Repérée dans les eaux mauritaniennes le dernier samedi de janvier, une pirogue sénégalaise a refusé d'obtempérer et a entrepris des manœuvres d'évitement potentiellement dangereuses pour la sécurité de la vedette des garde-côtes mauritaniens. En réponse à la stratégie de fuite de l'embarcation, les forces de sécurité ont ouvert le feu en direction de son moteur, des tirs qui ont accidentellement touché, pour le blesser mortellement, un des pêcheurs sénégalais. Voilà les faits, rapidement et malheureusement suivis d'un déchaînement de violence - pillages et menaces - contre les échoppes des commerçants mauritaniens de Saint-Louis, d'où sont originaires la majorité des pêcheurs trouvés en situation irrégulière dans nos eaux.
Une « bavure » dira le Sénégal, un « accident regrettable », estimera-t-on à Nouakchott. Dans ce conflit de « basse intensité », concentré de rivalités et de récits manipulés, jeu dangereux sur le fil de la frontière océanique, la Mauritanie et le Sénégal doivent chercher la voie de l'apaisement, et affirmer ainsi la primauté du droit.
Car le feu n'est jamais très loin sous la braise : un simple accrochage porte en lui les germes de la colère. Ainsi le souvenir des « événements de 1989 » est vivace, quand s'accrochèrent des bergers peuls mauritaniens et des paysans soninkés. Sur la rive sud du fleuve Sénégal, la localité de Diawara vit passer l'étincelle et chacun eu peur d'oser envisager un dérèglement majeur imposant le vent mauvais d'un affrontement entre maures et négro-africains.
Rappelons encore à nos frères sénégalais que les incidents graves surviennent chez eux aussi, comme en 2002 lorsque Mohamed Ould Sneid, commerçant mauritanien, a été abattu de plusieurs balles en tentant de traverser le fleuve, près de Gourel. Aucun mouvement de vendetta contre les Sénégalais n'a pourtant été noté en Mauritanie.
En 2008, c'est une pirogue lancée dans une partie de pêche pirate qui ira attaquer les garde-côtes mauritaniens. Au cocktail Molotov - incendie à bord-, puis à l'arme blanche. Le capitaine sera retenu pour sa responsabilité, tandis que les membres d'équipage seront relâchés. Ces derniers tailleront droit vers Saint-Louis, fabuleront le décès de deux compatriotes et déclencheront la razzia des boutiques. Encore. Trop c'est trop. Les victimes seront, des années plus tard, indemnisées par la justice sénégalaise.
Demain déjà sera un autre jour, tant apparaît clairement une forme de prise de conscience de l'urgence de part et d'autre. Le défi véritable, ensuite, consistera à traiter les racines du mal en codifiant de manière légale l'accès des pêcheurs de Nguet Ndar aux eaux voisines, parmi les plus poissonneuses du monde. Une approche nouvelle, une transformation des mentalités pour des piroguiers jusqu'à présent maîtres d'une liberté sans règle.
Souvenons-nous de l'Accord de pêche qui fixait en 2015 un prix symbolique de 10 euros la tonne, loin des 300 euros imposés aux partenaires d'un étranger plus lointain. Et de la clause de débarquement de 6%, imposée par le Code mauritanien des pêches mais rejetée par les Sénégalais.
L'incident malheureux intervenu ces jours-ci est une chance pour trouver un accord qui respecte l'exigence du contrôle de la ressource nationale et la nécessité pour les pêcheurs sénégalais de profiter de cette ressource dont la préservation sert les deux peuples.
Fall Ould Oumeir, journaliste mauritanien