Photo de Cheikh Oumar Foutiyou Tall reproduit par Maram Kaïre grâce à l'intelligence Artificielle.
Monsieur le Président,
Les propos de votre homologue français, sur la volonté de la France de rendre aux peuples victimes de la colonisation leurs biens culturels spoliés, sont assez clairs :
« Je me suis engagé pour que, d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».
Les missionnaires qu’il a désignés pour ce faire, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, lui ont suggéré dans leur rapport « … d’accueillir favorablement les demandes de restitution concernant les objets saisis sans consentement avéré…». Et ils préconisent une restitution en deux phases. Pour le Sénégal, la France doit accepter de rendre, dans la période allant de novembre 2018 à novembre 2019, le sabre d’El Hadj Omar El Foutiyou Tall ainsi que les colliers, pendentifs, perles et médaillons. « Les autres pièces (manuscrits de la Bibliothèque nationale de France) du trésor de Ségou pourraient être restituées ou faire l’objet d’accords de numérisation, de concert avec la Famille Tall, dans l’intervalle 2019-2022 »
Monsieur le Président, si le « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain » n’a pas connu un accueil enthousiaste en France, il est, par contre, l’objet d’un vif intérêt chez la plupart des Africains. Le texte n’est pas, cependant, sans susciter des interrogations. Ses zones d’ombre, la bureaucratisation préconisée des procédures de restitution ainsi que l’incertitude relative à la volonté des parlementaires français de modifier le code du patrimoine, laissent planer de sérieux doutes sur le dessein du président de la République française, Emmanuel Macron, de rendre aux Africains leur patrimoine culturel intact.
Hésitation sur la restitution des œuvres scientifiques
Monsieur le Président, si le rapport cité supra a surpris et suscité des réserves de la part des conservateurs de musées en France, en ce qui concerne l’importance des objets d’arts ou de décoration ciblés, les recommandations relatives à la restitution des œuvres scientifiques ont provoqué de réelles frustrations chez un grand nombre d’universitaires et d’intellectuels africains. La prudence manifeste avec laquelle les rapporteurs ont traité la question du rapatriement de la bibliothèque Oumarienne, qualifiée de « Collection de manuscrits », est on ne peut plus étonnante. La proposition de sa numérisation en vue de son partage, au lieu de la restitution de sa version originale complète, est difficilement justifiable. Il faut savoir que ce sont les œuvres scientifiques qui mobilisent, plus que toute autre pièce du trésor de Ségou, la famille d’El Hadj Oumar El Foutiyyou. L’ancien khalif de cette famille, Thierno Mountaga Tall, a effectué plusieurs missions, de 1993 à sa disparition en 2007, pour réclamer, en vain, sa restitution. Finalement, il s’était contenté des microfilms qu’on lui avait concédés avec frais. Voilà pourquoi l’hésitation des auteurs du rapport, en ce qui concerne les œuvres scientifiques, est inquiétante. Cette appréhension est d’autant plus fondée qu’ils sont au courant de la vive tension qu’avait provoquée la promesse de Nicolas Sarkozy de rendre à la Corée du Sud ses 300 manuscrits. Ce qui les aurait poussés à limiter le cadre de leur intervention aux seuls objets de musée.
De l’importance de la bibliothèque Oumarienne
Monsieur le Président,
Cheikhou Oumar est présenté dans l’historiographie, surtout occidentale, comme un violent porteur de sabre, guidé tout le temps par une volonté de puissance politique, une ambition de fonder un « empire toucouleur ». L’enclin à signer une convention de dépôt d’un sabre, trouvé à Ségou 26 ans après la disparition de Cheikhou Oumar, attribué à lui par le colonisateur qui ne l’a jamais combattu dans cette région, relève de cette propagande. L’intention aurait été perçue sana suspicion et la réception en pompe mieux appréciée, si on avait restitué, même temporairement, un de ses manuscrits à la place de ce sabre fabriqué en France.
Cela dit, il est indéniable que Cheikhou Oumar a dédié sa vie à l’Islam et s’est armé de fusils pour le répandre en Afrique de l’Ouest. Mais, ne devrait-on pas retenir aussi qu’il a porté l’humanisme de cette religion en intellectuel hors pair ? La bibliothèque de Ségou, une collection de 578 ouvrages au milieu du 19ème siècle, ne peut être que l’œuvre d’un homme avide du savoir, épris de sciences. Un homme dont la plus grande partie de la vie fut consacrée à la quête du savoir et à sa diffusion. La guerre sainte n’a pris que treize ans de son existence qui a duré soixante-dix hivernages. On compte à son actif une vingtaine de manuscrits. La bibliographie de « Rimaahu Hizbu El Rahiim alaa Nuhuuri Hizbu El Rajiim », son ouvrage phare, ne compte pas moins d’une centaine de références. Ce document est édité par l’Etat tunisien en 1878 avec une signature ouest-africaine explicite : El Foutiyyou. Il fait ainsi partie des premiers auteurs ouest-africains, toutes langues confondues, à être publiés.
Cette édition faisait suite à la demande d’un des fils d’Ali Tamaasisiniy, Khalif du fondateur de la confrérie Tidjane, et des Oulemas tunisiens qui craignaient la détérioration du manuscrit par les consultations nombreuses dont il faisait l’objet. C’était un homme féru d’écrits et d’écritures. Il était entouré d’érudits porteurs de plumes qui ont permis à la postérité de mieux connaitre ses hauts faits et gestes. Mamadou Aliou Thiam, Lamine Maabo Gisse et Mamadou Mahmoudou Ka, ont décrit l’exil et les combats oumariens par écrit et en pulaar. Ainsi, Ségou était non seulement une des capitales politiques de Cheikhou Oumar, mais aussi, avec ses Oulémas et sa bibliothèque qui comptait plusieurs centaines d’ouvrages, un centre d’excellence scientifique.
C’est pour cela que le « Fonds » Archinard (appellation récusée par les historiens) de la bibliothèque François Mitterrand est le lieu de convergence d’un nombre important de chercheurs en Islam et d’africanistes. L’intérêt de ce fonds pour la connaissance de l’histoire authentique de l’Afrique de l’Ouest est indéniable. Il a valu aux africanistes la découverte de Târikh Es-Soudan d’Abderrahmaan Sâdî qu’Octave Houdas a traduit. Il en avait pris goût pour traiter Târikh El-Fettâch de Ka’ati. Ce qui a montré aux historiens la voie et l’intérêt d’exploiter la production écrite des Africains. Ainsi, il va sans dire que l’accès à ces ressources, encore peu exploitées, permettrait certainement de mieux connaitre non seulement Cheikhou Oumar El Foutiyyou, l’homme de culture et d’écriture, mais au-delà l’histoire de toute l’Afrique de l’Ouest.
Restitution de la bibliothèque Oumarienne originale
Centre de recherche sur le patrimoine intellectuel africain Baajoordo
90 signataires
Constitution et saisie de la Bibliothèque Oumarienne
Pour faire partie des signataires
Mamadou Youry Sall
Les propos de votre homologue français, sur la volonté de la France de rendre aux peuples victimes de la colonisation leurs biens culturels spoliés, sont assez clairs :
« Je me suis engagé pour que, d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».
Les missionnaires qu’il a désignés pour ce faire, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, lui ont suggéré dans leur rapport « … d’accueillir favorablement les demandes de restitution concernant les objets saisis sans consentement avéré…». Et ils préconisent une restitution en deux phases. Pour le Sénégal, la France doit accepter de rendre, dans la période allant de novembre 2018 à novembre 2019, le sabre d’El Hadj Omar El Foutiyou Tall ainsi que les colliers, pendentifs, perles et médaillons. « Les autres pièces (manuscrits de la Bibliothèque nationale de France) du trésor de Ségou pourraient être restituées ou faire l’objet d’accords de numérisation, de concert avec la Famille Tall, dans l’intervalle 2019-2022 »
Monsieur le Président, si le « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain » n’a pas connu un accueil enthousiaste en France, il est, par contre, l’objet d’un vif intérêt chez la plupart des Africains. Le texte n’est pas, cependant, sans susciter des interrogations. Ses zones d’ombre, la bureaucratisation préconisée des procédures de restitution ainsi que l’incertitude relative à la volonté des parlementaires français de modifier le code du patrimoine, laissent planer de sérieux doutes sur le dessein du président de la République française, Emmanuel Macron, de rendre aux Africains leur patrimoine culturel intact.
Hésitation sur la restitution des œuvres scientifiques
Monsieur le Président, si le rapport cité supra a surpris et suscité des réserves de la part des conservateurs de musées en France, en ce qui concerne l’importance des objets d’arts ou de décoration ciblés, les recommandations relatives à la restitution des œuvres scientifiques ont provoqué de réelles frustrations chez un grand nombre d’universitaires et d’intellectuels africains. La prudence manifeste avec laquelle les rapporteurs ont traité la question du rapatriement de la bibliothèque Oumarienne, qualifiée de « Collection de manuscrits », est on ne peut plus étonnante. La proposition de sa numérisation en vue de son partage, au lieu de la restitution de sa version originale complète, est difficilement justifiable. Il faut savoir que ce sont les œuvres scientifiques qui mobilisent, plus que toute autre pièce du trésor de Ségou, la famille d’El Hadj Oumar El Foutiyyou. L’ancien khalif de cette famille, Thierno Mountaga Tall, a effectué plusieurs missions, de 1993 à sa disparition en 2007, pour réclamer, en vain, sa restitution. Finalement, il s’était contenté des microfilms qu’on lui avait concédés avec frais. Voilà pourquoi l’hésitation des auteurs du rapport, en ce qui concerne les œuvres scientifiques, est inquiétante. Cette appréhension est d’autant plus fondée qu’ils sont au courant de la vive tension qu’avait provoquée la promesse de Nicolas Sarkozy de rendre à la Corée du Sud ses 300 manuscrits. Ce qui les aurait poussés à limiter le cadre de leur intervention aux seuls objets de musée.
De l’importance de la bibliothèque Oumarienne
Monsieur le Président,
Cheikhou Oumar est présenté dans l’historiographie, surtout occidentale, comme un violent porteur de sabre, guidé tout le temps par une volonté de puissance politique, une ambition de fonder un « empire toucouleur ». L’enclin à signer une convention de dépôt d’un sabre, trouvé à Ségou 26 ans après la disparition de Cheikhou Oumar, attribué à lui par le colonisateur qui ne l’a jamais combattu dans cette région, relève de cette propagande. L’intention aurait été perçue sana suspicion et la réception en pompe mieux appréciée, si on avait restitué, même temporairement, un de ses manuscrits à la place de ce sabre fabriqué en France.
Cela dit, il est indéniable que Cheikhou Oumar a dédié sa vie à l’Islam et s’est armé de fusils pour le répandre en Afrique de l’Ouest. Mais, ne devrait-on pas retenir aussi qu’il a porté l’humanisme de cette religion en intellectuel hors pair ? La bibliothèque de Ségou, une collection de 578 ouvrages au milieu du 19ème siècle, ne peut être que l’œuvre d’un homme avide du savoir, épris de sciences. Un homme dont la plus grande partie de la vie fut consacrée à la quête du savoir et à sa diffusion. La guerre sainte n’a pris que treize ans de son existence qui a duré soixante-dix hivernages. On compte à son actif une vingtaine de manuscrits. La bibliographie de « Rimaahu Hizbu El Rahiim alaa Nuhuuri Hizbu El Rajiim », son ouvrage phare, ne compte pas moins d’une centaine de références. Ce document est édité par l’Etat tunisien en 1878 avec une signature ouest-africaine explicite : El Foutiyyou. Il fait ainsi partie des premiers auteurs ouest-africains, toutes langues confondues, à être publiés.
Cette édition faisait suite à la demande d’un des fils d’Ali Tamaasisiniy, Khalif du fondateur de la confrérie Tidjane, et des Oulemas tunisiens qui craignaient la détérioration du manuscrit par les consultations nombreuses dont il faisait l’objet. C’était un homme féru d’écrits et d’écritures. Il était entouré d’érudits porteurs de plumes qui ont permis à la postérité de mieux connaitre ses hauts faits et gestes. Mamadou Aliou Thiam, Lamine Maabo Gisse et Mamadou Mahmoudou Ka, ont décrit l’exil et les combats oumariens par écrit et en pulaar. Ainsi, Ségou était non seulement une des capitales politiques de Cheikhou Oumar, mais aussi, avec ses Oulémas et sa bibliothèque qui comptait plusieurs centaines d’ouvrages, un centre d’excellence scientifique.
C’est pour cela que le « Fonds » Archinard (appellation récusée par les historiens) de la bibliothèque François Mitterrand est le lieu de convergence d’un nombre important de chercheurs en Islam et d’africanistes. L’intérêt de ce fonds pour la connaissance de l’histoire authentique de l’Afrique de l’Ouest est indéniable. Il a valu aux africanistes la découverte de Târikh Es-Soudan d’Abderrahmaan Sâdî qu’Octave Houdas a traduit. Il en avait pris goût pour traiter Târikh El-Fettâch de Ka’ati. Ce qui a montré aux historiens la voie et l’intérêt d’exploiter la production écrite des Africains. Ainsi, il va sans dire que l’accès à ces ressources, encore peu exploitées, permettrait certainement de mieux connaitre non seulement Cheikhou Oumar El Foutiyyou, l’homme de culture et d’écriture, mais au-delà l’histoire de toute l’Afrique de l’Ouest.
Restitution de la bibliothèque Oumarienne originale
Monsieur le Président,
Vu l’importance des œuvres scientifiques dans le patrimoine culturel et intellectuel africain, Etant donné l’accessibilité limitée de l’Europe pour les Africains, conscient de ce que représente aujourd’hui Cheikou Oumar dans le monde, considérant la volonté du Président Emmanuel Macron de rendre à l’Afrique ses objets spoliés, pour faciliter aux chercheurs africains l’accès aux sources primaires en Histoire, nous saurions gré à votre excellence de bien vouloir porter la forte attente des chercheurs clairement exprimée en ces termes :
Que la France veuille bien restituer au Sénégal la bibliothèque Oumarienne intacte en priorité !
Veuillez agréer, Excellence, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.
Centre de recherche sur le patrimoine intellectuel africain Baajoordo
90 signataires
Constitution et saisie de la Bibliothèque Oumarienne
Pour faire partie des signataires
Mamadou Youry Sall