Thiémokho !...C’était donc lui la cause de tout ce charivari !
Thiémokho Diata, « le grand lion farouche qui ne dort jamais », le charismatique leader de l’opposition, la bête noire du pouvoir, l’icône de toute une jeunesse désabusée, frustrée, en colère contre les politiciens qu’elle tenait pour responsables de tous ses maux et malheurs. Thiémokho dont le seul nom faisait trembler les uns de peur ou de rage et vibrer les autres d’enthousiasme ou d’exaltation !
Ayant tâté le pouls de la jeunesse et compris ses aspirations, Thiémokho avait réussi à toucher sa corde sensible par un discours en rupture totale avec les insipides déclarations politiciennes qu’elle avait l’habitude d’entendre. En un temps record, il avait gagné l’estime et la confiance des jeunes dont la majorité avaient fait de lui une sorte de messie providentiel. Partout où il passait, il était accueilli en héros par des foules de jeunes qui écoutaient religieusement ses harangues qu’il terminait toujours par la même phrase, à la longue devenue presque une formule rituelle : « Nous voulons vivre libres ou mourir ! »
Et les jeunes reprenaient en chœur « Vivre libres ou mourir ! »
Thiémokho n’avait de cesse d’élargir la brèche qu’il avait ouverte en dénonçant à tout bout de champ la corruption, l’injustice et les pratiques liberticides du pouvoir. Ce dernier, inquiet et fortement ébranlé par la popularité de cet opposant sorti de nulle part avait finalement décidé de l’éliminer de la scène politique. Nombre de pièges, tous aussi machiavéliques les uns que les autres, furent tendus à Thiémokho qui réussissait chaque fois à s’en sortir, renforçant de la sorte son aura. Enervés mais nullement découragés, ses contempteurs finirent par trouver la botte secrète qui devait mettre fin pour de bon au mythe de l’invincibilité de « Thié », comme le surnommait affectueusement ses admirateurs.
C’est ainsi que notre Robin des bois fut alpagué pour détention et usage de chanvre indien. En fait c’est un lampiste recruté dans son propre camp qui avait dissimulé quelques cornets de yamba dans coffre-avant de la voiture de Thiémokho. Le reste ne fut qu’un jeu d’enfant pour les poulets qui n’eurent aucun mal à terminer la besogne. Cette fois-ci le coup était imparable ! Thiémokho fut donc écroué et, après une parodie de procès, jeté dans une cellule de la sinistre prison de « lëndëm kurus ». Puis jugeant qu’il était plus prudent de l’éloigner de la capitale, ses bourreaux l’expédièrent au bagne de « Barsakh », près des chutes de Dindéfélo au sud-est du pays. Comme il fallait s’y attendre, cet ignoble complot avait mis le feu aux poudres et la révolte avait éclaté d’abord dans la capitale avant de s’étendre aux autres régions comme le montrait bien ce qui se passait sous mes yeux ici même, à Ndar ... Dans la capitale, les jeunes des banlieues se disaient prêts à donner leurs vies pour leur leader bien aimé. Ils étaient prêts à sacrifice suprême, tout à fait comme les martyrs d’une cause sacrée. Avec un courage inouï, ils affrontaient à mains nues les forces de l’ordre armées jusqu’aux dents ! Pris de panique, traumatisés par ce déferlement de violence dont personne ne pouvait prévoir quand ni comment il allait s’arrêter, les tenants du pouvoir avaient choisi de jouer la carte de la répression aveugle. Ordre fut donc donné à toutes les forces de sécurité, sur le pied de guerre, de tirer sur tout ce qui bougerait et de « neutraliser » les « fauteurs de trouble » afin que « force reste à la loi » Pour cela ils étaient prêts à faire couler des flots de sang. Montant aux créneaux, un haut gradé de l’armée avait déclaré publiquement « Nous allons faire le boulot ! ». Tout le monde avait compris ce que signifiaient ces propos, inadmissibles de la part d’un officier supérieur.
Cela ne laissait présager rien de bon !
J’en étais là de mes pensées, lorsque mon attention fut de nouveau attirée par le « film » qui continuait de se dérouler à mes pieds. Dans la rue Khalifa Ababacar pleine à craquer de jeunes, la manifestation avait pris de l’ampleur et semblait sur le point de virer à l’émeute. Un petit groupe de téméraires s’était porté en avant, décidé semblait t-il à rallier la place Faidherbe ( ou plutôt ce qu’il en restait). Ces irréductibles brandissaient à bout de bras des pancartes et des banderoles sur lesquelles j’eus le temps de lire quelques leitmotivs virulents : « A bas la dictature ! » « Touche pas à ma démocratie ! » « Halte à la corruption ! » « Les voleurs au poteau ! » Y en marre des pirogues ! »
Ces incroyables slogans, repris à pleins poumons par la masse des manifestants me rappelèrent d’ailleurs fort à propos que je n’étais ni à Gaza ni en Cisjordanie mais bien à Saint-Louis du Sénégal berceau de la téranga, dont l’hospitalité légendaire et la douceur du climat sont unanimement reconnus. A présent les choses étaient plus claires dans mon esprit et ce que je voyais et entendais était loin d’être du cinéma ! Soudain, une nouvelle et terrifiante explosion retentit comme un coup de semonce dans l’idyllique jardin de la « dolce vita » Saint-Louisienne ! Pris de panique, je fis un brusque saut en arrière et refermai la porte du balcon. Je tremblais de tous mes membres et j’étais inondé de sueur des pieds à la tête. Jamais au cours de mes plus de cinquante années de vie passées à Ndar je n’avais vu de manifestation aussi violente. Celles des militants du PAI auxquelles j’avais assisté durant mon enfance et dont il subsistait encore de vagues souvenirs dans ma mémoire me paraissaient une bien pâle copie à côté de cette furia.
« Sophie !...Sophie !...C’est la fin du monde ! » dis-je en bégayant et claquant presque des dents. Assise sur notre lit, ma femme égrenait sans coup férir les perles de son chapelet.
Elle tenait serrés contre elle les jumeaux, terrorisés par le vacarme infernal des explosions qui se succédaient maintenant à une cadence affolante, au milieu des cris de fureur des manifestants qui semblaient plus déterminés que jamais. Les pauvres petits qui ne comprenaient rien à ce qui se passait, tremblaient comme des feuilles mortes et se blottissaient comme ils pouvaient dans les jupes de leur mère qui de son côté faisait ce qu’elle pouvait pour garder son sang-froid et les rassurer.
« Allons, allons, n’ayez pas peur mes petits anges….Ce n’est que le bruit du tonnerre et ça va bientôt s’arrêter… »
Puis elle se tourna vers moi, qui n’en menais également pas large, et me dit d’un ton ferme : « Habib, ferme toutes les portes et fenêtres et ne mets plus le nez dehors !... »
Instinctivement j’obéis aux ordres de Sophie et je bouclai hermétiquement toutes les issues. Après cela je revins m’asseoir sur le lit, près des enfants et de ma femme qui continuait à manipuler imperturbablement son chapelet. Je ne pus m’empêcher d’admirer son calme olympien et je me sentis un peu honteux de n’avoir pas su faire preuve de la même maîtrise qu’elle. Dehors, la clameur ne cessait de s’amplifier et les explosions de grenades lacrymogènes se succédaient à intervalles réguliers ; leur faisaient écho le bruit mat des bouteilles de verre bourrées d’essence qui éclataient en s’écrasant au sol, libérant elles aussi leurs flammes meurtrières. ( à suivre…)
Thiémokho Diata, « le grand lion farouche qui ne dort jamais », le charismatique leader de l’opposition, la bête noire du pouvoir, l’icône de toute une jeunesse désabusée, frustrée, en colère contre les politiciens qu’elle tenait pour responsables de tous ses maux et malheurs. Thiémokho dont le seul nom faisait trembler les uns de peur ou de rage et vibrer les autres d’enthousiasme ou d’exaltation !
Ayant tâté le pouls de la jeunesse et compris ses aspirations, Thiémokho avait réussi à toucher sa corde sensible par un discours en rupture totale avec les insipides déclarations politiciennes qu’elle avait l’habitude d’entendre. En un temps record, il avait gagné l’estime et la confiance des jeunes dont la majorité avaient fait de lui une sorte de messie providentiel. Partout où il passait, il était accueilli en héros par des foules de jeunes qui écoutaient religieusement ses harangues qu’il terminait toujours par la même phrase, à la longue devenue presque une formule rituelle : « Nous voulons vivre libres ou mourir ! »
Et les jeunes reprenaient en chœur « Vivre libres ou mourir ! »
Thiémokho n’avait de cesse d’élargir la brèche qu’il avait ouverte en dénonçant à tout bout de champ la corruption, l’injustice et les pratiques liberticides du pouvoir. Ce dernier, inquiet et fortement ébranlé par la popularité de cet opposant sorti de nulle part avait finalement décidé de l’éliminer de la scène politique. Nombre de pièges, tous aussi machiavéliques les uns que les autres, furent tendus à Thiémokho qui réussissait chaque fois à s’en sortir, renforçant de la sorte son aura. Enervés mais nullement découragés, ses contempteurs finirent par trouver la botte secrète qui devait mettre fin pour de bon au mythe de l’invincibilité de « Thié », comme le surnommait affectueusement ses admirateurs.
C’est ainsi que notre Robin des bois fut alpagué pour détention et usage de chanvre indien. En fait c’est un lampiste recruté dans son propre camp qui avait dissimulé quelques cornets de yamba dans coffre-avant de la voiture de Thiémokho. Le reste ne fut qu’un jeu d’enfant pour les poulets qui n’eurent aucun mal à terminer la besogne. Cette fois-ci le coup était imparable ! Thiémokho fut donc écroué et, après une parodie de procès, jeté dans une cellule de la sinistre prison de « lëndëm kurus ». Puis jugeant qu’il était plus prudent de l’éloigner de la capitale, ses bourreaux l’expédièrent au bagne de « Barsakh », près des chutes de Dindéfélo au sud-est du pays. Comme il fallait s’y attendre, cet ignoble complot avait mis le feu aux poudres et la révolte avait éclaté d’abord dans la capitale avant de s’étendre aux autres régions comme le montrait bien ce qui se passait sous mes yeux ici même, à Ndar ... Dans la capitale, les jeunes des banlieues se disaient prêts à donner leurs vies pour leur leader bien aimé. Ils étaient prêts à sacrifice suprême, tout à fait comme les martyrs d’une cause sacrée. Avec un courage inouï, ils affrontaient à mains nues les forces de l’ordre armées jusqu’aux dents ! Pris de panique, traumatisés par ce déferlement de violence dont personne ne pouvait prévoir quand ni comment il allait s’arrêter, les tenants du pouvoir avaient choisi de jouer la carte de la répression aveugle. Ordre fut donc donné à toutes les forces de sécurité, sur le pied de guerre, de tirer sur tout ce qui bougerait et de « neutraliser » les « fauteurs de trouble » afin que « force reste à la loi » Pour cela ils étaient prêts à faire couler des flots de sang. Montant aux créneaux, un haut gradé de l’armée avait déclaré publiquement « Nous allons faire le boulot ! ». Tout le monde avait compris ce que signifiaient ces propos, inadmissibles de la part d’un officier supérieur.
Cela ne laissait présager rien de bon !
J’en étais là de mes pensées, lorsque mon attention fut de nouveau attirée par le « film » qui continuait de se dérouler à mes pieds. Dans la rue Khalifa Ababacar pleine à craquer de jeunes, la manifestation avait pris de l’ampleur et semblait sur le point de virer à l’émeute. Un petit groupe de téméraires s’était porté en avant, décidé semblait t-il à rallier la place Faidherbe ( ou plutôt ce qu’il en restait). Ces irréductibles brandissaient à bout de bras des pancartes et des banderoles sur lesquelles j’eus le temps de lire quelques leitmotivs virulents : « A bas la dictature ! » « Touche pas à ma démocratie ! » « Halte à la corruption ! » « Les voleurs au poteau ! » Y en marre des pirogues ! »
Ces incroyables slogans, repris à pleins poumons par la masse des manifestants me rappelèrent d’ailleurs fort à propos que je n’étais ni à Gaza ni en Cisjordanie mais bien à Saint-Louis du Sénégal berceau de la téranga, dont l’hospitalité légendaire et la douceur du climat sont unanimement reconnus. A présent les choses étaient plus claires dans mon esprit et ce que je voyais et entendais était loin d’être du cinéma ! Soudain, une nouvelle et terrifiante explosion retentit comme un coup de semonce dans l’idyllique jardin de la « dolce vita » Saint-Louisienne ! Pris de panique, je fis un brusque saut en arrière et refermai la porte du balcon. Je tremblais de tous mes membres et j’étais inondé de sueur des pieds à la tête. Jamais au cours de mes plus de cinquante années de vie passées à Ndar je n’avais vu de manifestation aussi violente. Celles des militants du PAI auxquelles j’avais assisté durant mon enfance et dont il subsistait encore de vagues souvenirs dans ma mémoire me paraissaient une bien pâle copie à côté de cette furia.
« Sophie !...Sophie !...C’est la fin du monde ! » dis-je en bégayant et claquant presque des dents. Assise sur notre lit, ma femme égrenait sans coup férir les perles de son chapelet.
Elle tenait serrés contre elle les jumeaux, terrorisés par le vacarme infernal des explosions qui se succédaient maintenant à une cadence affolante, au milieu des cris de fureur des manifestants qui semblaient plus déterminés que jamais. Les pauvres petits qui ne comprenaient rien à ce qui se passait, tremblaient comme des feuilles mortes et se blottissaient comme ils pouvaient dans les jupes de leur mère qui de son côté faisait ce qu’elle pouvait pour garder son sang-froid et les rassurer.
« Allons, allons, n’ayez pas peur mes petits anges….Ce n’est que le bruit du tonnerre et ça va bientôt s’arrêter… »
Puis elle se tourna vers moi, qui n’en menais également pas large, et me dit d’un ton ferme : « Habib, ferme toutes les portes et fenêtres et ne mets plus le nez dehors !... »
Instinctivement j’obéis aux ordres de Sophie et je bouclai hermétiquement toutes les issues. Après cela je revins m’asseoir sur le lit, près des enfants et de ma femme qui continuait à manipuler imperturbablement son chapelet. Je ne pus m’empêcher d’admirer son calme olympien et je me sentis un peu honteux de n’avoir pas su faire preuve de la même maîtrise qu’elle. Dehors, la clameur ne cessait de s’amplifier et les explosions de grenades lacrymogènes se succédaient à intervalles réguliers ; leur faisaient écho le bruit mat des bouteilles de verre bourrées d’essence qui éclataient en s’écrasant au sol, libérant elles aussi leurs flammes meurtrières. ( à suivre…)