts du Sénégal, le patriotisme économique. (Propos recueillis par Mamadou SARR).

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