Certains Africains seraient-ils partisans des statistiques ethniques ? Sur les forums Internet, fleurissent, ces derniers temps, des débats sur les origines des Premières dames d’Afrique subsaharienne. C’est comme si l’accession à ce statut de Dominique Ouattara, l’épouse du président ivoirien, Alassane Ouattara, avait libéré des « nationalismes » mal inspirés. Il est vrai que même née sur le continent africain (en Algérie), la nouvelle First Lady ivoirienne est originaire de France, ce pays que les aficionados de Laurent Gbagbo accusent de manipuler Alassane Ouattara. Dominique née Nouvian serait-elle l’énième fil néocolonialiste de sa marionnette de mari ? Ces interrogations seraient déjà suffisamment nauséabondes si elles ne cachaient pas, de surcroît, un débat sur la couleur de peau. « Pourquoi les femmes de plusieurs présidents africains sont blanches ? », s’insurge un internaute qui poursuit en écrivant « Ras-le-bol ». Chacun tente alors une comptabilité pourtant finalement peu fournie.
Qui sont-elles ? Hormis la nouvelle venue Dominique O., les statistiques laissent une place de choix aux « 3V » : la blonde « Vert », la brune « Valentin » et la rousse « Vigouroux ». Première dame du Sénégal, Viviane Wade est née Viviane Vert à Besançon, en France. Sylvia Valentin, française et fille de l’assureur Edouard Valentin, est devenue l’épouse de l’actuel président gabonais Ali Bongo Ondimba. C’est en 1994 que Chantal Vigouroux, née d’une mère camerounaise et d’un père français, épouse le président camerounais Paul Biya. Et une métisse, en Afrique subsaharienne, est une blanche ; comme Obama, aux Etats-Unis, est un noir... Comme pour démontrer que la peau diaphane s’insinue depuis longtemps dans les alcôves africaines, les forums Internet remontent jusqu’au premier président sénégalais, le francophile Léopold Sédar Senghor. L’auteur du poème Femme nue, femme noire en avait épousé une blanche. Comme l’empereur centrafricain Bokassa Ier —une épouse parmi dix-sept, tout de même. Comme l’ancien secrétaire général des Nations unies, le Ghanéen Kofi Annan. Pour que les gbagboïstes se saisissent efficacement de ce débat aux relents discriminatoires, encore eût-il fallu que la première épouse de l’ancien président ivoirien ne fut pas la « teint clair » Jacqueline Chamois… S’il est vrai que les couples mixtes sont rares dans les palais, en dehors du continent noir comment expliquer que les dirigeants africains soient, eux, inspirés par ce rapprochement d’épidermes contrastés ? Passons sur le préjugé qui dépeint la femme européenne comme une gourmande de pouvoir et d’argent. Et sur cet autre qui présente la femme africaine comme une manipulatrice, par marabout interposé, et donc une partenaire à fuir comme la peste.
Et les locales alors ? Premièrement, la femme blanche serait le fantasme ultime d’une gent masculine qui traque la peau claire, qu’elle soit négroïde ou caucasienne. La dépigmentation serait d’ailleurs une quête mimétique de la peau européenne. Exotisme, quand tu nous tiens ! Deuxièmement, les élites africaines ramèneraient des toubabs dans leur filet à l’occasion d’une autre pêche en Occident. Le phénomène serait alors générationnel. Les présidents postindépendances auraient tous étudiés en Europe, dans les années 40 ou 50, à l’âge où leurs hormones les invitaient à se caser. Ni le parcours de Dominique Ouattara, ni celui de Sylvie Bongo ne confirme cette hypothèse. Les deux Premières dames ont rencontré leur conjoint sur les terres africaines. Une troisième explication, plus vicieuse, truffe les interventions agacées des forums Internet : celle du complexe de l’ancien colonisé. Un internaute est catégorique : « Je trouve que les présidents ou hommes politiques qui épousent des femmes blanches sont des complexés » Cette théorie impliquerait le mépris de la ressortissante « nationale » parce que locale ou, pire, parce que noire. L’Africain reproduirait-il alors un schéma « universel » que Calixthe Beyala dresse à l’occasion de l’affaire Strauss-Kahn : « On épouse la femme blanche et on viole la femme noire » ? Les clichés viennent de loin : en musique, déjà, une blanche vaut deux noires. La littérature africaine évoque l’impossibilité de banaliser l’union de la femme blanche et de l’homme noir. Dans La revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, le romancier camerounais Mongo Béti parle, en 1984, des « femmes-à-nègre ». Gilbert Doho, professeur associé à l’université de Cleveland aux Etats-Unis, écrit, en 1997 : « La femme-à-nègre est la figure autour de laquelle gravite le monde au cœur de la question nègre de ce XXe siècle. Ce personnage a une part assez importante de responsabilités dans la marche de l’Afrique d’aujourd’hui. »
Un vieux complexe ? Pour nous extirper de cette polémique —étouffante quand elle se fait politique—, faisons appel, une fois de plus, à l’expérience personnelle de Cheikh Anta Diop. Serait-il complexé, le maître historien et anthropologue sénégalais ? Nul n’oserait l’affirmer. Pourtant, l’égyptologue avait épousé la blanche Louise-Marie Maes. Blanche, mais d’abord professeur certifié d’histoire et de géographie honoraire, docteur d’Etat en géographie humaine. Rien à voir avec une courtisane ou une cougar néocolonialiste. Peut-être les internautes malveillants sont-ils eux-mêmes les complexés ? Dans Femme blanche, Afrique noire, Marielle Trolet Ndiaye, même candide, n’élude pas la dimension raciale. Mais elle voit le bon côté des échanges interculturels ancrés. L’héroïne du livre, il est vrai, n’est pas une femme de salon, ni de pouvoir. Pour se plaindre d’une prétendue « profusion » de Premières dames blanches en Afrique noire, on utilise le récurrent procédé rhétorique : inverser virtuellement le rapport Nord-Sud. L’internaute qui écrit « Pourquoi les femmes de plusieurs présidents africains sont blanches ? » complète son propos par « alors qu’aucun président blanc ou même oriental (ou asiatique) n’est marié à une femme noire ». Regretter l’absence de mixité ailleurs conduirait-il à proscrire, chez soi, cette même mixité ? Faudrait-il donc considérer le taux élevé de mélanine de la compagne d’Arnaud Montebourg avant de voter aux primaires du Parti socialiste en France ?
Le gotha mondain européen fournit un exemple ultime à ceux qui dénoncent une mainmise spécifique des femmes blanches sur les hommes de pouvoir. Si le prince Albert II de Monaco a eu un enfant avec une ex-hôtesse de l’air d’origine togolaise, il n’a pas souhaité épouser la subsaharienne. Exact. Mais n’est-ce pas une Africaine qu’il s’apprête à épouser le 1er juillet 2011, la nageuse Charlene Wittstock, née à Bulawayo au Zimbabwe ? Oups ! Elle est blanche…
Slate.fr
Qui sont-elles ? Hormis la nouvelle venue Dominique O., les statistiques laissent une place de choix aux « 3V » : la blonde « Vert », la brune « Valentin » et la rousse « Vigouroux ». Première dame du Sénégal, Viviane Wade est née Viviane Vert à Besançon, en France. Sylvia Valentin, française et fille de l’assureur Edouard Valentin, est devenue l’épouse de l’actuel président gabonais Ali Bongo Ondimba. C’est en 1994 que Chantal Vigouroux, née d’une mère camerounaise et d’un père français, épouse le président camerounais Paul Biya. Et une métisse, en Afrique subsaharienne, est une blanche ; comme Obama, aux Etats-Unis, est un noir... Comme pour démontrer que la peau diaphane s’insinue depuis longtemps dans les alcôves africaines, les forums Internet remontent jusqu’au premier président sénégalais, le francophile Léopold Sédar Senghor. L’auteur du poème Femme nue, femme noire en avait épousé une blanche. Comme l’empereur centrafricain Bokassa Ier —une épouse parmi dix-sept, tout de même. Comme l’ancien secrétaire général des Nations unies, le Ghanéen Kofi Annan. Pour que les gbagboïstes se saisissent efficacement de ce débat aux relents discriminatoires, encore eût-il fallu que la première épouse de l’ancien président ivoirien ne fut pas la « teint clair » Jacqueline Chamois… S’il est vrai que les couples mixtes sont rares dans les palais, en dehors du continent noir comment expliquer que les dirigeants africains soient, eux, inspirés par ce rapprochement d’épidermes contrastés ? Passons sur le préjugé qui dépeint la femme européenne comme une gourmande de pouvoir et d’argent. Et sur cet autre qui présente la femme africaine comme une manipulatrice, par marabout interposé, et donc une partenaire à fuir comme la peste.
Et les locales alors ? Premièrement, la femme blanche serait le fantasme ultime d’une gent masculine qui traque la peau claire, qu’elle soit négroïde ou caucasienne. La dépigmentation serait d’ailleurs une quête mimétique de la peau européenne. Exotisme, quand tu nous tiens ! Deuxièmement, les élites africaines ramèneraient des toubabs dans leur filet à l’occasion d’une autre pêche en Occident. Le phénomène serait alors générationnel. Les présidents postindépendances auraient tous étudiés en Europe, dans les années 40 ou 50, à l’âge où leurs hormones les invitaient à se caser. Ni le parcours de Dominique Ouattara, ni celui de Sylvie Bongo ne confirme cette hypothèse. Les deux Premières dames ont rencontré leur conjoint sur les terres africaines. Une troisième explication, plus vicieuse, truffe les interventions agacées des forums Internet : celle du complexe de l’ancien colonisé. Un internaute est catégorique : « Je trouve que les présidents ou hommes politiques qui épousent des femmes blanches sont des complexés » Cette théorie impliquerait le mépris de la ressortissante « nationale » parce que locale ou, pire, parce que noire. L’Africain reproduirait-il alors un schéma « universel » que Calixthe Beyala dresse à l’occasion de l’affaire Strauss-Kahn : « On épouse la femme blanche et on viole la femme noire » ? Les clichés viennent de loin : en musique, déjà, une blanche vaut deux noires. La littérature africaine évoque l’impossibilité de banaliser l’union de la femme blanche et de l’homme noir. Dans La revanche de Guillaume Ismaël Dzewatama, le romancier camerounais Mongo Béti parle, en 1984, des « femmes-à-nègre ». Gilbert Doho, professeur associé à l’université de Cleveland aux Etats-Unis, écrit, en 1997 : « La femme-à-nègre est la figure autour de laquelle gravite le monde au cœur de la question nègre de ce XXe siècle. Ce personnage a une part assez importante de responsabilités dans la marche de l’Afrique d’aujourd’hui. »
Un vieux complexe ? Pour nous extirper de cette polémique —étouffante quand elle se fait politique—, faisons appel, une fois de plus, à l’expérience personnelle de Cheikh Anta Diop. Serait-il complexé, le maître historien et anthropologue sénégalais ? Nul n’oserait l’affirmer. Pourtant, l’égyptologue avait épousé la blanche Louise-Marie Maes. Blanche, mais d’abord professeur certifié d’histoire et de géographie honoraire, docteur d’Etat en géographie humaine. Rien à voir avec une courtisane ou une cougar néocolonialiste. Peut-être les internautes malveillants sont-ils eux-mêmes les complexés ? Dans Femme blanche, Afrique noire, Marielle Trolet Ndiaye, même candide, n’élude pas la dimension raciale. Mais elle voit le bon côté des échanges interculturels ancrés. L’héroïne du livre, il est vrai, n’est pas une femme de salon, ni de pouvoir. Pour se plaindre d’une prétendue « profusion » de Premières dames blanches en Afrique noire, on utilise le récurrent procédé rhétorique : inverser virtuellement le rapport Nord-Sud. L’internaute qui écrit « Pourquoi les femmes de plusieurs présidents africains sont blanches ? » complète son propos par « alors qu’aucun président blanc ou même oriental (ou asiatique) n’est marié à une femme noire ». Regretter l’absence de mixité ailleurs conduirait-il à proscrire, chez soi, cette même mixité ? Faudrait-il donc considérer le taux élevé de mélanine de la compagne d’Arnaud Montebourg avant de voter aux primaires du Parti socialiste en France ?
Le gotha mondain européen fournit un exemple ultime à ceux qui dénoncent une mainmise spécifique des femmes blanches sur les hommes de pouvoir. Si le prince Albert II de Monaco a eu un enfant avec une ex-hôtesse de l’air d’origine togolaise, il n’a pas souhaité épouser la subsaharienne. Exact. Mais n’est-ce pas une Africaine qu’il s’apprête à épouser le 1er juillet 2011, la nageuse Charlene Wittstock, née à Bulawayo au Zimbabwe ? Oups ! Elle est blanche…
Slate.fr