« On ne peut dominer la nature qu’en lui obéissant », disait le philosophe Bacon. Malheureusement de nos jours l’homme détruit plus qu’il ne respecte la nature. L’exemple de Saint- Louis est aujourd’hui un des cas les plus criards du gâchis de la nature.
Quel est le Saint-Louisien qui ne se souvient pas du fameux Bou el Magdad (?), fendant avec majesté les eaux calmes du fleuve pour venir déposer sur les berges, ses tonnes de marchandises exotiques après des mois d’absence. Attendaient alors fiévreusement sur la rive marchands et badauds, qui pour faire des affaires, qui pour trouver quelques choses à chaparder, sans compter les mômes aux teints noirs biens prononcés qui rivalisaient de souplesse, d’ardeur et de courage en nageant tout autour du bateau, comme s’ils voulaient l’escorter jusqu’au quai.
L’enfant de Saint-Louis n’aura pas la chance de vivre ce spectacle puisque ce qui se passe à Saint-Louis dépasse l’entendement et l’on n’enregistre aucune réaction des populations, encore moins des environnementalistes ou des autorités tout court.
Saint-Louis qui est un des plus beaux plans d’eau urbain de l’Afrique subsaharienne risque de perdre ce que la nature lui a donné et malheureusement par le non respect de son développement durable.
Le désastre que Saint-Louis vit et qu’il vivra encore longtemps si l’on y prend garde c’est l’agression de ses cours d’eau par l’homme et de surcroit par des structures étrangères qui nous donnent toujours l’impression de voler à notre secours avec leurs travaux ou chantiers dont la finalité est de créer un mieux-être pour les populations. Il suffit juste de prendre quelques exemples.
Il s’agit :
du creusement de la "brèche,"
des travaux du pont Faidherbe,
des travaux du pont Masseck Ndiaye de la langue de Barbarie.
I – La brèche
Il ya de cela une dizaine d’années, alors que la ville était submergée par les eaux du fleuve, le gouvernement de l’époque pour soulager les populations avait demandé à des experts marocains la possibilité de juguler cet envahissement des eaux fluviales. C’est ainsi qu’ils ont demandé après avoir survolé en hélicoptère la ville, de creuser une brèche qui relie la mer et le fleuve Sénégal : solution opportuniste mais simpliste parce que n’ayant fait l’objet d’aucune étude d’impact.
Les conséquences engendrées sont entre autres :
la brèche qui ne cesse de s’élargir : De 4m elle a atteint les 2km, et menace les habitations et exploitations aux alentours ;
le village traditionnel de Doune Baba Dièye qui n’existait que par la pêche est en train de disparaitre. Elle est abandonnée par plus de 80% de sa population. Il en serait de même dans un court terme pour la langue de Barbarie étranglée par la brèche ;
de nombreuses pertes de vies humaines : en moins de dix ans plusieurs pêcheurs Guet Ndariens y ont péri ; le nombre avoisine 150 ;
la ponte des tortues de mer qui se faisaient sur cette plage est perturbée. Il en est de même pour la biodiversité.
II – Travaux du pont Faidherbe
Si nous saluons l’effort des gouvernements français et sénégalais pour la réhabilitation de ce joyau qui a redonné à Saint-Louis son lustre d’antan, cependant, force est de reconnaitre que les conséquences de ces grands travaux nous laissent perplexes voire inquiets par rapport à l’hydraulicité du fleuve Sénégal.
En effet, pendant les travaux, l’entreprise a remblayé par des milliers de mètres cubes de sable les flancs du pont pour accéder à l’ouvrage et réaliser la substitution des arches par de nouvelles et le renforcement des culées.
Ce qui n’était pas la seule technique d’exécution, car il en existe d’autres qui auraient eu moins d’impact sur le cours du fleuve.
Ce remblai constitue un véritable frein à l’écoulement et au débit du fleuve Sénégal dont le lit est réduit de plus de sa moitié.
La situation est d’autant plus grave quand :
la crue du fleuve peut atteindre 2000m³/s au lieu de 150m³/s en période de décrue. Toute la quantité d’eau provenant du Fouta Djallon et de Manantali passe après le barrage de Diama sous le pont Faidherbe qui a perdu sa capacité d’écoulement. Etant entendu que le barrage de Diama n’est pas un barrage de retenue mais anti-sel qui au risque d’être déstabilisé lâche son surplus d’eau vers l’embouchure, nous comprenons aisément que la déstructuration du lit fleuve par le remblai va créer des inondations en amont du pont.
A y réfléchir de près, ces eaux du fleuve qui vont vers la mer, auraient pu alimenter les bas fonds du Gandiole ; ce qui aurait permis d’avoir des réserves d’eaux pour la culture maraichère et le cheptel et en même temps une autre zone humide.
L’autorité doit demander sans délai à l’Entreprise comme convenu dans ses cahiers de charge de laisser l’endroit tel qu’il a été trouvé avant les travaux : c’est une question de salut public.
Le rétrécissement de la voie de passage augmente inéluctablement le débit sous le pont avec des ravinements qui peuvent menacer sa stabilité.
L’OMVS va bientôt réaliser dans son programme la navigation sur le fleuve Sénégal de Saint-Louis à Ambidédy (Mali). Cette navigation est déjà compromise par les seuils de sable dans le fleuve et les méandres qui ont compliqué et augmenté le tracé. Si à cela vient s’ajouter le remblai sous le pont qui va avoir un impact en amont, il y’a de quoi s’inquiéter. D’autant plus qu’un port fluviomaritime est prévu en aval du pont pour le transport des minerais le long du fleuve au Mali vers Kayes (mines de fer) au Sénégal (phosphates de Matam) en passant par la RIM (phosphates de Bofel). Cette situation posera, si elle n’est pas rectifiée de gros problèmes de navigabilité et d’accostage.
III- Travaux du pont Masseck Ndiaye
Ce pont a été réhabilité dans notre tendre jeunesse pendant la colonisation il y’a de cela plus d’une cinquantaine d’années. L’Entreprise française qui faisait les travaux était équipée de barge sur laquelle était monté un marteau pilon qui enfonçait et battait des colonnes de béton armé qui ont constitué les piliers du pont.
Aujourd’hui, comme pour les travaux du pont Faidherbe, on utilise le même système de remblai aux conséquences dangereuses à cette période de crue. Les méfaits de cette technique de remblai, nous l’avons assez décrié dans le précédent chapitre relatif au pont Faidherbe. Elles seront les mêmes sous ce pont avec l’augmentation des débits du fleuve qui risquent de créer une inondation en amont côté langue de Barbarie. Mieux si ce remblai continue en période de décrue, Guet-Ndar risque de perdre son petit bras de fleuve qui faisait son charme et dont l’utilité n’est plus à démontrer (pêche, navigation, plaisance, marina traditionnelle, etc.).
Pour rappel, nous avons toujours demandé qu’il y ait un organe central au dessus de tous les projets de développement du Sénégal et qui soit logé à la Présidence ou à la primature.
Son rôle serait :
de juger de la pertinence des projets et de leur adéquation aux orientations de développement du gouvernement,
d’apprécier leur bon déroulement,
de mesurer leur impact sur le développement durable, la création d’emplois et la valeur ajoutée.
Par ailleurs, il faut que nous arrêtions d’apprécier les projets en terme de réalisation, mais de développement. Un philosophe disait : «Plus le péril s’accroît, plus doit s’accroître ce qui en sauve.»
Babacar NDIAYE, GEAUR