Vous insistez sur le dernier mandat du Président. Vous pensez qu’il en tenterait un 3e ?
On n’a plus une équipe gouvernementale qui travaille. Le Sénégal n’est plus gouverné et je n’invente pas ce que je dis. C’est lui-même en Conseil des ministres qui le dit. « Dites aux Secrétaires généraux de vos ministères de préparer les passations en janvier », avait-il dit. C’est l’exemple que je donne avec votre radio. Si le Dg vous dit de vous préparer, vous serez dans un flou. On gère des affaires courantes et Diouf Sarr est bien malheureux mais dans sa tête, il se passera autre chose que la gestion de son ministère. Pour le Pm, c’est Macky qui avait dit qu’il avait tellement de tâches à l’Union africaine qu’il a besoin de quelqu’un pour le seconder. On a un Président qui ne connaît pas ses priorités. Des ministres qui se préoccupent des passations de services, mais qui nous gouvernent. Nous sommes dans le tâtonnement. La question du mandat n’est pas politicienne. Un pays se construit suivant l’état mental des contribuables et la perspective qu’ont les investisseurs. Aujourd’hui, on n’a pas de prévisions au Sénégal car à 675 jours de la fin du mandat de Macky, on ne sait pas à quel saint se vouer. C’est pour dire que les Sénégalais sont tendus du fait qu’ils ne savent pas ce qui va se passer dans leur pays dans les prochaines années. Toutes les tensions que vous voyez partout, c’est lié à cela car personne ne sait ce que demain sera fait.
Pour les Législatives, le Conseil constitutionnel a «sauvé» Yewwi et BBY, les deux grandes coalitions ?
On sait ce qu’est une grande coalition. En politique, l’élection d’avant ne détermine pas celle d’après. Car le vote n’est pas figé et il y a des mutations permanentes aussi. Depuis que Macky Sall est au pouvoir, il n’y a pas d’élections mais des sélections. Il a cette idée pour éliminer les meilleurs et il n’a pas suffisamment compris les ressorts de la démocratie. A mon avis, le pire est à venir par rapport aux décisions du Conseil constitutionnel. Lors des Législatives, on était 47 listes et il y a eu le parrainage, une course d’obstacles. Je prends l’exemple d’Aar Sénégal dont je suis le coordonnateur. On nous a dit qu’il fallait la caution, pas de dépôt par chèque ordinaire mais de banque, nous avons fait les parrainages et on a vérifié nos listes et nous avons réussi cette course d’obstacles. Alors les grandes coalitions ont fauté une fois, deux fois, trois fois et au moment de les évaluer, il y a eu cette idée de vouloir dire qu’au Sénégal on ne doit plus respecter la loi pour des questions d’intérêt national de stabilité et de préservation de la paix sociale. Comme s’il avait le droit de ne pas respecter le statu quo. Mais je n’ai jamais entendu un genre de raisonnement. Cela ne vient de personne pour qui j’ai la plus grande estime ? Alioune Tine est un grand frère avec qui je travaille mais je n’arrive pas à comprendre son discours. Le droit est une science sociale par excellence. La meilleure façon d’installer l’instabilité, c’est de ne pas respecter la règle de droit. Il y a un groupement de pêcheurs qui se préparait à aller aux législatives, ils ont leur caution de 15 millions. Ils ont été éliminés car au lieu de déposer un chèque de banque, ils ont déposé un chèque ordinaire. C’est catastrophique, ils ne sont pas habitués aux procédures. Combien de gens savent la différence entre un chèque de banque et un chèque ordinaire ? Ils ont été recalés par la loi. Pour le parrainage, il y a des gens que vous connaissez dont Serigne Mboup, Bougane Gueye etc. tous sont recalés par la loi. Pendant qu’on les recale, on n’a entendu aucune voix de la société civile dire qu’on ne peut pas le faire. Tout le monde a dit qu’il faut respecter la loi. Dès lors qu’il s’agisse de deux coalitions qui ne respectent pas la loi et ont fait l’aveu d’avoir fait des erreurs et avouent cela, on devrait, suivant un pseudo consensus social, dire qu’on n’a pas respecté la loi. Mais si on le fait c’est qu’on ouvre la porte à un chaos national organisé. A Aar Sénégal, on a subi les rigueurs de la loi. On a réussi ces étapes. Si on revient dans le fond du dossier, le conseil constitutionnel, il y a pire à craindre. Nous avons parlé de « bara yeggo », mais le disant, nous n’avons pas pensé à dire que les gens de Benno ne vont se mettre avec ceux de Yewwi Askan ou faire dans le complot. Nous ne l’avons jamais dit. Par respect aux gens de Benno et Yewwi. Ce que nous disons c’est quand la coalition Yewwi ASKAN WI a eu son problème avec sa liste départementale, pour un problème de parité, le code électoral dit que quand la Direction générale des élections (DGE) constate des irrégularités, elle les notifie à la coalition concernée et déclare l’irrecevabilité de leur liste. Cela a été fait et c’est la loi. Mais quand Benno a constaté que dans leur liste, il y a eu un problème de parité, ils ne l’ont pas nié. Alors est-ce que le ministre de l’Intérieur leur a notifié l’irrecevabilité de la liste ? Non et c’est là que nous parlons de « bara yeggo. » Nous n’allons pas renoncer à notre principe d’opposition. Même Yewwi a avoué son problème de doublons sur sa liste. La rigueur administrative, juridique du Ministre s’est arrêtée à la liste de Dakar de la coalition Yewwi. Si toutes les listes de Benno étaient normales, le ministre de l’Intérieur allait exercer toute sa rigueur sur la liste de Yewwi. C’est pourquoi les gens n’ont pas compris car nous ne le disons pas pour Yewwi mais pour Benno, pour l’opposition et le respect des principes de la loi. Mais ils sont en train de donner quelques bonbons pour que la liste de Benno soit mieux acceptée. Ils vont dire que le problème était irrecevable mais le Conseil a dit le droit. Pour Benno, ce ne sera pas la peine de déclarer irrecevable leur liste. Ce qui est une aberration juridique. Ils ne font aucun cadeau à Yewwi mais font semblant de donner raison à Yewwi pour donner le grand cadeau à Benno. Nous nous battons pour les principes, même si des gens disent le contraire. Nous avons vocation à diriger ce pays et on ne raisonne pas en termes de grande coalition. Il faut donner une prime à ceux qui ont bien travaillé. Le deuxième élément, c’est que l’opposition devrait retravailler sur son logiciel mental. C’est valable pour tout le monde car ce pouvoir en place gère les affaires courantes. Nous sommes dans l’opposition et il ne faut pas critiquer les manquements à la loi de Yewwi. Yewwi est juste une concurrente. Donc il faut que tout le monde tape sur Macky, ce n’est pas bien pour l’évolution du pays.
D’aucuns vous taxent d’être à la solde de Macky Sall. Que leur répondez-vous ?
Dix ans que je suis dans la politique sénégalaise, j’ai appris que les « ON » sont les citoyens qui ne voteront jamais pour vous et qui développent un argumentaire. Des gens voteront pour vous et donc je n’accorde aucun crédit à ces gens-là. Cela ne nous ébranle pas. Par rapport au fait que l’on travaille pour Macky c’est grave. Je constate dès lors, je suis sur les réseaux sociaux et des gens disent qu’il y a un complot entre Benno et Yewwi et en créant un slogan « Benno Yewwi Askan wi », vous avez vu la réaction des gens de Yewwi : ils ont été outrés. Ils se sont sentis diffamés car ceux qui le disent n’ont aucune preuve et moi je ne le dis pas. Le complot dont je vous ai parlé ce n’est pas un complot entre Yewwi et Benno, mais de l’administration, des mécanismes mis sur pied pour sauver Benno. Nous sommes dans un pays où c’est le règne de l’accusation. Cela veut dire que quand on n’a plus d’arguments, on invente et Yewwi a expérimenté cette expérience de douleurs. Regardez Aar Sénégal et à part le gens du Pds qui sont restés, je fais partie des opposants les plus anciens dans l’opposition.
Macky théorise la non limitation des mandats. Qu’en pensez-vous ?
Je suis juriste et quand je suis dans ce débat, parler d’interprétation c’est parce qu’il y a un problème. Alors qu’il y’en a pas. C’est Macky Sall avec Ismaël Madior Fall qui nous a fait faire un référendum qui, à l’époque, nous imposait des clauses d’éternité. En droit, on va vers l’interprétation quand les textes sont clairs. Les textes sont clairs et les deux personnes sont vivantes et je ne vois pas la décence chez Macky de prendre son cartable et de déambuler pour déposer un dossier au niveau du Conseil constitutionnel. Il n’a pas le droit aussi. Les Sénégalais ont le droit d’avoir peur car son discours ne rassure pas ses concitoyens. Aujourd’hui, au lendemain des Législatives, il devrait faire un discours et dire qu’il se prépare à partir pour que son successeur puisse travailler. Le contraire de cette approche conduirait le pays vers le chaos. Ce conseil constitutionnel ne nous donne pas des gages. Et on a peur. Le conseil sait très bien qu’avec le référendum de 2016, il y a eu des clauses d’éternité. Quand il y a des clauses théorisées par Ismaël Madior Fall et Macky Sall, cela veut dire qu’on ne peut pas y toucher tant qu’on n’a pas changé de Constitution. En 2018, il a accepté qu’on change le mode d’élection du Président de la République. Avec l’institution de la loi sur le parrainage. Or, l’article 103 de la Constitution nous dit que sur la durée du mandat, sur la forme républicaine de l’État et sur le mode d’élection, on ne peut pas changer de mode. Donc avec sa loi sur le parrainage, un Conseil constitutionnel sérieux et compétent patriote aurait dû lui dire qu’on ne peut introduire cette loi. Et que donc en tenant compte des vertus des clauses d’intérêt, c’est impossible. Mais avec une carence vis-à-vis de cette clause et le courage de dire au président que le parrainage ne peut pas passer, il ne faudrait pas s’attendre à des miracles. Le combat à mener, c’est un combat par rapport au fait que Macky ne puisse pas avoir de dossier à déposer au Conseil constitutionnel. Ce sera la meilleure façon de mettre le chaos et jeter en pâture les gens du Conseil car il viendra leur demander : Vous sages et juristes, rappelez-moi ce que j’ai dit sur la durée du mandat. C’est extraordinaire qu’un Président ait écrit sa propre constitution, ait donné son interprétation, le parrainage et il a le culot d’aller demander aux membres de lui rappeler ce qu’il avait lui-même écrit. C’est une manière de décrédibiliser nos institutions. Pour moi, c’est un appel que je fais, les élections du 31 juillet restent les dernières élections auxquelles il doit participer. Il n’est plus candidat et il cherche à avoir une majorité dans les derniers 18 mois de son mandat. Qu’il fasse un discours à la nation, sachant qu’il n’est plus candidat.
Mais que pensez-vous face au ravage des mandats, que faut-il penser ?
C’est un déshonneur pour le pays et c’est la honte. Le Sénégal est un des rares pays africains à avoir des alternances démocratiques. Les discours de sa jeunesse sont plus sages que les discours de sa vieillesse. Mais quel est le signal que cela donne. Si vous, en tant que président, tenez un discours pareil. Il est en train de chercher un repère, il tâtonne. Il lance aux chanceliers occidentaux pour voir la brèche et s’y engouffrer pour un 3e mandat. Macky est l’exemple type de la méritocratie républicaine. On nous raconte que ses parents n’étaient pas riches mais il a réussi. Il a gravi les échelons de la république car il y a eu des gentlemen qui ont fait que ces lois ont été respectées. Si le Président Abdoulaye Wade avait les mêmes attentes, Macky ne serait jamais président. Donc il faut qu’il ait cette générosité d’accepter que les gens lui ont fait beaucoup d’honneurs. Mais là, il sème l’incertitude et les gens sont fâchés.
REWMI