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Reportage: Guet-Ndar, entre tradition et modernité

Sur le pont « Moustaphe Malick Gaye », Guet-Ndar est à nos pieds. Une belle vue panoramique nous permet d’apercevoir un quartier populeux, dense et vivant, des ruelles étroites, une ribambelle d’enfants qui s’esclaffent, se tiraillent, se contorsionnent. Derrière les clôtures de bois, de tôle ou de parpaings, les maisons en dur sont aussi nombreuses que les baraques. Mais toutes les constructions frappent par leur petite taille et leur entassement dans un espace réduit. Ce vieux quartier des pêcheurs, atypique, déroule sa belle carte, exhibe fièrement ses vieilles chaumières, attrayantes dans leur prodigieux enchevêtrement, sa grande mosquée qui trône imperturbable au milieu de Lodo et de Pondokholé (sous-quartiers), le site de Diamalaye où on débarque la sardinelle, appelée yabooye en ouolof, et le cimetière « Thiaka Ndiaye » où on découvre des tombes hérissées de piquets de bois ou de fer, recouvertes de filets de pêche qui, à l’origine, étaient l’unique moyen de protéger les sépultures contre les chacals et les chiens errants.….……


Vendredi 15 Juillet 2011

Reportage: Guet-Ndar, entre tradition et modernité
En cette belle matinée de juillet 2011, la chaleur est torride, suffocante. Il fait 12 heures 30. Le soleil est au zénith. Trapues et ramassées sur elles-mêmes, dégoulinantes de sueur, ces vendeuses de sardinelle, de salé séché, de poisson fumé, tambadiang et autres produits halieutiques, font la navette entre l’Avenue Lamothe et le marché de Ndar-Toute. La circulation est intense. L’entrée de cette avenue principale qui coupe le quartier en deux, grouille de monde. Les pêcheurs vaquent tranquillement à leurs occupations, en attendant de récupérer dans l’après-midi auprès de leurs épouses, les revenus tirés de la vente du yabooye.

Ce sexagénaire disponible, modeste , humble et courtois, fait les cent pas aux abords du monument aux morts. Il est d’un abord facile. Sous un chapeau de paille, il exhibe un visage rugueux, raviné par la fatigue, buriné par les intempéries et tout ce qu’il a enduré en haute mer durant ses longues campagnes de pêche.

Pragmatique, il ne passe pas par quatre chemins pour nous rappeler que Guet-Ndar « signifie tout simplement Guettou-Ndar, qui veut dire le parc à bétail de Saint-Louis ».

A l’époque, a-t-il précisé, le quartier appartenait à un maure très riche qui y parquait son bétail. « Selon la version servie par certains de nos ancêtres, c’était le fief, le domaine de prédilection de l’Emir du Trarza qui y faisait pacager ses troupeaux de bovins, d’ovins et de caprins. Au fil du temps, des groupes de pêcheurs s’y installaient temporairement et mettaient à profit la période d’abondance du poisson pour réaliser de bons chiffres d’affaires. Finalement ils parvinrent à occuper toute cette partie de la Langue de Barbarie, située entre la mer, le petit bras du fleuve, Santhiaba et le cimetière de Thiem appelé aussi Thiaka Ndiaye. Ces pêcheurs, pour étendre ce quartier, finirent par créer trois sous-quartiers, notamment, Lodo, Pondokholé et Dack ».

Guet-Ndar, a-t-il poursuivi, a changé de visage, « A l’époque coloniale, les pêcheurs étaient très superstitieux et hésitaient à construire des maisons à étage qui risquaient de déranger Mame Coumba Bang, le Génie tutélaire des eaux. Un génie très sévère et exigeant qui n’acceptait pas que ces constructions futuristes et autres immeubles imposants surplombent le grand bleu. Mais, du fait de la croissance démographique, du modernisme, du brassage et du choc des cultures, de la reconversion des mentalités, les pêcheurs ont eu une autre conception de la chose. Aujourd’hui, ils ont tendance à trimer dur en haute mer pour édifier ces belles bâtisses qui contrastent avec un habitat sommaire ».

Il fait 13 heurs. Nous prenons encore le temps de musarder dans ce vieux quartier qui servait de lieu de pâturage aux maures. Un autre vieux pêcheur assis sur une placette à prière aménagée devant une grande maison appartenant à un notable et située à quelques encablures de la plage, attire notre attention. Derrière ses verres de correction, il jette dans tous les sens, un regard à la dérobée.

Cet interlocuteur est un intellectuel de gros calibre, un haut cadre de l’administration en retraite : « Je suis né à Guet-Ndar, mais je n’ai jamais été un pêcheur professionnel. J’allais en mer pendant les vacances scolaires. Moi, je ne peux pas vous parler de parc à bétail ou de lieu de pâturage, je ne maîtrise pas cette version. Tout ce que je peux vous dire est que ce village est très ancien. Il appartient aux français qui le considéraient comme un territoire coutumier. Notre chef était nommé par le Gouverneur du Sénégal qui ne ratait pas une occasion pour rappeler à nos ancêtres qu’ils avaient le devoir de fournir du poisson à Saint-Louis. Ces colonialistes français y avaient installé une batterie de canons pour surveiller le large.

On raconte aussi qu’il y avait beaucoup de maisons en paille ravagées à plusieurs reprises par des incendies ».

Guet-Ndar est un monde exceptionnel, un havre de paix où on élève le ton à sa guise, où un voisin peut se permettre de réprimander et de corriger sévèrement un enfant têtu et récalcitrant , un endroit paradisiaque où, grâce à une solidarité agissante, on s’évertue à rendre d’énormes services à son prochain sans ostentation. Le mutualisme, l’altruisme, l’honnêteté, la loyauté dans les rapports, la gestion collective et associative des problèmes sociaux, la dignité et la sincérité, sont autant de valeurs qui contribuent à l’équilibre de cette communauté que tout un chacun s’efforce de préserver. Une véritable marée humaine s’y déploie tous les jours à la recherche effrénée de sa pitance.

Encadré : Un plan grossièrement orthogonal

De l’avenue Serviatus au cimetière, Guet-Ndar s’allonge sur environ 900 mètres. Bordé d’un côté par la rive incertaine du fleuve, de l’autre par cette guirlande impressionnante de concessions et autres maisons de fortune aménagées occasionnellement par les pêcheurs à quelques encablures de la plage, il atteint 250 mètres dans sa plus grande largeur.

Au sud toutefois, le cordon littoral se rétrécit, et l’espace bâti n’excède pas 150 mètres de large. La superficie totale du quartier est 17 hectares. Deux voies divisent le quartier dans le sens de la longueur. L’avenue Lamothe, qui prolonge au sud l’avenue Dodds, et la rue Bou El Mogdad. Il n’y a que onze rues transversales et un grand nombre d’autres ruelles, si étroites qu’elles sont difficiles à déceler sur une photographie aérienne.

Le plan orthogonal est moins apparent que dans les autres vieux quartiers, car beaucoup de constructions n’ont pas respecté l’alignement théorique des rues. Dans un de ses livres, Jean Claude Bruneau le qualifie de quartier semi-rural, au développement anarchique.

A la différence de Ndar-Toute, Guet-Ndar n’offre pas de contraste bien net entre son grand axe longitudinal et le tissu urbain situé de part et d’autre. L’ensemble du quartier est caractérisé par un pullulement humain incroyable, et un dédain général pour les réglements d’urbanisme.

C’est que, coincé entre la mer et le fleuve d’une part, Ndar-Toute et le cimetière d’autre part, l’espace urbain ne peut s’étendre dans aucune direction. A côté des nombreuses maisons à étage, l’habitat se densifie à l’horizontale, réduisant à l’extrême les cours de concessions, et débordant fréquemment sur la voie publique. D’ailleurs, presque personne ne possède de titre foncier. Les Guet-Ndariens pensent que les terrains où ils habitent sont leur propriété, car ils ont appartenu à leurs ancêtres. Et l’administration coloniale considérait en fait le quartier entier comme un territoire coutumier.

Une véritable fourmilière humaine.

Partout se presse une véritable fourmilière humaine. A Guet-Ndar, beaucoup de gens sont devant leur porte, assis par terre ou sur des tabourets. Les femmes lavent leur linge en bavardant, avant de l’étendre sur des fils ou des clôtures. D’autres mettent leur fourneau dehors, pour que le vent en ravive le feu. Sur la chaussée même, l’automobiliste éprouve de très grandes difficultés à se frayer un chemin, au milieu des femmes portant leur bassine sur la tête, et d’une multitude d’enfants. Les calèches sont nombreuses. Quelques taxis et voitures particulières se risquent à traverser Guet-Ndar pour aller à l’hydrobase. Quelquefois, des véhicules de transport en commun, remplis à ras-bord, filent vers le cimetière, transportant des familles qui vont à un enterrement.

On peut assister matin et soir à la parade de quelques ovins et caprins qui vont paître du côté de l’hydrobase. La nuit, les moutons rejoignent leurs enclos, dans les rues transversales.

Il n’y a aucun commerce important sur l’avenue Lamothe, mais d’assez nombreuses boutiques, de petits bijoutiers, tailleurs et autres artisans.

Sous de miniscules abris couverts de paille ou de roseaux, les cordonniers fabriquent sandales, « gri-gri » et autres amulettes qui protègent les pêcheurs en haute mer. Un menuisier ébéniste travaille dehors, devant son atelier. Dans des enclos faits de filets tendus sur des piquets, des briques de parpaings attendent de servir à de nouvelles constructions.

Dans sa partie méridionale, l’avenue Lamothe devient moins animée. Passé le petit dispensaire, boutiques et ateliers se font plus rares, et les maisons en dur le cédent de plus en plus aux baraques et même à quelques paillotes. On passe devant l’école des garçons, construite en 1948, puis celle des filles, qui date de 1964 (établissements scolaires devenus mixtes et baptisés du nom de Cheikh Touré). On progresse pour arriver enfin à la Sécherie commune appelée « Sine », qui s’étend de part et d’autre de l’avenue. Créée par les services de l’Etat, elle met à la disposition des femmes transformatrices de produits halieutiques, des bacs de salage, et des étendoirs pour le séchage du poisson.

Documentation : CRDS, livres de Abdoul Hadir Aïdara et de Jean Claude Bruneau